◈خطة◈
"Plan"

Inspiration.


Je sais que cela va l'agacer par avance. Je commence à connaitre Enyo, son gout de l'efficacité, de l'ordre, de l'intelligence. Elle jugera la démarche comme celle d'un poisson rouge. Une  sottise mue par le pathos d'un amant pour un autre. Ca ne va pas lui plaire. Elle  va perdre son temps. Elle estime toujours perdre son temps avec Amon.

Expiration.

C'est là que le bas blesse.
Il faut que j'arrive à briser la glace entre ces deux là. Je ne peux plus cacher à Amon ce que je fais : Il me voit partir tôt le matin, sécher les cours de plus en plus régulièrement, il me voit nu quotidiennement ( Impossible de masquer la musculature qui commence à se dessiner et qui fait la fierté d'Elie et suscite les tripotages inopinés de Ciulin. Ces deux là m'en font baver, mais ça paie.), et puis surtout, Amon a débusqué les cadeaux couteux de Nadim : la montre, le costume italien en soi bleue, les clés de voiture (Une Porsche ?! Je n'ai même pas le permis.)... Je suis à court de mensonges convainquants.
Et puis merde à la fin !
Je me force à passer du temps avec mon père, je ne vois pas pourquoi Enyo ne ferait pas un effort avec le sien.

Dans ma tête, tout mon argumentaire est prêt. Je me tourne vers Amon pour passer en revue ce que l'on va lui dire.

- Ca ne va pas lui plaire, tu sais? Vraiment pas lui plaire... Je tripote nerveusement le col de son pull. Ta fille est persuadée que tu n'es pas fiable -ce qui peut tout à fait se comprendre- et elle va détester devoir revoir ses plans, qui eux le sont, pour t'incorporer. Laisse-moi lui expliquer d'abord, ok ? Petit soupir , suivi d'un sourire tendre. Communiquer n'est pas votre fort dans cette famille, hein ?

Je me retiens de l'embrasser même si l'envie m'écorche l'âme. Nous sommes dehors, en public, en plein jour et Nadim me fait toujours surveiller.
Nous entrons dans le garage.

- Enyo ? Tu es là ? Dès que je la repère, je tends les bras en avant en signe d'apaisement. On dirait un dompteur de tigre. Comme quand je suis stressé, mon discours s'affole et je parle à toute vitesse. Alors, oui, je sais ce que tu vas dire, mais avant que tu ne me fasses une sortie cinglante, laisse-moi t'expliquer pourquoi ton père est là. Amon souhaite s'impliquer dans "le plan", il a même quelques idées intéressantes qui pourraient ajouter des options intéressantes - j'ai dis deux fois intéressantes, c'est la preuve que j'en suis tout à fait convaincu - qui pourraient s'avérer pertinentes en cas d'échec. Tu l'as dit toi-même, il faut toujours un plan B, C, D, et couvrir toutes les lettres de l'alphabet si possible... Eeeeeeet je deviens irritant, je le sens à ton imperceptible froncement de sourcils, juste là... dooonc... hum... Je frappe dans mes mains et tente un sourire engageant et pour le moins crispé. Tâchons de tuer Nadim en famille ! Et pour cela, rien de mieux que de mettre à plat nos idées tous ensembles!

Petit moment de flottement.

- Oh.. euh... Et sinon on a pris tes beignets préférés avant de venir. Voilà, voilà.

Bon.
Je ne m'en suis pas si mal sorti.

Souffle chaud dans l'air de l'hiver.

Je me sens différent. Dans un sens, je le suis. J'ai rarement été aussi décidé que depuis ces dernières semaines où ma vie a radicalement changée.
J'ai changé au point de rompre un pacte.
J'ai changé le paradigme d'une alliance tacite.
Enyo va m'en vouloir, c'est certain. Si tant est qu'elle puisse encore éprouver plus de rage à mon sujet.
C'est une réalité que je suis prêt à assumer. Le risque est réel, bien trop prégnant, pour que je fasse davantage la sourde-oreille.

