C'est bizarre.
C'est vraiment bizarre.

J'avais rien emporté de particulièrement cher, dans mon voyage depuis l’Amérique. Y'avait guère que mon portable qui valait plus que ma garde-robe entière, mais lui, ça va. Aucun débris, aucune collision, aucune éraflure. Même ma collection de comics vaut pas un copek sur les sites de revente, alors c'est dire.
En plus c'est de notoriété locale que je suis pas Crésus. Je suis la nana un peu dingo qui chante dans le métro pour manger des nems. Ça n'a rien de particulièrement intéressant pour les petites frappes cambrioleurs. Bref, j'ai pas assez de thunes pour me la jouer securitas direct avec mes biens.

Alors c'est bizarre.
C'est vraiment bizarre.
C'est bizarre de retrouver sa propre demeure en morceaux du jour au lendemain.

Je me suis littéralement réveillée dans un bordel sans nom. Plus que d'habitude. Un bordel effrayant, comme si une tornade avait ravagé mon appartement. C'est le froid qui m'a tiré de mon sommeil. Et un voisin trop gentil qui a ouvert ma porte pourtant à clefs, alerté par les bruits de lutte apparent. En constatant les dégats, c'était évident qu'un truc terrible était arrivé. Télé crevée, fenêtres brisées, les meubles ravagés de coupures, des éclats de bouffe dans les coins, de brûlures sur les murs. Une version déchirée de mon petit nid. Pas le genre lendemain de cuite. Le genre... du monstre tapi dans le placard pour venir dévorer la nuit.

Mais je ne me souviens de rien.

On m'a retrouvé recroquevillée sur le canapé. Vers deux heures du matin, là où ça puait la fumée dans tout les recoins. Le voisin et les flics m'ont expliqué qu'en plus des dégâts matériels, plusieurs départs de feu ont été contenus, malgré les séquelles laissées à l'appartement. Visiblement, quelque chose ou quelqu'un serait entrer par la fenêtre pour causer tout ce cataclysme dans mon microcosme, qui aurait probablement fini par me tuer si la bravoure du petit gars ne m'avait pas sauvé.

Mais je ne me souviens de rien.
Je ne faisais que dormir.
Simplement dormir.

Et c'est plus ça qui m'effraie qu'autre chose. Tant pis pour la casse. J'ai peur du casseur, de la personne, de la chose qui est venue.

Parce que moi je sais que ça va recommencer, que je ne serais plus jamais en sécurité. Qu'il m'a trouvée avant que je ne le trouve et que je ne suis pas prête.

Pas prête du tout.

Dans un réflexe de survie j'ai immédiatement appelé ma Tequila. J'aurai pu contacter Djamshid, mais Ciu' et Asmodée seront les seuls à comprendre pleinement pourquoi je serais plus capable de ne pas regarder autour de moi quand je sortirai. Pourquoi je dois me préparer et pourquoi j'ai aussi peur de ce que j'attendais pourtant.

Et aujourd'hui, quelques heures après, je suis là. Iel m'a aidé à transporter le peu d'affaires qu'il me reste quand on passe la porte de la demeure d'Asmo' qui veut bien m'héberger. C'est un lieu différent de la dernière fois où je l'ai rencontré. Mais j'ai cette chance de repli qui me réchauffe un peu le cœur. Mais malgré tout, j'ai la mine grave, la bouche sèche et le cerne creusé. J'ai même peur de m'endormir à nouveau. J'ai ce ressentiment âcre qui perce ma poitrine alourdie.

Dans tout ce fatras, ce sont les notes de Maman qui ont pris le plus cher. Elles sont en miettes. Illisibles, consumées.

Je n'ai plus rien.

Mon père est venu.
Mon père est venu tout reprendre.
Et je suis la prochaine sur la liste.

Dans l'entrée, je lève le nez, mon regard qui jusque là étaient collés à mes pieds. Tour à tour je les observe, l'un comme l'autre. Mes sauveurs, ce sont eux aussi. Je ne sais si j'aurais eu la force de continuer s'ils n'étaient pas là pour m'épauler.

Sans doute que non.

Mes billes se focalisent une seconde sur le démon. Un peu timidement. Un peu mal à l'aise, de débarquer comme ça. A croire que je ne sais faire que ça, débouler dans la vie des gens sans les prévenir avant.

« … Merci... T'es sûr que... ça te dérange pas ? »

Ils étaient habitués à plus de verve de ma part. Plus de mots en l'air pour dédramatiser l'ensemble de ma condition.
Mais je suis pas trop d'humeur à me la jouer.

Je suis déjà fatiguée avant d'avoir même commencé à lutter.

La situation mérite que je m’en occupe. Déjà, il s’agit de Vesper. En soi, c’est suffisant. Mais il y a aussi cette histoire de daron sorti de nulle part qui saccage tout pour se barrer. Etonnamment étrange… Je ne connais pas assez l’histoire pour bien cerner le délire ambiant mais le daron me fait beaucoup penser à Zelan : en sous-marin trois siècles et il redébarque en foutant l’intégralité de l’univers en position latérale de sécurité.
J’ai beaucoup de choses sur le feu en même temps. Les histoires de Vesper en font parties, tout se déroule en parallèle et c’est toujours divertissant de voir les corrélations entre tout ça.
Dire que c’est le bordel est un putain d’euphémisme.
Vesper nous zieute, Ciulin et moi, comme si elle dérangeait. Rare, aussi. Etrange, surtout. Inconfortable, probablement. Mais pas pour moi, elle vient de vivre un choc et elle vient vivre au loft. Pour moi, c’est simple. Pour elle… Probablement plus compliqué.
Quand elle ne nous regarde pas, ses yeux sont fixés sur ses godasses. Une timidité qui ne lui ressemble pas. Le décalage met en lumière son malaise, son malêtre. Elle parle d’une voix presque éteinte, silencieuse même en remerciant.

