Scott regarde le miroitement du soleil d'hiver scintiller sur les flots. Il n'est pas sensible à la poésie. Il laisse ce genre de chose à Declan ou Katie. Il ne retient que les faits, et leur absurdité : la nuit n'est pas encore tombée. Lorsque ce sera le cas, son monde aura changé à tout jamais.

Dix jours.
Dix jours c'est long et court à la fois.

Scott a suivi les recommandations qu'on lui a donné. Il a fait des listes. Les listes c'est important : c'est carré, méthodique, ça ne ment pas. Tu suis la liste et tu fermes ta gueule. Scott apprécie les listes, c'est presque comme suivre une recette mais sans étapes. Dans le désordre. Presque une fantaisie pour lui, d'ordinaire si discipliné.

Avoir la dalle et envie de viande rouge - fait.
Jolhane a alloué une partie du budget des courses de nourriture rien que pour lui  avec, notamment, à l'achat de steaks frais. Magni bave un peu dessus et il n'est pas rare qu'il lui en file un peu.

Avoir des sursauts de colère - fait.
Il en a toujours eu, des éruptions de violence aussi brutales que subites. Il a fallu adapter ses propres mécanismes de désamorçage à sa nouvelle constitution. A ses séances méditatives d'usage du sabre, et l'écriture de son journal, il a ajouté bon nombre d'exercices physiques pour s'épuiser : entrainement au combat rapproché avec Magni, footing en forêt, natation dans le lac gelé.... Mais également, séance de lecture suivie par Alexia, afin de focaliser son esprit et de développer une imagination dont il manque cruellement. Pour supporter la douleur, il faut se bâtir un espace mental dans lequel se réfugier.

Développement des sens - fait.
Conséquences quasi immédiate de sa transformation. Il s'exerce de lui même à sélectionner dans le flot d'informations l'odeur, le son ou l'objet à regarder. Il a vite pigé le truc. Pas plus compliqué que d'appliquer une bonne strat' lors d'un raid MMOrpg.

Développement de la force et du physique - fait.
En dix jours, il a pris plusieurs centimètres au point de dépasser Ryan en hauteur et il a gagné rapidement en muscles. Il n'a plus la carrure d'un gamin de quinze piges mais celui d'un jeune homme de vingt. Il a l'impression d'avoir fait sa puberté en accéléré. Son ainé est franchement dégouté mais Katie le trouve très sexy. Du coup, ce n'est pas désagréable.
La maitrise de sa force est une autre histoire. Il a du mal à faire de la pâtisserie sans péter le matériel qu'il utilise. Il a arrêté de cuisiner, ça demande trop de minutie. Il s'agace de son manque d'aptitude à jauger et mesurer cette force.

Somnambulisme - fait.
Une fois. Il a été rattrapé au fond du jardin par Brainny qui l'a gentiment ramené à son lit en lui racontant une histoire à voix haute. Aucun souvenir.

Il a checké consciencieusement toutes les étapes. A présent il fait face à la plus bizarre et la plus terrible d'entre elle. La transformation. Il prend une grande inspiration et touche son katana à sa ceinture. Il ne pouvait pas partir sans lui. C'est la première fois en deux ans qu'il est seul face à son destin.
Presque.
Il se tourne vers le grand roux au visage austère qui va le chaperonner. Colgan. L'homme ne lui inspire qu'une confiance relative, encore, d'autant qu'il a l'impression que lui non plus ne sait pas dealer avec les émotions. Enfin, il renouvèlera ses impressions si il s'avère vraiment efficace cette nuit. Pour le moment, il n'est pas Magni et encore moins Jolhane. Faudra faire avec.

- Chuis prêt. Allons-y.

Jour de pleine Lune.
Ce soir Quilla brillera de mille feux et appellera les Loups à elle.
Colgan est allé chercher Scott une heure et demie avant le coucher du soleil. On n’est jamais trop prudent. Il a laissé le gamin profiter des derniers rayons du soleil.

- T’inquiète pas, tu le reverras demain.
- Chuis prêt. Allons-y.

Colgan hoche simplement la tête et le guide à travers les allées presque désertes dans cette partie des docks désaffectée. Les hangars ne semblent tenir que par miracle et ont été délaissés petit à petit car finalement trop loin du port. Ils sont maintenant le repère de la vermine et d’autres parasites plus grands et plus dangereux. L’Alpha y évolue pourtant sans aucune crainte. Il en connait les allées et les culs de sac par cœur, le KG de la meute n’y est pas loin mais ça n’est pas là qu’il l’amène aujourd’hui.
Il entre finalement dans une modeste bâtisse dont le toit semble vouloir s’écrouler d’un instant à l’autre. Juste en apparence, il s’est assuré qu’il tiendra. Il zigzague entre les dépris jusqu’à une lourde porte de métal qui mène en sous-sol.
Colgan en ouvre le battant sans effort, alors que le métal semble pourtant lourd. D’un geste du menton, il invite l’adolescent à s’engouffrer dans le passage et les escaliers qui s’enfoncent dans le noir.

- Interrupteur à droite, lui rappelle-t-il avant passer à son tour. Il referme derrière lui, enfile d’épais gants en peau et scelle la porte avec de lourdes chaines et un cadenas en argent.

- Avance jusqu’en bas.

Nouvelle porte, déjà ouverte celle-ci, qui donne sur une large pièce, pas très haute de plafond et qui devait servir d’entrepôt plus ou moins légal. Les murs sont recouverts de vévés et de symboles en tout genre qui échappent à la compréhension de Colgan. Mais il fait confiance à Ebène et sait cette pièce parfaitement à l’épreuve dont ce qu’on lui demande. Pas de meuble, évidemment et une lumière blafarde au plafond. Le grand roux referme verrouille la porte de la même façon puis se tourne vers l’adolescent en enlevant ses gants.

- Voilà, on est installé pour la nuit.
Se rappelant que l’adolescent à besoin de choses concrètes pour interpréter les choses, il vient poser une main rassurante sur son épaule. Geste tactile peu habituel chez lui et qu’il ne réserve qu’à sa meute, Marisol et Bertus…avant.
- T’en fais pas, Scott. Tout ira bien. Essaie de te détendre. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire mais ne pas lutter contre la transformation et ne pas crispe tes muscles, ça facilitera la transition.

Colgan pousse un bref soupir et indique un coin où se trouve un sac.

- Des vêtements de rechange pour demain matin. Il tente de se montrer rassurant en parlant du lendemain. Tu vas exploser les tiens. Il montre son sabre du menton. Tu ferais mieux de l’enlever, tu risque de l’abîmer. Garde le juste près de toi si t’en as besoin.

Colgan s’assoit en tailleur au sol et l’invite à le rejoindre. Après un coup d’œil à sa montre il reprend.
- On a encore quelques minutes. Tu vas te transformer en premier et je suivrai après. Je pourrais pas me retenir non plus de toute façon. Ensuite…ensuite il est possible, voire probable que tu veuilles te battre avec moi. C’est pas un soucis, c’est même normal. Si tout va bien, je te bas et te soumets. Rien de méchant si ce n’est pour l’égo. Il ajoute avec un sourire. Dans le cas contraire, c’est toi qui deviens l’Alpha de la meute. Tu veux qu’on parie ?  

Il retire simplement sa veste qu’il préfère conserver entière. Il a exprès choisi un tee-shirt à lui que Marisol a porté toute la journée, juste pour l’avoir un peu avec lui ce soir. Il n’est plus habitué aux pleines lunes sans elle.

- Si tu as des questions c’est maintenant ou jamais ? Sache simplement que tu n’es pas seul. Je serai là à chaque pas. Pas certain que ça te rassure vraiment hein ?

Scott suit Colgan sans un mot superflu. Ils sont économes en palabres, l'un comme l'autre. Si l'adolescent n'est pas rassuré, il n'en montre rien. De tous les Enfant Perdus c'est celui qui dissimule le mieux ce qu'il pense. Cependant, il garde la main sur la garde de son katana, comme une veilleuse dans le noir.

- Quartier sordide, hangar miteux, couloir obscur... Très repaire de serial killer conclue-t-il en allumant l'interrupteur.
- Avance jusqu’en bas.

Le jeune garçon s'exécute, lorgnant tout autour de lui avec une curiosité d'animal méfiant. Tout ces symboles bizarres aux formes tarabiscotées l'amènent à penser à Declan. Brainny adorerait sans doute étudier ces machins.

- Voilà, on est installé pour la nuit.

Scott pose ses prunelles bleues et inquisitrice sur Colgan. Il semble chercher quelque chose sur le visage de son interlocuteur qu'il a du mal à trouver. Il conserve toujours une attitude un peu sur la réserve. La paluche sur son épaule a la même poigne que celle de Magni. Rassurant.

- T’en fais pas, Scott. Tout ira bien. Essaie de te détendre.
- Chuis pas tendu... fait-il avec un froncement de sourcil. Est-il vraiment tendu ?
- Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire mais ne pas lutter contre la transformation et ne pas crisper tes muscles, ça facilitera la transition.
- Ah. C'est ça, tendu. C'est logique, remarque...

Comme un sportif faisant quelques échauffements, il roule des épaules et les relâche, puis bringuebale ses bras pour les amollir.

- Des vêtements de rechange pour demain matin.
- Pourquoi ?
- Tu vas exploser les tiens.
- J'ai cru qu'il allait falloir que je me foute à poil intégral devant toi. J'aurais pas kiffé.
- Tu ferais mieux de l’enlever, tu risques de l’abîmer. Scott a une expression, rare et enfantine, de petit garçon qui renâcle à obéir. Garde le juste près de toi si t’en as besoin.
- Ok.

L'adolescent retire le baudrier qui retient le katana dans son saya et pose le tout à cinquante centimètres de lui. Une distance qu'il juge raisonnable pour ne pas l'abîmer tout en le gardant en vu. Il s'assoie en tailleurs avec son... son "quoi" au juste ? Il opte mentalement pour mentor.

- On a encore quelques minutes. Tu vas te transformer en premier et je suivrai après. Je pourrais pas me retenir non plus de toute façon.
- Ok.
- Ensuite…ensuite il est possible, voire probable que tu veuilles te battre avec moi. Scott a un petit ricanement. C’est pas un soucis, c’est même normal. Si tout va bien, je te bas et te soumets. Rien de méchant si ce n’est pour l’égo.
- Et si je gagne ? fait le presque jeune homme avec un sourire en coin de petit malin.
- Dans le cas contraire, c’est toi qui deviens l’Alpha de la meute.
- Intéressant.
- Tu veux qu’on parie ?
- Me tente pas, je suis joueur... ceci dit j'y crois pas trop. T'es loup depuis combien de temps ? Moi ça fait que dix jours.

Scott continue de fixer Colgan de son oeil scrutateur, comme s'il tentait d'analyser le moindre geste. Il fronce le nez, perturbé un instant par la fragrance féminine qui émane des vêtements de son mentor.

- Si tu as des questions c’est maintenant ou jamais ? Sache simplement que tu n’es pas seul. Je serai là à chaque pas. Pas certain que ça te rassure vraiment hein ?
-[color=#666600] Je préférais être avec Jolhane. Même Magni ça m'irait. Haussement d'épaules. Mais sinon ça me fait ni chaud ni froid. Ce T-shirt... Y sent hyper fort et c'est pas ton odeur. C'est celle de qui ?demande-t-il avec une sorte de grimace.... Pendant la transformation, je saurais que je suis là ? Je veux dire... j'aurais conscience de mes actions ou j'en aurais aucun souvenir ?

Scott gigotte, incapable de rester calme. Il a le palpitant un peu énervé, les paumes moites et ses jambes repliées s'agitent comme les ailes azimutées d'un insecte. Katie lui a déjà expliqué, que ça, c'était la manifestation de son angoisse.
Néanmoins, il n'y a pas que cela...
Il sent le jour qui tombe comme si il avait le nez dehors. Une espèce de picotement électrique lui hérisse le poil des bras et grêle sa peau. Son sang gonfle ses veines au point d'en être désagréable. Son coeur pompe vite. La lune monte, il en est presque certain. Son corps le sait et n'attend que ça. Scott déglutit.

- Se détendre... répète-t-il en inspirant par le nez et en soufflant fort. Pas se crisper. Se détendre. Pas se crisp...AAaAAAAh !

