"Et ensuite, tu auras juste à briser le verre, et toute ta mémoire et tes souvenirs te reviendront."

"Si le souvenir ne me reconnaît pas ?"

"Comment ça ?"

"Si le souvenir ne me considère plus comme son propriétaire ?"

La réflexion me vient, lentement, très lentement, passant successivement les couches de fatigues et de nuit blanche. Jamais je n'avais sondé un esprit comme celui du phœnix. J'ai l'impression d'évoluer dans un désert où, à part ces quelques derniers mois, il n'y a strictement rien. Cependant, en creusant un peu, j'ai pu y découvrir des racines, de très nombreuses racines profondément ancrées dans son paysage mental. Malgré cela, je suis bien incapable de dire à quoi les arbres de ses souvenirs ressemblaient avant. Heureusement, cela ne semble pas déranger le piaf le moins du monde. Du moment que je sauvegarde sa vie actuelle, il paraît satisfait. Je lui souris, ou plutôt lui fais l'ombre d'un sourire. La compassion me gagne, mais ne s'accroche pas.

"Je suis persuadé qu'il n'y aura aucun souci, que les souvenirs se remettront en place même dans ta prochaine fie. Si jamais cela ne marcherait pas, je... enfin... moi, je garde tout, quoi qu'il en soit."

Un sourire satisfait, et voilà le plumeau repartit pour de bon. Je regarde son ouvrage. Il plonge les mains dans le sable et en sort une masse gélatineuse transparente et rougeoyante. Même à plusieurs mètres de lui, j'en sens d'ici la chaleur. Il passe une main sur son front ce qui fait un petit "pcchht" presque amusant.

Mes yeux sont fixés sur l'espèce de pâte de verre entre ses doigts et toutes les expressions de mon visage tombent instantanément. Une barre de verre s'est détachée du reste et s'est brisée sur le sol, sans bruit, mais tranchante à ses pieds nus. Orion n'a même pas eu l'air de s'en rendre compte. Chaque petite partie qu'il ne touche pas se refroidit rapidement. Il prend, pétrit, forme, déforme, et reforme avec un savoir-faire particulier. Je n'avais jamais vu d'artisans travailler comme lui auparavant, on dirait qu'il a appris il y a quelques semaines à peine, ce qui est sans doute le cas, mais qu'il s'agit d'un instinct très affuté enfoui depuis longtemps.

Sans m'en rendre compte, je me suis assis dans le sable, mes jambes se repliant contre ma poitrine, et mes coudes sur les genoux. Ce n'est que maintenant que je commence à entrevoir ce qu'il est en train de former : une plume de verre, délicate, légèrement blanchie par les éléments qui se trouvent dans le sable. Cette fois, je pose mon front contre mon avant-bras, grognant légèrement à cause de la douleur qui n'a pas tout à fait disparu. L'ombre, complice, commence à m'entourer et m'assure une relative discrétion.

En cet instant, j'ai envie de disparaître et de me dissoudre comme le sable entre ses mains expertes. J'en serais presque arrivé à détester ce phœnix qui est heureux en amour et confiant en l'avenir. Je suis pas comme ça, je le sais, mais cette colère en moi n'arrête pas de refaire surface, quoi que je fasse, qui que je voie, je me sens affreusement seul, seul au milieu du monde, un comble...

C'est alors que je me souviens qu'une seule personne ne peut pas se faire avoir par mes ombres, et cette personne est en train de s'approcher de moi discrètement. Quand je m'en rends compte, je sursaute immédiatement, bondissant sur mes pieds.

"PUTAIN !"

J'expire mes derniers sanglots, essuie rapidement mon visage dans le but de cacher larmes et autre, et essaie de sourire. Cela ne passera pas, je le sais. J'ai le visage qui a bien cicatrisé, mais je sais qu'elle va se rendre compte de quelque chose... et si ce n'est physiquement, alors ce sera mentalement. Bon, allez, détournage d'attention !

"Pardon Chhaya, tu m'as fait peur. J'admirais notre ami le phœnix. Il est juste là-bas. Ouais, il n'a que 8 mois, il ne les fait pas, hein ? On a déjà du bol qu'il sache parler !"

C'est vrai qu'il a un physique adulte, mûr, et toujours ses yeux d'enfants.

Je détourne le regard, en espérant que Chhaya ne le recherche pas. Elle ne mérite pas d'avoir cette journée gâchée.

And before I let one more tear hit the ground
I will be the one standing between you and the sound
Of the rounds echoing out
Out of the dark, the smoke and the spark
Aimed at the heart of the flame
I am the keeper, ooh

Est-ce l'instinct du coeur ?
Alors qu'elle lisse les plis de la petite robe noire que lui a prêtée Elie, une pensée la traverse et impose le visage de Baphomet.

Ils se sont quittés la caboche pleine de plans, d'espoirs, d'idées... Un pas  de plus effectué dans sa quête avec le gain d'un précieux allié. Depuis, plusieurs semaines se sont écoulées avec sont lot de bouleversements : son fils est arrivé du Pandémonium en secret, elle a rencontré les Mengh, aidé Björn a obtenir son bâton de sorcier, organisé les détails de son départ avec Octavia. Elie a accouché d'un adorable petit Gabriel. Elle a rencontré un nécromant et un dullahan caché de leur côté...

Et lui ?
Comment se porte-t-il ?
L'envie l'étreint de le voir dès à présent et ne la quitte plus. Sa silhouette ombreuse se dématérialise et se fond à la flaque de son ombre projetée. Dans les Ténèbres, elle se déplace sans effort, jusqu'à trouver la brèche adéquate.
Il est là, recroquevillé sur la plage, tandis qu'un être étrange métamorphose la silice en merveilleuses sculptures de cristal. Pourtant, Chhaya se désintéresse de ce fascinant spectacle, alarmée par la posture de Baphomet et l'état de son âme, saignante. Il pleure à chaudes larmes et cette vision cause à la Gardienne des Fosses une peine immense.
Alors, elle s'approche de lui, l'entoure de ses volutes de pénombre et de son affection. Le démon se retrouve soudain entouré par les bras menus de Chhaya et relève le menton en sursaut.

- PUTAIN !
- Ce que je ne suis pas, fait-elle avec un sourire amusé.

Il tente vainement de dissimuler sa tristesse mais ne trompe personne.

- Pardon Chhaya, tu m'as fait peur.
- Navrée.
- J'admirais notre ami le phœnix. Il est juste là-bas. Ouais, il n'a que 8 mois, il ne les fait pas, hein ? On a déjà du bol qu'il sache parler !