-...Merci…
-Pas de soucis.

Je m’approche un peu et passe un bras autour de son épaule.

-T’es sûr que… ça te dérange pas ?
-Absolument pas.

Je la serre doucement dans mes bras, dépose un baiser sur son front.

-T’es toujours la bienvenue chez moi, tu sais bien. Aprèèèèès, je suis pas le seul proprio. Demande donc à l’autre playboy de la baraque.

Je lui lance un clin d’oeil et un sourire de branleur.

-C’la dit, j’crois qu’il a l’béguin et du coup, il est ravi de t’accueillir.

Je lance un coup d’oeil à Ciulin avant de partir vers la cuisine.

-Allez vous installer dans le canapé, j’ai commandé à manger. Je récupère ça de la cuisine et j’arrive.

Je fais mon petit aller-retour et pose de la bouffe chinoise en toute simplicité sur la table.
Avec des bières, forcément. N’ayant que deux mains, les bières me suivent tranquillement par télékinésie.

Sa voix m'était parvenue, cassée et grésillante à l'autre bout du téléphone. Mon palpitant était alors monté d'un cran. "Bouge pas, j'arrive" furent mes seules paroles. Arrivé auprès d'elle, j'avais pu constater le foutoir innommable, l'appart dévasté, mais surtout -surtout- son regard inquiet, perdu, sa silhouette tremblante tachant de maquiller ses genoux qui flageolent, en sortant de vieilles blagues merdiques. Je l'avais alors serrée contre moi, infusant la chaleur de ma présence entre ses côtes.

Je ne le laisserais pas recommencer.

***

Depuis, Vesper est éteinte. Sa gouaille est en berne et contamine la mienne. Elle triture son sweat avec une mine absente de la seule main que je me suis accordée à lui laisser. l'autre est fermement tenue en otage par mes phalanges. J'ai ramassé ses affaires, entassé le tout dans un sac et on est parti. La destination est une évidence et Ass n'est pas surpris de mes SMS. Il se montre beau prince, comme toujours, et ça me tire quelques sourires. Il accueille deux chatons paumés, l'une un peu plus que l'autre. J'observe sa tendresse naturelle à l'oeuvre, et ça me fout le myocarde un poil sur les braises.

-T’es toujours la bienvenue chez moi, tu sais bien. Aprèèèèès, je suis pas le seul proprio. Demande donc à l’autre playboy de la baraque. C’la dit, j’crois qu’il a l’béguin et du coup, il est ravi de t’accueillir.

Je réalise brutalement que je vais vivre avec mes amoureux, sous le même toit. Indépendamment des circonstances critiques, la situation a de quoi me rendre joisse.

-... AH OUI C'EST VRAI ! J'éclate d'un rire qui décongestionne ma propre nervosité d'un bloc. Je me penche vers Vesper avec une tronche appuyée de bolos : Bienvenue chez moi, poupée : "Mi casa es tu casa"..... Merde j'avais toujours rêvé de dire ça !
-Allez vous installer dans le canapé, j’ai commandé à manger. Je récupère ça de la cuisine et j’arrive.
- Viens... que je souffle à Vesper, son sac abandonné dans un coin de couloir.

Je l'installe sur mes genoux sans lui demander sa permission. Un baiser mutin pour raviver la couleur de ses joues. Je range une mèche de son carré rebelle derrière l'oreille.

- Tu causes que si tu as envie, ok ? On va prendre le temps. Tu es en sécurité ici. Lorsque Ass nous rejoins, j'ajoute à son intention. Ça t'ennuie si elle dort avec nous, la Nuit ? Perso, ça me rassure pas qu'on s'amuse avec son sommeil....

J'attrape une bière que je décapsule avec les dents.

- T'as pris les petits machins à vapeur là ? Aux crevettes ? Je sais pas pourquoi, mais j'adore ce truc !

Ces deux-là sont des gros cocons d'amour, avec tout ce qu'ils ont de rassurant et de chaleureux. Leurs mots et leurs gestes appliquent une couche épaisse de baume sur mon cœur en fumée. Un vrai sirop nappant, lustrant. Isolant. Du monde et du reste.

Ciu et Asmo font de leur mieux pour enrober la situation d'un sucre agréable. J'ai toujours ce goût âcre entre les dents, cette colère pourrissante qui comprime ma gorge, mais grâce à eux, j'dois bien avouer que ça passe un peu. Et ça me fait même sourire, en coin, discrètement. Rien que pour les remercier. Rien que pour leur rendre ne serait-ce qu'un centième de ce qu'ils ont fait pour moi.

Je me laisse porter par leur câlinade et leurs tendres bêtises. Cette spontanéité épicée allège ma tête pleine à craquer. Je joue la poupée de chiffon qui ne désire qu'être enlacée. Mes deux compères le comprennent bien, et avec la bouffe chinoise et les caresses, je suis traitée comme une princesse.

Alors j'oublierai presque la raison de ma venue ici.

Invitée, je m'assois sur les genoux cagneux du chat sauvage. Ses doigts dans mes mèches m'arrachent un coup de jus électrique. Ça me sort de ma torpeur, et le baiser me flanque d'un fard. Je suis toujours en vie pour ressentir ça. C'est quand même putain de merveilleux, quand on y pense.
A ses mots j'opine du chef doucement, approuvant : ici plus qu'ailleurs, je me sens protégée.

« Hm. T'inquiètes pas... » que je marmonne à demi-voix. L'ordre ne marchera pas, mais c'est plus fort que moi.

