For all of the light that I shut out
For all of the innocent things that I've doubt

For all of the sparks that I've stomped out
For all of the perfect things that I doubt

La musique stoppe. J'appuie sur le bouton d'arrêt de la lecture aléatoire avant que ne démarre un nouveau titre. Une expiration dans l’atmosphère matinale, puis je me lance dans une série d’étirements. Buée fumante au bord des lèvres, les muscles vibrent encore de la course. La sueur ruisselle sur ma peau en surchauffe. Debout depuis cinq heure du matin, je continue de suivre ma routine matinale : petit déjeuner de sportif, footing, accrobranche, sauts et assouplissements, combats contre des troncs d'arbre qui ne peuvent pas se défendre,...

... rencontre féeriques à l'occasion.

Je tiens le rythme depuis plusieurs semaines à présent, sans une goutte d'alcool et l'abstinence en bandoulière. On ne va pas se mentir, c'est le sexe qui me manque le plus. Quitter le lit alors qu'un avatar de dieu nordique y est étalé tout pectoraux dehors, c'est une forme de torture assez nouvelle et particulièrement sournoise. J'en ai plein le slip, sans déc!
Je dois, pourtant, rester ferme sur mes résolutions. Les mots d'Asmodée sont encore gravés dans ma caboche  : "Le sexe et la biture sont une forme de fuite" et je ne veux plus me dérober. J'ai dégoté un premier rendez-vous avec une psy du Mab's Crown hospital. La perspective est aussi réjouissante que de passer à nouveau le rite de passage sang-coureur. Enfin, on verra bien ce que ça donne...

Je pousse un soupir en tournant la clé pour rentrer chez nous. Je sais Ass sorti pour affaires et j'imagine que Vesper doit dormir ou ne pas être encore rentrée. Actuellement, nous faisons tout pour nous éviter l'un l'autre. J'ai toujours du mal à encaisser sa situation bien que j'arrive à mieux la comprendre (Merci monsieur mon époux et son incommensurable savoir !). Si mon cerveau pige le concept, mes émotions suivent pas. Je me sens toujours trahie, volée, et je m'en veux de ressentir un truc pareil alors que Vesper n'y est pour rien.
Parfois, aux aurores, alors que je m’apprête à sortir pour éprouver ma carcasse, je m'arrête devant sa porte avec l'envie de braver la poignée. Parfois, le battant est entrouvert et dans l'interstice baigné de pénombre, je distingue sa silhouette familière assoupie. Cette simple vision me fait monter les larmes. Ces salopes s'invitent sans prévenir et je me vois systématiquement dans l'obligation de détaler. Quel courage !

Je balance mes baskets dans un coin. Le besoin d'une douche est impérieux. Tout en retirant mon marcel trempé de sueur, je fais irruption dans la salle de bain.

Arrêt du coeur.

Vesper se tient dans la pièce, en pyjama, prête à... Je ne sais pas quoi au juste puisqu'elle aussi s’est figée comme une bête aux abois. Nous nous observons comme deux animaux sauvages qui ont perdu l'habitude de vivre en meute. J'ai le palpitant qui agonise à la vue de sa mine ébouriffée, de ce grain de beauté provocant au coin de la lippe, de ces guibolles interminables, de cette bouche dont la saveur me manque....

Qui peut t'assurer que ce n'est pas "Magie" qui est là ?
Rien.

Je jette mon T-shirt dans la panière de linges sale.

- .... Salut, que je risque en me grattant l'arrière de la nuque, mal à l'aise. Hum... Tu vas .. euh....utiliser la douche ?

Les vapeurs de la salle de bain sentent le mimosa et le thym. Elles volettent en effluves et enrobent la pièce de chaleur rassurante. Je m'amuse à tracer des dessins à la buée du le miroir le temps que la cuve se remplisse. Mes yeux pétillent autant que la bombe de bain moussant qui explose de couleurs pastels dans le liquide brûlant. C'est aéré et féérique. Tout ça promet un moment de détente comme j'en ai rarement eu.

Ça tombe bien, j'ai besoin d'un bain d'anthologie.

J'en ai pas pris un depuis... depuis trop longtemps. Du temps de Maman, sans aucun doute. J'me rappelle encore des heures que je passais avec mes barbies dans la mousse, elle était obligée de me sortir de là avant que je devienne fripée comme une éponge.
Dans mon ancien studio à Tir Nà Nog, y'avait déjà à peine la place pour une cuisine, alors fallait pas rêver pour ce genre de paradis. Mais ici... y'a même un sauna. C'est assez dingue. Je passe du cagibis au palais en une fraction de temps, quand même.

Voilà que je serais presque prête à remercier ma magie d'avoir atomisé mon appartement, ha ha ha... ha.

Je secoue la tête. Allez, Whelan. J'efface les traces enfantines sur le miroir pour y apercevoir mon visage.

J'ai une sale gueule.

Le temps passe et ça se voit. J'ai plus la rondeur poupine de mon adolescence, et encore moins son innocence.
Je ne sais pas combien de minutes s'écoulent alors que je fixe mes traits abîmés par la route et les doutes. Je devrais arrêter de m'inquiéter. Après tout, j'ai un toit stable, un peu de gouaille, des proches...

… que j'effraie au point de m'éviter.

L'ombre roumaine glisse dans un coin de mon esprit. Salut, belle ombre au tableau. Je joue au même jeu de cache-cache que toi, et c'est pas fun. Voilà de quoi peser un peu plus sur le moral. C'est pas mature pour deux sous mais... j'y arrive pas.
Je ne suis pas capable d'affronter son regard.
Pourquoi ?...

Comme pourvu d'une réponse ironico-dramatique, mes pensées se transfigurent subitement et ouvrent la porte de la salle de bain. Je reste comme une poule devant un couteau quand Ciulin apparaît devant moi, alors même que j'avais la tête remplie d'ellui. Ok, et si je pense à une piscine remplie de billets de cent dollars, ça marche aussi ?? Non... ? Bon...

Son ton gêné m'assure quand même qu'au moins, iel est dans le même état que moi. C'est rassurant ? Chais pas.

« … Hey. »

A sa question, j'ai envie de répondre que j'allais faire une partie de belote, mais c'est pas super sympa alors je garde ça pour moi. J'ai pas beaucoup de verve, là, tout de suite. Ma voix est prise en étau dans mon malaise.