Pour l'heure , le fameux phénix ne la préoccupe en rien.
Avec une infinie douceur, la psychopompe ramène le visage de Baphomet vers le sien. Elle essuie des pouces les sillons humides de ses larmes. Il a des écorchures ça et là, à peine cicatrisées. Qu'a-t-il pu bien vivre pour se mettre dans un tel état ?

- Mon pauvre corbeau.. Que t'est-il donc arrivé ? demande-t-elle avec une inquiétude sincère.

Car il est vain de dissimuler quoi que ce soit à la Grande Inquisitrice.

"Bien sûr que non que tu ne l'es pas !"

Heureusement, elle sourit. Malheureusement, elle comprend rapidement.

Oh non non non. Me voilà comme un corbac pris dans les phares d'un train en plein tunnel. Elle va me faire parler de moi. J'ai pas envie. Je ne veux pas voir de la pitié dans ses yeux, je ne veux pas qu'elle me dise ‘je te l'avais dit’ ou au contraire ‘je ne t'ai rien dit, mais je le savais…’ je ne veux pas qu'elle me dise ‘je comprends’, m'abreuver de phrases pleines de bon sens, je ne veux pas non plus qu'elle se taise…

“Elle a préféré quelqu'un d'autre.”

Je sais qu'elle sait de quoi et de qui je parle.

Et voilà, mes canaux lacrymaux se contractent à nouveau, sous ses yeux, comme si l'inquisitrice commandait à mon corps directement, moi qui pensais ne plus avoir aucune larme à produire. Je me sens si ridicule d'y avoir cru, d'avoir espéré qu'une femme comme elle puisse être intéressée un tant soit peu par un type comme moi. Putain, ce que je suis con, ce que je me sens con...

Je serre Chhaya contre moi comme une bouée s'arrime à son rocher en pleine tempête. Elle peut supporter un peu plus de force, je le sais. Elle aura le droit de se moquer, bien sûr, de me dire que je suis le roi de l'abandon autoproclamé, mais juste pas tout de suite. Là, c'est juste de la douleur. Le pire ? Je ne veux pas que Lexi soit la fautive, je ne veux pas être le con, et je ne veux certainement pas que les deux hommes qu'elle a choisis et/ou re-choisi soient les connards de l'histoire. Je ne veux rien de tout ça. Je veux juste comprendre...

"...pourquoi ?..."

J'expire en chevrotant et inspire contre Chhaya. Me voilà. Abandonné de nouveau. L'espoir de ces derniers temps envolé en fumée. Ma patience qui me retombe dessus comme une lourde chape de plomb tellement j'ai attendu et espéré. Si seulement j'avais un moyen de tout arrêter, là, tout de suite. D'arrêter de penser, de réfléchir, d'aimer. Je ne dis pas que je n'ai pas envisagé le pire, que j'ai pas eu l'idiotie de penser que je pourrais... Bref...

"...Enfin, ce n'est pas grave. Peut-être que je serais le prochain, et le bon, qui sait ? Après tout, je la connais depuis plus longtemps que les deux loustics réunit."

J'admets, même moi, je n'y crois pas vraiment. Ou du moins, pas présentement. Seulement, si Mémoire pouvait oublier un amour nourrit avec patience, espoir et enthousiasme d'un seul claquement de doigt, ça se saurait. J'essaie de sourire, un sourire qui sonne plus vrai, parce qu'il est aussi teinté de tristesse. Je renifle, et ajoute sur un ton presque désespérément amusé.

"La bonne nouvelle est que je suis à 100% concentré sur notre mission !"

Reste à savoir si maintenant que l'histoire est dehors, elle ne me fera plus aussi mal.

"Et... et toi, quoi de neuf ?"

- Elle a préféré quelqu'un d'autre.
- Je vois... répond Chhaya avec douceur.

Ses tristes hypothèses se sont donc confirmées : l'attentisme de Baphomet a permis à un autre de ravir le coeur de Lexi. Il n'y a rien que la Gardienne ne puisse faire, sinon être l'amarre, solide et infaillible dans cette tempête. Elle maintient Baphomet à flots, tout contre son giron, le berçant presque, le menton dans ses boucles brunes qu'elle caresse avec toute la tendresse du monde.

- ... Pourquoi ?...
- Je n'ai aucune réponse à t'apporter pour apaiser ta souffrance, mon gentil corbeau. Je sais Métamorphoser une âme, la modeler à ma convenance, mais rien ne saurait dompter, ou infléchir le cœur d'un être vivant. C'est une chose sauvage, chaotique et imprévisible. Rien de ce que décide le cœur n'est logique et il faut accepter cette seule âpre vérité : il n'y a aucune explication au pourquoi un cœur résonne d'avantage avec un autre et pas avec le sien.
- ...Enfin, ce n'est pas grave. Peut-être que je serais le prochain, et le bon, qui sait ? Après tout, je la connais depuis plus longtemps que les deux loustics réunit.

Chhaya grimace imperceptiblement.
Elle opte pour la franchise, même si la chose risque d'être difficilement acceptée.

- Par deux fois, elle t'a préféré un autre. Pourquoi cela devrait-il être différent la troisième, si troisième il y a ? Pardonne-moi, mon précieux ami, mais je pense avant tout à ton bien-être. Apprends peut-être de cette expérience, tente d'en tirer une analyse sur ton propre fonctionnement -puisque tu ne peux influer sur le cœur de l'autre- et peut-être que la prochaine fois, lorsque tes sentiments s'enflammeront pour une personne toute neuve, tu feras les choses différemment... Un certain sage m'a dit un jour que même si l'expérience est douloureuse, l'amour est une aventure qui nous nourrit et ne doit pas être regrettée.
- La bonne nouvelle est que je suis à 100% concentré sur notre mission !

La Grande Inquisitrice embrasse le sommet du crâne du démon malheureux.

- Je n'en ai jamais douté.
- Et... et toi, quoi de neuf ?
- Hé bien, Elehiel a accouché, Kaelig et elle sont les heureux parents d'un petit Gabriel. Mon fils est venu me rendre visite par surprise. C'est un secret entre toi et moi et uen poignée d'autres pour le moment. Il a mûri et trouvé amour et paix auprès d'une jeune sorcière et de son père veuf. C'est allé vite en besogne mais il n'a jamais été plus heureux que ces derniers jours. J'ai sympathisé avec cet autre parent solitaire et c'est un homme des plus charmants. Un excellent joueur de go et un amateur de jazz. Björn a été reconnu par Odin et sa foi en a été restaurée, comme son humeur d'ailleurs. Il est plus taquin que jamais. Oh.. et sinon, je porte une robe. Je n'en avais plus portée depuis.... ma vie précédente, je crois. Elle est présentement pleine de sable et un peu froissée mais je crois qu'elle ne ma va pas si mal... Qu'en penses-tu ? questionne-t-elle avec grand sérieux.