Le cortège des bières volantes me fait rire. Asmodée sait comment amuser la galerie avec sa petite simplicité toute démoniaque mais rudement efficace. J'en attrape une au passage et regarde Ciulin lui arracher littéralement la tronche. Je laisse la fraîcheur de la bouteille tremper mon vernis écaillé.

Un peu de froid après la Nuit de braises.

Je reste quelques instants à les écouter, sans rien dire, suspendue à leurs mimiques, leurs visages expressifs, leurs discussions croisées. Un peu comme des personnages de film, pour une spectatrice en mal de divertissement. Et ça m'apaise. Réellement. Avec eux... Avec eux, tout est facile. Avec eux... ce sera possible de m'en sortir. Je veux y croire. Je dois y croire.

D'un geste léger, je lève ma bière à l'assemblée.

« Alors... A la nouvelle coloc', hein ! » Je lance d'un air joyeux. Du moins, je veux que ça sonne ainsi. Y'a comme une erreur dans ma mélodie.
Lampée, avant de reprendre. « Bon, j'suis pas sûre de pouvoir payer le loyer tout les mois, mais bon... J'peux faire une part du ménage et même que j'ai une super recette de ragoût californien. Ça compensera ! Ou pas. Ha ha... »

Rire. Riez, vous aussi. S'il vous plait. Prêtez pas attention aux fausses notes. Je sais plus bien comment jouer, mais ça va revenir. Vous verrez.

Appâtée par l'odeur, j'ouvre un premier sac de nourriture. Mon regard éclate en paillettes quand je vois des chips aux crevettes. Des nems et une pléthore d'autres bouchées que je m'empresse de fourrer dans mon gosier dans un tonitruant soupire de bonheur.

« ...T'es l'meilleur Asmo', comment t'as su que j'adorais les baozi ?? »

La briochette engloutie, je souris. Comme si de rien étais.

Pleure pas, Whelan.
Ne chiale que lorsque tout est terminé.

Mon petit manège de bières volantes fait rire Vesper, une bonne chose même si je m’inquiète de la voir faire ce qu’elle a l’air encline à faire en cas de trauma : refouler. Sur les genoux de Ciulin, elle ressemble toujours à une poupée de chiffon qui ferait son mieux pour être une vraie petite fille.
Vu le rouge à ses joues, j’en conclus que Ciulin l’a embrassé. Ca me fait sourire comme un abruti.

-Ca t’ennuie si elle dort avec nous, la Nuit ? perso, ça me rassure pas qu’on s’amuse avec son sommeil…
-Pourquoi ça m’ennuierait? Bien sûr qu’elle dort avec nous.

J’offre un clin d’oeil et un sourire à Ciulin. Le lit est grand, j’apprécie Vesper et Ciulin est de toute façon trop inquiet pour être tenable. Je préfère encore cette solution à lae retrouver endormi.e par terre au pied du lit de Vesper. Dans l’absolu, j’aimerais également pouvoir avoir un oeil sur elle et son sommeil. Avec un peu de chance, je serais capable de contrer les effets de ce qu’on lui fait pendant son sommeil. L’idée me vient d’en appeler à Léviathan pour solliciter un peu d’aide. Histoire de garder les cauchemars au loin, au moins pour ce soir.
J’écarte l’idée rapidement : si Léviathan trouve Vesper trop marrante, la petite pourrait un peu trop s’amuser avec et j’ai déjà vu les résultats - aucune envie de le revoir, encore moins sur Vesper.

On décapsule les bières et comme pour imiter ce qu’elle est habituellement, Vesper lance un dissonant.

-Alors… A la nouvelle coloc’, hein !

Je trinque en souriant tranquillement. Elle est déjà en train de le faire  : masquer. Cette situation m’est familière. Il n’y a pas si longtemps, les deux chatons arrivaient sur ce même canapé pour me demander de l’aider. Il n’y a pas si longtemps, j’ai vu cette petite brune me raconter une histoire vraiment pas chouette comme si elle me lisait le menu du jour.
Elle est en train de refaire le coup, doucement.

-Bon, j’suis pas sûre de pouvoir payer le loyer tout les mois, mais bon…
-Cool, d’autant que personne te demande de payer quoique ce soit.
-J’peux faire une part du ménage
-Gisèle va te poursuivre avec un balais si tu fais ça.
-Et même que j’ai une super recette de ragoût californien. Ca compensera ! Ou pas. Ha ha…

Je lui souris tranquillement.

-Aucun besoin de compenser. Tu fais partie de cette famille, tu es chez toi, ici.
-T’as pris les petits machins à vapeur là ? Aux crevettes ?
-Oui, Asti min.
-Je sais pas pourquoi, mais j’adore ce truc !

Je ris un peu avant de m’asseoir à mon tour sur le grand canapé. Je tend le sachet en papier à Ciulin.

-Tiens. S’tu pouvais éviter d’en foutre partout comme la dernière fois…

Je lance un clin d’oeil à Ciulin avant d’expliquer à Vesper.

-La dernière fois, notre cher Ciulin a cru bon de lustrer le canapé à la sauce Nuoc man. Mais j’admet, c’est ma faute, j’aurais pas dû mettre une comédie et lea déconcentré en même temps.

Je lui tire gentiment la langue avant d’attraper de quoi manger sans avoir vraiment faim. J’ai plus commandé tout ça pour Vesper et Ciulin.

-...T’es l’meilleur Asmo’, comment t’as su que j’adorais les baozi ??
-Je suis… Je laisse le silence volé, un fin observateur. Je hausse les sourcils d’un air dramatique. Bon, ça va, tout est à votre goût?