« Non, 'fin si... En fait j'allais faire la sirène dans la baignoire. »

Rire nerveux qui meurt vite. Au secours, je sais pas quoi faire. Je me déshabille ? J'ose pas. Pourtant iel m'a vu nue un nombre relativement peu calculable de fois.

Mais c'est quoi ce sale mur entre nous, au juste ? J'ai envie de l'éclater à coup de poings mais ils sont mous comme du beurre.

J'arrive juste à rougir et regarder ailleurs.

« Voilà, voilà... Donc, euh... hum... »

Trouve un truc Vesper, pitié, reste pas godiche devant sa bouille contrite. J'ai tellement l'impression que ça fait des siècles qu'on ne s'est pas vus que... c'est comme si on avait rétro-pédalé des mois et des mois en arrière, lors d'une certaine soirée de nouvel an...
C'est beaucoup trop nul et ça ne nous ressemble pas.
Alors faut rompre cette galère, je sais pas, dis n'importe quoi mais démerde-toi !

« … C-Comment ça va, toi ? »

… Super. Boudu, on est pas rendus.

- Non, 'fin si... En fait j'allais faire la sirène dans la baignoire.
- Okay....

La cuve pleine et l'odeur florale de sel de bain aurait du me mettre sur la voie. J’émets un faible sourire, mal à l'aise. L'ambiance est si lourde qu'elle pèse sur mes courbatures.

- ....Cool.
- Voilà, voilà... Donc, euh... hum...

Visiblement, je lui colle la même gêne tenace qui empâte la gueule et me prive de ma capacité naturelle à causer. Ma langue est toute engluée sur le palais : j'ai un mal de chien à la regarder sans avoir envie de hurler.

...Qu'elle me manque.

- Ça te gêne pas alors si.. euh.. je.... Je désigne la cabine de douche
- … C-Comment ça va, toi ?

J'ai un petit rire qui tourne au vinaigre. Je me retiens de lui jeter un truc que je pourrais regretter à la tronche. C'est pas de sa faute. C'est la faute de ce Sefaer. Je me tourne vers elle avec une expression sans doute un peu douloureuse.

- Quand j'aurais la réponse à c'te question, j'te ferais signe....

Inconsciemment, ma main est allée à la rencontre de sa joue. "Je t'aime tu sais!" beuglent ces traîtres de doigts en remettant une de ses mèches rebelle derrière l'oreille. Quand je réalise, je reflue un peu vite, avec un petit rictus embarrassé.

- T'inquiète pas d'moi, j'vais gérer. En attendant, fais comme si j'étais pas là, et fais ta sirène.. C'bien qu'tu prennes un peu d'temps pour prendre soin d'toi....

Qui que soit le "toi".

Je retire posément le reste de mes fringues, en avortant son regard dardé sur ma couenne, pour m'aventurer dans la douche.

Un frisson.
D'irritation.

J'ai envie de mordre cette main qui touche ma joue.
Comme pour saigner à blanc la misère qui embrume tes jolis yeux.

Cette prévention me tue sur place. Elle est teintée de distance et d'une mièvrerie poisseuse. Mais merde, j'suis pas une poupée de porcelaine.

J'pensais que toi au moins, tu le savais.

Je me mord les lèvres de frustration quand tu t'éloignes. C'est impossible que je puisse en rester là.
Je te vois. Tu es là.
Et toi, je ne sais pas comment tu vas.

Si. Si, je m'inquiète de toi.

Dans une expiration soudaine, je t'arrête d'un geste ferme. Presque désespéré. Ma main vient chercher celle retombée, qui a fui ma peau et mes cheveux.

Moi aussi, je t'aime.

Et on arrive plus à se le dire.

Et ça me bouffe, tu sais ?

« … Ciu'... »

T'avais dis que tu partirais plus. Tu me l'as juré. A ton retour d'Islande, sur mon pallier, alors que je chialais comme jamais.
C'était pas vrai ? Ou alors c'était juste de la pitié ?
Non ?
Pourquoi, alors ? Pourquoi tu fais ça ?
Et pourquoi je suis le mouvement aussi bêtement ?

J'veux des réponses, Ciulin Mari.
C'est ce que je poursuis depuis beaucoup trop d'années.
Juste des putains de réponses.

« S'teuplait... »

Je supplie sans plus de force. J'ai ce besoin vital de savoir mais j'arrive pas à l'exprimer. Mon ton chevrote de milliers de sentiments contenus. Je fixe le sol quand ma prise devient tristement plus tenace.

Je ne veux pas que tu partes.
Je ne veux pas que tu continues de me fuir.

Je supprimerai ma magie si c'est elle qui t'éloigne.

J'écrase un rire pas drôle et secoue la tête. Reviens, je t'en prie. Reviens vers moi...

« … C'est pas bon, la tequila sans sel ni citron... »

Je suis une gamine stupide qui a besoin de béquilles.
Je te demande pas d'en être une.
Juste de m'aider à les choisir...

-… Ciu'... Je suis stoppé net, pratiquement à poil, par une pogne fâchée. Je regarde les doigts un peu incrédule. S'teuplait...
Je remonte la tringle de ce bras crispé. Vesper suinte autant le désespoir que ma gueule.
- S'teuplait... quoi ? Fais-je, un poil abrupt. Lâche-moi, putain ! Me regarde pas comme ça... Je prends une inspiration en tâchant de juguler un mélange honteux d'amertume, de lassitude et d'envie. J'ajoute un peu plus douce : Qu'est-ce qu'il y a ?

A qui je parle vraiment, là ?

Vesper sert fort et ma peau blanchit sous sa pression. Elle semble au bord des larmes. J'en suis pas loin aussi.

-… C'est pas bon, la tequila sans sel ni citron...

Rahat! Le coup bas.
Ma volonté vacille.

- ...Putain....

Je la tire à moi. Étreinte un peu brusque, baiser un peu frustre.

Tu me manques tellement Vesper.

- Je... J'ai pas les idées claires, en ce moment, tu piges ? Front à front, je ne sais plus vraiment qui s'accroche à qui. On a l'air de batailler plus que de se câliner. Je poursuis mâchoire serrée. Vaut.. Vaut peut-être mieux que tu te sentes seule que blessée parce que je suis une sale merde... Tu saisis ? Je vais arriver à gérer.. mais.. mais là m'faut un peu de temps. C'est pas de ta faute... ni celle de "Magie". C'est juste moi... ok ?

Dis-moi que t'as compris, je t'en prie.