Pendant ce temps, l'homme-phénix continue d'œuvrer candidement à ses créations sans faire attention à eux.

Bien sûr qu'elle voyait. J'aurais aimé une réponse plus viscérale, ou peut-être pas. J'en sais rien en fait. Je me laisse bercer, je me laisse aller contre Chhaya, respirant laborieusement comme l'immature émotionnel que j'ai toujours été. Après ma question, elle me donne une réponse presque normale. Entre ses bras, je secoue la tête. Non, je refuse d'abdiquer, pas comme ça, pas maintenant.

"Parce que la première fois, elle ne savait pas. Et la seconde fois... Je ne sais pas... Je ne sais vraiment pas... J'ai la sensation de ne pas avoir eu ma chance."

...Que mes propres sentiments n'ont pas été pris en compte.

"J'adorerai, vraiment, voir la vérité que tu m'offres. J'aimerais simplement accepter et passer à autre chose... Mais je l'aime pour de vrai. Je passerai ma vie à l'attendre s'il le faut."

En cet instant, la simple idée de m'enflammer pour une personne neuve, quoi que cela veuille dire, m'est quasiment insupportable. Elle m'avait accepté, elle a même appris de moi des choses que je n'ai jamais dites à personne. En contrepartie, j'ai sondé sa mémoire, je l'ai apprise par cœur, me repassant des pans entiers de son existence comme on le ferait d'un bon film. J'aurais pu la rendre heureuse, sans nuances, sans mélange, et surtout sans regrets. Je me contenterai d'être là, son meilleur ami, son confident, son... vous savez ? Ce type chiant dans les relations, le "il est comme un frère pour moi". On n'a qu'à dire que ce sera moi, et voilà, du moins en attendant de pouvoir être plus.

Je me calme en entendant ses mots, son histoire, paisiblement. J'ai besoin de me concentrer sur quelque chose, ce sera Chhaya. J'écoute ce qu'elle a à me dire, ayant un sourire, quasi un rire quand j'apprends que son fils a rencontré l'amour, lui aussi. Ah tiens, Chhaya serait-elle en train de rompre avec Björn pour ce mystérieux parent solitaire ? Une fois de plus, je suis simplement heureux si Odin a parlé à quelqu'un et l'a aidé à aller mieux. La jalousie envers mon maître ne m'étreint même plus pour ces choses-là et je ne m'en rends compte que maintenant. Au moins le chagrin d'amour à du bon pour relativiser.

Hésitant, je m'écarte un peu, baissant mes yeux gonflés sur sa robe. Puis, je murmure d'une voix sincère...

"Tu es très jolie, Chhaya. Tu as fait cette robe toi-même ?"

Je lui prends délicatement la main pour la faire tournoyer sur elle-même. De son mouvement, c'est comme si elle chassait les ténèbres qui nous entourent. Cette fois, j'en suis convaincu, je n'ai absolument plus aucune larme à offrir à qui que ce soit. Je serre les dents en décidant que je garderai ma rage pour la bataille à venir. Cela vaudra mieux pour tout le monde, je pense.

"Je suis désolé de m'être laissé aller ainsi. Cela ne se reproduira plus."

Malgré sa gentillesse, Chhaya n'est pas celle qui doit recevoir de moi que des plaintes et des geignements. Putain. Je la croise deux fois, et deux fois, elle me surprend en train de pleurer. Elle va me prendre pour le plus fragile des démons à ce train-là.

"Du coup, dois-je aller chercher une chèvre pour toi et ce mystérieux père solitaire ?"

Je tire un peu sur sa main pour prendre Chhaya entre mes bras, en une position de danse, comme un couple qui s'apprêterait à faire des premiers pas précis et cadencés.

"Ma plus grande peine est que tu ne danseras pas pour moi."

- Parce que la première fois, elle ne savait pas. Et la seconde fois...
- Elle n'a pas compris ?
- Je ne sais pas... Je ne sais vraiment pas... J'ai la sensation de ne pas avoir eu ma chance.
- Peut-être que tu ne l'a pas prise, tout simplement. Ou peut-être que si elle n'a pas laissé cet espace, c'est qu'il n'y en avait tout simplement pas...
- J'adorerai, vraiment, voir la vérité que tu m'offres. J'aimerais simplement accepter et passer à autre chose... Mais je l'aime pour de vrai.
- Aime-t-on autrement ? Personne n'aime "pour de faux", Baphomet.
- Je passerai ma vie à l'attendre s'il le faut.

Chhaya se réfrène de lui dire qu'il serait plus juste de dire "la vie de Lexi à attendre" étant donné qu'elle sera plus courte que la sienne. Son pragmatisme dépassionné risquant de le heurter, elle pousse un soupir et n'en ajoute pas davantage. La plaie est trop fraiche, la douleur trop intense pour qu'un discours raisonnable puisse l'atteindre. Soit, en amie fiable et fidèle, elle se tiendra à ses côtés quelques soient ses choix.

L'amour "romantique" est décidément un véritable poison.

Elle aborde donc des sujets plus triviaux et légers, afin de le dérider. Ils se lèvent tous deux et elle tourne sur elle-même pour lui montrer sa petite robe noire patineuse, toute simple.

- Tu es très jolie, Chhaya. Tu as fait cette robe toi-même ?

Elle éclate de rire.

- Par Mort, non ! C'est Elehiel qui m'en a fait don. Jin m'apprend le foxtrot et j'avais envie de danser dans une tenue qui marque les mouvements.
- Je suis désolé de m'être laissé aller ainsi.
- Pourquoi ? Nous sommes amis, tu peux t'offrir le luxe d'avoir mon épaule pour pleurer.
- Cela ne se reproduira plus.
- Ne dis donc pas de bêtise, le gourmande-t-elle avec autorité. Tu es émotif et cela n'a rien de honteux. Tu es de nature entière et expansive, c'est ainsi.
- Du coup, dois-je aller chercher une chèvre pour toi et ce mystérieux père solitaire ?

Kali lui donne une petite tape sur l'épaule.

- Mais veux-tu cesser de me mettre en couple à chaque occasion qui se présente ? J'ai déjà assez à faire avec les taquineries de Björn. Jin est un homme d'agréable compagnie et un excellent joueur de go, ce qui ne gâche rien. Et j'apprécie prendre le thé avec lui de temps à autre. Garde ta bakaree pour une autre fois !

A sa grande surprise, la voilà attrapée à la taille pour une valse improvisée. Elle pourrait s'offusquer mais décide de suivre son impulsion avec un battement de cils appuyé sur ses grands yeux noirs.

- Ma plus grande peine est que tu ne danseras pas pour moi.
- Mais je peux le faire avec toi. Tu sais danser le foxtrot ? fait-elle avec un sourire malicieux.