Première contraction. Première alarme.
L'adolescent se tient le plexus comme si on le lui avait écrasé. Ensuite, il a la sensation qu'une main invisible lui attrape la colonne vertébrale et disloque chaque vertèbre comme on jouerait avec les perles d'un collier sur leur fil. La face rougeaude, constipée de souffrance, il se trouve bientôt à quatre pattes, secoué d'halètements rauques et de gémissements. Il bave abondamment sur le sol. Ses muscles le brulent, son sang boue, il a envie de s'arracher la peau. Va-t-il exploser comme une cocotte-minute ? Son corps produit des bruits sinistres d'os qu'on concasse. Le pire est sans doute quand ses jambes s'arquent au point de retourner la rotule à l'envers. C'est au delà de tout ce qu'il a connu en terme de douleur. Il n'a aucune conscience de pleurer tant il a l'impression que ses yeux veulent sortir de sa tête.

C'est là, que sa conscience d'humain abandonne et que celle la Bête prend le relais.

- Tu veux qu’on parie ?
- Me tente pas, je suis joueur... ceci dit j'y crois pas trop. T'es loup depuis combien de temps ? Moi ça fait que dix jours.
Colgan a à nouveau un mince sourire.
- Pas beaucoup plus longtemps que toi. Trois ans.

Et même pour lui tout lui semble être allé très vite. Le contrôle de sa nature, son adhésion chez les Abyssaux et surtout son ascension en tant qu'Alpha. Evidemment, il est tout à fait conscient qu'il doit tout ça à Marisol...et Ch'aska.

- Si tu as des questions c’est maintenant ou jamais ? Sache simplement que tu n’es pas seul. Je serai là à chaque pas. Pas certain que ça te rassure vraiment hein ?
- Je préférais être avec Jolhane. Même Magni ça m'irait.
- Je comprends. Je te demande de me faire confiance alors que j'ai encore rien fait pour la mériter. Et je dois t'avouer que moi aussi ça me fait bizarre de passer cette pleine lune avec toi, tout seul. Mais, ajoute-t-il avec un haussement de sourcil et un regard pénétrant, ce soir je suis là pour toi.
- Mais sinon ça me fait ni chaud ni froid. Ce T-shirt... Y sent hyper fort et c'est pas ton odeur. C'est celle de qui ?
- T'es bien curieux toi... je pensais à des questions...moins personnelles...t'inquiète pas, tu vas la rencontrer, tôt ou tard. Elle est ma partenaire. Dans tous les sens du terme. Elle dirige la meute avec moi.
- Pendant la transformation, je saurais que je suis là ? Je veux dire... j'aurais conscience de mes actions ou j'en aurais aucun souvenir ?
- Non, il y a peu de chance. Contrôler la bête est une épreuve en soi, tu n'en seras sans doute pas capable avant un moment. Surtout pas pendant la pleine lune. Sauf aux côtés de la meute.

Colgan scrute l'adolescent avec un regard aussi perçant qu'un oiseau de proie. Il gigote nerveusement, ses membres s'agitent de façon incontrôlable et lui aussi commence à percevoir la montée de Quilla dehors. Un frisson dégringole sa colonne vertébrale et il sent déjà les premières tensions de son corps.

- Tu la sens ? Ca arrive... Tout va bien se passer... détends-toi... souffle et laisse ton corps faire. Il sait ce qu'il fait. Il le fait juste avec la délicatesse d'un trente-six tonnes.
- Se détendre...Pas se crisper. Se détendre. Pas se crisp...AAaAAAAh !

Colgan assiste impuissant à l'agonie - car il s'agit bien de cela - du pauvre adolescent. Plus que jamais, il trouve toute cette situation foutrement injuste et sa volonté de l'aider ne fait que se renforcer. Il pose la main sur sa tête renversée vers l'avant et lui parle, tente de lui explique ce qui se passe exactement. L'appel de l'astre commence également à être difficilement gérable pour lui et son cou se crispe tellement qu'il est obligé de le faire craquer pour le soulager. Il attend patiemment la métamorphose de l'adolescent en puissant canidé. Il grimace en entendant ses gémissements et ses cris de douleur qui semblent ne plus en finir.

Il a oublié combien la première transformation est longue. Enfin se tient à la place de Scott un loup à la taille moyenne, une fourrure tirant oscillant entre le blanc et le doré et des yeux entre le bleu et le violet. Il secoue le museau, désorienté et Colgan, la main toujours fermement posée sur la tête poilue, déclare d'une voix sereine et sans aucune crainte.

- Salut, Scott-Loup. Sens moi, regarde-moi, à partir de cette nuit, je suis ton Alpha.
Le loup redresse la tête et recule en grondant, les yeux fous, babines retroussées près à bondir sur lui.
- Ouais... je me doutais que t'aillais dire ça...

Il retire son tee-shirt - comptant bien le rendre à Marisol - et laisse venir le loup à lui.
Si la métamorphose est toujours aussi douloureuse, elle est bien plus rapide et ne dure que quelques secondes. Secondes que met à profit le jeune loup pour lui sauter dessus. Colgan le laisse se défouler, faisant durer bien inutilement le "combat". Mais évidemment il finit rapidement par prendre le dessus et oblige le jeune loup à se mettre à terre en lui montrant le ventre. Alors seulement il lui permet se retourner et vient lui mordre gentiment l'arrière du cou. Scott-Loup tente d'échapper à son étreinte. Colgan gronde de mécontentement et ressert ses mâchoires puissantes jusqu'à ce qu'il cesse toute tentative de rébellion. Il le relâche, satisfait et lui donne un coup de patte affectueux avant de bondir un peu plus loin, dans une attitude joueuse digne d'un jeune chiot fou.
Par le biais du jeu, il tente de lui apprendre à le suivre, à s'arrêter lorsqu'il le demande, à laisser son esprit espiègle se manifester autant que le reste. Pour prouver à la Bête que son existence ne se résume pas qu'à la chasse et qu'il n'est pas seul.

Vois rien.

Pas ciel.
Pas lune.

Forêt ?
Où t'es ?

Gris.
Mur.
Fermé.

Prison.

Odeur.

Autre.

Lui.

Lui et....elle ?

Sais pas.
Méfiance.

QUI ?
Ennemi ?
Ami ?

Sais pas. Sais pas. SAIS PAS !

ATTAQUER.

Le jeune loup qui gronde, babine retroussées, recule et trépigne. Son inquiétude le pousse à sauter sur cet autre, cet inconnu, cet étranger. Ce semblable. Il mord, donne des coup désordonnés, découvre que ses griffes peuvent surgir à sa convenance pour larder. Rien ne semble faire effet. L'autre Loup encaisse sans broncher.

Méchant.

Vieux.

Roux

Le louveteau tente, feinte, rage. Il s'agace et s'énerve, pense stupidement avoir le dessus dans ce jeux de crocs. Et puis soudain, le voilà à terre, sans comprendre comment. Le vieux loup roux le surplombe avec une aura de conquérant. Le jeune loup blanc ploie les oreilles en arrière, terrorisé.

Mourir.

Veux pas!

Lorsque son ainé penche le museau vers son cou et le mord, il se débat, tente vainement de s'échapper en couinant d'effroi. son coeur affolé soulève et dégonfle sa jeune poitrine à une vitesse folle.

Laisse-moi !
Laisse-moi !
Laisse-moi !

Le vieux loup gronde, mord plus fort.
Et, brusquement, ses muscles se détendent. Son cœur décélère. Il vient de comprendre. Son adversaire ne mord pas dans l'intention de le blesser, simplement pour l'informer de sa supériorité en tant que mâle et figure d'autorité.

Alpha.

Le cadet se soumet, oreille basse, langue pendante. Le petit coup de patte affectueux lui fait redresser la tête. L'invite au jeux est accueillie avec un aboiement curieux. Il n'a pas l'air de comprendre. Mais, voyant le vieux loup roux batifoler gaiment, il s'approche.

Jouer ?

Colgan voit que le jeune loup semble intrigué et méfiant tour à tour. Il grogne doucement, jappe un peu. La nuit est à la fois longue et courte, mais l'énergie de Scott semble inépuisable, il fait mine de gronder plusieurs fois après la porte puis couine en grattant.
"Je sais que tu veux sortir, petit. Pas encore. Tu n'es pas prêt."
Il ne lui fait pas comprendre de cette façon évidemment et se contente de le réprimander gentiment, puis en insistant si nécessaire.
Ils batifolent une bonne partie de la nuit. Leurs corps ont besoin de se défouler, de laisser exploser l'énergie animale et puissante dont ils regorgent. Parfois il tentera de l'attaquer par jeu souvent, d'autre fois simplement parce qu'il essaie de tester son Alpha.
Colgan accueille toutes ses démonstrations avec calme et patience, le mordillant simplement pour le réprimander lorsqu'il estime qu'il va trop loin. Il lui apprend à sprinter et à dévier sa course au dernier moment, manière de familiariser le nouveau membre de la meute avec la longueur et la puissance de ses quatre membres.
Puis il le laisse continuer seul, Scott-Loup ne semblant pas se lasser de l'exercice, la langue pendante comme s'il était content.

Colgan s'affale sur le sol, la patte possessivement poser sur le tee-shirt pour le renifler de temps en temps, et l'observe. Malgré son jeune âge, il s'en sort très honorablement et l'approche par le jeu semble avoir fonctionner sur lui, il s'en donne à cœur joie et oublie qu'il est enfermé, que son instinct lui commande surement de chasser, d'attaquer et de tuer.

Plusieurs fois dans la nuit, c'est lui qui lui demandera de se soumettre à son autorité, sans être menaçant, simplement pour réaffirmer son statut, l'intégrer dans l'instinct du Loup aussi surement que le reste. Il sera contraint d'y aller plus fermement une ou deux fois, allant jusqu'à le mordre à nouveau, une simple et légère pression de sa mâchoire.

Comme à chaque fois, il a l'impression que le temps passe plus vite dans sa peau lupine et la course de Quilla touche déjà à sa fin. Colgan reprend forme humaine avant lui, quelques minutes avant le lever du jour. C'est sous cette forme là qu'il se présente à nouveau au Loup et tend simplement la main vers lui.

- C'est toujours moi. Tu sais qui je suis...

Satisfait de la réaction du canidé, il lui dédie un vrai sourire et passe ses doigts dans sa fourrure toute douce.

- C'est ça. Bienvenue dans la meute petit Loup.

Il le câline autant que possible avant de reculer.

- Bon je vais peut-être m'habiller avant qu'on soit tous les deux nus dans la pièce. Je sens que ça te gênera.

Sans lui tourner le dos, il réenfile un nouveau pantalon et son tee-shirt qu'il fait d'abord sentir à Scott.
- Tu sens cette odeur ? C'est notre étoile, celle qui nous guide et veille sur nous. Tu lui devras autant de respect qu'à moi.

Il dépose des vêtements pour lui sur le sol et attends. Lorsqu'il sent que l'ado repointe le bout de son nez, il se retourne pudiquement et attend le silence, annonciateur de la fin de cette nuit. Il vient poser sa main sur le dos courbé de Scott.
- Bravo petit, t'as assuré. Tu peux être fier de toi. Je l'ai dit au Loup, je vais maintenant te le dire à toi. Bienvenue dans la meute. Habille toi, on va aller baffrer tu dois avoir la dalle comme moi.

Il lui tourne à nouveau le dos pour lui laisser un moment d'intimité et en profite pour remettre ses gants et ouvrir la porte. Alors qu'il remonte lentement vers la lumière pâlotte de ce début de journée, il lui demande sur un ton plein de compassion.
- Comment tu te sens, Scott ?

La Nuit se déroule entre jeux, actes de reconnaissance et tests des limites. Le louveteau ne comprend pas les empreintes sur les murs, ni à quel sorte d'animal elles appartiennent. Il repère la porte brillante, tente de gratter, mais le métal brûle ses coussinets et le font couiner d'incompréhension et de douleur. Ce n'est pas comme le bâton rouge. Son contact est froid, familier, rassurant sur le bout de son museau.
Puis vient le crépitement de l'aube. Comme la lune montante, il la sent sans la voir. Un bourdonnement dans les os, une étincelle dans la nuque.
L'alpha se transforme soudain en humain. Le jeune loup piaule déboussolé, tourne en tout sens, sur place, inquiet.

Loup ?
Humain ?
Loup ?
Humain ?

- C'est toujours moi. Tu sais qui je suis...

Prudemment, il vient renifler la paume de l'homme. L'odeur est la même avec ce reliquat d'autre. Le louveteau s'apaise et lape les doigts de l'humain.

Alpha.
Loup ET homme.

- C'est ça. Bienvenue dans la meute petit Loup.