Ca souffle le chaud et le froid entre nous.
Je m'agrippe à iel comme une braise à son foyer. J'ai peur de lea lâcher et de m'éteindre pour toujours.
C'est étouffant.

C'est une sensation de vertige terrible.

Mais Ciu' me retient du bout des doigts au bord du vide en me marmonnant un début d'explication. Vague.
Floue.
Je ne comprends pas.
Ou alors, j'ai peur de comprendre.

Je ne vois plus grand-chose derrière mon rideau de perles. Elles glissent sans bruit. Le seul que j'entends c'est un fracas au cœur.
J'ai toute ma répartie en morceaux à mes pieds. Je suis incapable de formuler quoique ce soit devant ça. Quoi dire, de toutes manière ? C'est assez clair.

Je ne peux rien faire.

Aucun tour de « Magie » ne peut gommer les doutes.

« … ... Ok. Prend le temps qu'il te faut Ciulin... j'attendrai. »

Je m'avoue vaincue.
Sans accepter de quitter ses bras.
Je dois avoir encore un peu de ressource, toute cachée, au-delà du sceau.

« Juste... arrête de dire que t'es une sale merde. Tu vas finir par t'écorcher la bouche avec ce refrain à la con. »

Et je préfère mille fois que tu le fasses en m'embrassant.
Mais...
Je ne peux qu'attendre.

Désespérément.
Idiote.

Tous les condamnés ont cependant droit à un dernier mot. Le mien se presse contre ses lèvres dans un baiser plus profond et intense que tout ceux que nous avons pu échanger. Bien au-delà de notre premier.
Il n'aura pas le goût du dernier.
Je refuse.

« Te iusbec. »

Mon accent est pas terrible, mais je l'ai travaillé. Il sonne un peu mieux que la première fois. Je le modèlerai, encore et encore. Pour toi.
Cette fois, je consens à m'éloigner. Parce que j'ai dis l'essentiel.

« … Tu peux prendre le bain. Je vais pas l'utiliser. »

La baignoire fume autant que mon esprit. J'ai besoin d'air. Je vais imploser.
J'approche la porte, dos à ma roumaine idylle. 
Peut-être que ce n'est pas assez.
J'veux juste qu'iel sache, bordel ! Pourquoi c'est si difficile d'être là l'un-e pour l'autre, comme avant ?

Pourquoi...

« … Et... je sais que je te fais peur mais... si... jamais tu as besoin de parler, ben... tu sais, quoi. »

Je tourne la poignée, mal au possible.
Stupeur.
Tremblements.

J'entends le bruit d'une fine fissure apparaître sur le miroir où ma sale tronche se reflétait précédemment.

J'ai l'impression sale de me merder. Encore. Comme avec Ass. Repousser pour tenter de protéger le temps que ça se calme. Ou de me préserver...Et pourquoi je n'aurais pas le droit à un peu de répit ? Chaque mot qui passe tes lèvres, chaque modulation de tes expressions me font mal.

C'est pas ce que tu crois, Vesper.
Je t'assure que c'est pas ce que tu crois.

- Te iusbec.

Bris de verre. Ma tête s'emplie de la musique des tessons qui éclatent en pluie. Épines qui s'enfoncent dans le tendre, perforent, charcutent. Les putes! Vertige du coeur. J'ai l'impression de me cogner sur chaque pierre du précipice comme un mauvais toon.

-… Tu peux prendre le bain. Je vais pas l'utiliser.
-... Mais....

Cette situation est complètement con! J'en ai ma claque. Poings serrés, je me retiens de frapper. Je suis en colère, frustré, paumé. Quand est-ce que ça s'arrête ce foutoir qu'est ma vie ? Hein ?!

-… Et... je sais que je te fais peur mais...
- C'est pas ça...
- Si...Peut-être un peu... jamais tu as besoin de parler, ben... tu sais, quoi.
- NON! J'EN SAIS RIEN, PUTAIN ! Pourquoi c'est toujours à moi de faire ce genre d’effort, merde ! "Parle Ciulin !" , "Faut que ça sorte , Ciulin!", "Faut que tu te soignes Ciulin.." SCOOP : si j'ai besoin de me soigner c'est parce que tout ceux autour de moi ont refuser de le faire pendant des années et que j'ai épongé à leur place : Mon père,  ma mère, Antoine, ... Tu sais ce que ça me coûte de touiller ma merde et de l'étaler devant les autres ?! Facilitez-moi tous un peu la vie et arrêtez d'attendre toujours que j'fasse le premier pas. J'AI PAS L'ENERGIE POUR CA ! TU PIGES OU PAS ?!

Le miroir se fissure et je m'en bas les couilles que j'ai pas.  Je peux faire voler les shampoings et les sels de bains, si tu veux la jouer comme ça.

- Tu va ramener ton cul illico dans ce bain et tu vas le prendre avec moi. On faisait ça, avant, non ?

Ma main tremble tant qu'elle pourrait vriller la poignet de son embout. L'explosion de Ciulin se répercute contre mes propres fureurs. Elle me cherche, elle va me trouver.
Je n'ai plus envie de pleurer.
Je peux crier, moi aussi.

« Pourquoi ? Mais parce que personne le fera à ta place !! » Je finis par me tourner. Mon intention de fuir vient de se faire grappiller par la provocation incertaine. « La merde ça finit par pourrir si tu l'évacues pas. Personne n'a dit que ce serait facile. Mais... bordel, hors de question que tu te ruines ! Ça, tu le piges, toi ?! Je te laisserai pas faire ! »

Tu ne le mérite pas.

Je ne le mérite pas.
A vrai dire, je ne mérite rien.

Même pas toi.

La fissure se fige avant de briser le miroir en mille de morceaux. Un instant suspendu. Je veux hurler ce qui me pèse mais au final, ça tombe par bribe âcre de mes lèvres fendues.

« … J'veux être là pour toi. »

C'est une supplique désespéré. Dis voir, c'est ça, l'amour ?

« J'suis fatiguée de te voir me fuir et souffrir en dedans... et d'avoir l'impression que tout est de ma faute sans savoir comment réparer ça. »

Donne-moi les clés, Ciu, j't'en supplie.
Je peux pas tambouriner à ta porte aussi longtemps sans m'esquinter, moi aussi.

La proposition du bain tombe comme un cheveu sur la soupe. Je jette un coup d'oeil à la fumée réconfortante et hume les parfums mêlés. C'est vrai. Avant, on ne se privait pas, on ne réfléchissait pas. On y allait, c'est tout.
Et je crois qu'on était heureux, même.