Je... n'aime pas cette conclusion. Ça me renvoie limite au fait que j'aurais dû la harceler pour l'avoir. Je n'ai pas envie de cela. Je ne veux pas être ce type-là, jamais. Je préfère l'autre idée, celle selon laquelle je ne suis pas assez bien pour elle malgré toute ma bonne volonté. Oui, c'est mieux, plus agréable pour mon esprit totalement fucked up.

"Disons qu'il y a des gens qui s'en remettent plus facilement. Il y en a aussi qui abandonnent plus vite. Ou encore... qui ont juste un coup de sang, un crush, ou ce genre de chose qui font que les gens pensent avec leur bite et pas grand-chose de plus."

Si, il y a des gens qui aiment pour de faux, mais qui aiment avec sincérité... sur le moment. C'est délicat à exprimer, mais je l'ai déjà ressenti au travers de mes souvenirs et à force d'arpenter les mémoires. En fait, je pense qu'il y a autant de forme d'amour que de relation entre les gens existants. En d'autres circonstances, j'aurais trouvé cela fascinant à analyser... Mais là, j'ai trop à panser pour avoir à penser.

Après le séchage de mes larmes, je lui présente platement mes excuses. Bon, elle sait que je suis un fragile émotif. Ça, au moins, c'est fait !

"C'est un terme que tu utilises souvent pour moi... 'entier'... qu'est-ce que cela signifie exactement ?"

Bon, l'avantage est qu'elle me sourit quand j'essaie de la mettre avec... Jin, c'est cela ? Et visiblement, Björn les a aussi shippé ensemble. Ça, c'est mon frangin à moi ! Hey ! Elle a plus bu le thé avec lui qu'avec moi ! Fais attention, madame, tu risques de me rendre un peu envieux, là.

"Les jeux de sociétés t'intéressent ?"

Quand elle est contre moi, je crains un terrible instant qu'elle n'aime pas ce contact. Cependant, loin de chercher à me repousser, j'ai la sensation qu'elle se détend.

"Le froxtrot, c'est pour les frimeurs. Je préfère largement le boléro où les deux danseurs sont entièrement concentrés l'un avec l'autre, se jaugent, se rapprochent..." petit gain de temps. Alors. Recherche Foxtrot. Ah oui, là, cette dame le dansait à merveille. Ce jeune homme aussi. J'intègre quelques pas de danse et beaucoup de créativité et d'improvisation. "Dans une bonne danse..." je prends la main de ma partenaire pour la lever en l'air et entourer son avant-bras et son poignet avec le mien, comme deux serpents qui s'enlacent et qui cherchent leur point d'appuis. "... il faut déjà s'apprivoiser, se mesurer, pour adapter nos pas l'un à l'autre." Je commence à faire un pas en avant, et attends que Chhaya fasse de même afin que nous tournions ensemble l'un avec l'autre en un cercle impeccable. Je la regarde dans les yeux, me tenant parfaitement droit comme rarement je l'avais été auparavant. "Et dans cette danse, c'est la femme qui décide des rapprochements ou non, et c'est l'homme qui guide. À lui d'être suffisamment sécurisant et attirant pour elle."

Je passe Chhaya d'un bras à l'autre, nous faisant sortir de l'ombre totalement. Cette fois, plusieurs personnes nous regardent évoluer sans musique.

- C'est un terme que tu utilises souvent pour moi... 'entier'... qu'est-ce que cela signifie exactement ?
- Que tu vis tes sentiments pleinement, les bons comme les mauvais, sans jamais les diluer. Tes joies, tes peines, tes élans d'amour ou de haine... Tu les vis et les subis aussi, parfois, comme des raz-de-marée. Tu ne sembles pas capable de la moindre concession ou nuance sur ce point. C'est à la fois une force et un fardeau. Tout comme ce pouvoir qui est tien...

Chhaya lui caresse la joue.

- J'oserais même dire que parce que tu risque à tout moment de te noyer dans un million de souvenirs qui ne t'appartiennent pas, tu t'accroches à tes expériences personnelles avec une détermination farouche...

Prompt à lui prouver ses dires, Baphomet l'attrape soudain par la taille avec la volonté presque possessive d'avoir lui aussi droit à sa danse.

- Le froxtrot, c'est pour les frimeurs.
- Je pourrais presque croire que tu fais preuve de jalousie... s'amuse-t-elle
- Je préfère largement le boléro où les deux danseurs sont entièrement concentrés l'un avec l'autre, se jaugent, se rapprochent...
- Je ne connais pas ces deux formes de danse, mais, ce que tu décris semble être la base de toutes danses impliquant un couple, non ?
- Dans une bonne danse, il faut déjà s'apprivoiser, se mesurer, pour adapter nos pas l'un à l'autre.

Avec une grâce naturelle, la psychopompe se laisse manipuler et guider.

- Une métaphore des relations humaines, en somme... souffle-t-elle avec un sourire, en faisant un pas à son tour vers lui.

Leurs doigts mêlés, les deux démons se dévorent intensément du regard. Comme souvent, il y a de quoi se noyer dans les chaudes ténèbres des prunelles de la Gardienne des Fosses. Elles sondent l'âme de tout être qui ose y plonger une oeillade.

- Et dans cette danse, c'est la femme qui décide des rapprochements ou non, et c'est l'homme qui guide. À lui d'être suffisamment sécurisant et attirant pour elle.
- Chaque pas est une question implicite, poursuit-elle sans rompre le contact de leurs yeux ou de leurs mains.
- Quel genre d'homme es-tu ?
Elle continue de lui tourner autour comme pour jauger de la réponse.
- Puis-je te faire confiance ?
Elle amorce un pas en arrière avant d'enrouler , à contrario, sa silhouette gracile le long du bras de son partenaire, collant momentanément son dos contre son torse. Elle lève le menton vers lui dans une attitude d'une intimité troublante, exprimant une fugace fragilité.
- Prendras-tu soins de moi ?
Chhaya échappe à Baphomet en pirouettant sur elle même jusqu'à ce qu'il la retienne à bout de bras.
- Ou bien me détruiras-tu, comme tous les autres avant toi...

Ils reprennent leur étrange chassé-croisé, sans jamais se perdre de vue. Chhaya fait totalement abstraction des sirènes venues se percher sur les rochers pour mieux les observer, du phénix qui a soudain pris conscience de leur existence, des pêcheurs au loin qui étendent leurs filets, des promeneurs sur les falaises...

Il n'y a qu'elle et Baphomet.
Et le sable sous leurs pieds.