La caresse est agréable et le sourire lui fait chaud en dedans, comme la tendresse ensoleillée d'un ciel d'été. Il ne comprend pas qu'il éprouve de la fierté de rendre son alpha content de lui. Il ouvre la gueule, langue pendante, cherchant à lécher le visage de son ainé sous sa peau d'homme. Toutes les démonstrations d'approbation et d'affections semblent être accueillies avec l'ivresse un peu folle de sa jeunesse. Scott, le loup, est plus limpide et puérile que son lui humain.

- Bon je vais peut-être m'habiller avant qu'on soit tous les deux nus dans la pièce. Je sens que ça te gênera.

Quelques secondes plus tard, il lui tend un morceau de tissus qui sent fort ce "elle" qu'il ne connait pas encore.

- Tu sens cette odeur ? C'est notre étoile, celle qui nous guide et veille sur nous. Tu lui devras autant de respect qu'à moi.

Etoile....
Comme Lune ?

Il ne s'interrogera pas d'avantage.

Le processus de métamorphose s'enclenche en sens inverse. Il est tout aussi douloureux et désagréable que le premier et laisse Scott exténué. Le souffle rauque, la peau en sueur, il sent la souffrance logée dans la moindre parcelle de son être. Il reprend longuement conscience de lui-même. Son esprit brumeux ne lui laisse absolument aucun souvenir, juste des impressions fugaces. Il met du temps avant de bouger, de relier ses doigts qui frémissent à une main, un bras, un corps qui lui appartient, à lui.
Il se redresse finalement, touchant inconsciemment sa nuque, comme pour chercher une preuve de quelques chose qui lui a fortement imprégné l'esprit. Rien. Il devra donc se fier à son instinct. Et puis, il sent une paume sur son dos. Colgan.

Alpha.
C'est ce que ça cervelle lui hurle.
Son instinct le confirme.

- Bravo petit, t'as assuré. Tu peux être fier de toi.

Accélération du rythme cardiaque. Sensation d'avoir une petite Marnie qui lui sautille dans le ventre. L'adolescent perçoit son propre sourire, après coup. Il se touche le visage avec un froncement de sourcil incrédule.

- Je l'ai dit au Loup, je vais maintenant te le dire à toi. Bienvenue dans la meute. Habille toi, on va aller baffrer tu dois avoir la dalle comme moi.
- P'tain, ouais. J'pourrais m'taper trois ou quatre burgers king size!

Scott s'habille en silence et avec des grimaces à chaque entournure de manche. Il ne se sent vraiment lui, qu'une fois le katana harnaché à sa hanche. Remonter les escaliers se révèle être épineux. Chaque marche est une épreuve en soi.

- Comment tu te sens, Scott ?
- Comme un mec qui s'est fait rouler dessus par un Monster Truck. Plusieurs fois.

Dehors, le matin a remplacé l'aube. Le ciel irlandais est couvert de nuages épais qui laissent peu filtrer la lumière. Il fait froid, aussi. La brise légère apporte avec les embruns, les notes d'une fragrance plus délicate, plus féminine. La fameuse "partenaire".
Une femme sculpturale, parée de noir, couverte d'un grand manteau cintré au col remonté les attend assise sur le capot d'une voiture, dans un coin d'ombre. Elle tient un parapluie alors qu'il ne pleut pas et porte des lunettes de soleil.

- Salut les garçons ! fait-elle avec un sourire que Scott trouve très joyeux. Il n'a que le sourire de Katie pour faire comparaison et il les trouve assez semblables.
- C'est ta meuf ? Il surprend le regard de Colgan et, alors qu'il n'en aurait rien fait avant cette nuit, il corrige aussitôt. ... Ta partenaire, j'veux dire.
- Oui, c'est moi.

Elle approche et retire ses lunettes de soleil. Scott s'est toujours foutu des filles, mais celle-ci, il doit le reconnaitre, est sacrément jolie. Et d'aussi près son odeur est si entêtante. Marisol gratouille le bouc de Colgan avec une moue malicieuse.

- Fais pas cette tête! J'aime pas être séparée de toi pendant les nuits de Quilla-la-Grande. Et puis je me suis dit que ton louveteau aurait mal partout et que ma voiture ce serait une bonne idée. Tu dois être Scott , n'est-ce pas ? Je suis enchantée de faire ta connaissance. Je m'appelle Marisol.

Elle lui colle un bécot sur la joue et le visage du blondinet chauffe brutalement à l'étuvée. Il a les joues rouges, le palpitant qui va vite et les sourcils froncés. Il regarde Colgan complétement décontenancé. Il a jamais connu un truc comme ça. Il en perd une éloquence qu'il n'avait déjà pas.

- S.. Salut, finit-il par balbutier en se frottant la joue avec un air de gosse renfrogné.

Marisol avec un rire mélodieux et beaucoup trop éclatant pour lui.

- Allez, venez les beaux gosses! Je vous emmène au Gontr'hamburger dans mon carrosse! Ils ont le meilleur brunch de la ville. Vous devez crever de faim et c'est moi qui offre!

Elle ferme son parapluie et monte dans la voiture en remettant ses lunettes de soleil. Les vitres du véhicule sont teintées.

- Comment tu te sens, Scott ?
- Comme un mec qui s'est fait rouler dessus par un Monster Truck. Plusieurs fois.

Colgan lui jette une œillade amusée.
- Tu t’y feras… Pour être franc…je pensais pas que ça se passerait aussi bien…à cause de ta jeunesse…

Sortis du hangar, Colgan se fige en voyant la silhouette familière et toute en courbe de celle qui partage sa vie.  Une partie de lui, qu’il cache évidemment bien, est à la fois heureuse et soulagée de la voir – quelques heures sans elle et il est déjà en manque…ridicule… - l’autre est furieuse de la savoir dehors.
Il plisse les yeux en direction de la jeune femme, mâchoires crispées.

- Salut les garçons !
- C'est ta meuf ? Cette fois c’est le garçon qui a le droit à son regard meurtrier... Ta partenaire, j'veux dire.
- Oui, c'est moi.

Sans qu’il ne se l’explique vraiment il ressent le besoin de la prendre dans ses bras. Il y a quelques mois, quelques semaines même, il aurait sans doute refreiné cette envie. Mais la nuit a été rude même pour lui, n’ayant plus l’habitude de vivre les pleines lunes loin d’elle. Alors il passe un bras autour de ses épaules et la serre un instant contre en laissant filtrer un bref soupir de contentement avant de reculer et de poser ses deux mains sur ses épaules, l’expression franchement réprobatrice.

- Fais pas cette tête !
- Je fais la tête que je veux et qu’est-ce que tu fiches dehors en plein jour !
- J'aime pas être séparée de toi pendant les nuits de Quilla-la-Grande.
- Moi non plus ! Mais tu pourrais te blesser idiote ! Malgré la rudesse des mots, son ton se fait presque doux.
- Et puis je me suis dit que ton louveteau aurait mal partout et que ma voiture ce serait une bonne idée. Tu dois être Scott, n'est-ce pas ? Je suis enchantée de faire ta connaissance. Je m'appelle Marisol.
- Tu auras reconnu l’odeur je suppose. Je t’ai déjà présenté au Loup, précise-t-il à la jeune femme.

Colgan s’amuse de la réaction de Scott à l’apparition de sa compagne. Il lui tapote amicalement le haut du dos.
- Ouais c’est l’effet qu’elle fait sur beaucoup de monde. J’étais pas bien mieux la première fois. Ça par contre, je suis pas sûr que tu t’y habitudes.
- S.. Salut.
- Allez, venez les beaux gosses ! Je vous emmène au Gontr'hamburger dans mon carrosse ! Ils ont le meilleur brunch de la ville. Vous devez crever de faim et c'est moi qui offre !
- Si c’est toi qui offre…

Colgan monte à l’avant et se frotte la nuque, les muscles encore raidis par la brutale transformation et jette un coup d’œil à l’arrière. Il ouvre la boite à gants et en sort une gourde pleine d’eau de coco. Sa cache personnelle.

- Tiens, c’est bon pour les raideurs musculaires. Bois. Il a eu une première nuit difficile mais il s’en est sorti comme un chef. Dans quelques temps Marisol m’accompagnera dans cette pièce avec toi. Quand il n’y aura plus de risque.

Il prend soudain la main de Marisol et y dépose un baiser, sa colère finalement vite oubliée une fois à l’abri de la voiture.

- Avoue que t’étais simplement curieuse de rencontrer le membre le plus jeune de la meute. Officiellement depuis cette nuit. Ton toi Loup était un peu récalcitrant à l’idée de me reconnaitre comme Alpha. Boule de poil têtue !  

Scott s'installe sur la banquette arrière, pas franchement à l'aise. Tout l'habitacle porte l'empreinte de leur odeurs mêlées. Il pose son sabre à plat sur ses cuisses. Marisol retire ses lunette de soleil et ses gants.

- Attache ta ceinture, chaton.
- Ah.. euh... ouais, fait-il un peu troublé.
- Tiens, c’est bon pour les raideurs musculaires.

Colgan lui tend une gourde. Suspicieux, Scotty la renifle.

- C'est quoi c'truc ?
- De l'eau de coco ! Colgan a raison, c'est vachement efficace.
- Chuis pas chaud....
- Bois.

Quelque chose le pousse à obéir, à coller sa bouche au goulot et avaler plusieurs gorgées.

- C'est pas si dégeu....
- Il a eu une première nuit difficile mais il s’en est sorti comme un chef.
- Wow, t'es jamais aussi encourageant d'habitude! Il a dû être sacrément combatif.

Encore une fois, l'adolescent a l'impression que quelque chose pétille dans sa poitrine. Il se gratte inconsciemment le torse. Il nage un peu dans ses fringues trop larges. Elles portent l'odeur de Colgan sous le parfum de lessive, ce doit être les siennes. Pourquoi il a chaud aux joues comme ça ?

- T'as l'air pas mal noué toi aussi, remarque Marisol en massant délicatement la nuque de son compagnon. Faudra que je m'occupe de ça à la maison...
- Dans quelques temps Marisol m’accompagnera dans cette pièce avec toi.
- Ah.. Ah ouais ?
- Quand il n’y aura plus de risque.
- J'ai hâte rencontrer ton toi loup.
- Mais... euh.. je vais être tout nu....

Marisol glousse d'amusement devant cette mignonne objection.

- Promis, je regarderais pas!

Colgan attrape les doigts délicats de Marisol pour les embrasser. Scott détourne les yeux par reflexe. Les gens qui se papouille le dérange mais il n'arrive pas à dire en quoi. C'est hyper chiant, à la baraque, de tomber sur Jolhane et Magni qui pensent être discrets...

- Avoue que t’étais simplement curieuse de rencontrer le membre le plus jeune de la meute.
- C'est paaaas impossible, réplique l'intéressée en battant des cils et en volant un baiser à sa bouche. Elle se tourne ensuite vers Scott.
- Bienvenue dans les Abyssaux, Scott!
- Officiellement depuis cette nuit.
- Chuis pas de votre meute. J'en ai déjà une... bougonne le gamin.
- Ouuuh un rebelle ! Je comprends mieux tes crispations, taquine-t-elle envers Colgan tout en démarrant la voiture.
- Ton toi Loup était un peu récalcitrant à l’idée de me reconnaitre comme Alpha. Boule de poil têtue !
- 'Parait que chuis buté, ouais. Sourire de petit con. Chais toujours pas en quoi ça consiste "Alpha".... En gros t'es mon "maitre bushido", c'est ça ?

La route des docks au restaurant style drive-in année 50 prends une poignée de minutes. Le Gontr'Hamburger est déjà ouvert et accueille quelques travailleurs matinaux mais surtout des militaires en fin de patrouille. Marisol choisit de s'installer loin des fenêtre dans une alcôve pour quatre, pas loin du jukebox qui crache déjà quelques vieux standards blues. Elle leur désigne la carte.

- Faites vous plaisir les gars !

- Avoue que t’étais simplement curieuse de rencontrer le membre le plus jeune de la meute.
- C'est paaaas impossible.

Un peu gêné par cette démonstration d'affection en présence de l'ado, Colgan marmonne dans sa barbe.

- Bah tiens...comme si je te connaissais pas...
- Bienvenue dans les Abyssaux, Scott!
- Officiellement depuis cette nuit.
- Chuis pas de votre meute. J'en ai déjà une…
- Eh ben on sera là deuxième. T'en as de la chance dis donc...t'inquiète pas on va pas se substituer à ta famille. J'ai bien compris que les liens qui vous unissent dépassent largement ce cadre. Nous on sera là en cas de besoin et pour ton toi-Loup. Ce qui fait que si ta première meute est dans la merde, on sera là. Ce qui t'es arrivé...on fera en sorte que tes frères et sœurs aient jamais à le subir.
- Ouuuh un rebelle ! Je comprends mieux tes crispations.
- Ton toi Loup était un peu récalcitrant à l’idée de me reconnaître comme Alpha. Boule de poil têtue !
- 'Parait que chuis buté, ouais.
Colgan se tourne un peu pour mieux l'observer, sourcil arqué.
- Je rêve ou t'en es fier ?  
- Chais toujours pas en quoi ça consiste "Alpha".... En gros t'es mon "maitre bushido", c'est ça ?