Qu'est-ce qui s'est passé, putain ?

Je soupire des narines, croise le regard de la figure ciselée de Ciu. Ma colère est mêlée d'incompréhension. Tu vois, tu sais encore les faire, les pas en avant.

Sans plus de mot mes vêtements partent au sol comme ils étaient censés le faire à la base. Petit instant de flottement, presque timide. Presque comme une première fois, même si la nôtre était loin de cette nuance.

Je me glisse dans l'eau et attend sagement.
J'espère que la mousse vaporeuse effacera mes traits furibonds.

- Pourquoi ? Mais parce que personne le fera à ta place !! La merde ça finit par pourrir si tu l'évacues pas. Personne n'a dit que ce serait facile. Mais... bordel, hors de question que tu te ruines ! Ça, tu le piges, toi ?! Je te laisserai pas faire !
- Me la fait pas à l'envers, Curva. La taiseuse ici c'est toi : j't'ai tout raconté sur ma famille, sur mon changement de genre, sur Shiobhàn, Antoine ou mon mari démoniaque... ? Hein ? Et toi ?! Qui cache des putains de secrets ici ! Chuis un livre ouvert pour ta gueule et tu oses me la ramener en matière de communication ?! La ruine c'est ton silence ! POSE TON PETIT CUL DE PLAYMATE DANS LA FLOTTE....

Le miroir explose. Je ne m'en émeus pas.

- Cette glace t'avait rien fait...
- … J'veux être là pour toi. J'suis fatiguée de te voir me fuir et souffrir en dedans... et d'avoir l'impression que tout est de ma faute sans savoir comment réparer ça.

Tu t’effeuilles et plonge dans l'eau avec ta tronche des mauvais jours. J'émets un très profond soupir avant de te suivre. On se toise un moment dans une la mousse lavande, muets. Comme d'habitude, je vais devoir l'ouvrir en premier.

- Ecoute-moi bien... J'essaie d't'expliquer que c'est pas d'ta faute, que chuis juste pas en état de gérer pour le moment mais qu'j'y travaille. Alors arrête de foutre en l'air mes efforts en f'sant genre que j't'abandonne. Ça m'fout en rogne. J'te demande juste d'être patiente avec moi, putain, pas d'te barrer en pétant des vitres ! Je ferme les yeux une poignée de secondes, renverse la tête en arrière et regarde le plafond. Trop de vapeur. Mal au crâne. Je m'en veux que tu te sentes seule. J'aime pas te voir comme ça... Mais faut aussi que tu acceptes que j'économise mon énergie pour... pour pas t'exploser à la figure et qu'tu fasses une "Antoine". Deux fois que j'arrive à prononcer ce prénom sans trembler en l'espace de dix secondes. Plus qu'en six mois.J'ai pas b'soin que tu m'aides à trouver c'qui va pas : je sais déjà c'qui va pas... J'y travaille. C'est juste...fucking long

« Je ferais pas d'Antoine. »

Mes mots claquent contre le savon. C'est irrévocable. Je m'en veux suffisamment pour y avoir ne serait-ce que penser.

Je ne suis pas lâche à ce point.

J'ai toujours son argent sale qui dort sur un compte intouché. Il faudrait que j'en fasse un truc, un jour.
Pour l'instant j'ai d'autres priorités.

Je ramène mes genoux contre moi dans l'eau. Je me replie instinctivement à tes paroles. J'ai dû mal à ne pas me sentir mal. Ma colère bouillonne en silence, elle intervient par à-coups âcres.
Moi ? Moi, j'ai rien dis ?

« Qu'est-ce que tu voulais que je te dise ? J't'ai déjà tout dis de moi... ce que je pensais être la vérité. Je découvre que tout ça, c'était faux. Une vie construite dans la fuite et les illusions. J't'ai raconté des mensonges sans le savoir. Comment tu veux que je rattrape ça ?? »

J'ai haussé le ton sans m'en rendre compte. Je suis plus à fleur de peau que ce que je laisse transparaître.

« … Je sais pas qui je suis, Ciulin. Vesper Whelan, c'est même pas mon vrai nom. Ma mère a tout effacé de ce que j'étais, même mes pouvoirs. Tout ça me saute à la gueule avec une violence que j'ai jamais eu à affronter avant. Je sais pas le gérer. J'ai préféré me taire. J'donne des conseils que j'applique même pas moi-même... »

Je fixe l'eau avec honte. Je n'ai parlé de la vérité à personne. Je ne pouvais pas expliquer le contenu des notes de ma mère.
J'ai tout pris à la légère.
Je n'y croyais pas moi-même.
C'était tellement plus simple de rester dans l'ignorance...

« Tout ça... ça me terrifie. J'ai la trouille, comme j'ai jamais. La trouille de vous embarquer là-dedans, toi et Asmodée. Que ça vous impacte autant... et que... peut-être... de... vous perdre. »

Comme j'ai perdu Maman.
Comme j'ai perdu mes racines.

« C'est pour ça que je... suis comme ça. Que j'me tais et que j'essaie de me démerder toute seule. Pour vous préserver. Je sais que c'est pas la solution ! T'es pas la première personne à me le dire... »

J'ai des vieilles images de ma conversation de bibliothèque avec Asmo. Je me rend compte à quel point ces deux-là sont différents et que j'ai peut-être trop profité de ma bulle isolante en comptant sur eux pour la détruire.

"Personne ne le fera à ta place."

Mes doigts glissent dans la flotte en silence. Je me déplie, un peu.

« … Je voulais pas te mettre la pression, ou te faire culpabiliser. Encore moins te blesser... »

Ta langue se délie. Les confessions cessent d'être dégluties. Comme tu dis si bien, si tu gardes en dedans, ça pourrit. La trouille de découvrir ce qu'on est, je la connais. Moi aussi on m'a mutilé d'une part de moi. Les erreurs de nos parents continuent de nous exploser à la gueule.

Qu'ils aillent bien se faire foutre !

-Moi, chais qui t'es, Vesp'... Un sourire de petit con fleurit sur ma gueule. T'es ma tequila sunrise. Acide en apparence et sucrée en dedans. Je lui souffle de la mousse au visage. T'es mon amoureuse. Peut-être un peu celle d'Ass, aussi. Je lui sens comme une affection particulière pour toi. Une "épouse" sent ces trucs là, parait....Et surtout, t'es ma famille. C'est tout c'qui compte, tu crois pas ? On nous a menti, à toi comme à moi. A toi encore plus qu'à moi. Nos mères avaient franchement un instinct maternel faisandé; et après ? Ça change quoi ?