Je suis sidéré par la capacité de Chhaya à voir de belles choses en moi. Être émotif a toujours été un fardeau, être étrange, voire bizarre aussi... Mais là, avec elle, je m'en sens presque fier. Oui, c'est une force. Ma gorge commence à se desserrer un peu. Je commence à comprendre seulement maintenant que contrairement à ce que je croyais, je n'aurais pas préféré rester seul.

"Je reviendrai te voir après l'affrontement qui va suivre. Peut-être que j'aurais perdu un doigt, qui sait ? Si ça m'arrive, tu ne pourras plus jamais me dire que je suis "entier"..."

J'inspire dans sa paume, comme si je respirais pour la première fois depuis... que je me suis senti totalement à part, que j'ai pété un plomb -entres autres-. En tout cas, l'heure n'est pas aux regrets, il n'est même pas à l'introspection. J'ai envie de profiter de cette journée !

Nous commençons à danser en silence, presque en secret.

"Jaloux est mon second prénom."

Sincèrement, je pense que tout le monde s'en est largement rendu compte, depuis le temps. Nous parlons danse tandis que je laisse son corps se fondre dans mes bras.

"Absolument pas. Il est des danses qui se font seuls devant une personne choisie qui ne bouge pas, des danses réservées à des courtisanes. Il est des danses qui se font démonstrations, c'est le cas de la plupart des spectacles Bollywoodiens, même s'il n'y a que deux partenaires, je connais beaucoup de danse qui ne se font que le cercle privé le plus strict, parce que les mouvements sont beaucoup trop intimes pour être montrés. Comme il n'existe pas qu'une seule manière de faire l'amour, il n'existe pas qu'une seule manière de danser... même à deux."

Et oui, je dois dire que je suis d'accord. La danse est l'expression des relations humaines. Elle peut même se substituer magnifiquement au sexe, dans certains cas. J'adore danser, je n'excelle pas, mais peu importe.

"Chaque pas est aussi une réponse secrète."

Je continue de la regarder dans les yeux tandis qu'elle tourne autour de moi.

"Quelqu'un qui aime les défauts des gens plus que leurs qualités."

Après son petit tour, je la renverse en arrière, afin qu'elle perde l'équilibre juste un petit instant.

"Je pense que tu le sais déjà."

Je la laisse partir avant de serrer ma main autour de la sienne et d'arrêter son mouvement de recul. Je tire légèrement pour qu'elle vienne à nouveau contre moi.

"Si tu me laisses faire, oui."

Ma main se serre autour de la sienne. Un frisson glacé me prend à sa nouvelle question qui me fait perdre un peu pied. J'ai beaucoup de mal à répondre à cette question. Pour moi, elle n'a rien d'une femme détruite, bien au contraire. Ensuite, hormis son mari de quand elle était en vie, je ne pensais pas qu'il y en avait d'autres qui l'aient atteinte, à part son amour éconduit, peut-être. Mes yeux quittent ses abysses un instant, comme pour rechercher la réponse en moi. Je ne veux pas lui dire quelque chose dont je ne serais pas absolument certain... Mais je suis si... bizarre... Et puis je fais fuir tout le monde, même sans le vouloir. Finalement, je prends conscience qu'il n'y a qu'une seule réponse possible. Mes yeux rencontrent les siens à nouveau, dotés d'une détermination nouvelle. Je la fais tournoyer, glisser contre moi, et je la penche à encore, très près du sol, avant de la remettre lentement debout.

"Jamais."

Autour de nous, les applaudissements naissent timidement. Quelques sifflements approbateurs aussi. Je n'avais pas remarqué que nous avions du public. Je reviens à Chhaya et je fais un geste particulièrement théâtral en m'inclinant pour la remercier. Je m'autorise même un baisemain.

Il va me falloir encore un peu de temps pour me remettre totalement de mon cœur en miette et ne plus passer de colère en tristesse comme un enfant qui saute de flaque en flaque, et si je dois être tout à fait franc avec moi-même, je pense que ça ne partira jamais vraiment. Cependant, Chhaya a réussi la prouesse de me faire aller mieux le temps d'une danse.

"Je pense que tu n'as pas idée à quel point tu viens de m'aider. Merci beaucoup pour cette danse. S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour toi, ici et maintenant, ou plus tard par la suite, je suis ton obligé. Garde-toi de l'oublier."

À nouveau, je m'incline, beaucoup moins théâtralement, cette fois.

...bordel, voilà que je pense et parle comme elle !

Chhaya s'abandonne aux bras respectueux de son partenaire. C'est un privilège qu'elle n'accorde que rarement. Elle a eu beau se crisper malgré elle la première fois, son corps a su se laisser aller les suivantes, offrant un spectacle d'une inénarrable délicatesse. Elle sait qu'elle ne craint rien.

Leur chorégraphie improvisée prend fin.
Applaudissements et vivats accueillent leur ultime figure.

Chhaya, souriante répond en écho à la gracieuse salutation de Baphomet. Et, alors qu'il adopte ses manières personnelle, si formelles, c'est à elle d'emprunter un soupçon de sa spontanéité.
Elle se pend à son cou et dépose un doux baiser sur sa joue.

- Adorable petit oiseau... Comment pourrais-je l'oublier puisque je t'ai à mes côtés ? Fait-elle avec une simplicité désarmante. Elle pose une paume sur sa poitrine. Je suis heureuse d'avoir été une amie secourable et d'avoir un peu alléger le poids sur ce grand coeur.

Avec une désinvolture complice, elle s'accroche à son coude.

- Bien... et si tu me présentais ce fameux ami phénix ? J'ignorais qu'il était verrier. C'est un beau et vieux métier..

Je suis... Je n'ai pas les mots... Très peu de langues pourraient se targuer d'avoir les mots qu'il faut, en réalité... Un mélange de surprise, et de cette sensation cheloue que son propre cœur est en train de fondre.

"J'...Je suis pas un si petit oiseau que ça..."

Ouais, s'agirait pas d'être doué en danse ET éloquent, ne soyons pas vulgaire non plus. En tout cas, mes joues sont en feu quand elle pose ses lèvres dessus. Mon regard devient plus sincère, plus sérieux aussi, et je pose ma main par-dessus la sienne, sur ma poitrine.

"C'était inespéré, encore merci."

Je nous dirige donc vers Orion qui s'est totalement arrêté de travailler pour nous regarder l'un et l'autre.

"Alors quelques mots à propos de notre ami...." Comment dire ça ? "... non, tu découvriras cela par toi-même."

D'un geste de la main, comme un prestidigitateur, il fait apparaître une fleur de verre dans sa main.

"Il paraît qu'à la fin d'une danse, il est de bon ton d'offrir quelque chose à sa partenaire, une nouvelle danse, un baiser, un verre, ou une fleur. Je vous donne cette fleur pour que vous puissiez la donner à cette femme à votre bras."