Je ne suis plus ton pantin, Nadim.
Je serais ton sauveur.
Ton ombre n'est plus rien, si ce n'est un souvenir des lueurs passées.

La porte du garage de ma fille nous fait face. Je resserre d'instinct la prise sur le lanière cisaillant mon épaule. Je ne suis pas le plus confiant du monde, là. Mais la tendresse de Nathan possède la force d'illuminer tout un univers. Sa volonté est palpable. Il fait front avec un tel courage que je ne peux que l'admirer. Du haut de sa jeunesse, et en dépit de ses élans candides parfois, voire de son jardin secret bien entretenu ces derniers jours, il a compris bien plus que ce que je pouvais percevoir à son âge.

Ne perd rien de ta splendeur, Najmati,
Resplendis jusqu'au bout de notre éternité...

A ces paroles, je n’arbore qu'un sourire en guise de toute réponse. Plein d'angoisse, au demeurant, mais inutile d'attendre davantage. Nous entrons alors et Nathan prend le temps de se poser en médiateur. Rôle qui s'impose à la situation. Je le laisse s'embrigader dans son discours sincère et touchant. Une folle envie de le prendre dans mes bras s'instigue alors dans mon esprit, mais je la réprime d'un revers de raison. Et une fois que ses mots ont cessé de se précipiter, les miens viennent. Précautionneux. Funambules.

« Je sais que tu souhaitais que je n’intervienne pas. Je sais aussi que je l'avais accepté, lors de notre dernière entrevue. » Je fixe le regard d'Enyo. Nos orbes ébènes se confrontent frontalement. « Mais le fait est que... j'ai réfléchi, depuis. Et je ne peux plus rester dans l'ombre sagement, à attendre que vous preniez les coups à ma place comme si de rien était. Je sais que vous avez déjà beaucoup trop souffert à cause de lui... et de moi, aussi, indirectement. »

Je suis désolé.
Rien ne pourra rattraper le temps que j'ai perdu à fuir la réalité.
Nous sommes immortels et éternels, mais rien ne peut nous forcer à pardonner les erreurs.

« Je... peux vous aider, de manière concrète. D'autant que de nous trois, je reste celui qui connaît le mieux la cible...» Un fait évident que j'ai oblitéré. Nadim est certes une calamité, mais il y a eu un homme derrière cette masse de haine et de douleur. Un homme que ni Enyo, ni Nathan n'ont connu. « Alors j'ai fouillé. J'ai consulté de vieilles connaissances. Et j'ai retrouvé quelque chose qui pourrait nous permettre à mettre un terme définitif à tout ça... »

Je soulève légèrement mon épaule gauche, celle sur qui repose mon fourreau de forme oblongue, descendant jusqu'au milieu de mon dos. Mon cimeterre pèse une tonne. Il sent nos énergies magiques concentrées dans la pièce et il est affamé. Gulzar doit probablement me surveiller de loin, s'il a accepté de me le rendre aussi facilement...

Je laisse le silence retomber. Je réfléchis à mes mots, avant de les laisser germer naturellement. Mon regard cherche celui de ma fille, après être passé tour à tour entre elle et mon amant.

« … Tu as le droit d'être en colère, et de ne plus avoir confiance en moi après ce coup-là. Je ne peux pas te blâmer. J'ai agi comme un poisson-rouge et demeure un insupportable indécis. »

Un soupire emprunt de gêne, de fatalité, avant de continuer.

« Mais un insupportable indécis qui vous aime. Bien trop pour rester de marbre face au danger à venir. »

Et qui mourrait de vous perdre, l'un comme l'autre, à cause de sa propre lâcheté.

Dans un petit sourire, je tend vers elle le sac en papier rempli de beignets, une offrande calorifère cherchant à l'apaiser.