Je hausse les épaules.

- Ok... T'as un alter qui s'appelle Magie et j'ai des chardons qui me poussent d'dessous la couenne quand j'déplace des trucs par la pensée. Mais ça nous définie pas ça...  Je me penche vers toi. C'est pas nous. On est c'qu'on fait pas c'qu'on a dû subir.

J'ai un petit rire qui grince.

- Enfin ça c'est ce que j'essaie d'me convaincre les jours où je bade pas trop. Toi tu gardes tout pour toi et moi j'passe mon temps à fuir en avant. Vlà le duo d'gagnants, hein ?!

Je laisse filer un silence en m’accoudant contre le rebord de la baignoire. Mes bras finissent par pendre à l'extérieur et mon regard se perdre dans les bouloches du tapis de bain ultra moelleux.

- J'ai du mal.. avec la magie. J'ai du mal à pas associer ça à une maladie. C'est parce que j'ai pris un pet au casque et qu'un manipulateur psychique ma violé la cervelle que ma télékinésie s'est révélée. Lui même, il avait un cancer du cerveau à force d'abuser de ses pouvoirs. Ma mère est devenue bipolaire parce qu'elle a essayé de plus jamais faire usage d'ses dons naturels d'sorcière... Et maintenant ma p'tite amie m'annonce qu'elle a un trouble dissociatif de l'identité magique.... Ma tête s'affaisse, joue sur l'émail, je te toise de biais. J'attends l'moment où je vais d'venir psychotique à mon tour, t'sais ? Pt'êt qu'un jour j'vais vriller comme la daronne et qu'j'buterais les gens que j'aime pendant une crise.

Une bulle de savon éclate, puis quelques autres.

- Mais tout ça, c'est pas d'ta faute. C'est moi qui doit gérer mes propres névroses... stout. Ça veut pas dire que ch'rais pas là pour toi dans ce moment compliqué qu'tu traverses, juste que chuis pas au max. Tu comprends? dis-je d'une voix douce.

J'étire des petits sourires en coin à ses allusions. Ça me met du baume au cœur, et y'a pas plus rassurant que de l'entendre. J'avais peur de ne plus y avoir droit.
Je suis bête. Je me suis fais du mouron pour rien.
Je craque même un petit rire vrai, loin des ombres de ces derniers jours.

« On a jamais rien fait comme les autres, chéri. »

Puis je l'écoute déballer son propre linge sale et ça fait tilt. Pop, même, bruit de bulle qui se brise en débris dans l'eau chaude.
J'ai pensé qu'à moi, dans tout ça. Est-ce que je pouvais faire autrement ? Je sais pas. Mais ça va changer.

« … J'comprends. Moi aussi, j'ai peur de ça... Y'a qu'à voir ce que j'ai fais à mon appart'. » Un soupire. Je crois que y'a encore des affaires qui sentent le brûlé, là-bas. Je détourne le regard et rougit d'excuse. « Désolée, j'avais pas fais le rapprochement avec ton vécu... c'était... pas super délicat d'ma part.  »

Je reste en suspend un moment, le temps de collecter mes pensées dans la vapeur.

« Mais... si on continue d'avoir peur, on avancera jamais. »

Du moins, c'est que j'ai fini par penser.

« Ça nous définit peut-être pas... mais... j'ai quand même besoin de savoir. J'me suis toujours sentie incomplète. Maintenant je pense que c'est lié à ma nature refoulée. J'le sens, au fond de moi. Je sais pas comment l'expliquer... mais c'est là. »

Je porte instinctivement une main à mon plexus. A chaque fois, c'est une sensation bien physique qui stimule ma carcasse. Un souffle, une pression, relâchée à la moindre étincelle de magie qui s'exprime malgré moi. C'est trop dangereux de rester comme ça.

Je ne sais pas ce qui m'attends.
Mais j'ai plus de détermination que jamais à braver l'inconnu.

Je ne sais pas marcher sur des chemins tout tracés.

« J'vais briser le sceau, coûte que coûte. Je peux plus me dérober et faire semblant. Je dois clore ce chapitre pour prendre un nouveau départ. »

Mon expression s'adoucit aussi, petit à petit. Je ne suis plus en colère. Pas contre toi. Ça n'a jamais été contre toi...

« … J'ai confiance en toi Ciu'. Je sais que tu vas gérer. »

Je me déplie un peu plus, me penche, m'approche. Je souris, même. J'ai rentré les picots de hérisson pour chercher un contact avec toi.

« Peu importe combien de temps ça te prendra... j'serais toujours là. »

Promesse.

- Désolée, j'avais pas fais le rapprochement avec ton vécu... c'était... pas super délicat d'ma part.
- J't'en veux pas, c'est logique d'être focalisé sur son mal quand c’est un truc aussi énorme que : "Ma mère, cette connasse, a scellé ma magie pour qu'on m'retrouve pas et maintenant j'ai une autre personne dans ma tête..."

Je ne vais pas te balancer pour le moment qu'un chien de l'Enfer est sur ta piste, et pas le toutou de n'importe qui. Je n'ai pas envie de saper ta belle motivation. T'as la détermination qui te secoue les tripes et c'est bon à entendre. C'est beau à voir ! On va pas délayer ça avec de mauvaises nouvelles.

Pas tout de suite.

- Moi aussi j'ai confiance en toi. Quoi que tu veuilles, Ass et moi, on te soutiendra et on te protégera. "Magie" aussi même si, on va pas se mentir, j'ai un peu de mal à digérer qu'une autre "personne" use de ton corps de déesse ibérique.

Je me marre en bon couillon tout en t'attirant à moi. L'eau chancelle et une gerbe de flotte éclabousse le carrelage quand je t'emprisonne contre mon buste. J'ai été conne de refouler ce besoin de contact si longtemps. Je respire tes cheveux comme un camé.

Ma dope à la grenadine...

- Tu penses que ce "Sefaer" ça pourrait être ton père ? que je questionne en dessinant distraitement des tourbillons sur la mousse écumant sur ta peau.