Cette fois Colgan pivote à moitié sur son siège pour regarder l'adolescent dans les yeux, établissant un contact visuel avec lui.

- C'est ça...je vais te "former" à être un vrai Loup-Garou, pas juste un psychopathe amateur de chair humaine. Le simple fait d'avoir un Alpha et une meute va t'aider à te contrôler mieux et plus rapidement. Si t'as le moindre soucis avec ta part lupine...je suis là. Pour tout autre problème aussi d'ailleurs. On se sert les coudes, on se comprend. Et je veillerai sur toi les nuits de pleine lune jusqu'à ce que je considère que t'as plus besoin de moi pour contrôler ta part animale. Si t'as peur de faire du mal à ta famille...on ira tous les deux dans le bunker ou en forêt pour te laisser te défouler. J'ai...ou je vais acquérir de plus en plus d'autorité sur ton loup. Mes ordres...disons qu'ils utilisent une corde qui vibre en toi comme si elle nous reliait tous les deux. Il en fait la démonstration en mimant de la main un lien entre eux partant de sa gorge à lui jusqu'au coeur de Scott. Tu vois quand je t'ai demandé de boire ? T'as pas senti un truc ? Comme une sorte de picotement dans le cou et l'envie de m'obéir ? C'est ça "la voix" de l'Alpha. T'inquiète pas j'en abuse pas et si tu sens que c'est trop, tu me reprends. Ça te va ?

L'ambiance chaleureuse et détendue du Drive-in a toujours plu à Colgan. Une fois installé sur la banquette à côté de Marisol, il s'affale un peu, vidé, épuisé et affamé. Veiller sur les nouveaux et s'instaurer comme leur Alpha demande une énergie certaine.

- Faites vous plaisir les gars !
Il pousse le menu vers Scott.
- T'as entendu la dame ?...Sers toi. Et lésine pas. T'as brûlé beaucoup d'énergie !

La remarque claque sans doute un peu trop sèchement et il la ponctue d'un fantôme de sourire. Une fois le choix du gosse fait. Il rajoute deux bergers double steaks et des œufs. Il a un petit sourire d'excuse vers Marisol et caresse sa joue de son index.

- Désolé pour ton porte- monnaie...tu sais comment c'est… Il ajoute à l'intention de Scott. T'iras mieux après. Une fois que tu seras requinqué on te ramènera chez toi. Je suis certain que Maman Renarde et Papa Ours se font du mouron pour toi. Comme le reste de ta tribu d'ailleurs. Ça m'étonnerait pas qu'ils aient pas beaucoup dormi cette nuit.

Leur commande arrive rapidement et Colgan adresse un salut au patron, Marisol et lui étant des habitués de l'endroit et de leur viande juteuse. La table est quasiment recouverte de nourriture. Les deux loups de la table l'attaquent avec un bel appétit, surtout Scott dont le corps est en train de changer radicalement. Son Alpha lui jette un coup d'œil amusé.

- T'as déjà pas mal grandi et forci en une semaine ! Je suppose que le fait que tu sois en pleine croissance ça aide… comment ça s'est passé ta semaine de "transition" chez toi ? J'imagine pas trop mal vu que tu m'as pas appelé...ou alors t'as pas osé ? Si c'est le cas faut pas d'accord ? Je suis vraiment dispo H24, sept jours sur sept. Enfin...en théorie.

Il essaie vraiment d'être le plus amical possible avec l'adolescent, un mentor bienveillant et ouvert pour lui montrer qu'il est son allié et le sera jusqu'au bout. Il n'oublie pas les circonstances de sa morsure et l'injustice de sa situation. Même s'il se sent rouillé et que tout ça le déconcerte beaucoup...

Scott écoute attentivement les explications de son "Alpha". Tout lui semble relativement sensé et acceptable jusqu'au moment évoque son ascendant sur sa propre volonté. L'adolescent plisse les yeux.

- J'ai...ou je vais acquérir de plus en plus d'autorité sur ton loup.
- Comment ça ?
- Mes ordres...disons qu'ils utilisent une corde qui vibre en toi comme si elle nous reliait tous les deux. Tu vois quand je t'ai demandé de boire ? T'as pas senti un truc ? Comme une sorte de picotement dans le cou et l'envie de m'obéir ? C'est ça "la voix" de l'Alpha.
- T'es en train d'me dire que tu m'contrôles la cervelle ? Il a les sourcils froncés et le visage qui se ferme.
- T'inquiète pas j'en abuse pas et si tu sens que c'est trop, tu me reprends. Ça te va ?

Nouveau plissement de regard. Scott a un reniflement qui lui fait froncer le nez.

- Non, mais comme le reste, faudra que j'fasse avec.

L'idée de se faire mener par le bout de la truffe est détestable. Il ne sait encore rien de cet homme. Peut-il vraiment se fier à sa parole ? Jolhane a toujours été limpide avec lui. Magni, quant à lui, est incapable de mentir. L'un dans l'autre, il ne s'est jamais senti forcé à faire quoi que ce soit et ça change profondément la donne.

Arrivé au petit restaurant, Marisol l'invite à laisser son katana dans la bagnole. Il rechigne mais la perspective de croiser des militaire le convainc d'obéir. De toute façon il ne le porte pas quand ils sont en ville avec Jolhane pour faire des courses.
Sauf que dans ces moments là, il n'a jamais eu l'impression d'être en danger.
Ou seul.

Le restaurant fait super rétro, et Scott entend son cul faire couiner le cuir rouge de la banquette en s'asseyant. Colgan commande large.

- Désolé pour ton porte- monnaie...tu sais comment c'est…
- Je sais... répond Marisol avec douceur en lui bécotant l'intérieur de la main.

Elle couve Colgan avec le même regard que Jolhane pour Magni. Il a surpris ce genre d'oeillade de la part d'Alexia aussi, à la dérobée, en matant Ryan. Scott suppose que c'est ça être amoureux. Il est pas bien au fait de la question.

- T'iras mieux après.
- Hum ?
- Une fois que tu seras requinqué on te ramènera chez toi.
- Ah ouais...
- Je suis certain que Maman Renarde et Papa Ours se font du mouron pour toi. Comme le reste de ta tribu d'ailleurs. Ça m'étonnerait pas qu'ils aient pas beaucoup dormi cette nuit.
- Parle-moi d'eux ? demande Marisol avec curiosité. Magni est vraiment un berseker ? Et Jolhane, donc, c'est une femme qui se transforme en renard ?

Scott hausse les épaules, toujours réticent à délivrer des informations sur sa famille.

- Jolhane, on a jamais su ce qu'elle était vraiment. Elle sait pas non plus. Magni l'appelle "Nymphette" et j'trouve que c'est pas si loin de la vérité. Ghimbir, c'est sa renarde. Elle se partage son corps.. Un truc comme ça. Magni, on l'a connu après l'brouillard. Il était cul-nu dans notre potager. Il a un petit ricanement. Du coup, Marnie pense que les papas-ours peuvent pousser dans notre jardin.
- Marnie?
- C'est la plus jeune. Elle a cinq ans.
- Donc, si j'te suis, dans le brouillard, c'était encore un bébé ?
- Ouais. William et elle se cachaient dans les égouts sous les cadavres de leurs parents. Il nous a jeté des cailloux comme un forcené pour protéger sa frangine en pensant qu'on était des chrysalides. Mais bon, à c't'époque, c'est lui qu'avait cinq ans. N'empêche, fallait avoir des couilles...

Marisol contemple le jeune garçon avec une expression choquée qu'elle dissimule assez vite. Elle échange un regard avec Colgan. En tant qu'assistante sociale, elle est habituée à entendre des histoires affreuses, des récits de détresses ordinaires, mais la manière dont Scott évoque son passif, d'un air détaché, comme si l'horreur avait été normale, fait naitre en elle un sentiment complexe entre compassion et volonté farouche de protéger ce louveteau. Pourtant, ce qui prédomine c'est l'incompréhension. Que savent-ils vraiment du Brouillard et des menaces évoqués par cette "Madame" dont Bertus est épris ?
Une fois la table garnie, Scott cesse de se faire prier et rue sur la bouffe. Il a laissé ses manières dans la brume avec toutes autres formes de politesse. Quand tu vis avec une multitude de bouches affamées, tu prends l'habitude de pas niaiser sur la défense de ta pitance.

- T'as déjà pas mal grandi et forci en une semaine !
- Grave! Ryan est super dég! Je le dépasse maintenant, lâche l'adolescent, la bouche pleine.
- Je suppose que le fait que tu sois en pleine croissance ça aide… comment ça s'est passé ta semaine de "transition" chez toi ? Pas mal J'imagine pas trop mal vu que tu m'as pas appelé...ou alors t'as pas osé ? Si c'est le cas faut pas d'accord ? Je suis vraiment dispo H24, sept jours sur sept. Enfin...en théorie.
- En gros, quand t'es pas occupé à butter des humains, quoi...
- Des chasseurs. On ne s'attaque qu'aux prédateurs qui veulent nous éradiquer. On ne touche pas aux femmes et aux enfants, corrigent Marisol.

Scott hausse les épaules.

- Pour c'que ça change. Une vie c'est une vie. Unseelie fait pas la différence. Il arrose sa laconique tirade d'une rasade de jus de fruit. A la fin t'as juste les survivants et les papillons, s'tout.

Silence.

- Mais ouais. ça va. Toute ma smala est au p'tit soins. J'ai pas eu besoin d'appeler.

Colgan écoute les explications de Scott et intercepte le regard de Marisol. Il est aussi déconcerté qu’elle parce qu’il raconte sur un ton égal en totale contradiction avec les horreurs vécues par lui et ses « frères et sœurs ». Ce Brouillard qui semblait si loin de ses soucis lorsqu’il est apparu commence à devenir le centre de ses préoccupations. Il a beau ne pas en savoir grand-chose, il a appris que le frangin de Bertus a tenté une expédition qui a tourné au fiasco. Mise à part la découverte de survivants… Il fait soudain la connexion.

Les survivants…
C’est Scott et les autres gosses…

Ils doivent donc être sous la protection de la nana de Bertus et de son frère…
Et pourtant il vient de l’accepter dans sa meute. De façon officieuse en tout cas. Il est hors de question que les Hurlants en entendent parler ou qu’ils les croisent.
Le combat qu’il mène est personnel et il n’a pas menti à la Renarde et l’Ours, il n’a aucune envie de le plonger dans un conflit qui ne le touche pas.
Toutes ses factions différentes…et pourtant un ennemi commun qui se rapproche… un vrai sac de nœuds…

- T'as déjà pas mal grandi et forci en une semaine !
- Grave! Ryan est super dég! Je le dépasse maintenant.
- Je suppose que le fait que tu sois en pleine croissance ça aide… comment ça s'est passé ta semaine de "transition" chez toi ? Pas mal J'imagine pas trop mal vu que tu m'as pas appelé...ou alors t'as pas osé ? Si c'est le cas faut pas d'accord ? Je suis vraiment dispo H24, sept jours sur sept. Enfin...en théorie.
- En gros, quand t'es pas occupé à butter des humains, quoi...
Il décoche un regard perçant à l’adolescent.
- Pardon ? lâche-t-il sur un ton glacial.
Des humains ? Des… humains ? NON !
Il refuse de voir les monstres qui leur ont tout pris comme des êtres humains.
- Il n’y a aucune humanité dans le fait de tuer des gens qui n’ont rien demandé et non jamais fait de mal à une mouche, aucune humanité dans le fait de tuer femme et enfants derrière eux pour éviter toutes représailles, aucune humanité dans le fait de plaquer le canon d’une arme sur la tempe d’un gosse ! Ce sont des monstres et ils prolifèrent à Tir Na Nog. On est là pour rééquilibrer la balance.
Sa voix vibre de rage contenue.
- Des chasseurs. On ne s'attaque qu'aux prédateurs qui veulent nous éradiquer. On ne touche pas aux femmes et aux enfants.
- Pour c'que ça change. Une vie c'est une vie. Unseelie fait pas la différence. A la fin t'as juste les survivants et les papillons, s'tout.
Colgan repose ses couverts avec brusquerie, l’appétit coupé. Certain chez les Hurlants sont différents.  
- Tu crois ? demande-t-il sur le même ton que précédemment. Tu crois vraiment que si jamais Unseelie nous la met profond et recouvre la ville, créatures, démons, chasseurs et humains vont tous se donner la main et pour lutter contre notre ennemi commun ? Soit pas naïf Scott. L’Apocalypse changera rien parce qu’il y aura toujours des connards, des profiteurs et des manipulateurs. On aura juste un ennemi supplémentaire qui va effectivement se frotter les mains de nous voir nous entretuer pour de la bouffe ou des idéaux.
Le silence qui suit est lourd et l’Alpha consent enfin à lâcher le gamin du regard.
- Mais ouais. ça va. Toute ma smala est au p'tit soins. J'ai pas eu besoin d'appeler.
- Tant mieux. Finis de manger on te ramène.