En leur demandant ça, je caresse le visage de l’un et recoiffe tranquillement l’autre. L’important, maintenant, c’est que vous vous sentiez bien tout les deux, ici.
Je me contente de marques d’affection rassurantes. Je ne m'immisce pas entre Ciulin et Vesper. Ils sont très mignons tout les deux. Ils se sont très bien trouvé.
Malgré les circonstances, je ne peux pas m’empêcher d’être heureux pour eux deux.

Je déteste quand elle fait ça.
Je déteste la voir se forcer. C’est un supplice de continuer comme si de rien n'était et de ne pas exploser en "RAHAT ! Fais pas semblant!". Pour autant, je n'ai aucun droit de brusquer son rythme. Vesper a toujours été toute seule. Elle s'est fabriqué ses propres remparts. Je n'ai pas spécialement de leçons à lui donner : j'ai des travers singulièrement similaires. Je connais également un certain cornu sexy qui préfère blaguer plutôt que de s’épancher. Soyons trois cons qui rigolons, alors.

- Tiens. S’tu pouvais éviter d’en foutre partout comme la dernière fois…
- Mais va te faire foutre ! C'est entièrement d'ta faut', que je rétorque, vivement en attrapant le sachet.
-La dernière fois, notre cher Ciulin a cru bon de lustrer le canapé à la sauce Nuoc nam. Mais j’admets, c’est ma faute, j’aurais pas dû mettre une comédie et lea déconcentré en même temps
- Absolument, C’est tout ta faute ! Je prends Vesper à partie: Essaie de bouffer proprement quand on t'tripote l'intérieur du slip en même temps. Bilan , j'ai rien compris au film, j'ai renversé la moitié d'ma bouffe et j'me suis gondolé avec un orgasme gout Nuoc nam. Gisèle avait le seum.
-...T’es l’meilleur Asmo’, comment t’as su que j’adorais les baozi ??
- Je suis…
-.... Le Roi ds stalkers. Je ricane, l'amour dans chaque vrille du timbre.
- Bon, ça va, tout est à votre goût?

J'observe Ass, se tenir à une distance mesurée, proche sans pour autant oser investir l'espace. Qu'est-ce que tu me fais ? J'attrape délicatement son bras pour enrouler mes épaules dedans. Regard insistant. Je viens chercher sa bouche en toute simplicité.

Vesper sait tout de toi et moi.
Je ne lui cache rien tu sais ?

Et dans la foulée, comme pour ponctuer cette pensée, je partage le même baiser avec elle.

- Vouă iubesc... Félicité tranquille qu'aucun questionnement ne trouble.

Je farfouille dans les papiers gras et j'enfourne un beignet vapeur à la crevette.

- Popopopoooow! Ce truc déchire vraiment ! Z'en voulez ?

J'écoute les rires et les mots presque aussi dissonants que les miens.
C'est égoïste, mais ces efforts me font du bien.
Voilà. Comme ça. Je ne demande pas plus.
Je sens que ces deux-là attendraient autre chose, mais je ne peux pas. Là, je peux juste manger, déconner, ne pas penser. C'est tout ce dont je suis capable à l'instant T.

J'attrape une bouchée salée-sucrée que j'enfourne sans ménagement. C'est peut-être la troisième en deux minutes à peine. Cette faim de loup me rappelle que j'ai pas mangé depuis la veille. C'est comme noué, en dedans, mais ça date pas d'hier. Plusieurs jours déjà que j'ai le bide en vrac et la bile au bord des lèvres, sans vraiment comprendre pourquoi. Si je savais pas qui j'invitais dans mon plumard, j'pourrais croire que je suis en cloque. Mais après de minutieuses inspections, Ciu' n'a bel et bien que la gueule du minet. Aucun risque de ce côté !

J'écoute leur anecdote asiatico-orgasmique et ça me fait marrer. J'adore les écouter. Je pourrais faire ça pendant des heures, littéralement. Et je peux pas m'empêcher de rajouter mon petit grain de sel, évidemment.

« Ouais donc en gros, après la sauce d'huître, vous avez inventé la sauce de moule quoi ? »

Je ponctue ce glamour d'un rire gras avant de manger à nouveau. Dingue c'que j'peux dévorer. D'un regard je note le baiser avant d'être prise au dépourvue et d'en recevoir un, la bouche à peine vide qu'une langue la remplace. Oh. Oh...
Je crois que je pourrais réellement m'y habituer.
C'est encore inédit, tout ça. Beaucoup de choses à la fois...

Ciulin propose de la bouffe et je peux pas m'empêcher de saisir l'occasion, le derme des joues encore rubicond.  

« File ça, j'veux tenter ! »

Je mange et effectivement, ça arrache. Sévère. Je vide ma bière pour calmer le feu, ouvre fort la boîte à insultes pour éventer la langue de ma main, et entonne jurons sur jurons pour alléger la situation.

« En'u'é 'a 'ace, 'ai 'u d'papilles !!! »

Faire la conne, ça me connaît. C'est que lorsque ma bouteille est vide, que le silence retombe et que les minutes s'écoulent sans un son que ma bouche meurtrie peut enfin parler.
Pour de vrai.

« … Vous savez... »

C'est encore timide, mal amené. Je ne sais pas ce qui sortira en premier mais je crois que j'ai besoin que ça se bouscule au portillon. De vider le trop plein d'émotions.
Je calme le tremblement de mes doigts en tapotant contre le verre. Nerveuse.

« J'ai... un peu de chance dans mon malheur. Tout ça... ça m'a permis de vous connaître, en fin de compte. Sans vous deux... ç'aurait été vachement plus compliqué. »

C'est peu de le dire. Peut-être que je ne serais même plus là pour en parler.
Pourtant c'est pas encore tout à fait l'entière vérité.

