20.02.2008 • Roumanie

Magdalena Sarpe & Andrei Sarpe

Il serait si facile de te pointer du doigt, Magdalena.

Femme d’affaire aux dents longues et à l’estomac trop vide, tu es capable de travailler sang et eau sur des projets pour les amener à réalisation. Grâce à toi, des dizaines de chasseurs sont plus libres de leurs mouvements et des dizaines d’autres sont formés pour permettre de doubler ce chiffre jusqu’à devenir une véritable institution. Chaque jour, on célèbre ton acharnement et on te montre comme un modèle à suivre en matière de réussite sociale ou professionnelle dépendant de qui l’on parle. Et pourtant, tu as raté de cinq jours l’anniversaire de ton propre fils. Certains diraient sans doute que ça se comprends et se pardonne, vu l’abondance de travail que tu peux avoir chaque jours. D’autres encore diront que c’est la marque d’une indifférence crasse propre à un comportement et une personnalité profondément égoïste qui va de paire avec ton ambition croissante, des jaloux sans doute pour ne pas parler de caractères fondamentalement haineux.

Mais peu pourraient entrevoir tes pensées.

Ton petit cœur meurtris qui n’a pu qu’avoir ton fils au téléphone le jour de son anniversaire parce que tu étais trop occupée avec ton travail pour pouvoir lui rendre visite. Tu n’oses pas même imaginer son petit cœur à lui, même s’il avait semblé très heureux de t’avoir au téléphone. Dans la voiture, tu poses le regard un instant fugace sur le petit paquet très maladroitement enveloppé de papier cadeau bleu foncé et bleu clair barré de très nombreux traits de scotch transparent. Ce matin, tu rentres à la maison pour lui, pour passer du temps ensemble.  Avec la mort récente de ton mari, son père, tu t’inquiètes un peu de ce qui peut bien leurs traverser l’esprit à sa sœur et toi. Daisy t’as assuré qu’ils allaient très bien, tout du moins. Qu’elle prenait soin d’eux et que Sebastian, Sylvia et leurs enfants leur rendaient visite très régulièrement pour s’assurer qu’ils ne soient pas véritablement seuls.

Mais tu t’en voulais, et c’est ça toute la vérité. Et même si ton rôle était de s’assurer que ton clan ne manque de rien pour assurer ses fonctions premières, ton cœur de mère souffrait le martyr d’être si souvent séparée de ses enfants. C’était rassurant de savoir que Luca restait à la maison lorsqu’il n’était pas en chasse, malgré sa formation tardive, pour s’occuper des enfants. C’était rassurant de savoir qu’elle pouvait compter sur lui pour s’occuper d’eux même s’il pouvait se montrer stupide par instant ou peu délicat. Lui qui avait si souvent été compréhensif et patient avec elle, le poids de sa mort avait été plus léger que tu ne l’aurais pensé. Comme si soudainement, tu n’avais plus besoin de te cacher. Tu aurais peut-être dû lui en parler ? Il aurait peut-être compris ? Peut-être n’étais-tu pas prête toi-même à l’admettre devant des gens aussi importants que ceux là.

Mais lorsque Sonia, ce soir là, t’avais réconfortée dans cette chambre d’hôtel sombre d’Italie… Tu avais su immédiatement que tes soupçons étaient fondés, qu’ils n’étaient pas inutiles. Et bien que ça ne se reproduise plus jamais avec elle, préférant ne pas mélanger travail et plaisir, tu lui en fut très reconnaissante.

Bientôt tu entrais sur la propriété des Sarpe. Un terrain de plusieurs hectares appartenant à la famille depuis des temps immémoriaux sur lequel se dressait une sorte de petite villa mal entretenue pendant tant d’années –il allait falloir la rénover, c’était évident. Les pneus crissèrent sur le gravier alors que déjà Daisy et d’autres personnes se pressaient sur les marches pour venir à sa rencontre. « Daisy, Vladimir, Thomas… C’est si bon de rentrer à la maison… » De longues embrassades eurent lieu, tous se serrant plus ou moins à toi. Quelques mots furent échangés rapidement à propos du trajet avant que les fameux Vladimir et Thomas ne s’occupent des six bagages que tu avais dans son coffre. Tu entrais déjà dans la vieille bâtisse, les mains dans les poches et un sac passé en bandoulière, parlant avec Daisy. « Comment vont les enfants ? Est-ce qu’ils sont réveillés ? » Et la jeune anglaise de répondre, d’une voix menue et presque soufflée « Agathe s’est couché très tard, donc elle dort encore. Mais je pense qu’Andrei doit être réveillé. Vous voulez que j’aille voir dans sa chambre ? » Et tu agitais déjà la main, sourire radieux au visage, te dirigeant rapidement vers la droite une fois le hall d’entrée passé. « Je vais y aller moi-même, j’ai un cadeau pour lui. Mais j’ai d’abord besoin de manger quelque chose, je ne peux pas attendre midi. L’avion m’a maltraité l’estomac ! »