Un traité de paix sucré... ça te plairait, Waladi ?

C'est Norm qui a prévenu Enyo. Il voulait travailler sur sa Triumph pendant que les autres n'étaient pas là. Il contrôle mal sa rage et encore plus mal sa réaction aux moqueries de certains anciens du garage.
Enyo est allée vérifier sur les écrans et quand Norm a vu la tête d'Enyo, il n'a pas cherché plus loin. Il lui a tapoté l'épaule, récupérer son bousin et il est allé s'enfermée dans l'atelier de peinture pour sabler des pièces.
Il a pris un bouquin, aussi. Histoire de.
Il sait parfaitement que ça serait horriblement gênant de sortir alors que ces deux invités sont là. Il connait Nathan, il l'a croisé. Mais la colère de sa patronne ne lui donne pas du tout envie de rester pour dire bonjour. En fait, d'un coup, il se demande bien pourquoi il voulait bosser sur cette putain de Triumph.

Enyo, quant à elle, s'affaire à démonter un vieux pick up américain des années 50. Combinaison nouée autour de la taille et T-shirt grasseux, elle attend qu'ils osent rentrer.
Quand la porte s'ouvre d'un grincement, elle se retourne mécaniquement et détaille le duo.

-Enyo ? Tu es là ?

Elle ne répond pas. Elle l'observe approcher. Elle n'ignore pas pourquoi il est là. C'est devenu très clair dès qu'elle les a vu.

Ca l'agace déjà.

-Alors, oui, je sais ce que tu vas dire.

Ses yeux se plissent légèrement. Irritée. Elle est irritée.

-Mais avant que tu ne me fasses une sortie cinglante, laisse-moi t'expliquer pourquoi ton père est là.

Elle lève les yeux au ciel et pousse un long soupire ennuyé.
D'un coup, les parties de jeu avec Baby Boy lui manque... Plus simple, plus amusant, moins agaçant.
Elle récupère une clé Alène et reprend son ouvrage.

-Amon souhaite s'impliquer dans "le plan", il a même quelques idées intéréssantes qui pourraient ajouter des options intéréssantes.

Deux fois intéréssantes. Il est nerveux? Bien. Il a raison.

-J'ai dis deux fois intéréssantes, c'est la preuve que j'en suis tout à fait convaincu.

Elle arrête le cliquet de sa clé et s'appuie sur le rebord du capot. Gérer la frustration et l'énervement a toujours été compliqué. Elle prend le temps de rationnaliser, de refroidir.

-Qui pourraient s'avérer pertinentes en cas d'échec.

Elle se tourne vers Nathan et hausse un sourcil. Echec? Ce n'est pas une expérience, c'est un meurtre. Il n'y a rien de plus facile que de tuer. Elle contient. Elle ne répond rien. Elle sent que ça ne va pas s'arrêter tout de suite. Elle sait qu'ils vont forcément parler longtemps et ça l'irrite de plus en plus.

-Tu l'as dit toi-même, il faut toujours un plan B, C, D et couvrir toutes les lettres de l'alphabet si possible...

Elle fronce les sourcils légèrement.

-Eeeeeeet je deviens irritant, je le sens à ton imperceptible froncement de sourcils, juste là... doooonc...

C'est exactement pour ça que Nathan a son respect. Il sait - presque - quand s'arrêter.

-Hum... Tâchons de tuer Nadim en famille ! Et pour cela, rien de mieux que de mettre à plat nos idées tous ensembles!

"Nos idées". Enyo ferme les yeux avec lenteur, sa machoire se contracte. Sa main soupèse son outil comme pour jauger de la possibilité de le lancer au visage d'un des deux hommes en face d'elle.

-Oh... Euh... Et sinon on a pris tes beignets préférés avant de venir. Voilà, voilà.

Un léger rire la secoue. Le ridicule de la situation ne lui échappe pas.