« Mais... J'aurais voulu... que ça s'passe autrement. Et... 'fin... quelque part j'm'en veux de vous avoir entraîné là-d'dans, d'vous foutre en danger indirectement. Je sais pas ce qui va se montrer... et je sais pas ce que cette personne va faire. Mais je ne le laisserai jamais vous faire du mal. »

A votre manière, vous comptez trop. L'un comme l'autre, différemment.
C'est parce que vous avez été là pour moi, je crois.
Ou autre chose encore, je sais pas.
Il y a quelque chose chez moi qui me pousse à vouloir vous protéger.
C'est ironique, quand j'y pense.
Putain de vie.

J'ai le regard chargé de conviction. Si fort et puissant qu'il dégage une eau soudaine, sans prévenir.
Des gouttes s'amoncellent contre le tissu du sofa.
Aaaaaah.
Merde.

« Uh... »

Un revers de manche et tout s'en va. Vous n'avez rien vu. Magiiiiie !!

« Putain... j'deviens horriblement sentimentale quand j'suis fatiguée, hein. »

Elle rigole, elle fait la bravache. Ca me serre un peu le coeur. Est-ce qu’elle réalise à quel point elle a besoin de pleurer un bon coup? Ciulin m’invite et je ne me fais pas prier. J’enlace les deux sans complexe. La déclaration d’amour de Ciulin est accueilli par un baiser tendre. Ca gigotte, ça mange et ça rigole. Jusqu’à ce que le sérieux de la situation reprenne le dessus. Jusqu’à ce que le silence happe de nouveau Vesper.


-...Vous savez…

Je la sens trembler jusqu’à travers Ciulin. Elle occupe ses mains en pensant les cacher et ça ne masque absolument rien. Je reste silencieux et me contente de passer une main dans ses cheveux avec douceur. J’embrasse l’épaule de Ciulin, au passage.


-J’ai… un peu de chance dans mon malheur. Tout ça… ça m’a permis de vous connaître, enfin de compte. Sans vous deux… ç’aurait été vachement plus compliqué. Mais…
-Mais quoi, princesse?

-J’aurais voulu… que ça s’passe autrement. Et… ‘fin… quelque part j’m’en veux de vous avoir entraîné là-d’dans, d’vous foutre en danger indirectement. Je sais pas ce qui va se montrer… et je sais pas ce que cette personne va faire. Mais je ne le laisserai jamais vous faire du mal.

Elle se met à pleurer légèrement.


-Uh…

Enfin.
Le revers de manche et la bravache revient.



-Putain… J’deviens horriblement sentimentale quand j’suis fatiguée, hein.

J’inspire doucement et penche la tête.

-Tu as le droit. Savoir se montrer vulnérable et être vulnérable n’a jamais été un signe de faiblesse. Il faut de la force pour s’ouvrir à ce point, Vesper. N’aies jamais honte de pleurer. Encore moins avec nous.

J’attire son petit visage vers Ciulin et moi.

-Ensuite… Tu ne nous mets pas en danger : Ciulin chasse depuis longtemps et je suis un Prince démon. Le danger, on ne nous l’impose pas - tu ne nous l’impose pas. On le choisit parce que tu es précieuse à nos yeux. Ca s’arrête là. Et ne te fais pas une mission de vouloir nous préserver de tout.

J’embrasse doucement sa joue.

-C’est une perte de temps et d’énergie que Ciulin et moi on préfererait que tu conserves pour toi, un peu. On se battra ensemble, tout les trois s’il faut mais ne nous fait pas l’affront de vouloir te battre seule pour nous préserver. Nous sommes des guerriers, tous les trois.

J’embrasse son front délicatement avant d’embrasser doucement Ciulin.

-Tu es forte, Vesper Whelan et j’aimerais que tu réalises que pleurer ne te fera pas perdre en force et en résilience. Tu as le droit de craquer et d’avoir l’impression que tu pourras plus jamais te relever et on sera là pour te relever et prendre soin de toi comme tu seras là pour relever chacun d’entre nous et prendre soin de nous, d’accord?

Je caresse son visage tranquillement avant de regarder Ciulin.

-Pas vrai?

J’écoute. Chaque mot. Chaque son qui sort de la bouche du démon.
C’est bizarre, ce mot, « démon ». Ça devrait sonner terrifiant. Je devrais en avoir peur, compte tenu des circonstances.
Et pourtant, jamais personne ne m’avait parlé comme ça avant. Personne.

Personne ne m’avait jamais vu comme des deux-là me voient.

Pas même moi.

J’écoute. J’écoute et je reste interdite, les paroles pleines de bonté venant me frapper en plein cœur. Je sens mes billes brunes rondes comme jamais. Elles piquent, et se floutent. Ça recommence à couler, chaudement, longuement, le long de mes joues. Des grosses perles de pluie d’yeux où il ne pleut pas. C’est bruyant. Je suis bruyante. Je l’ai toujours été mais là, c’est pas pareil.
Ça ne sera plus jamais pareil.

J’enfouis mon visage entre eux deux, collée, la trogne enfouie dans le pli des tissus de leur haut. Mes bras s’agrippent à eux comme des bouées de sauvetage, quand mes épaules tressautent sous les sanglots.
Tout lâche, tout craque.
Dans le noir de cette embrassade, mes yeux se plissent pour extérioriser la moindre larme, à s’en faire presque mal.
Enfin.

Il y a une chose dont je n’ai plus peur, et c’est d’être seule.

Ça dure, un petit moment. Quelques minutes peut-être, avant que je ne me redresse. Je ne tremble plus. J’ai juste le visage en feu, tout entier. C’est pas si grave.
Je les regarde, tour à tour.
Et je souris.
Pour de vrai, pour la première fois depuis 24 heures. Ça faisait une éternité.

Je colle un baiser sur la bouche de truand de Ciu.
Un autre, pour Asmodée, sur la joue barbue.