J'ai du mal à me dire qu'il s'agit d'une « personne ». J'ai plus l'impression d'une forme d'énergie. Mais moi-même j'ai trop de mal à qualifier ce sentiment pour m'affirmer sur ce dont il s'agit. Alors je me contente de penser que casser ce foutu sceau me fera tout comprendre, que tout ira mieux dans le meilleur des mondes et que je dois m'accrocher à ma ferveur.

« Ouais... » Haussement d'épaules et fatalité. Je reste un peu pensive. Les souvenirs de ma mère m'embrument la tête et me rendent encore un peu triste. Elle n'est plus là. Peut-être qu'on l'a conjurée ailleurs... mais je dois m'en sortir sans elle.
C'est pour ça que je ne peux pas résumer les choses comme le fait Ciu.

« Tu sais... j'arrive pas à lui en vouloir. A ma mère. » Soupire léger. « J'aimerais, parce que ce serait plus simple de lui coller tout mes maux dessus et de la diaboliser mais... c'est impossible. Je peux pas renier que je tenais à elle et que la perdre comme ça... ça a été une horreur que ça l'est toujours parfois. Elle a fait des erreurs impardonnables... mais... pour moi c'était une femme bien et elle méritait pas ça. »

Ciulin m'attire et je ris à notre honnêteté candide qu'on retrouve enfin par le contact. On est loin de tout à l'heure où on osait à peine se regarder sans s'envoyer des vents tempétueux. Je me blottis contre sa peau avec un plaisir de chat roulé en boule contre un plaid tout doux.
J'écoute son palpitant contre mon oreille. Il m'avait beaucoup trop manqué.

Tu m'avais beaucoup trop manqué.

A sa question, je secoue doucement la tête, et récite mes leçons de généalogie.

« Non, je crois pas. D'après les notes de ma mère, il s'appelait Salvadore Montserrat. Elle l'a tué quand j'étais toute petite pour me protéger, et c'est pour ça qu'on a dû fuir. Apparemment c'était un un puissant sorcier du coven de Salzen, comme elle... et une espèce de mégalomane suprématiste accro au pouvoir. J'suis méga vernie côté background familial putain, j'devrais écrire un livre. »

Je pousse un soupire exagéré, avant de reprendre mon sérieux.

« … J'ai essayé d'entrer en contact avec son lui, parce qu'apparemment il serait mort dans cette ville. Au bout de la dixième fois j'ai compris que ce serait pas aussi fastoche qu'avec un autre revenant. C'était comme si... il était ailleurs. Son âme n'était pas accessible aussi facilement. Puis il a fini par se montrer brièvement et est reparti aussi sec. C'est comme ça que j'ai compris que monsieur était devenu un démon... »

Un vrai casse-tête chinois, cette affaire. Les pistes se referment les unes après les autres mais j'éclaterai les murs s'il le faut.

« Sefaer... ça peut être n'importe quoi... une personne, un lieu... p'tèt même un artefact ? Mais... j'suis quasiment sûre que la réponse est ici, dans c'te ville de plus en plus zarbie. »

Mon cher Papa m'a laissé un poème suffisamment évocateur, après tout.

Je finis par sourire, un peu timidement à nouveau. Je reste lovée contre ma beauté roumaine.

« Mais bref, ça sert à rien de mouliner dans le vide... Mais... j'suis vraiment contente qu'on se parle à nouveau. »

C'est peu de le dire...

Je me goinfre de ton contact comme un gros morfale : je triture les pointes mouillée de ta tignasse, joue à cache-cache avec tes courbes émergeant hors de l'eau, je nattes mes doigts aux tiens...

Un paisible sentiment de complétude m’inonde.

- Oh bah quel hasard, dite donc, fais-je avec un air de couillon, mon mari est un prince démon ! Et en plus y te kiffe bien... On devrait pouvoir lui retracer le derche à ton padre, et même le coincer entre six yeux... Si c'est un démon, l'est passé par les Fosses. Kali est pas super jouasse en ce moment mais ça devrait quand même jouer. Disons qu'elle l'a mauvaise à cause de la rébellion lancée par "Belle-maman"...

Je réalise que tu n'es pas forcément au fait de mes derniers rebondissements familiaux.

-... Ah.. hum.. longue histoire. J'te la fais courte : tu t'souviens d'la p'tite cancéreuse dont mon paternel est tombé amoureux. Elle est morte. Elle est allée en Enfers, est devenue un démon, a levé une rébellion - les Dormeurs- et s'est tiré sur terre en se tapant le luxe d'emmener le hell hound perso de Kali. Depuis, mon père et elle se sont construit un nid douillet dans la forêt et on fusionné une partie des Sang-coureurs avec les Dormeurs. Fun fact : c'est également la nièce d'Asmo ce qui fait de moi sa tantoncle. ... J'te laisse digérer....

J'écope d'un petit rire moqueur.

- Tout ça pour dire que, l'un dans l'autre, y'aura moyen de le retrouver le Salvadore. Pour les Salzen, chuis moins chaud. Ma mère et Earl étant des renégats, j'préfère éviter de m'frotter aux covens. La tienne de reum d'vait pas être plus en odeur de sainteté. En plus j'ai entendu dire que ça frittait sévère avec Émeraude. Mais bon les sorciers c'est tout un monde très opaque dans le supernatural game. Ceci étant, Simone doit avoir des yeux et des oreilles qui traînent... Elle en a partout. Simone... T'sais: vampire, bombasse-classe, humour à froid, la meuf sans qui Ass pourrait pas vivre. Je murmure avec un sourire tout proche de son tympan : Odin a beau dire, c'est elle la véritable "épouse". Elle te plairait, c'est typiquement le genre de meuf que tu sautais, avant.

Je viens ruer dans le tendre de ton cou, y asséner quelques bécots humides.

- J'ai pas d'news d'mon frère, sinon. Il a du sentir l'vent tourner parce que sa casa est déserte. Tel que j'le connais il doit la jouer survivaliste dans un bunker réservé à cet effet. J'essaie d'pas m'inquiéter... Du coup, notre scooby gang est un peu réduit à peau d'chagrin.

Je laisse ma joue s'écraser juste ici, cet endroit précis, le creux de ton cou qui me sert désormais de lieu de paix. J'ai les paupières lourdes et le souffle serein, l'eau et ta peau font bon ménage pour apaiser les dernières bribes de doutes. Elles se diluent tout doucement dans la vapeur de la pièce. La flotte se fait couverture pour ce water-bed un peu particulier.
Je vous écoute, toi et tes battements de coeur.
Et je suis bien.

