On ne peut plus vraiment dire que ma vie est en bordel.
On peut cependant affirmer qu'elle est composée de tout un tas de merde que je ne sais pas encore comment trier.
Une sorte de défi de rangement où je dois compiler les petites épreuves sur mon chemin dans une sorte de gros coffre invisible, plein de tiroirs partout.
Mais j'ai jamais été très douée pour ça et c'est plutôt mon style de tout pousser sous mon lit. Sauf que là, ça déborde, et ça fait des semaines que c'est compliqué de s'en sortir. J'ai beau chercher partout, consulter les connaissances d'Earl, embrigader Ciu' et Asmodée dans mes problèmes... Je ne trouve rien sur le sceau de Sefaer.

Ma mère m'a fait une putain de mauvaise blague. Avec tout le respect que je lui dois, si je pouvais lui en coller une, ce serait avec joie.

C'est pour ça que je fais un break pour ce soir. A défaut d'aller boire, on a fait appel à Whisper et ses talents. C'est absolument parfait pour me vider la tête. Parler avec les morts, ça a quand même le don de me faire relativiser un peu.

Ma mission du soir consiste à fureter autour du brouillard. Hum. C'est tout de même pas le plan le plus sympa du monde mais tant que je ne sors pas de la zone de sécurité, ça devrait pouvoir se faire. D'autant que je ne sors jamais sans mon attirail spécial « galères d'agent du surnat' » dans mon sac à dos et qu'en plus, mes doigts peints de noirs s'affairent à prévenir Ciulin de mon escapade par sms. En cas de pépin, j'ai le pressentiment que mon chevalier citronné saura rappliquer.

Ma cible s'appelle Lyra, emportée par la maladie en 1942 et c'est la mémoire d'un vieux papy du coin qui cherche absolument à la retrouver. Son amour de jeunesse, qu'il dit, dont il voudrait un dernier message avant de passer l'arme à gauche.
C'est mignon et en plus, ça va me faire gagner de la thune.
D'après lui, il a entendu son chant mélodieux dans les effluves de la brume, mais il fût incapable d'y aller et c'est donc à Whisper de jouer. Trop facile.

Près des barricades, mes yeux finissent par se fermer. Je laisse l'onde affluer autour de moi, caresser la peau de mes doigts ouverts, tendus, parcourus de fourmillements. Il fait froid. L'air est saturé de magie.
La mienne, même sous clé, peut le sentir.

Mon regard revient sur terre. Je finis par percevoir un chant, à mon tour, au-delà des silhouettes et des volutes des disparus qui me fixent en silence, hagards et translucides, dans l'espoir que je les atteigne. Ce n'est pas pour ce soir, les amis. Vous n'êtes pas Lyra.
Elle s'égosille au-delà de la frontière. Évidemment.
D'un soupire, je me mets en route. Pas le choix, même si ça craint. Je n'y resterai pas longtemps.
Un espace dérobé me permet d'escalader le cordon de sécurité. Mes rangers retombent sur le dur d'un pavé glacé et ma lampe de poche s'avère inefficace dans cette purée de pois.

Je suis au cœur de la tourmente de Tir Nà Nog.
Ça a quelque chose de grisant.

Quelques pas cependant et une voix me tire de ma transe soudaine. Je sursaute et regarde autour de moi, en alerte. Des avertissements dans mon dos.

« Uh... Hein ? »

Je tourne et retourne mais ne voit personne. Ce n'est qu'après une poignée de secondes que je réalise que la voix ne vient pas de derrière moi, mais d'à mes pieds.

« Mais... »

Je finis par baisser les yeux, les plisser, et distinguer, à ma grande surprise...
Une silhouette filiforme féline...
Tapie dans nuit...
Et...
… O.M.G.

« Mais... Mais t'es trop chou toi !! » Littéralement. Adorable. Vraiment trop adorable, avec son air de vilain matou. Je m'accroupis juste devant lui et gagatise comme jamais. « Aaaw t'as vraiment une trop bonne bouille !! Viens, petit petit, viens par ici !! »

Je fais un petit geste pour l'inciter à approcher, un grand sourire sur le visage. J'oublie même le minuscule petit détail concernant le fait qu'il vient de me parler. C'est le cadet de mes soucis, j'veux dire, on est à Tir Nà Nog quoi, ça ne me surprend même pas. Je croiserai un T-Rex en train de sortir ses poubelles que je hausserai à peine les épaules.