Pendant quelques instants, Colgan a oublié. Oublié qu’aux yeux de tous c’est lui le méchant, oublié que Scott fera jamais vraiment parti de la meute, oublié le but qu’il s’est fixé. Il a fait ce qu’il devait faire et ça s’arrête là, il va rendre l’adolescent à sa famille et revenir dans un mois jusqu’à ce qu’il puisse passer le relai à ses « parents ». Après chacun reprendra sa route. Il récupère les clés de la voiture sans un mot.  

- Tu crois ?

Le ton est polaire, cassant. Scott n'est pas aveugle. Il sait ce qu'est la colère. Colgan a les mêmes traits constipés que lui quand il est proche de faire une crise.

- Tu crois vraiment que si jamais Unseelie nous la met profond et recouvre la ville, créatures, démons, chasseurs et humains vont tous se donner la main et pour lutter contre notre ennemi commun ? Soit pas naïf Scott. L’Apocalypse changera rien parce qu’il y aura toujours des connards, des profiteurs et des manipulateurs. On aura juste un ennemi supplémentaire qui va effectivement se frotter les mains de nous voir nous entretuer pour de la bouffe ou des idéaux.

L'adolescent se met à ricaner. Ses prunelle bleues sont aussi glaciales que son interlocuteur.

- Naïf... ? Tu crois qu'on peut être naïf quand on tue ses propres parents parce qu'ils se transforment en streum ou qu'on est obliger de bouffer ses voisins morts pour survivre ? Tu crois qu'on peut être naïf quand on vit deux ans dans un mauvais remake de Silent Hill ? "Rééquilibrer la balance"... Me fait pas rire. C'est toi qu'est naïf mon pauv' vieux. Unseelie se fout que chacun se tienne la main ou qu'on s'entretue. Pour elle, y'a pas d'méchants ou de gentils. On est tous des morts en sursis.

Scott leur débite tout ça avec un calme effrayant, tout en continuant de manger sans se gêner. Il hausse les épaules. Marisol ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Elle est bouleversée par le manque d'affect de ce garçon, par cette violence qui lui semble si naturelle.

- Moi, c'est tout ce que j'en disais. J'vois bien qu't'as la rage. J'sais voir quand quelqu'un à la rage. C'est l'premier truc que j'ai appris à identifier sur moi. J'ai la même tronche que toi juste avant d'tout péter sans réfléchir.
- Scott, tu vas trop loin, fait Marisol doucement.

Il la regarde avec étonnement.

- Ah.. déso.

Il termine d'ingurgiter son plat sans se soucier vraiment de l'ambiance autour de la table. Il a dit une vérité, l'une des rares certitudes qu'il possède. Il s'en fout pas mal qu'elle ne fasse pas plaisir, puisque de toute façon c'est la réalité. Les adultes devraient grandir un peu...

- Mais ouais. ça va. Toute ma smala est au p'tit soins. J'ai pas eu besoin d'appeler.
- Tant mieux. Finis de manger on te ramène.
- M'okay... répond Scott en mâchouillant  à nouveau.

Colgan récupère les clés de la voiture et se lève.

- Colgan, attends! Fait Marisol impuissante à le retenir.

Le loup sort sans même la regarder. La jeune femme reste un moment la chique coupée. Scott l'observe. Elle a la même face que Katie quand elle essaie de le calmer lui mais qu'elle n'y parvient pas. Cette expression toute chiffonnée qui donne l'impression que tout son visage s'affaisse, attirée par le sol.

- J'imagine que c'est plus mon alpha ?
- Non! pourquoi tu dis ça ?
- Parce que c'est comme ça que font les adultes avec moi en général. Il a un bref sourire résigné. Ils essaient et puis après ils lâchent l'affaire. A part pour Jolhane et Magni.
- Le lien entre un alpha et sa meute est plus complexe et profond que ça, Scott.  Elle lui touche la main et il sent chez elle, une vraie bienveillance, exactement comme sa "soeur". Colgan ne peut pas te retirer ce qu'il a commencé à tisser avec toi.
- Ah ... ok. Cool.
- Tu as juste ... Tu as juste touché un point sensible.
- Ses gosses sont morts, tués par des chasseurs. Un truc comme ça ?
-..... Un truc comme ça.
- J'vois. J'irais m'excuser pour le manque de tact, J'vos jamais quand je heurte quelqu'un. Mais pas pour la verité. C'est peut-être dégeulasse, mais le Brouillard se fout de la tragédie de chacun. Merci pour le P'tit déj.
- De rien... je vais régler l'adition, je vous rejoins à la voiture.

Scott sort du drive-in, mains dans les poches puis vient se caler à côté de Colgan en silence, adossé à la bagnole.

- Mes excuses, si je t'ai blessé. Je vois pas les signes quand j'fous les boules à quelqu'un. En général c'est trop tard, lâche-il de manière pudiquement désinvolte. T'as tes raisons pour mener ta vengeance, je juge pas du tout. Tu fais bien ce que tu veux, c'est pas mes oignons...

Silence.
Regard en biais.

- T'es toujours mon Alpha ? Marisol dis que oui, mais.. Marisol c'est pas toi.

L’air frais lui fait du bien. Colgan marche jusqu’à la voiture et s’y adosse. Il redresse son col et mains dans les poches, il attend que sa colère retombe. Il ne sait même pas ce qui la provoquée au juste… Peut-être qu’elle est constamment présente et qu’il ne s’en rend même plus compte…il suffit alors d’un mot, d’une phrase pour qu’elle flambe.
Cela dit, elle a au moins le mérite de lui rappeler son but et ça n’est certainement pas de prendre de jeune louveteau sous son aile. Il a fait ça par simple compassion, reliquat de la gentillesse qui le caractérisait avant. Dans une autre vie.

Il regarde l’adolescent approcher, calmé mais le visage résolument fermé. Il se poste à ses côtés sans un mot et tous deux observent l’entrée du drive-in, espérant sans doute l’apparition de Marisol qui saura peut-être combler ce silence. Non pas qu’il s’y sente mal à l’aise.

- Mes excuses, si je t'ai blessé. Je vois pas les signes quand j'fous les boules à quelqu'un. En général c'est trop tard.
Colgan lui jette un coup d’œil étonné et pousse un soupir.
- Pas grave. Tu pouvais pas savoir de toute façon.
- T'as tes raisons pour mener ta vengeance, je juge pas du tout. Tu fais bien ce que tu veux, c'est pas mes oignons...
- J’espère bien Scott. Parce que moi je juge pas ce que tu as du faire pour survivre. Ma vengeance, c’est ma survie à moi. Mais ouais, t’approches pas de ces oignons-là. T’as rien à y faire toi. Reste près de ta famille ça vaudra mieux.

Non seulement il ne permettra pas que Scott soit en danger à cause du chemin qu’emprunte sa meute mais il a promis à ses « parents » qu’il ne serait en rien mêler aux histoires des Hurlants.

- T'es toujours mon Alpha ? Marisol dis que oui, mais… Marisol c'est pas toi.

Colgan capte son regard sans savoir quoi en penser. Il se détache lentement de la voiture et vient lui faire face.
- Je serai toujours ton Alpha. Tant que je guiderai cette meute et que je serai en vie. C’est pas un truc que je peux retirer comme un sparadrap, même si j’en avais envie. Pour le moment, t’as besoin de moi et de la meute. Bientôt ça sera plus le cas et tu seras débarrasser de nous. Même si on se voit plus, je resterai ton Alpha. Vois ça comme une sorte de lien familial que tu choisis normalement. Ca a pas été ton cas et j’en suis désolé. C’est pour ça que t’es particulier, en plus de ta jeunesse. Jamais j’aurais mordu un mineur. La meute pourra être amenée à changer…à évoluer. Mais le lien entre toi et moi, il est incassable. Tu comprends mieux ?

Voyant Marisol revenir, il ouvre la portière arrière et lui indique du menton de grimper dans la voiture. Avant que Scott ne bouge il rajoute.
- T’as tort tu sais…ça fait un moment que je suis conscient qu’on est que des morts en sursis…sauf que j’ai pas eu besoin de Brouillard pour m’en rappeler. Monte. On te ramène chez toi. Ca va te faire du bien d’être en terrain plus familier.
Il s’installe ensuite au volant et attend que Marisol s’installe à côté de lui.

- Je serai toujours ton Alpha.

Colgan lui explique précisément pourquoi et l'adolescent hoche la tête, un fin et imperceptible sourire sur la face.

- On est collé ensemble pour un bon bout d'temps du coup.

Ce genre de certitude semble étrangement lui plaire. Dans son monde arbitraire, rien n'est jamais pérenne.

- T’as tort tu sais…ça fait un moment que je suis conscient qu’on est que des morts en sursis…sauf que j’ai pas eu besoin de Brouillard pour m’en rappeler.

Scott le regarde en plissant les yeux.

- Pourquoi tu t'emmerdes à vivre alors ? questionne-t-il avec sa franchise décomplexée. La question n'a rien d'une raillerie. Elle est on ne peut plus sincère, il se la pose régulièrement lui même, mais le grand loup n'y répondra pas.
- Monte. On te ramène chez toi. Ca va te faire du bien d’être en terrain plus familier.
-'Kay.

Marisol les rejoins rapidement et la voiture démarre.

- Tu me guides Scotty ?
- Ouep. Suit la route pour aller au Dullahan, faudra bifurquer dans le bois une cinquantaine de mètres plus loin. La route est pas bitumée.
- En route !

Marisol fait profiter de sa conduite sportive aux deux mâles et ils arrivent bien vite à destination.
Une jeune fille brune avec un nez prononcé et des cheveux noués en macarons fume sur le perron du charmant cottage en compagnie d'une gamine un poil plus jeune, les cheveux châtain délavé en pagaille, accroupis à ses pieds et occupée à tracer des trucs dans le sol avec un tournevis. Les deux lèvent la tête dans un bel ensemble quand la voiture fait irruption et se gare au cul de Christine.

- Y SONT LA ! beugle Dairine en ouvrant la porte.

Scott ouvre la portière et bondit presque hors du véhicule. Il se fait cueillir par une Katie qui se jette dans ses bras.

- Scott ! T'as rien !
- Non, j'ai géré apparemment. Mais sers pas trop fort, je craque comme un vioc.
- Oh pardon ! Elle lui colle un bisous sur la joue et s'écarte en souriant.

Elle observe Colgan et Marisol qui sortent à leur tour de la bagnole. En voyant le grand rouquin, elle s'approche de lui avec une expression resplendissante de reconnaissance.

- C'est vous Colgan ? Sans lui demander son avis, elle le sert dans ses bras et le gratifie d'un énorme bisous sur la joue (ce qui ne manque pas d'amuser Marisol qui lui jette une oeillade moqueuse). Merci de prendre soin de Scott !
- Et elle c'est Marisol, sa "partenaire".
- Vous êtes super canon!
- Merci... ?
- Katie ! J'm'appelle Katie! Et elle lui offre le même traitement qu'à Colgan.

Entre-temps les autres enfants ont fait irruption dehors et entourent Scott en le pressant de questions et de démonstrations de joie. Ryan commence d'office à légiférer, Alexia sur ses talons avec Marnie dans les bras.

- Calmez vos culs la marmaille et laissez-le respirer ! Salut mec. Echange de check virile entre les deux adolescents, il se tourne vers Colgan. Salut... C'est qui "ça"? demande-t-il sans la moindre politesse en jetant un regard suspicieux à Marisol.
- Mon autre alpha.
- Marisol, enchantée !
- Impossible, coupe Declan d'un ton docte. Il n'y a qu'un alpha par meute, selon mes recherches, sinon cela créerait de sérieux conflits au sein d'un même groupe.
- Ta gueule Brainy ! crache Dairine. T'as pas compris qu'c'était sa meuf ?
- Techniquement, cela ne change rien à...