Oh bordel...
Il va me faire passer pour un couillon...
Mais je ne peux plus reculer à présent.

Je prends la fleur d'une finesse délicate et la lâche dans un grognement. Heureusement, le réflexe de télékinésie la garde en suspension entre mes paumes et elle ne s'est pas écrasée par terre. Je me mords la lèvre et ferme les yeux en respirant fortement, les mains tremblantes de part et d'autres de l'œuvre.

"C'est... hyper... chaud..."

"Ah oui ? Pardon." dit-il comme s'il s'était juste pointé avec 5 minutes de retard à un rendez-vous.

Finalement, je tends la main et touche la tige du bout des doigts. Quand elle me semble supportable, je m'en saisis et l'offre à Chhaya dans un sourire.

"Orion ? Je voulais te présenter Chhaya."

Les yeux étrangement dorés du phœnix passent de moi à Chhaya et il me pose la question sans doute la plus désarmante possible.

"Pourquoi ?"

"Euh... Hé bien... Pour que nous nous connaissions tous les uns les autres. C'est important vu ce qui se prépare en ce moment. Tu penses pas ?"

"D'accord." il se tourne vers Chhaya "Vous avez une peau inhabituellement belle. On dirait un mélange de cuivre et d'étain, un bronze absolument parfait."

Ce poulet n'aime pas les hommes, ou tout ce qui est plus ou moins masculin. Il accorde à Chhaya toute l'attention qu'elle souhaite et paraît fuir mon propre regard. Je ne le prends pas mal, j'ai sondé son esprit et je comprends parfaitement pourquoi.

"Avez-vous envie que je vous fasse quelque chose en verre ? Euh non... Attendez... Bonjour, je m'appelle Orion. Vous êtes Chhaya, je suis enchanté de vous rencontrer." il dit cela comme s'il récitait un texte appris par cœur. "Je suis à votre service pour vous confectionner ce que vous désirez. Le verre que je fabrique est très solide. Je peux aussi soigner des gens, mais je n'ai pas le droit d'en parler.."

- Alors quelques mots à propos de notre ami....
- Je suis toute ouïe.
- Non, tu découvriras cela par toi-même.
- Hé bien ! Un être troublant au point de t'en faire perdre ton verbiage, voilà qui est intriguant ! fait-elle avec un petit sourire malicieux que Baphomet commence désormais à connaitre.

L'être qui se tient devant elle dégage une prestance naturelle et un peu décalée. Tout dans sa silhouette dégingandée et son profil accidenté rappelle la figure de l'oiseau. Au creux de son être, là où seul un Bourreau peut porter le regard, brule un feu inextinguible au flammes vivaces multicolores.
Une incongruité fascinante.

- Il paraît qu'à la fin d'une danse, il est de bon ton d'offrir quelque chose à sa partenaire, une nouvelle danse, un baiser, un verre, ou une fleur. Je vous donne cette fleur pour que vous puissiez la donner à cette femme à votre bras.
- Baphomet, tu vas te ...
- C'est... hyper... chaud...
-... Brûler, conclue Chhaya avec une légère grimace.
- Ah oui ? Pardon.

Finalement, la fleur de verre lui est offerte. Kali l'accepte avec un sourire semblable à celui de Baphomet, et s'en désintéresse presque aussitôt, plus accaparée par les rougeurs sur les phalanges du démon que par les ciselures raffinées de la création de cristal.

- Tu ne souffres pas trop ? Les blessures faeriques peuvent être impactantes pour nous, tu sais ... Sa mésaventure avec le Cavalier-sans-tête en atteste. Une fois rassurée, elle s'intéresse à la fleur. Un hibiscus ? C'est là ma fleur préférée. Quel drôle de coïncidence..., déclare-t-elle quelque peu surprise, en jetant un regard vers le mystérieux Orion. Dommage qu'elle n'en possède pas le parfum...La psychopompe côtoie bien assez de choses mortes pour s'en encombrer d'une nouvelle, aussi artistique soit-elle.
- Orion ? Je voulais te présenter Chhaya.
- Pourquoi ?
- Euh... Hé bien... Pour que nous nous connaissions tous les uns les autres. C'est important vu ce qui se prépare en ce moment. Tu penses pas ?"
- D'accord. Vous avez une peau inhabituellement belle. On dirait un mélange de cuivre et d'étain, un bronze absolument parfait.
- C'est là un compliment très élaboré qu'il me faut remercier, n'est pas ? Elle lance une oeillade en biais à son comparse démoniaque avant d'en revenir à Orion. Si le phénix semble dénier Baphomet, Chhaya ne semble pas vouloir l'évincer de cette conversation. Merci, auquel cas.
- Avez-vous envie que je vous fasse quelque chose en verre ? Euh non... Attendez... Bonjour, je m'appelle Orion. Vous êtes Chhaya, je suis enchanté de vous rencontrer.
- Bonjour, Orion, je suis Chhaya, je suis de la même espèce que ton ami Baphomet.
- Je suis à votre service pour vous confectionner ce que vous désirez. Le verre que je fabrique est très solide.
- Je n'ai nul besoin de ton art pour le moment mais c'est très aimable de le proposer.
Elle s'adresse à lui, comme elle le ferait avec un enfant. Sans circonvolution, avec simplicité et franchise.
- Je peux aussi soigner des gens, mais je n'ai pas le droit d'en parler..
- Ne viens-tu pas de le faire ? s'étonne Chhaya. Mais soit, n'en parlons pas si c'est interdit. Je ne veux pas que tu trahisses une promesse ou une règle imposée. Tu es le premier phénix que je rencontre. Y'en a-t-il d'autre comme toi ?

Voilà un couple étrange. Je connais l'homme, mais ma sirène m'a toujours demandé de me méfier des hommes... Elle m'ai aussi demandé à mi-mot de ne pas m'approcher des femmes non plus, mais je crois qu'elle a peur que j'en aime une autre qu'elle, ce qui est absolument impossible. Leur danse était vraiment très belle à regarder, j'aimerais bien savoir danser de la même manière, mais je n'ai pas appris encore. Quand la scène prend fin, je me joins aux autres pour applaudir. Je n'ai pas le temps de décider que faire après, que le couple s'approche de moi. Baphomet me semble moins nonchalant que d'habitude, et ses yeux sont rouges.

Il me présente la femme, Chhaya, donc, et m'explique qu'il est important que je la connaisse. Je me demande bien pourquoi parce qu'elle ne semble pas beaucoup s'intéresser à l'hibiscus que je lui ai fabriqué. Je comprends un peu tard qu'elle était inquiète de l'état des mains de son ami.