« … Je … »

Je voudrais leur dire un tas de trucs, encore.
Mais rien ne sort.

Rien d’autre qu’un spasme, soudain.

Mon sourire se perd dans le lointain.
Je porte ma main à la poitrine. Ça tambourine. C’est douloureux.
Comme une pression prête à exploser.

Il y a cette sensation horrible qui m’empêche de respirer.

Je me redresse, les quitte, titube. Le temps fait sa mauviette et se barre aussi sec.
Mon regard dans le vague et un larsen lancinant vient me vriller la tête. Mon corps est comme un débris de poupée.

Mon corps.
Ma tête.
Mes mains.

Pourtant plus rien n’est à moi.
Je le sens.
Je.
« Je » n’est plus là.

« Les… les gars… à l- ! »

Cri plaintif, nouveau larsen. Les mains de la jeune femme empoignent à nouveau ses cheveux, tandis que les genoux rejoignent le sol.

Il s’est passé quelque chose.

Quelqu’un.

Quand elle se tourne vers l’humain-e et le démon, la demoiselle fixe sur eux un regard hagard.
Des orbites cyans, luminescentes. Magiques.

« … Qui êtes-vous ? »

-Pas vrai?
- Tout comme il a dit.

C'est lui le plus éloquent de nous trois. Il a eu 1000 piges et des patates pour poncer ses mots. Moi, j'ai juste les gestes. Chat de gouttières un jour, chat de gouttière toujours : je viens littéralement laper les larmes de Vesper pour les vider de leur sel. Je ronronne contre les deux autres matous, partageant l'état de grâce d'un câlin collectif. J'ai assez de bras pour eux deux.

Une paix bien vite rompue.

Vesper suffoque, s'arrache à mes cuisses, titube en faisant quelque pas.

- Vesp'... Je me suis redressé, inquiet, les sourcils froncés. Hey, Vespy, est-ce que ça va ?

Elle gémit, se tient la tête entre les mains. Je sens bien qu'elle souffre mais j'ignore quoi faire pour la soulager. Je m'approche quand même, m'apprêtant à lui attraper les épaules. Son regard me vrille jusqu’à l'os. Des prunelles froides, inhumaines, et surtout vides.

- … Qui êtes-vous ?

Impossible que ce soit une possession, je sais qu'elle est tatouée avec le sigil de protection. Je le sais parce que j'apprécie particulièrement lui embrasser ce coin de peau entre ses deux omoplates quand elle cambre les reins.

- Qu'est-ce que TOI tu es... ? fais-je le visage dur.

Je me suis tendu presque instinctivement, les poings fermés, la mâchoire contracturée. Je ne vois pas les ronces tatouées qui s'enroulent lentement sur mes bras telles des serpents d'encre. Je suis inconscient de la magie qui alourdit l’atmosphère autours de moi.

Où. Est. Ma. Vesper... ?

La jeune femme se redresse finalement, bien plus stable, bien campée sur les deux jambes raidies. Elle incline la tête sur le côté, façon fille candide face à l’inconnu. A bien y réfléchir, c’est bien la première fois que Elle peut s’exprimer à autrui librement. Elle est mise en avant, Elle peut user des facultés du corps pour se mouvoir, communiquer, libérer ces élans primaires qui compose ses particules énergétiques. Inédit. Intéressant.
Les yeux lumineux se plissent légèrement. La lumière bleue a remplacé le brun chocolat habituel, ondulant autour de la pupille. Un coup d’œil vers le bout des appendices peinturés polychrome, où la même lumière crépite, sporadique, insoumise, comme un enfant découvrant le monde. C’est ainsi que Elle est. Une nouveauté. Une anomalie.

« Ah. Hm… »

Elle écoute, à demi, plus perturbé-e par sa présence ici et ce soudain rejet de l’hôtesse du corps. Elle ressent la fatigue et le désespoir qui lui ont laissé le champ libre, comme une vague ondulatoire. Elle fronce les sourcils, jette quelques étincelles au sol comme si celles-ci n’étaient qu’un peu de poussière qui lui encombrait les ongles. Un petit cercle se forme alors, mordant une partie du revêtement dans de minuscules éclairs. Elle n’y prête pas attention, préférant jauger ses vis-à-vis.

« Un nom ? Je n’ai pas besoin de nom. » Une main sur la poitrine, près du cœur. Elle peut appréhender les palpitations irrégulières et la panique grandissante. Étrange. « Je suis en quelque sorte ce que vous autres qualifiez de "Magie." »

L’un d’eux se tend quand l’autre tempère. Elle ressent la pression et son instinct primaire se pose en barrière. Littéralement. Un bouclier translucide reflète la lumière du plafonnier, avant de disparaître aussi sec.

« Je l’ai ressenti. C’est pour cette raison que je suis ici. On m'a confinée en cette sorcière il y a longtemps, mais une faille dans le sceau de Sefaer m’a enfin permis d’émerger bien plus concrètement. Celle que vous appelez Vesper est profondément ébranlée. »

A l’invitation à s’asseoir, Elle ne bouge pas, et continue de les observer, de cet air froid et impartial qui ne ressemble en rien à ce que son hôtesse exprime habituellement. Son visage demeure neutre lorsque le regard scrute le loft autour d’elle. La lumière de ses yeux vacille, elle semble prendre des informations, capter l’aura des lieux et s’en abreuver.

« … Vit-elle ici, désormais ? »

Asmodée interfère, médiateur chevronné. Evidemment, c'est le plus âgé, le plus expérimenté. Moi dans tout ça, je suis juste giflé de plein fouet par une onde de magie brute. Mon corps réagit par instinct : ce qui est enfouit au plus profond de mon patrimoine génétique est chatouillé, attisé par cette présence électrique. Cette fois, je sens nettement mes veines saillir sous la peau, couleuvres en mal d'oxygène et de liberté. Grimace douloureuse, les chardons percent ma peau et fleurissent, épines pointées vers la "chose".