Il se fait taper sur la tête par les Ninies en parfaite synchronisation.

- Le féminisme t'as jamais entendu parler!
- Ouais! C'est des garous modernes, okay !

Declan se masse la tête avec l'air bougon de celui qui sait qu'il a raison. Heureusement, Jolhane et Magni sont là. La renarde sert affectueusement son louveteau contre elle. Elle pose ensuite ses prunelle d'or sur le couple d'Abyssaux.

- Entrez donc prendre un café. Les enfants aimeraient vous connaitre et en apprendre davantage sur les loups-garous. Sourire amusé envers Colgan. Ils sont un peu bruyants, je vous le concède, mais tout cela est nouveau pour eux, et ils doivent comprendre ce que cela implique pour leur frère à l'avenir.

Marisol qui s'est glissé au côté de Colgan, s'empresse de répondre avant lui.

- Avec plaisir ! Elle prend la main de son compagnon et lui souffle en aparté. Viens... Cela ne coute rien de mieux connaitre l'environnement de notre nouveau membre.... On en apprendra peut-être plus sur le Brouillard...

Colgan ne peut pas empêcher des vieux relents de prudence toute paternelle de se manifester. Assis sagement sur le siège passager – la place du mort- il se tend et se crispe, pose une main sur la cuisse de la jeune femme quand elle accélère trop à son goût ou prend un virage beaucoup trop serré.
Un comité d’accueil attend déjà le jeune loup. Deux de ses « sœurs » font le pied de grue sur le perron.
Colgan pousse un profond soupir de soulagement quand le moteur s’éteint finalement.

- Y SONT LA !
Bien plus efficace qu’un signal d’alarme ! Colgan hausse un sourcil en s’extirpant douloureusement de la voiture, déjà précédé par sa jeune recrue qui se fait accueillir par une étreinte digne d’un boa constrictor. Ils échangent quelques mots avant que la jeune fille vienne se planter devant le Loup. Elle a une expression ouverte et amicale sur le visage.

- C'est vous Colgan ?
- C’est ç…
Il n’a même pas le temps de finir sa phrase qu’il se fait étreindre à son tour et bisouter sur la joue. Complètement interdit, Colgan reste les bras ballants et échange une œillade avec Marisol qui semble s’amuser de la situation.
- Merci de prendre soin de Scott !
- Euh… de rien. C’est…normal.
- Et elle c'est Marisol, sa "partenaire".
- Vous êtes super canon !
Colgan a une très brève expression de fierté sur le visage. Oui… Marisol est incroyablement canon…
- Merci... ?
- Katie ! J'm'appelle Katie!

Et puis c’est le branle-bas le combat. Des enfants, partout, de tout âge assaillent le pauvre Scott aussi bien physiquement que verbalement. Colgan est à deux doigts de venir en aide à son jeune loup mais choisit de reculer plutôt, des fois que les gosses aient l’idée de se tourner vers une autre cible.
Heureusement les plus grands dont…- c’était quoi son nom déjà ? Ah oui Ryan, le gamin qui est venu lui demander de l’aider avec l’Ours – viennent remettre un semblant d’ordre.

- Calmez vos culs la marmaille et laissez-le respirer ! Salut mec.
Il se tourne ensuite vers l'Alpha.
- Salut...
- Ryan.
- C'est qui "ça" ?
La voix de Colgan claque comme celle du papa qu’il a été.
- La politesse gamin !
- Mon autre alpha.
- Marisol, enchantée !
- Impossible, s’insurge un gosse à lunette. Il n'y a qu'un alpha par meute, selon mes recherches, sinon cela créerait de sérieux conflits au sein d'un même groupe.
- Ta gueule Brainy ! T'as pas compris qu'c'était sa meuf ?
- Techniquement, cela ne change rien à...
- Le féminisme t'as jamais entendu parler!
- Ouais! C'est des garous modernes, okay !
- T’as raison, précise Colgan pour calmer les esprits en levant une main apaisante. Elle est techniquement pas une Alpha et n’est pas Louve. Elle est plus que ça, c’est notre guide, notre étoile. Mais toutes les décisions de la meute passent par moi…et par elle. C’est comme ça dans notre Meute.

Enfin, les adultes débarquent et la renarde sert son enfant contre elle avant de se tourner vers Marisol et lui.
- Entrez donc prendre un café. Les enfants aimeraient vous connaitre et en apprendre davantage sur les loups-garous.
Colgan échange un regard avec Marisol et lui fait clairement comprendre ce qu’il a envie en tournant la tête vers la voiture.
- C’est gentil mai…
- Ils sont un peu bruyants, je vous le concède, mais tout cela est nouveau pour eux, et ils doivent comprendre ce que cela implique pour leur frère à l'avenir.
- Comme je le disais…la transformation est épuisante et…
Mais apparemment il a été décidé qu’il ne finirait pas ses phrases aujourd’hui.
- Avec plaisir ! Colgan fusille la jeune femme du regard. Comme si elle ne savait pas pourquoi il refusait ? Pourquoi le trahissait-elle de cette manière ? Il n’a absolument aucune envie de rester au contact d’enfants s’il n’y est pas contraint et forcé ! Sa main dans la sienne ne l’aide pas à décolérer.
- Viens...lui chuchote-t-elle.
- Non Marisol ! grince-t-il entre ses dents.
- Cela ne coute rien de mieux connaitre l'environnement de notre nouveau membre.... On en apprendra peut-être plus sur le Brouillard...
Il sait parfaitement que tout ça ce sont des prétextes quand bien même ils sonnent sensés.
- Allez, vous faites pas prier ! lance l’ours avec bonhomie. Le café est déjà chaud.
Mâchoires serrées, il finit par suivre les autres mais se dégage de la main de Marisol. Magni les guide vers la cuisine et s’occupe du service.
- Scott tu veux un truc ?
- Il a besoin de repos, lance Colgan d’un ton sans appel. Tu dois savoir ce que c’est non, la transformation ?
- Ah euh…ouais… interdiction de déranger Scott aujourd’hui les mômes ok ? Vot’ grand frère a le corps d’un vieillard. Lâcher lui un peu de lest, vous pourrez l’emmerder de nouveau dans quelques jours !

Comme un fait exprès, Scott tourne la tête vers le couple au moment où Marisol se fait rabrouer par Colgan. Il plisse le regard en fixant son nouvel alpha dans les yeux. Pourquoi reprendre Ryan sur la politesse si c'est pour traiter sa meuf aussi sèchement. Le monde des adultes le laisse perplexe.

- Allez, vous faites pas prier ! Le café est déjà chaud, fait Magni, jovial comme à son habitude. Tout ce petit monde entre bruyamment dans la cuisine, laissant les chaises pour les quatre adultes. Jolhane cède sa place à Scott en lui posant affectueusement les mains sur les épaules.
- Scott tu veux un truc ?
- Je veux bien un...
- Il a besoin de repos, coupe Colgan. Tu dois savoir ce que c’est non, la transformation ?
- Ah euh…ouais… interdiction de déranger Scott aujourd’hui les mômes ok ? Vot’ grand frère a le corps d’un vieillard. Lâcher lui un peu de lest, vous pourrez l’emmerder de nouveau dans quelques jours !
- Ben le vieillard prendra quand même un jus d'orange! Merci ! Scott fusille son alpha d'un air mauvais qui signifie clairement un "d'où que tu causes à ma place? Traite pas ma famille comme ça!"

Comme pour exprimer sa pensée tout haut, Dairine balance :
- Woaaah, pas commode le Daron.

Marnie tapote sur la cuisse de Colgan.

- Sois zenti Cogan! Faut êt' un zenti loulou, d'accord ?
- Dairine, Marnie un peu de respect. intervient Jolhane pour calmer les esprit. Scott ira se reposer après avoir profité un peu de ses frères et soeurs. Tu pourras prendre notre lit si tu veux, tu seras plus au calme.
- Sans vouloir t'offenser, Doe, j'ai pas trop envie de roupiller dans des draps qui porte votre odeur à Magni et toi et c'que vous y faites ! Les gosses étouffent des ricanement pendant que Jolhane pique un fard. Je préférais prendre la piaule de Kat'. J'aime bien son odeur.
- Quoi ,tu kiffes le patchoulis et la cigarette ? raille Ryan, qui a tôt fait de se prendre un coup de coude dans l'estomac. Ouch !
- Tu l'as pas volé ! soufflent les Ninies en coeur. elle se tiennent la main assise en tailleurs sur le carrelage.
- Hé bien Katie te prêtera sa chambre et tant qu'elle y est te tartinera de baume.
- Pas de souci ! Elle enroule ses bras autour du cou de Scott et pose son menton au sommet de son crâne. Je serais ton infirmière attitrée !

Scott a l'air franchement aux anges. Il est incapable de savoir pourquoi, mais quand Katie est gentille avec lui ça lui fait comme de la neige de télé qui lui crépite dans le bide. L'impression d'être une canette de soda vivante pleine de bulles. C'est bizarre et agréable à la fois.
Marisol observe la scène avec un sourire malicieux. Scott trouve que c'est marrant, les trous dans ses joues. C'est joli.

- J'te prêt Doudou, Scotty! lance Marnie qui, par un miracle incongru a réussi à grimper sur les genoux de Colgan et trempe la truffe de son ourson défraichi dans la tasse du loup-garou. Doudou aime le café, explique la gamine. C'est son passé minon.

Elle ne sait pas ce que ça veut dire mais elle a entendu Magni le prononcer quelques fois en touchant les fesses de Jolhane pendant qu'elle préparait le café. Elle trouve que ça sonne rudement bien.
Marisol est prise d'un fou rire difficile à contrôler. La tronche de son compagnon est impayable. Elle sait qu'elle se prendra une soufflante du grognon dans la bagnole, mais franchement ça les valait.

- Donc, comment ça se passe pour Scott jusqu'à la prochaine pleine lune, demande Declan, soucieux de recentrer le débat. On doit s'attendre à d'autre crises de somnambulisme ? Vous allez revenir l'entrainer ? On pourra regarder ? Est-ce qu'on va rencontrer votre meute ? Y'a combien de membres ? Vous êtes alpha depuis combien de temps ? Comment ça marche une meute à deux dirigeants ? Est-ce que Scott va devenir l'oméga ? et co...

Squirrel lui taloche salement l'arrière du crâne.

- Ta gueuuuuule Brainy.... Redite blasée de sa précédente tirade.
- Aïeuuuh!
- Tu le soules, fait sobrement Scott en buvant son jus. Il aime pas les enfants, j'crois. assène-t-il en fixant Colgan.

- Ben le vieillard prendra quand même un jus d'orange ! Merci !
Colgan affronte son regard son ciller. Il est déjà à cran et voudrait rentrer chez lui. Maintenant ! Ses doigts sont crispés sur l’anse de son mug.  
- Woaaah, pas commode le Daron.
Seules ses pupilles bleus se braquent sur la gamine.  
- Je suis le père de personne, assène-t-il. « Plus le père de personne. » serait plus juste. Mais il n’a aucune envie de rentrer dans les détails.

L’agitation se créé tout autour de lui.

Une saine agitation.
Une agitation pleine de vie.
Une agitation qui lui donne des envies de hurler et frapper en même temps.

De ne pas bouger et se contrôler lui demande un effort de tous les instants, il ne suit absolument pas la conversation en cours. Les yeux vrillés dans son café il attend que cette pulsion passe.
Et elle finit par s’en aller mais les choses ne font qu’empirer. A la place, ce sont les souvenirs qui remontent à la surface. Eliott, Charly…si beaux, si jeunes, si innocents, l’avenir devant eux…ils étaient à deux doigts de former une famille aussi soudée et épanouie que celle-ci…
Un poids léger et chaud s’installe sur ses cuisses et le tire de ses pensées.

- J'te prêt Doudou, Scotty !
C’est la petite Marnie qui a réussi à grimper sur ses genoux et se penche dangereusement vers l’avant pour faire goûter son propre café à son doudou un peu répugnant. Par un instinct ancré en lui aussi surement que celui de respirer, Colgan sécurise la petite fille avec des gestes doux et sûrs puis la recale sur ses genoux.  
- Te penche pas comme ça tu risques de tomber, l’ordre claque malgré tout avec une certaine rondeur dans sa voix.
- Doudou aime le café.
- Et il en a eu une belle dose. Maintenant arrête de gigoter où tu descends.
- C'est son passé minon.