La dame m'intéressé parce qu'elle est différente des autres. Elle regarde droit dans les yeux, sans se soucier si cela dérange ou non, comme pour aller directement à l'essentiel. Moi, cela me va tout à fait. Je dis ce que je pense, bien qu'on m'ait parfois demandé de m'en abstenir, et elle me demande si elle doit me remercier pour cela. Je penche légèrement la tête sur le côté. Elle aussi ignore les règles basiques de bienséance ? Comme moi ?

Alors, je me présente, comme on me l'a appris. Je ne suis pas à l'aise devant tous ces gens, je préfère voir les personnes une par une. Je parle de mon talent connu et de mon talent inconnu et qui doit le rester.

"Non, je l'ai juste mentionné. Vous pensez que c'était interdit aussi ?"

Je ne le regrette pas, cependant. D'un côté, je n'ai pas envie d'être chassé pour mes plumes, mais d'un autre côté, je n'ai pas envie de laisser quelqu'un souffrir inutilement. À la question de Chhaya, je secoue la tête avant de me rappeler qu'une réponse formulée est toujours beaucoup mieux perçue.

"Non, je suis le seul. Il paraît que je meurs, et que je renais à chaque fois. Il paraît aussi que mon arrivée ici et maintenant n'est pas une coïncidence. Le problème, c'est que j'oublie tout, et il faut que je réapprenne. Parfois, c'est un peu douloureux."

C'est à mon tour de lui poser des questions, je crois ?

"Et vous êtes la première dame de bronze que je rencontre. C'est vous qui êtes arrivée récemment, par le portail, c'est ça ? Comment c'est, l'enfer ?"

- Non, je l'ai juste mentionné. Vous pensez que c'était interdit aussi ?
- Je pense, oui, opine Chhaya. Mieux vaut ne pas l'évoquer du tout. Ce sera mieux protégé ainsi. Tu es le premier phénix que je rencontre. Y'en a-t-il d'autre comme toi ?
- Non, je suis le seul. Il paraît que je meurs, et que je renais à chaque fois. Il paraît aussi que mon arrivée ici et maintenant n'est pas une coïncidence.
- Probablement. Nous vivons un tournant historique.
- Le problème, c'est que j'oublie tout, et il faut que je réapprenne. Parfois, c'est un peu douloureux.

La Gardienne des Fosses se tourne vers Baphomet avec une certaine sollicitude.

- Vous vous êtes bien trouvés : un être incapable d'oublier et qui s'encombre de tous les mémoires de l'univers et un autre qui s'oublie jusqu'à lui même...

Elle craint de comprendre ce que le démon a pu proposé à Orion : emmagasiner ses souvenirs. Elle pose une paume sur le bras de son ami.

- J'imagine sans peine le rôle que tu joues pour Orion, mais j'aimerais, à l'avenir, que tu cesses de te considérer comme une coquille vide capable de recueillir les vécus de chaque âme que tu croises. Cela t'affecte et te fragilise. Il faut te protéger... Toi, ta psyché, tes émotions et tes propres souvenirs, s'inquiète-t-elle.
- Et vous êtes la première dame de bronze que je rencontre.
- Vraiment ? La Faërie manque donc à ce point de diversité ?
- C'est vous qui êtes arrivée récemment, par le portail, c'est ça ?
- Il y a cinq mois, désormais, mais j'imagine que pour une créature comme toi, le temps est relatif. Mais oui, nous sommes arrivés bruyamment, avec une moitié de monstre.
- Comment c'est, l'enfer ?

Chhaya arbore une petite moue qui lui fronce le nez.

- En tout point améliorable, finit-elle par déclarer sobrement. Baphomet m'a évoqué une amie sirène, tu la connais peut-être ? Est-elle comme nombre de ses soeurs : joueuse, primesautière et... soumise à Titania ?

Mince, j'ai dit quelque chose d'interdit. Je baisse le regard pour essayer de comprendre. Alors cela doit être secret pour de bon ? Je trouve cela tellement dommage. Mais il paraît que c'est pour mon bien, pour que je ne sois pas chassé pour mes plumes comme trophée ou élément de valeur. Je souris à la Dame de bronze. J'aimerais qu'elle m'en dise plus sur ce qui va arriver. Je suis assez frustré de voir qu'il y a deux interlocuteurs : ceux qui pensent que je sais déjà tout, et ceux qui pensent que je ne suis pas assez mûr pour le comprendre.

"Pouvez-vous me dire le fond de votre pensée à ce sujet, s'il vous plaît ?"

Chhaya se tourne vers Baphomet que je regarde à mon tour. Je suis assez étonné du fait qu'elle dise qu'une mémoire est encombrée. Cela doit être merveilleux de se souvenir de tout dans les moindres détails ! Je suis tout aussi étonné qu'elle prenne immédiatement une attitude de compassion pour lui. Lui, d'ailleurs, répond par un rire.

"Ouh là, t'inquiètes belette ! Avec celui-là, le jeu en vaut très largement la chandelle !"

Le démon me regarde et sourit. Je sais qu'on ne peut rien demander à un démon sans une lourde contrepartie, et je sais qu'il n'y a aucune raison pour que celui-là fasse exception. Pour le moment, je ne sais pas ce qu'il va me demander en retour, mais je soupçonne qu'il sache très exactement de quoi il en retourne.

"Mais... merci. Je ne me considère plus comme une coquille vide. Je suis un être à part entière qui rend juste des services de sa spécialité contre... d'autres services."

La dame de bronze me parle de ma Faërie natale que je n'ai jamais connue.

"En réalité, je suis né ici, sur cette plage. Je ne me souviens pas de mon monde d'origine. Pour moi, le monde est peuplé de trois-cent-quarante-et-une personnes... Non... trois-cent-quarante-deux ! Depuis deux semaines !"

Moi qui pensais en savoir plus sur l'enfer, je me retrouve avec une description aussi relative qu'imprécise. J'aurais aimé en imaginer les contours, les couleurs, les habitants, les plantes et les animaux, ainsi que les reliefs. Il paraît qu'il y a plusieurs royaumes... Mais mon corps se tend à la mention de ma sirène. Je fusille Baphomet du regard qui ne semble même pas comprendre le problème. Je n'aime pas que l'on parle de l'amour de ma vie, cela me donne presque l'impression d'en être un peu dépossédé.

C'est... réellement curieux comme sensation.

"Elle est joueuse, belle, féroce, dangereuse, mais en aucun cas, elle n'est soumise à qui que ce soit." dois-je réellement dire tout ce que je sais de sa défiance toute récente vis-à-vis de sa reine, qu'elle est en train de la désavouer parce qu'elle suit beaucoup trop Titania, ce qui l'empêche de régner convenablement ? "Titania en particulier." Baphomet a un sourire condescendant. Il sait ce qu'elle représente pour moi, et ça l'amuse. "Pourquoi ? Qu...qu'est-ce que vous lui voulez ?"