-Je sais que tu souhaitais que je n'intervienne pas. Je sais aussi que j'avais accepté, lors de notre dernière entrevue.

Elle observe Amon lui annoncer qu'il a changé d'avis. Une nouvelle fois. Si elle avait été encore jeune et peu expérimentée, la pression de l'air aurait probablement soudainement augmenter. Aujourd'hui, rien ne bouge. Ce n'est pas l'envie qui lui manque et elle se demande sincèrement pourquoi elle se retient.

-Mais le fait est que... j'ai réfléchi, depuis. Et je ne peux plus rester dans l'ombre sagement, à attendre que vous preniez des coups à ma place comme si de rien était.

Une première.

-Je sais que vous avez déjà beaucoup trop souffert à cause de lui... et de moi, aussi, indirectement.

Indirectement, seulement... A la bonne heure.

-Je...peux vous aider, de manière concrète. D'autant que de nous trois, je reste celui qui connaît le mieux la cible.

C'est un fait indéniable et c'est ce qui rend Amon si versatile. Entre autre.

-Alors j'ai fouillé. J'ai consulté de vieilles connaissances. Et j'ai retrouvé quelque chose qui pourrait nous permettre de mettre un terme définitif à tout ça...

Elle observe son mouvement et détaille la dague un instant. Vorace. Elle démonte déjà l'arme dans un coin de sa tête. Une chose la sidère, pourtant : l'idée qu'Amon s'imagine capable d'approcher cette arme assez près de Nadim pour le tuer.

-Tu as le droit d'être en colère, et de ne plus avoir confiance en moi après ce coup-là. Je ne peux pas te blâmer. J'ai agi comme un poisson-rouge et demeure un insupportable indécis. Mais un insupportable indécis qui vous aime.

Ca fait une très belle jambe à Enyo. Comme, d'ailleurs, la collection de promesses non-tenues. Décidément, elle pourra bientôt ouvrir un musée.

-Bien trop pour rester de marbre face au danger à venir.

Enyo regarde le paquet de beignets tendus sans esquisser un geste pour s'en approcher ou l'attraper.
Elle laisse planer un long silence avant de se retourner vers le Pick-up.

-Je tombe des nus... Le grand Amon, retournant une nouvelle fois sa veste... Surprenant, vraiment. Et soutenu par nul autre que son cher et tendre Nathan. Incroyable.

Sa voix est égale. Elle dépose sur la grande bâche au sol les diverses pièces qu'elle a retiré. Elle s'adosse au pick-up pour les observer pendant qu'elle débarrasse ses mains du surplus de graisses.

-Merci beaucoup de me donner le droit d'être en colère et de ne plus avoir confiance. C'est très aimable. lâche-t-elle, sardonique.

Elle dépose le chiffon sur la carrosserie.

-J'ai mis en avant des conditions très claires, il me semble, pour vous débarrasser de Nadim. Simples, précises et claires. Visiblement, c'est encore trop compliqué.

Elle s'étire et son dos craque sinistrement.

-Alors laissez-moi expliciter. Que se passera-t-il lorsque Nadim verra Amon? Qui est, rappelons-le, la pierre de voûte de son obsession?

Elle tourne son regard vers Amon.

-Tu y as réfléchis. Franchement, ça se sent. Vous débarquez tous les deux avec des beignets et une épée magique. Brillant. Le monde est sauvé. J'ai grand hâte de vous voir essayer. Vous remarquerez également que je n'ai pas abordé ma répugnance à travailler au meurtre de qui que ce soit avec la personne la plus sentimentale et la plus indécise que je connaisse. Mais est-ce qu'il est nécessaire de pointer du doigt l'évidence?

Elle hoche la tête.

-Et je suppose qu'il n'y a que moi que ça chiffonne le fait que Nadim vous surveille tous les deux et que soudainement Amon soit aller chercher ce cimeterre. Laisse moi deviner. Il vient de ton passé lointain et sombre. Correct?