J'écoute tes mots rassurants, sur votre puissance à deux, sur vos réseaux, sur toi et Asmo. Je pique un fard discret à l'orée de l'eau.

« J'me demande ce que je ferais sans vous, quand même... »

Vaine contemplation de ce qui n'est pas. Je sais qu'iels sont là pour moi, autant que je le demeure pour eux. Une formation indivisible, gravée dans mon esprit.
Personne ne pourra m'en dissuader, pas même la Magie.

J'ouvre de grands que tu enchaînes. J'ai l'impression d'avoir raté tout un pan de la gazette croustillante de Tir Nà Nog. J'essaie de recouper les connections et penche la tête légèrement. Mon esprit doit avoir des allures de diagramme distordu et raturé.

« Ah, ouais, quand même. Il s'est passé un millier de vies depuis ces derniers mois, ou alors l'temps s'étire plus lentement dans le coin ? En tout cas, le dicton dit vrai : le monde est foutrement minuscule... Et du coup... ça va mieux, avec ton père ? »

Je me rappelle que la dernière fois que tu l'as évoqué, c'était pas la grande joie. On a vécu des vies parallèles, tout en étant ensemble.
C'est une drôle de sensation d'indépendance...

« Tout ça pour dire que, l'un dans l'autre, y'aura moyen de le retrouver le Salvadore. Pour les Salzen, chuis moins chaud. Ma mère et Earl étant des renégats, j'préfère éviter de m'frotter aux covens. La tienne de reum d'vait pas être plus en odeur de sainteté. En plus j'ai entendu dire que ça frittait sévère avec Émeraude. Mais bon les sorciers c'est tout un monde très opaque dans le supernatural game.
- Ouais.  D'après les infos récentes que j'ai pu recouper un peu partout, je crois que y'a plus tellement de Salzen, que genre, l'Emeraude l'a aspiré comme une sorte de monstre sangsue. Ça fait peur, et un peu chier pour mon enquête. Mais bon comme tu dis, c'est trop nébuleux pour les « profanes » comme nous. J'suis pas certaine de kiffer l'ambiance des covens... Vu comment ça a déraillé la tronche de mes géniteurs...
- Ceci étant, Simone doit avoir des yeux et des oreilles qui traînent... Elle en a partout. Simone... T'sais: vampire, bombasse-classe, humour à froid, la meuf sans qui Ass pourrait pas vivre. Odin a beau dire, c'est elle la véritable "épouse". Elle te plairait, c'est typiquement le genre de meuf que tu sautais, avant.
- Avant ? Arrête, si ça s'trouve, elle va tomber sous mon charme... J'ai p'tèt un coup d'mou mais j'reste toujours la nana la plus sexy du lieu, allo ! »

Je ris au chatouillis de ton murmure et me tourne dans un « plof » sonore pour planter un bécot sur tes lèvres de voyou. Moins pathétique qu'au début de notre échange, mais tout aussi sincère. La chaleur est vivifiante, et j'enroule mes bras autour de ton cou, quand tu me parles de Cristian. Il manque, lui aussi, à sa façon.

« C'est pas plus bête quand on y pense... Ton frère a p'tèt perçu toute cette merde avant qu'elle arrive. C'est p'tèt lui qui a eu raison de déguerpir... »

Soupire. Peau à peau, poitrine à torse, je laisse ma tête lourde tomber contre ton épaule. La fatigue m'assomme plus que je ne l'aurai cru. La pression se relâche contre toi. Je t'étreins en silence, pensive. Le futur est aussi brumeux que cette salle de bain.

« Dis... », que je finis par souffler. « Tu voudras faire quoi, quand tout ce bordel sera terminé ? »

Ma délicieuse tequila aux joues roses. Elle est là, à nouveau, à la place où je la sens le mieux. Contre mon coeur. Dans mes bras, sans aucune frontière que je ne puisse franchir comme un ruffian d'immigré. Elle me roule des galoches d'adolescente maladroite qui feraient fondre n'importe qui, et moi en particulier. J'ai bien envie de la faire roucouler la fameuse "nana la plus sexy" de Tir Na Nog.

Mais t'as pas dit qu'tu l'vais l'pied ?

Fous moi la paix, ma conscience! Tu piges que dalle aux joies du make-up sex!

- ... Ton frère a p'tèt perçu toute cette merde avant qu'elle arrive. C'est p'tèt lui qui a eu raison de déguerpir...
- ... Ptèt.

Le cas de Cristian m'inquiète, mais sans doute moins que la situation de mes deux cadets. D'après Elie, Viorea aurait aussi des pouvoirs, ainsi qu'une nette tendance à l'auto-destruction. Quant à Sorin, il porte encore les traumatismes de sa récente agression vampirique et gère comme il peut le fait que son mec soit devenu un strigoï.

- Dis...
- Hum ? fais-je vaporeusement en lui caressant l'échine.
- Tu voudras faire quoi, quand tout ce bordel sera terminé ?
- Chais pas trop.... c'qu'est certain c'est que j'serais toujours dans Malsheem et qu'j'voudrais continuer à vivre pépouse avec mes deux amoureux préférés. Après.... Je laisse échapper un énorme soupir. J'ai plus d'avenir dans le catch. C'est mort. Dans le freefight et tout autres sports de combat non plus d'ailleurs. Ça va t' paraitre con, mais.. hum.. j'envisage de reprendre des études. Bon.. J'ai même pas le "Leaving Certificate" comme y disent ici et j'ai encore qu'une vague idée de c'que j'aim'rais étudier. M'en fait.... J'ai juste envie de voir ... Tu vois ? Voir si j'ai un aut' talent qu'la chasse.... Sourire de petit con. Et la baise....

Je la couve amoureusement du regard.

- Un jour, j'aimerais, si Ass est d'accord, qu'on t'emmène voir not' chez nous en Islande. Je lui caresse la joue. J'crois qu'tu lui plais... Chais bien qu'tu donnes pas dans le mâle vicking sexy et virile habituellement, mais.. y t'plait aussi, j'me trompe ?

Cette fois c'est moins lea chéri-e que l'ami qui cause... avec une expression de filouterie assez savoureuse. Faut pas déconner.

J’ai l’impression que toute cette absence l’un-e de l’autre nous as rapprochés. C’était douloureux à en crever mais j’ai retrouvé ces bras, ce souffle et ce ton tranchant de filou aux grands yeux francs. Toi et ton allure de chiot tanné par le bitume des errants. T’es beau-belle comme tout, mon petit citron. Je claque un baiser sur ton front.