Le rire de Marisol fuse et à nouveau, les souvenirs reviennent. Son visage se crispe comme s’il venait de recevoir un coup de poing magistral en plein plexus. Quand est-ce que ça s’arrêtera ? Il ressent le besoin de prendre l’air, une grande goulée. Il lâche la tasse et la repousse du dos de la main.  

- Péché mignon, poupette ! C’était preeeesque ça !
- Donc, comment ça se passe pour Scott jusqu'à la prochaine pleine lune… On doit s'attendre à d'autre crises de somnambulisme ? Vous allez revenir l'entrainer ? On pourra regarder ? Est-ce qu'on va rencontrer votre meute ? Y'a combien de membres ? Vous êtes alpha depuis combien de temps ? Comment ça marche une meute à deux dirigeants ? Est-ce que Scott va devenir l'oméga ? et co...

Seule la tape à l’arrière de son crâne l’arrête.
- Ta gueuuuuule Brainy....
- Aïeuuuh!
- Tu le soules. Il aime pas les enfants, j'crois.

Le jugement est rude, sans concession, digne d’un enfant qui n’a que peu conscience des nuances. L’assertion déclenche un ricanement sans joie. Colgan passe une main sur son visage, excessivement las.
- Ouais…ouais…c’est exactement ça, déclare-t-il d’une voix atone. J’aime pas les enfants.  
Il repose gentiment Marnie à terre et se relève.
- Merci pour le café. On va laisser Scott tranquille jusqu’à la prochaine lune. Les choses resteront plus ou moins pareilles pour toi. Tu es entre de bonnes mains. Il se tourne ensuite vers Marisol. On y va. S’il te plait.

- Tu le soules. Il aime pas les enfants, j'crois.

Cette fois, Marisol cesse de rire. Elle glisse vers Colgan un regard inquiet. Marnie s'est tourné vers le grand roux avec cet instinct qu'on les plus petits pour sentir les émotions et les boire.

- Ouais…ouais…c’est exactement ça.
- T'es trist' Cogan ?

En guise de réponse, il la dépose au sol. La gamine le regarde en silence, la tête levée vers lui, sans comprendre exactement ce qu'il vient de se passer mais sentant confusément que le loup-garou ne va pas bien. Scott, lui, vient de réaliser grâce à la benjamine, qu'il a certainement proféré un truc dont il n'a pas saisi la porté blessante. Son visage est pétri d'incompréhension. Jolhane et Magni échangent un regard embarrassé, ne sachant comment réagir.

- Colgan, je suis vraiment..
- Merci pour le café.

La chique coupée nette, la jeune femme le contemple sans mot dire.

- On va laisser Scott tranquille jusqu’à la prochaine lune. Les choses resteront plus ou moins pareilles pour toi. Tu es entre de bonnes mains. Il se tourne vers Marisol avec ce visage fermé qu'elle ne connait que trop bien. On y va. S’il te plait.
- Colgan, vous viendrez si jamais Scott en éprouve le besoin.
- Il viendra, tranche Marisol. Il est son alpha. Elle tend les clés à Colgan. Je te rejoins dans la voiture.
- Bien... Vous êtes le bienvenue dans cette maison l'un comme l'autre.
- Je vous remercie, Jolhane, Vous aussi Magni.

Marisol reviendra seule, il faut qu'elle en apprenne davantage sur le Brouillard. Elle se lève à son tour et se penche vers Scott pour dépose un baiser sur sa tempe.

- Tout ira bien, ne t'en fais pas. La nuit, regarde l'étoile qui brille le plus fort dans le ciel, l'étoile de Vénus, et prie pour qu'elle te vienne en aide. Je saurais alors que tu as besoin de moi. Entendu ?
- Ouais, promis, fait Scott avec une conviction qu'il ne montre que rarement.

Elle lui sourit avec douceur, un crépitement bleu dans ses prunelles.

- Merci pour votre accueil les enfants, et à une prochaine fois.

Marnie prend alors la main de Marisol.

- T'emmène à Cogan. La gosse se tourne vers Jolhane et surtout Magni. J'peux ?
- Tu peux, Marnie, mais tu reviens vite, consent Jolhane.

La fillette raccompagne Marisol à sa voiture et se plante devant Colgan. Elle lui tend sa peluche défoncée à deux mains.

- Pou toa. Doudou va veiller sur toa. Il est fortiche pour quand t'es trist'. Tu m'le rendras quand tu r'viens. D'accôr ?

- Colgan, vous viendrez si jamais Scott en éprouve le besoin.
- Il viendra. Il est son alpha.
Colgan jette un coup d’œil vers Marisol, fronce les sourcils et hoche la tête.
- Evidemment. Il se tourne vers l’adolescent. Je te l’ai dit Scott. Je suis ton alpha, répète-t-il en faisant vibrer ce lien particulier tissé cette nuit. Il semble vouloir ajouter quelque chose mais s’abstient finalement.
- Je te rejoins dans la voiture.

Il attrape les clés tendues et s’éclipse après un « Bonne journée » lâché entre ses dents serrées.
Ses pas pèsent lourd sur le parquet. Son corps engourdi par la transformation de la nuit bouge avec lenteur. Il aimerait que son cerveau soit aussi anesthésié que le reste mais il tourne à plein régime, au contraire.
Seul devant la voiture, il se laisse aller à un instant de faiblesse. Le bras posé contre le toit de la bagnole, il y pose son front. Ses épaules frémissent comme secouées par une forte brise alors que c’est le tumulte de son âme en peine qui les agite. Il pince les lèvres, et finit par passer ses doigts dans ses cheveux roux.

« Papa chériiii, je t’aime super tellement fort ! »
« Papa. T’es le meilleur papa du monde…tu le sais hein ? »

Non il n’aime pas les enfants…
Le vent lui porte l’odeur de Marisol qui se rapproche. Alors il se redresse et essuie rapidement les quelques larmes qui ont coulé sur ses joues.
Son masque est de retour, du moins il l’espère. A force d’être éprouvé, il a tendance à se fendiller.

Bertus, le gosse, l’état de Marisol qui l’inquiète, les Hurlants, la Meute…

Tout cela commence à peser sévèrement sur lui quand bien même il partage beaucoup de choses avec la jeune femme.
Celle-ci revient, alors qu’il l’attend, adossé contre la voiture, accompagnée par une demoiselle à l’air buté. Colgan les observe approcher, perplexe. La petite… Marnie ? se poste devant lui, droite comme un piquet.
- Je peux faire quelque chose pour toi ? demande Colgan avec très léger sourire incertain.

La petite lui tend son ourson défoncé. Toujours perplexe, Colgan se met à genou devant elle.

- Pou toa.
- Oh… c’est très gentil mais…
Mais Marnie poursuit avec ce même air adorablement buté sur le visage.  
- Doudou va veiller sur toa. Il est fortiche pour quand t'es trist'. Tu m'le rendras quand tu r'viens. D'accôr ?
Colgan prend l’ours dans ses mains avec une sorte de solennité, les émotions encore à fleur de peau. Il tente de juguler tout cela pour lui répondre.
- C’est…absolument adorable, Marnie. Il espère que c’est bien son nom et il lui rend son ours. Mais je ne peux pas accepter. Tu vas en avoir besoin toi aussi…Comme elle ne semble pas convaincue, il poursuit. Je vais t’avouer un truc, mais tu ne le répètes à personne d’accord ? J’ai aussi un doudou…enfin c’était celui de ma fille… un survivant retrouvé dans les décombres, mais il l’a gardé dans une boite. Il aurait aimé que la peluche porte encore l’odeur de Charly mais il ne sent plus que les cendres et la fumée… Lui aussi est spécialiste, enfin c’est ce qu’elle me disait… je suis entre de bonnes mains moi aussi… et je préfère savoir que toi aussi.
L’enfant lui fait spontanément un câlin et Colgan la soulève dans ses bras.
- Viens, je vais te ramener.
Magni attend sur le perron et Colgan transvase la petite dans ses gros bras.
- Je vous ramène votre fugueuse.
- Merci Colgan. A bientôt alors.
- Sans doute.

Après un dernier salut de la main, Colgan fait demi-tour et vient s’installer sur le siège passager en grognant quand il s’assoit. Il a besoin d’une douche et de dormir. Préférablement dans cet ordre. Malgré lui, sa main vient chercher celle de Marisol et la serre alors que son regard se perd vers la forêt.  

J'observe l'échange avec une tendresse mêlée de mélancolie. Cette petite fille a saisi la détresse de Colgan avec une juste inattendue. Je sais que le geste l'a touché, qu'il a aimé l'avoir sur ses genoux et la tenir dans ses bras. Mon loup aime les enfants. Il se sent juste coupable d'éprouver de l'affection pour ceux qui sont encore vivant.
Lorsqu'il revient dans la voiture, le moteur tourne déjà. Il cherche ma main. Consciemment ou pas, il a toujours besoin de moi. J'enlace mes doigts aux sien et les porte à ma bouche pour en embrasser chaque phalange. Je les lui rend avec douceur pour mieux tenir le volant.

Nous roulons un moment en silence sous les frondaisons, et puis soudain, je décide de m'arrêter sur le bas-côté, face au spectacle verdoyant d'une forêt qui ne devrait pas l'être à ce point en hiver. J'éteins le moteur et me tourne vers lui. J'ouvre les bras et l'attire contre moi.

- Viens là...

Je l'enlace avec tout l'amour que j'éprouve pour lui et la Nuit sait qu'il est immense, sans limite ni péremption.

- Personne ne te regarde, si tu as besoin de pleurer. Même moi, tu vois ? Je ferme les yeux.

Je caresse son dos et sa chevelure de feu. Il est épuisé, tellement tendu et si malheureux. Je lui murmure des mots doux, des paroles apaisantes en queshua, tout en embrassant ses tempes. Que l'orage éclate où qu'il ne demeure qu'à l'état de nuages, je reste auprès de lui, inébranlable lumière dans son obscurité. Je laisse le temps faire son œuvre.
Lorsqu'il décide de se redresser, je tiens son visage entre mes paumes, et coule mon regard dans le sien.

- Je sais que tu es épuisé et que tu n'aspires qu'à une bonne douche et du repos. Je te ferais couler un bain lorsque nous serons rentrés, c'est promis. Mais avant, il faut que nous parlions. Je ne peux pas garder ça pour moi plus longtemps....C'est important.

Je prends une grande inspiration avant de me lancer.

- Bertus est venu à ma rencontre, cette nuit.

Colgan tourne mollement la tête lorsqu’il sent sa bouche sur sa peau. Il a sans doute mis quelques secondes à réaliser. Il se sent loin de son corps, si loin…
Pourtant il l’observe, son étoile. Son guide. Tout ce qui lui reste et il veillera à ce qu’elle survive à tout ça.
Elle finit par lâcher sa main et il la laisse retomber sans la retenir. Son crâne se cale contre l’appui-tête, son regard dévie vers la forêt. Il aurait aimé s’y promener cette nuit, laisser ses pattes se dégourdir. Mais il est plutôt satisfait de la première nuit de sa jeune recrue.
Quelque part il le remercie de lui avoir rappeler sa place, de lui avoir rappeler pourquoi il se bat. Peu importe qu’il passe pour un connard à ses yeux. Il n’a pas besoin de passer pour quelqu’un d’autre.

Tant qu’elle est là…

Marisol s’arrête soudain et il s’inquiète aussitôt.
- Quoi ? T’as un souci ? T’as mal quelque part ?

Mais elle se tourne vers lui et lui ouvre les bras. Colgan fronce les sourcils comme s’il ne savait pas comment se comporter.

- Viens là...

Son masque est-il si hermétique aujourd’hui que tout le monde ait envie de l’enlacer ? Ridicule ! Ca n’est pas de ça dont il a besoin ! Il a besoin d’un plan, il a besoin de solution, il a besoin de savoir qu’il n’est pas en train de précipiter sa Meute vers un épais mur de parpaing.
Alors que fait-il déjà dans ses bras ? Le nez dans son cou, les bras autour de sa taille ?
Il aimerait pouvoir se fondre dans son étreinte, disparaitre une bonne fois pour toute. Il est fatigué… Il la serre avec force, inspire à fond.

- Personne ne te regarde, si tu as besoin de pleurer. Même moi, tu vois ? Je ferme les yeux.

Les caresses dans son dos sont apaisantes, lénifiantes. Il ne se laisse pas aller au chagrin qui l’étouffe mais cherche à absorber sa chaleur, la tendresse qu’elle lui prodigue. Ses muscles meurtris se détendent doucement sous ses mains et ses baisers. Les mots qu’elle lui murmure sonnent comme une douce musique. Sa présence englobe son esprit, chasse les souvenirs pour s’ancrer à elle et elle uniquement.
Mais il sait que ça n’est qu’un sursis.