Mais devant ce petit chou là, je peux pas résister, impossible de rester de marbre !

« T'inquièèèètes, Ton Unseelie me verra même pas ! Je papote juste avec une revenante et je me casse vite fait ! » Je le gratifie d'un clin d'oeil confiant, toujours tout sourire. J'ai tapote même sa truffe en riant doucement comme une enfant, me fichant radicalement de me trouver en bordure du territoire des monstres. « Et toi minet, qu'est-ce que tu fais tout seul ici ? T'es perdu ? »

J'aime déjà ce chat. Non mais, sans déconner. Il a un truc en plus, hormis la parole. C'qui est déjà un détail fameux j'l'avoue, mais quand même. C'est p'tèt son phrasé, ou le fait qu'il suinte d'énergie mystico-creepy-cool. Allez savoir. Mais y'a bien que dans cette brume étrange que je pouvais tomber sur lui. C'est p'tèt un coup de la providence qui m'envoie un éclaireur dans tout ce bordel, ce que je ne vais pas refuser, hein.

Le minou papote avec sa voix de stentor et finit par me sauter dessus. Je m'attendais à partir en arrière mais mon épaule supporte son poids, il est étonnement léger. Depuis combien de temps il n'a pas mangé à sa faim, le pauvre ? Il est paumé ici, lui aussi ?

« Eh ? Gaffe à mon pull ! Va pas l'trouer avec tes griffes hein ! »

J'ai beau le rabrouer, je frotte quand même un doigt son menton, grattouillant les poils pelucheux. Il est vraiment trop cute, j'en peux plus !
Je me redresse et enfile ma capuche sur mes cheveux en bataille. L'air s'est rafraîchit. Mes mains crépitent, tendues, comme mon instinct alternatif. L'endroit fourmille d'histoires à déterrer. Whisper est aux commandes désormais.

« T'es sûr que t'es prêt à jouer les side-kicks avec moi, matou joli ? J'suis un peu trop téméraire sur les bords t'sais ! »

Je craque un rire avant de hausser les épaules. Pas trop, pour pas le faire tomber. Il a l'air suffisamment accroché, littéralement, pour pas me lâcher.

« Mais bon, t'as l'air de t'y connaître hein... Tu l'auras voulu, on part à l'aventure mon minet ! »

Il se présente et je réalise que j'suis super impolie pour le coup. C'est pas parce que c'est un chat qui parle que je dois le traiter comme un... vulgaire animal ? Hm, mouais, j'ai quelques paramètres à rééquilibrer pour le coup.

« Vesper ! Echantée, Velbe... truc. » J'veux pas dire, mais c'est compliqué. Ça sonne comme un vieux druide de Donjon et Dragons. « J'vais t'appeller Vevel, ça t'va ? »

On progresse, torche en avant, un peu plus à l'orée du quartier. Inutile que j'aille m'engouffrer trop profondément, je sais que je ne suis pas sûre d'en revenir et j'ai autre chose à faire que de perdre la tête dans ce merdier. La brume est épaisse à couper au couteau. On n'y voit pas deux mètres.

« Bon Vevel, dis-moi. Tu sais quoi sur ce brouillard ? Mon fantôme devrait se situer pas loin, au niveau des premières maisons j'dirais. J'l'ai entendue y'a pas long- »

Mes mots se coupent au moment où un son, un chant, me parvient subitement. Tout près, justement. Une femme triste, mélancolique, un air que je reconnais. Une complainte à l'amant perdu, cristalline et tendre.

« Là ! T'entends ça ? Par ici !! »

Ni une ni deux, je frappe la terre battue de mon meilleur sprint. Le minet a intérêt à mettre sa ceinture, j'suis pas venue pour niaiser trop longtemps.

« Come on kitty, on va s'la donner !! »

Vevel et Vespy, chasseurs de fantômes. Ça sonne beaucoup trop bien à mes oreilles !