C’est drôle comme le bonheur remet le temps en perspective. Ici, dans cette pièce, c’est l’éternité qui coule quand je me colle à ta peau.

J’ai le regard pétard quand tu m’annonces tes projets d’études. Ça sera l’idéal, de se sortir la tête de tout ce merdier surnaturel. D’être un peu « normal », dans cette société à protéger.
Ça me rappelle à mon propre diplôme que j’ai laissé en plan à la mort de Maman. Ces études que j’ai suivi sans trop savoir où ça me mènerait. J’ai jamais pensé à me désinscrire officiellement, bizarrement. Ils ont dû m’oublier dans le flot incessant des étudiants.

« Oh sérieux ?! Mais c’est génial Ciu’ ! » Je volubile avec tendresse et sincérité, plaquant mes lèvres à l’arête franche de ton nez. T’es trop sexy quand t’es tourné vers l’avenir, c’est ton meilleur profil. « Y’a pas d’raisons que tu trouves pas ta voie… t’es bourré-e de surprises, tu vas exploser tous les domaines qui s’présenteront à toi, j’en suis sûre. »

Je te regarde avec émotion. Je sais pas pourquoi, l’idée de te voir t’extirper de ton bourbier passé me gonfle de fierté. C’est p’tèt parce que je tiens à toi et à ton futur. Je t’ai vu dans des états bien loin de ta volonté actuelle, sans doute pas les pires, mais loin d’être les meilleurs. Et je sais que tu peux les dépasser, aujourd’hui.

« J’t’aime. »

Ça tombe comme une goutte dans l’eau. Je ne le dirais jamais assez à ceux qui comptent.

Je souris comme une gamine rougeaude à l’évocation de l’Islande. Vrai que ça me plairait, de faire un peu plus parti du jeu, de partager avec vous les-

« J'crois qu'tu lui plais... Chais bien qu'tu donnes pas dans le mâle vicking sexy et virile habituellement, mais.. y t'plait aussi, j'me trompe ? »

Tomate dans la moiteur. MAIS WESH ?! Temps mort. Je réponds d’une pichenette d’eau sur son visage roublard. Splash dans la face. Je ricane, pensive.

C’est curieux, je m’étais jamais posée la question.
Comme si c’était une évidence.

« P’tèt… », fais-je, élusive. La confidence est propice. « C’doit être un truc du Pandémonium, un charme qui attire même les lesbiennes… » Je me marre, secouant la tête, un peu introvertie. Timide, quand je me mets à nue. Le figuré me gêne toujours plus. « Mais blague à part… ça m’fait un peu bizarre de ressentir une attirance pour un mec. »

Un mec qui n’est pas toi.
Mais ça, je le garde pour moi.

« … Tu crois que j’suis poly, moi aussi ? »

Tu t'enthousiasmes pour ma gueule et ça me fait chauffer le palpitant, et vrombir les tripes aussi. J'ai les chocottes de la normalité. J'ai jamais su ce que ça faisait. M'enfin, je me suis jamais dérober face à un combat: Jamais.

- Te iubesc iubirea mea picantă..., fais-je en lui rendant chaque bécot, chaque caresse, chaque écho d'intimité.

A ma question déplacée, tu piques un fard. Merveilleux ! Je me délecte! Du p'tit lait !

- P’tèt…
- Hinhiiiin ... fais-je en sale couillon qui joue les malins.
- C’doit être un truc du Pandémonium, un charme qui attire même les lesbiennes…
- C’est ça : parfum "Foutre de Fosses", des phéromones aphrodisiaques en BARRE !

Je l’asperge en me foutant gentiment de sa gueule. La riposte ne devrait pas tarder.

- Mais blague à part… ça m’fait un peu bizarre de ressentir une attirance pour un mec. … Tu crois que j’suis poly, moi aussi ?
- C'est si chiaaaaaaaant les étiquettes! Moi j'crois qu't'es juste ciulinasmoureuse! S'tout. Tu vis au quotidien avec DEUX . PUTAIN. DE BOMBES. SEXUELLES... C'tait la fatalité, meuf....TA DESTINÉE !

J'éclate de rire en pressentant l'attaque prochaine qui va viser tous mes petits navires. En attendant, c'est bien toi que je touche et coule, chérie...

Ciulin se gargarise de mon teint, se marre et fait son loubard des cœurs gonflés. Iel avait tout prévu, c'te relou-e. Mais je m'en fous, iel a raison, et iel avait sans doute deviner depuis un bail. Qu'à cela ne tienne : le charme de la tsundere l'a bien cueilli-e, alors je ne vois pas pourquoi ça ne marcherait pas sur un beau prince démon sexy en diable, nan mais !

On se bataille d'eau comme des gosses, je ne retiens plus mes rires et la gêne s'est dissoute dans la mousse. On l'a oublié, pouf, vaporisée en mille et uns éclats de joie. J'en tartine la tronche écorchée de maon amoureux-se. Que je picore de bisous sucrés. Je souris à n'en plus finir, bulle de bonheur dans la baignoire, ponctuée de tendresse vaporeuse.

« T'en finiras jamais avec tes néologismes hein ? Romanomantique à deux sous va ! »

Des chatouilles. J'utilise l'attaque en traître, chopant sa peau sous mes ongles fraîchement bouffés. On fout tellement d'eau par terre avec nos conneries, qu'on va finir à poil contre la faïence, à se peler les meules. Mais terriblement heureux, ça... j'en doute absolument pas. Je n'en doute plus. Grâce à toi.

Ça dure un moment, notre frénésie. Impossible de s'arrêter. Jusqu'à ce que je réalise que la flotte est devenue glacée. Et que mes doigts ressemblent à des knackis trop cuites. Je glousse un peu, exhibe mon corps de déesse en me levant de là, attrapant un bras pleins de chardons à la volée.

« Allez, on sort ? On va finir en mode éponge bouffies. » Je lea tire vers moi, lui vole un dernier poutou avant de me draper dans une serviette molletonnée. « Puis... J'ai envie d'faire à dîner, c'soir ! J'suis chargée à bloc, vous allez adorer ! Mais t'as intérêt à t'accrocher à ton slip, j'fais dans le costaud ! »

J'vais épicer ta vie chéri-e,
Plus que jamais, j'te le garantis !!