- Pouvez-vous me dire le fond de votre pensée à ce sujet, s'il vous plaît ?
- A quel propos exactement ? demande Chhaya avec sa tranquillité de ton usuel. Posez-moi précisément vos questions et je tâcherais d'y apporter une réponse, si toutefois je la détiens.

La conversation effectue un léger détour, soulignant l'attachement sincère de la Gardienne des Fosses à son ami corvidé.

- Ouh là, t'inquiètes belette ! Avec celui-là, le jeu en vaut très largement la chandelle ! Mais... merci.
- Bien sûr que je m'inquiète, adorable nigaud ! A jouer avec le feu, on se brûle, mon cher ami. J'imagine que c'est là l'attrait de la chose, te connaissant... déclare-t-elle avec un petit sourire complice, en coin.
- Je ne me considère plus comme une coquille vide. Je suis un être à part entière qui rend juste des services de sa spécialité contre... d'autres services.
- Peut-être, mais tu ne te préserves pas pour autant !

La psychopompe lui tapote le bout du nez de son index gracieux avant d'en revenir à Orion et sa mystérieuse compagne. Les informations qu'elle obtient sont à la fois curieuses et intrigantes.

- C'est très étrange.... Je n'ai jamais eu vent de la présence d'un Phénix dans le monde des Vivants. Peut-être qu'il existe d'autres êtres de votre nature en Faërie. Y avez-vous songé ? Avez-vous tenter d'en rechercher ? Avec la fusions des deux univers, les choses que nous pensions immuables se métamorphosent en profondeur...

Orion évoque ensuite sa compagne.

- Elle est joueuse, belle, féroce, dangereuse, mais en aucun cas, elle n'est soumise à qui que ce soit. Titania en particulier.
- Voilà qui m'intéresse au plus haut point.
- Pourquoi ? Qu...qu'est-ce que vous lui voulez ?
- La rencontrer et si possible m'en faire une alliée, voir, peut-être même une amie, qui sait ? Une merrow qui ne suit pas aveuglement sa souveraine et son impératrice est une sœur de l'eau selon mon cœur.

Je souris. J'aime que les gens veulent de la précision.

"J'aimerais que vous me parliez de ce que vous voyez dans ce tournant historique. Considérez que je suis un être qui vient de naitre et vous ne serez pas loin de la vérité. Considérez-moi comme quelqu'un qui ne sait rien de rien, un enfant à qui vous raconteriez une histoire."

La démone s'inquiète pour le démon, et je suis étrangement touché par cette marque d'affection. Elle l'insulte au passage et je trouve cette manière de faire très étrange. Lui ne semble pas le prendre mal, au contraire, c'est presque comme si elle venait de lui faire le plus beau des compliments.

"Je vous promets que je ne le brûlerai plus..."

S'il n'y a que ça pour la rassurer, je peux au moins le dire.

Elle me parle d'autres phénix, mais je sais que c'est peine perdue.

"Il y a quelqu'un qui me connaissait avant, et il m'a toujours dit que j'étais le seul de mon espèce." Et je ne pense pas qu'il m'ait menti. "Ou alors, je suis plusieurs, sur plusieurs époques différentes, mais qu'un seul à la fois."

J'aime bien le monde des humains, celui des démons m'est encore inconnu, mais il me tarde de découvrir leurs us et coutumes. Elle me demande sur ma compagne et je me sens devenir méfiant instantanément. Elle me parle d'en faire une alliée, et une amie, et une sœur de l'eau... et cela me rassure.

"Elle ne suit personne aveuglement, et elle se méfie du monde... Mais c'est d'accord, je vous la présenterai si vous le souhaitez. Je vous prie d'avance d'excuser dès maintenant ses manières peu orthodoxes et le rire que cela va inévitablement provoquer chez moi."

-J'aimerais que vous me parliez de ce que vous voyez dans ce tournant historique. Considérez que je suis un être qui vient de naitre et vous ne serez pas loin de la vérité. Considérez-moi comme quelqu'un qui ne sait rien de rien, un enfant à qui vous raconteriez une histoire.
- Entendu, Orion. lui répond Chhaya avec sollicitude. Pour la première fois depuis des millénaires immémoriaux, les Infinis, ces entités qui permettent de cimenter les réalités par leur présence, on brisé leurs propre règle en intervenant directement sur les univers qu'ils génèrent. Celle que l'on nomme Unseelie est probablement Vie, mais une Vie en colère, dévoyée et prête détruire ce monde pour le rendre plus "sain". Or, tout l'équilibre subtile des mondes est bouleversé par cette prise soudaine de position. A commencé par Mort, qui a disparu et dont le Pandémonium ne parvient plus à traiter les âmes des défunts; ou Rêve, autrefois assassiné, mais qui s'est morcelé en petits éclats logés dans le corps d'humains que l'ont nomme Miraculeux, ou encore Destin qui cherchent à contrôler la situation et empêcher sa soeur de causer de trop gros dégâts dans le tissus des réalités. Malheureusement, il y a déjà des dommages terribles et irréversibles : le monde des humains et celui des Faes convergent l'un vers l'autre et leurs réalités sont en train de fusionner, s'écrasant par endroit. L'épicentre du phénomène est Tir Nà Nog, cette ville qu'Unseelie a conquise et prise pour fief. Si nous ne faisons rien, tout ce que nous avons connu de bon comme de mauvais disparaitra. Comprends-tu mieux à présent ? Je fais partie de cette humanité, même si je ne m'occupe que des défunts d'ordinaire. Et je refuse de voir cela disparaitre sans notre consentement. Que nous gagnions ou perdions l'affrontement à venir, les univers en seront à jamais métamorphosés..

Et elle n'emploie pas ce mot à la légère.
La conversation se poursuit, paisiblement. L'attachement du phénix solitaire pour sa compagne est palpable, presque possessif et rappelle à la Gardienne des Fosses l'amour  juvénile de son propre fils. Des enfants aux atours de jeunes hommes.

- Elle ne suit personne aveuglement, et elle se méfie du monde...
- Une attitude des plus avisées par les temps qui courent.
- Mais c'est d'accord, je vous la présenterai si vous le souhaitez.
- J'en suis enchantée ! Je te laisse le soin d'organiser un rendez-vous et je viendrais. déclare Chhaya avec sincérité.
- Je vous prie d'avance d'excuser dès maintenant ses manières peu orthodoxes et le rire que cela va inévitablement provoquer chez moi.
- Je vis parmi les ours, cela devrait sans doute m'aider à faire face ! Du reste, elle ne manque pas d'humour.

La promenade continue ainsi, au bord de la plage, baignée du soleil de fin d'été. Une promenade pétrie de promesses et de rencontres.