J'ignore pourquoi je ne panique pas en constatant le phénomène. Ma cervelle a comme naturellement accepté qu'il s'agissait d'une extension de moi même. Autours de nous les objets lévitent doucement.

Regard désolé vers mon pauvre démon.

- Je.. Je contrôle pas. Mon pouvoir réagit au sien...

Et les siens sont immenses, abyssaux. Un puits d'énergie pure.
Et moi pauvre demi-sorcière à moitié formée, je vacille au bord du gouffre. Ass doit le ressentir. Les runes brillent sur mon derme.

- On m'a confinée en cette sorcière il y a longtemps, mais une faille dans le sceau de Sefaer m’a enfin permis d’émerger bien plus concrètement. Celle que vous appelez Vesper est profondément ébranlée.
- Confinée ? Et c'est qui Sefaer, putain ?!  Inspiration profonde pour ignorer le fourmillement sous ma peau... Moi, tout ce que j'veux savoir c'est si Vesper est en sécurité... ?

Si t'es une menace espèce de saloperie ensorcelée, je te défonce.

- ...Et si tu vas nous la ramener !
- Vit-elle ici, désormais ?
- Oui... C'est sa maison, son chez-elle et nous, nous on est sa famille, ok ?!

Pas celle de sang, qui pourrit tout, dont les gosses paient les erreurs en héritage.

-Un nom ? Je n'ai pas besoin de nom.
-Ne serait-ce que pour te différencier de Vesper, je pense que ça pourrait être une bonne idée de t'en trouver un. Mais prends ton temps.

Pendant ce temps la pièce entière flotte, évidemment. La situation est suffisamment grave pour Vesper pour que Ciulin réagisse violemment. Quand je lui demande de se calmer, iel m'explique qu'iel ne contrôle pas et que ça réagit à son don. Un vrai don de sorcière en somme. De la même manière que les dons d'un jeune démon réagit aux transformations d'un démon plus ancien ou plus puissant, les pouvoir de Ciulin - encore mal controlés- réagissent à ceux de Magie - c'est le nom que je vais lui donner, faute de mieux -. Tout ça n'augure rien de bon et rajoute un sacré tas de parametre à une situation déjà bien foutoir.
Sans déconné, quelqu'un peut demandé à l'univers d'arrêter de tout complexifier comme ça? Ca devient barbant à force.

« Je l’ai ressenti. C’est pour cette raison que je suis ici. On m'a confinée en cette sorcière il y a longtemps, mais une faille dans le sceau de Sefaer m’a enfin permis d’émerger bien plus concrètement. Celle que vous appelez Vesper est profondément ébranlée. »

Hmm... Ca ressemble à un protecteur. Qui est Sefaer? Pourquoi confiner ce don?... beaucoup de question, pas encore de réponses. A moi les recherches, yay.

- Confinée ? Et c'est qui Sefaer, putain ?! Moi, tout ce que j'veux savoir c'est si Vesper est en sécurité... ?

Je pose ma main sur le derme de Ciulin, je ne me soucie pas plus que ça de sentir ses chardons fourmillés. On se pose les même questions, c'est déjà pas mal. Je laisse Magie répondre, mais je suis assez persuadé que Vesper est en sécurité. Un switch pareil est toujours impressionnant mais dans l'innerworld, Vesper pourrait simplement être en train de dormir.

- ...Et si tu vas nous la ramener !
- Vit-elle ici, désormais ?
- Oui... C'est sa maison, son chez-elle et nous, nous on est sa famille, ok ?!

Je rapproche Ciulin de moi. Il faut qu'iel se calme, ce n'est pas en l'agressant qu'on fera avancer quoique ce soit, surtout si, comme je le crois, on a à faire à un protecteur.

-Tu es évidemment également la bienvenue. Est-ce qu'on peut t'aider à quoique ce soit? Est-ce que tu es coincée en front?

Tout ce vocabulaire me revient petit à petit. Il en aura fallu de longue conversations hallucinée avec la mère de folie pour en apprendre autant... Mais apparemment, ça sert. C'est plutôt cool.

Les vibrations de la pièce s'affolent et résonnent entre elles. Toutes les énergies psychiques s'entrechoquent dans une cavalcade tendue, à la limite de la brisure. Magie observe les visages des créatures qui l'interpellent et écoute en silence, en alerte.

Un démon.
Un-e doté-e magique.
Étonnant. Son pouvoir trouve écho à son essence propre. D'un geste incompréhensible pour ses sens, elle porte la main à son cœur, comme pour en calmer les battements affolés par les ondes surnaturelles. L'adrénaline picore doucement la part de raison qui reste encore en suspend. Elle jauge le potentiel d'un regard plissé, avant de le fermer, et simplement ressentir.

Les ronces ondulent tout autour, sabrent la pièce en lévitation. Cette magie-ci est pleine, jeune, incontrôlable. Paniquée. A l'instar des sentiments profonds de Vesper.

Magie rouvre les yeux. Les orbes reflètent quelques nuances noisettes dans le torrent bleu, couleurs qui s'estompent en claquement de paupière.

Jeu de contrôle qui s'opère. Il faut faire vite.

Le démon est médiateur et méthodique. Ses mots sont chargés d'expérience et de calme dans cette situation singulière. Instinctivement, Magie s'approche de lui. Il en saurait peut-être plus. Sa puissance pourrait être la clef de voûte pour le Salut de son hôtesse.

Coincée ? Pas vraiment. Mais tout ceci pourrait être bien plus compliqué qu'il n'y paraît.