Il va sans dire que bien que Daisy soit également celle apprenant aux enfants à se faire à manger, tu avais bien décidé de te faire quelque chose toi-même le plus rapidement possible. Ne serait-ce qu’un sandwich serait parfait. Alors tu posa déjà ton sac sans vraiment de douceur sur le plan de travail et commençait à farfouiller doucement. « Laissez moi aider. » Dit Daisy en se précipitant pour attraper du pain sur une étagère. « Mulțumesc Daisy, juste de quoi faire un sandwich. Je peux m’occuper du reste et vous pourrez retourner à vos occupations. Je ne veux pas vous déranger » Les deux femmes se sourirent, sans qu’il n’y ai de mots ajouté. Daisy t’aida à rassembler de quoi faire un sandwich et quitta les lieux alors que ton stress commençait à devenir difficile à surmonter. Et ton cerveau de penser « Il doit me détester d’avoir raté son anniversaire… Je suis la pire mère de la planète… »

20.02.2008 • Roumanie

Magdalena Sarpe & Andrei Sarpe

Il y a quelque chose de douloureux, ou d’au moins dérangeant, dans le fait de voir sa propre progéniture vous parler comme si vous étiez une sorte d’invité de haut standing. Cette idée saugrenue qui pousse à cette distance depuis des années, des siècles, peut-être même davantage. Sur ce point, Magdalena, tu ne pouvais qu’envier ce bon Kaelig. Lui si proche de ses enfants. La montagne de muscles au cœur tendre mais au caractère infernal. L’ironie était palpable. Difficile de passer à côté.

Mais on s’habitue, à force. Lorsque les collègues vouvoient, lorsque les enfants vouvoient, on finit par arrêter de s’évertuer à combattre. On essaye de changer les choses plus doucement, avec davantage de douceur. Le pain de mie dans les mains, un couteau dans l’autre, tu relèves la tête en entendant la voix de ton fils. Un sourire s’étire sur ton visage et tu lâche tout. Ton pain, ton couteau, ton inquiétude et tes pensées moribondes. Il te regarde avec cet air fier -on se demande de qui il tiens ça- et faussement distant et tu ne peux t’empêcher de sourire comme une imbécile. « Je suis très heureux de vous voir ici. » Son sourire te fait chaud au cœur. « Vous avez fait bon voyage? Vous avez besoin de quelque chose ? » Bredouillement rapide alors que tu essuies tes mains sur ton pantalon pour en chasser les miettes. « Excellent voyage, oui. Bien que très long. » Doucement tu commences à faire le tour de la table pour approcher du jeune garçon.

« Qu'est-ce qui vous amène ici ? » Il marque une pause et tu ne peux t’empêcher de froncer les sourcils d’incompréhension. « Est-ce à cause de la chasse? » Cette pensée te fait t’arrêter net et tu ne peux t’empêcher de secouer la tête en faisant claquer ta langue contre ton palais, les mains sur les hanches. « Et puis quoi encore ? Je viens voir mon grand garçon ! » Tu approches un peu plus, déposant tes mains sur ses épaules comme pour vérifier qu’il se tiens bien droit, sourire extatique aux lèvres. «Tourne toi que je te vois ! Comme tu es beau… » Soyons sincère, tu ne lui laisses pas vraiment l’occasion de faire autrement de toute manière, affirmant d’une poigne de fer tes mimines sur ses épaules pour le faire tourner comme une énorme poupée. « Tes cheveux ont bien poussés. » Les commentaires te semblent vide de sens, mais tu ne veux pas arrêter la conversation, tu refuses. Il t’a tellement manqué. Et alors que tu allais ajouter quelque chose, ton ventre émet alors un grognement digne des plus vaillants lycanthropes. « Laisse moi finir mon sandwich avant qu’on aille s’installer dans le salon. » Rire succin, tu fais volte face rapidement pour retourner à ton pain et ton jambon. Et pendant que tu t’affaires, tu demandes, pleine d’entrain : « Est-ce que tu as des choses à me raconter depuis mon départ ? »