Charly et Eliott seront toujours là, il n’y a que là qu’ils peuvent résider maintenant.

Il finit par reculer et caresse sa joue du bout des doigts alors qu’elle le contemple avec un amour qu’il lui est impossible de nier. Son front chute contre le sien, sa bouche vagabonde vers la sienne sans jamais vraiment l’embrasser.
- Merci…j’en avais besoin.
- Je sais que tu es épuisé et que tu n'aspires qu'à une bonne douche et du repos. Je te ferais couler un bain lorsque nous serons rentrés, c'est promis.
- Ca me parait un super programme mais je sens venir un « mais »…
- Mais avant, il faut que nous parlions. Je ne peux pas garder ça pour moi plus longtemps... C'est important.

Sentant que le moment de détente et de tendresse est terminé, Colgan recule doucement tout contre la porte, le visage à nouveau fermé. Il la scrute avec intention. Elle semble nerveuse ce qui ne fait que renforcer sa propre anxiété. Il n’a aucune idée de ce qu’elle va lui annoncer…
- D’accord… dis-moi.
- Bertus est venu à ma rencontre, cette nuit.

Il reste un instant immobile, muet.
Il passe soudain sa main sur son visage et caquète un rire étranglé.

- Evidemment…

Une rage glacée l’étreint, mais calmement, il se tourne, ouvre la porte et sort de la voiture. Il fait quelques pas déterminés vers l’arbre le plus proche et balance sa frustration, sa haine et un vieux relent de jalousie contre l’écorce du premier arbre. Celui-ci se balance sur ses racines. Son hurlement se coince dans sa gorge et ne sort qu’en un sifflement.
La peau de ses phalanges a éclaté mais il s’en fout complètement. Il revient vers Marisol, calmé pour un temps. Quelques secondes ? Tous les muscles de son visage sont crispés, les quelques instants d’apaisement dans les bras de Marisol annihilé.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
Sa voix gronde encore de colère rentrée.  

Son rire me fait mal. Il me déchire les entrailles d'anxiété. Je me sens tellement coupable d'avoir accepter de parler à Bertus et d'avoir pleuré dans ses bras. Je ne t'ai pas trahi, Colgan, crois-moi !

Il sort de l'habitacle sans un mot. Je le suis avec une expression alarmée. J'ai l'habitude de ses démonstrations de colère rentrée, et pourtant je sursaute quand l'arbre vacille. Je me rends compte qu'une part de moi a peur, non pas de ses réactions, mais de son abandon. Je suis terrorisée à l'idée qu'il me tourne le dos à jamais, comme il le fait et qu'il s'abandonne pleine à l'obscurité.
Je déglutis.
Les mots ne viennent pas. Ils s'engourdissent sur ma langue.
Je contourne la bagnole, prenant soin de rester à l'ombre, et j'avance à pas prudents vers lui, jusqu'à atteindre la portière qu'il a laissée ouverte.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
- Il... Il voulait simplement discuter. Il tenait à m'expliquer l'ensemble de son histoire et le pourquoi il était devenu agent infiltré pour le compte de la femme qu'il aime. Tout ce qu'il a entrepris, c'était pour cette femme, Simone, pour l'aider et sans doute pour lui plaire aussi. Il est follement amoureux d'elle, Colgan, aussi follement que je le suis de toi. Tu comprends ?

Je marque un temps avant de m'approcher d'avantage et de prendre délicatement sa main abîmée entre mes doigts. Elle cicatrise déjà, néanmoins, nous savons tous deux que les blessures du cœur ne se referment jamais.

- Il était important pour lui que nous sachions que sa démarche ne visait pas à nous manipuler mais à nous protéger. Il.. Il a prétendu que nous étions ses amis et que même si nous ne voulions plus de lui dans nos vie, notre amitié, les moments passés ensembles durant ces quelques mois n'ont jamais été feints. Il tient à nous et... Je le crois.

Je presse son poing toujours fermé contre ma poitrine. Je l'enserre à deux mains.

- Je sais qu'au fond de toi, tu le crois aussi. Sa proposition était maladroite mais mue par une réelle volonté de nous aider à sortir des Hurlants... Rassure-toi, il n'a pas commis l'erreur de la réitérer, par contre il nous a proposé une solution pour nous couvrir.

Je le regarde droit dans les yeux.

- Il veut que nous le dénoncions. En apportant la nouvelle à Yvain et en faisant un raid sur la chambre d'hôte du Paradise Lost, il veut nous blanchir de toutes implications. Ce serait le moyen de régler au moins ce problème... Nous pourrions ensuite nous concentrer sur sa traque et agir plus ou moins indépendamment d'Yvain. De cette façon, au moins, nous nous dégagerions de son commandement direct.... Qu'en penses-tu ?

- Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
- Il... Il voulait simplement discuter. Il tenait à m'expliquer l'ensemble de son histoire et le pourquoi il était devenu agent infiltré pour le compte de la femme qu'il aime. Tout ce qu'il a entrepris, c'était pour cette femme, Simone, pour l'aider et sans doute pour lui plaire aussi.
- Et donc… c’est une raison suffisante pour pardonner, demande-t-il d’une voix glaciale. Bien sûr… puisqu’il s’agit de Bertus !
- Il est follement amoureux d'elle, Colgan, aussi follement que je le suis de toi. Tu comprends ?

Nouveau ricanement… Cette comparaison le débecque. Rien ne ressemble à leur histoire… rien !
Pourtant…n’a-t-il pas follement aimé lui aussi ? Si… il a juste l’impression que c’était il y a des années. Maintenant il n’y a plus que le vide et la déception…
Tête levée vers la frondaison des arbres, il se laisse glisser au sol contre la carrosserie bosselée et triture ses blessures, les réouvrant au passage. Comme s’il avait besoin du picotement de la douleur pour se rappeler qu’il peut ressentir des choses. Il ne sait que trop bien ce qu’est la douleur.
Marisol s’agenouille devant lui et récupère ce poing meurtri, encore serré de colère, l’empêchant de continuer.

- Il était important pour lui que nous sachions que sa démarche ne visait pas à nous manipuler mais à nous protéger. Il.. Il a prétendu que nous étions ses amis et que même si nous ne voulions plus de lui dans nos vie, notre amitié, les moments passés ensembles durant ces quelques mois n'ont jamais été feints. Il tient à nous et... Je le crois.
- Evidemment, répète-t-il comme une évidence douloureuse. Il suffit de quelques mots du grand et bon Bertus pour tout arranger…

Comme si le mécanisme était un peu rouillé, Colgan descend lentement le menton pour vriller ses yeux bleus dans les siens. Elle enserre son poing dans ses mains et le cale entre ses seins.

- Je sais qu'au fond de toi, tu le crois aussi.
- Ne présume de rien.
- Sa proposition était maladroite mais mue par une réelle volonté de nous aider à sortir des Hurlants... Rassure-toi, il n'a pas commis l'erreur de la réitérer, par contre il nous a proposé une solution pour nous couvrir.

Elle lui expose l’idée du vampire et Colgan l’écoute avec attention. Il a une légère contraction des muscles de sa joue.
- J’en pense que c’est une solution à très court terme. Elle ne nous servira pas à rester loin des Hurlants. Se lancer dans la traque de Bertus sans résultat ça fera que nous décrédibiliser et attirer l’attention sur nous.
Il a du mal à penser clairement et s’adosse à nouveau contre la voiture.
- Tu voudrais que je dise oui hein ? Tu voudrais pouvoir oublier sa trahison et passer à autre chose ? Faire en sorte que tout redevienne comme avant…Tout serait tellement plus simple si on pouvait effacer… mais c’est pas le cas. Moi j’efface rien…
Des tréfonds de son âme, il tente d’exprimer ce qu’il ressent.
- Bertus est le seul chasseur qu’on ait laissé entrer dans notre cercle, le seul qu’on ait laissé approcher de si près… et tout ça pour quoi ? Il a une grimace de dépit. A croire que j’apprendrais jamais à protéger les miens, hein… J’en ai ma claque de tout ça… lui et ses belles leçons de morale… ses airs de chevalier servant… il est juste…comme les autres. Cet imbécile nous fout dans la merde avec ses secrets, a le culot de nous demander de rejoindre les connards qui nous ont tout pris et se ramène maintenant la bouche en coeur avec LA solution ? Et toi tu gobes tout... sans arrière-pensée...
La colère s’est épuisée, même ça il ne le ressent plus. Comment continuer quand on a plus aucune énergie ? Plus aucune aspiration ? Plus aucun rêve ? …Un rayon de soleil filtre à travers les arbres et il se précipite pour la prendre dans ses bras et l'enserrer dans son manteau pour la protéger.
- Bertus est le cadet de mes soucis… L’influence d’Yvain grandit de jour en jour et ce que j’ai pris pour un mouvement libertaire n’est qu’une prison maquillée. On s’est enfermé tout seul dans cette situation…et la vérité…c’est que j’ai aucune idée de comment nous en sortir, Marisol…On ferait mieux de rentrer c'est pas sûr pour toi...

J'écoute. Les mots me transpercent de part en part, me déchiquètent au scalpel.
"Il suffit de quelques mots du grand et bon Bertus pour tout arranger…"

"Tu voudrais que je dise oui hein ?
Tu voudrais pouvoir oublier sa trahison et passer à autre chose ?"

"Moi j’efface rien…"

"[Il] se ramène maintenant la bouche en coeur avec LA solution ?
Et toi tu gobes tout..."

Colgan ne fait aucune concession, aucun compromis, et par dessus tout il me méprise. Désormais, en plus d'être une femme instable émotionnellement, impulsive et peu fiable, je suis en plus une idiote crédule. J'en reste les bras ballants, incapable de répondre quoi que ce soit à ce déferlement de fiel. Je me rends compte de tout ce que j'ai pu lui donner ces dernières années "sans arrière pensée", sans retour, dans la sécheresse de certaines nuits à espérer qu'il fasse enfin son deuil, qu'il puisse avancer au delà de cette épreuve. Je me rends compte qu'il n'a aucun désir d'avancer. Il s'accroche à sa peine avec hargne, crocs et griffes. La vengeance n'est pas un moyen de guérir, c'est une fin en soi.

Une fin où je ne suis même pas conviée.

L'épiphanie me laisse assommée.
Un rayon d'Inti perce les feuillages et vient caresser ma joue. Je ressens à peine la douleur tant je suis anesthésiée. Pourtant, mon derme rougit, gondole et cloque. Colgan bondit vers moi pour s'interposer et me protéger. Je sors de ma torpeur, le front contre mon torse. Je contemple ce reliquat de geste attentionné. Il m'est plus douloureux que tout le reste.

- Marisol…On ferait mieux de rentrer c'est pas sûr pour toi...

Lentement, je lève le nez vers lui, le regard vide, toute lumière éteinte. Je me glisse hors de son étreinte, indifférente à la morsure du Dieu-Soleil. Je réinvestis la place du conducteur, attend qu'il soit installé et démarre. Nous roulons en silence. Je n'ai pas l'énergie de lui répondre. Je la conserve pour une idée qui germe et s'ancre en moi avec la pugnacité des certitudes.
Arrivés chez nous, je lui fais couler un bain comme promis, avec des huiles essentielles pour calmer ses contractures. Je fais mine que l'orage est passé et que j'y médite. Je l'embrasse et le laisse savourer son repos. Une fois qu'il a plongé dans cet infusion délassante, j'allume la télévision, pour faire un bruit de fond et l'empêcher d'entendre parfaitement ce que je fais. J'attrape mon téléphone et j'envoie un texto à Bertus.

"Parlé à Colgan. Il refuse. Il ne me laisse pas le choix :
Cette nuit je vais tuer Yvain.
T'en es ?"

J'appuie sur envoi.
C'est la seule chose qui permettra de libérer Colgan et notre meute. La seule chose sensée à faire. Il est bien possible que ce soit mon dernier acte sur cette terre. Ce serait un acte désespéré comme tous les actes d'amour. Une fois cet antagoniste hors du tableau, les Hurlants seront trop divisés pour être une réelle menace.

Et Colgan aura encore sa meute à défaut d'une étoile.

Une nausée brutale m'étreint. Je me vide le plus silencieusement possible dans l'évier en espérant que mon compagnon soit trop crevé pour l'entendre par dessus l'animatrice d''ICV-Tv qui fait son laïus. Moi aussi je dois me reposer. Je vais avoir besoin de toutes mes réserves.