« Non. Je l'ai choisi. Je n'ai que peu de temps. Elle a peur de moi. »

Au fur et à mesure que la voix s'exprime, celle-ci se pare d'échos hors dimensionnels, profonds et pesants. Comme pour appuyer ses dires, des éclats bleutés, semblables à des cicatrices de personnes foudroyées, viennent imprimer la peau hâlée de reflets luminescents. Des figures de Lichtenberg aux origines ensorcelées. D'abord près de la gorge, puis le long du cou. Bientôt les bras et le dos des mains. Le visage, enfin, remontant vers les prunelles comme des larmes gravées.

Elle apparaît, enfin, après tant d'années cloisonnée.

La Marque de Sorcellerie.

« La Sorcière est prisonnière d'elle-même. Nous ne sommes pas en symbiose, elle et moi. Elle s'affaiblit chaque jour à cause du sceau posé lorsqu'elle était enfant... lorsque je n'étais qu'à peine une étincelle. Un sort puissant. Je suis confiné au fond d'elle et tente depuis lors de le percer de l'intérieur, mais cette pression n'est pas bonne pour son corps de chair. Cependant... hier soir... j'ai enfin crée une faille... j'ai pu m'exprimer, pleinement... ne serait-ce qu'un tout petit peu... il y a donc un moyen d'y parvenir. »

La lumière brille au bout des doigts. Plus intense. Sans animosité, sans besoin de se protéger. Une simple présence rassurante qui avait besoin d'exister.
La voix se fait plus lointaine. Les lueurs moins claires, vacillantes, stroboscopes féeriques.

« Sans le sceau... Je le sens. Elle aussi. Elle sait... Elle pourrait m'accepter. Son pouvoir... »

Des mots étouffés, décousus, sporadiques au cœur de la magie frustrée qui s'apprête à retourner dormir.
Boum. Boum. Boum.
Le cœur reprend ses droits là où il les avait laissés.

Dans de derniers éclats luminescents, Elle tente une dernière approche, la conscience pleine de certitudes. Une telle occasion ne se reproduira pas de si-tôt.

« … Brisez-le... sceau, trouvez... Sefaer... !  »

Dernière chance, dernière transe. Un éclat aveuglant et une onde plus tard, Vesper est au sol. Assise, comme simplement poussée par terre, ses deux billes chocolat en place et plus aucune trace d'impact de foudre sur son derme.

Elle dormira encore un peu. Son message est enfin transmis.

Sérénité.

…

J'y comprends que dalle.
Comment j'ai atterri là ? Y'a deux secondes, je causais de mes doutes existentiels entre deux bisous-baozi, et voilà que maintenant j'ai le cul sur le sol congelé. J'commence à croire que ma vie est beaucoup plus mal foutue que ce que je pensais.

Et PUTAIN, on peut m'expliquer comment est-ce que c'est possible au juste ?!

J'observe mes deux compères et leur tronche de merlan frits. Ils sont choux comme ça, quelque part, mais ils ont l'air aussi paumés que moi. « … Qu'est-ce qu'y'a... ? Vous tirez une de ces gueules... » Je frotte ma nuque en baillant un peu, avant de remarquer le détail du décor volant et surtout de ces putains de chardons qui zèbrent la peau de ma Tequila roumaine. What. The. Actual. Fuck. « Et qu'est-ce que tu branles Ciu !? T'fais dans le Jardiland magique maintenant ?? »

S.O.S, tout part en couilles.

Les épines percent ma peau, et fourmille sous le derme. Chatouillements douloureux, sensations étrangères. C’est comme si cette carcasse décidait de me faire pousser un troisième bras, juste parce que Miss magie  trouve ça plus sympa ! Mes chardons s'agitent en serpents furieux, plus inquiets que réellement menaçants. Ils sont comme moi : tendus, sur la défensive, dans l'expectative... L'attente ne fait qu’accroître leur nervosité.
Ass cause. Je pipe rien des mots qu'il emploie, mais j'en devine confusément la signification. Tout comme Miss Magie (ma cervelle l'a renommée "Vrajă" comme si le retour à mon roumain natal me permettait de l'humaniser.) quand elle balance son breafing de quête. J'ai l'impression d'avoir cliqué sur un PNJ avec un point d'exclamation au dessus de la tête.
Sorcière prisonnière = Vesper
Sceau posé enfant = Vrajă
Fissure... Blabla. Épuisement. Blabla.
Objectif = libérer Vesper et Vrajă = fête du slip de la sorcellerie.
Moyen = Trouver Sefaer.

Qui est Sefaer ?
Son père démoniaque ?
Le dude qui a posé le sceau ?

- Hey ! Attends, Vrajă !!! C'qui Sefaër !?? HEY !!!

Le mystère demeurera entier. Les fougères magnifiques, iridescentes et tortueuses, s'éteignent, se rétractent, jusqu’à complètement se fondre dans la peau.

-… Qu'est-ce qu'y'a... ? Vous tirez une de ces gueules...

Entendre les intonations de Vesper -MA Vesper- m'emplie d'un soulagement abyssal. Je prends la mesure du poids de cette inquiétude sur mes épaules de guingois. Et si...

Et si je t'avais perdue ?

- Et qu'est-ce que tu branles Ciu !? T'fais dans le Jardiland magique maintenant ??

Alors qu'elle prononce ces mots, les chardons reprennent sagement leur place sur mes bras : juste des pigments et de l'encre.

- J't'en foutrais du Jardiland magique !

En une enjambée je suis sur elle, en un tour de bras je la sers contre moi. Je lui décoche un baiser fébrile. Nerveux. Terrifié.

- Tu m'as fait la peur d'ma vie, putain !