Le sommeil la fuit. Depuis qu’elle a reparu dans cette dimension, elle ne se sent plus tranquille. Comme si elle était redevenue la jeune fille traquée d’alors, comme si de très nombreuses années ne s’étaient pas écoulées depuis. Pourtant, aux vues des bribes d’informations qu’elle a obtenues d’Urgèle, elle comprend que cette dimension à non seulement bien changé, mais a bien d’autres problèmes à régler.  

Etrangère dans un lieu qui fut chez elle. C’est une sensation étrange.

Elle contemple un moment le sommeil paisible de son amie naine, reconnaissante qu’elle ait acceptée de la suivre dans cette aventure. Lorsqu’elles sont parties, tout ce qu’elle savait, c’était que l’humanité était en péril et que la Faërie s’apprêtait à s’allier à elle pour la première fois depuis… depuis toujours.

Saba était résolue à n’en avoir rien à faire. Elle s’était construite une autre vie en Faërie, loin de la menace des chasseurs et des autres Djinns. Une vie calme, apaisée ou elle était utile, ou elle avait réussi à ne plus être « l’intruse ». Une vie ou elle ne souffrait plus autant de la perte des siens.

Mais la vérité, c’est qu’elle avait assez fui. Saba a été élevée en guerrière, et aujourd’hui, si elle avait une infime chance d’aider ce qu’il reste des siens, elle se devait de la saisir.

Son propre monde lui manque.
La communion avec sa terre.

Depuis qu’elles se sont arrêtées pour dresser leur camp, Saba ressent d’étranges vibrations émaner du volcan qu’on lui a dit venir du pays des dragons. Finalement, lasse d’attendre le sommeil, elle empoigne son bâton et se laisse guider. Plus elle avance, plus la chaleur se fait ressentir et elle retire une couche de tissus. Elle s’arrête lorsque les pulsations de la terre se font douloureuses. La Djinn sait que c’est là qu’ils ont tous disparus.
Toute une génération de djinns avalée dans le néant.

Elle se met à genoux et après une hésitation pose ses mains couvertes de dessins aux hennés au sol. Avec précaution, elle y infuse son pouvoir. Une vague de chagrin, de désespoir et d’horreur la prend à la gorge. Les dernières émotions ressenties par les disparus ont été si violentes qu’elles se sont imprimées dans le sol tout autour du sinistre et lui sont renvoyées comme un boomerang. Elle en étouffe et émet un faible hoquet d’agonie avant de réussir à s’échapper, retirant vivement ses mains.

Saba a été si absorbée par cet abyme d’énergie négative qu’elle ne ressent que trop tard une présence autre.
Vivement, elle se relève, son bâton de combat en main et essuie maladroitement les larmes qui ont coulé toutes seules sur ses joues.

- Qui va là ! Montrez-vous ! parvient-elle à lancer d’une voix ferme.

Mes pas me ramènent souvent à Tae Alam et au volcan des dragons qui la remplace désormais. Parfois, les dernières discussions avec Amon me hantent et je me retrouve ici, à parcourir le périmetre comme pour essayer de comprendre comment tout ça est arrivé.

Est-ce que Tae'Alam aurait disparu si Amon avait été là?
Est-ce que, lui aussi, je ne l'ai pas assez soutenu?
Est-ce que je porte aussi cette responsabilité?

Tout à ma marche contemplative, je tombe nez à nez avec un scène qui me bloque complètement. Une jeune femme, agenouillée par terre, semble capté des choses vraiment pas chouette au vu de ses réactions.
Je m'approche quand elle se relève soudainement et esquive in extremis le baton. Elle pleure et malgré sa tentative à demi-raté de les essuyer, ça se voit.

-Qui va là ! Montrez-vous !

Je sors du couvert que je m'étais constitué. Mains levés.

-Bonsoir? J'ai aucune intention de me battre.

Malgré la hache à ma ceinture.

-Vous aviez l'air assez mal donc je me suis approché...?

Je souris, espérant diminuer mes chances de prendre un vieux coup de bâton dans la tronche.

-Je m'appelle Asmodée, j'habite un peu plus loin dans la forêt... Et vous?

- Bonsoir ? J'ai aucune intention de me battre.

L’inconnu ne semble effectivement pas hostile. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne l’est pas. Son regard aussi foncé que la terre coule sur sa haute taille et s’arrête sur l’arme qui pend à sa taille.
Elle penche la tête. Il émane de lui quelque chose de puisant, très puissant. Pas faërique cela dit. Elle désigne son arme d’un coup de menton.

- Suis-je sensée vous croire sur parole ?

Après quelques secondes, Saba baisse toutefois sa garde, redressant habilement son bâton en le plantant dans le sol.  

- Vous aviez l'air assez mal donc je me suis approché... ?
- Oh… gênée d’avoir été aperçue dans un moment de faiblesse et d’intimité, Saba en reste un instant, muette. Elle s'efforce de retirer les derniers reliquats de ses larmes. La Terre est meurtrie en ce lieu. Terriblement meurtrie. Vous savez ce qu’il s’est passé ici ? Ce fut tellement violent qu’elle a… comme absorbé leurs derniers instants. C’est cela, que j’ai ressenti. Trop vies s'éteindre subitement...  

La Djinn a un violent frisson et chasse résolument les bribes d’émotions qui s’attardent dans son esprit.

- Je m'appelle Asmodée, j'habite un peu plus loin dans la forêt... Et vous ?
- Saba. Son sourire à elle se teinte d’une forme d’hésitation. Saba Zand. Je viens de Faërie, du royaume des Nains. Mais je ne suis pas une Fae, ajoute-t-elle sans doute inutilement. Je viens de ce monde, à la base…

Elle se mord la lèvre, soudain gênée. A-t-elle perdu toute capacité de communication avec un étranger ? Il semblerait. Il va pourtant falloir qu'elle réapprenne et vite. Comme il va falloir qu'elle assimile les nombreux changements de ce monde.

- Je suis revenue parce que j’ai cru comprendre que l’heure était grave pour l’Humanité comme pour les Faes. Pardonnez-moi mais… qu’êtes-vous ?

Si elle sait très clairement qu’il n’est pas qu’humain et peut ressentir un peu de magie émaner de lui, elle n’arrive toutefois pas à identifier sa nature.

-Suis-je sensée vous croire sur parole?

Je penche la tête et suis son mouvement jusqu'à ma hache..

-Je serais particulièrement stupide de sortir dans cette forêt sans moyen de défense, vous ne croyez pas? argué-je en souriant.

Elle baisse sa garde avant même que je termine ma phrase. Ca me rassure un peu. Je n'ai pas spécialement la tête à me battre et il y a assez eu de morts dans ces lieux.
Elle est visiblement genée que je la prenne sur le fait. Le silence s'installe, pas spécialement léger. Je lui tends un mouchoir qu'elle ne calcule pas spécialement. Tant pis. Il réintègre ma poche.

-La Terre est meurtrie en ce lieu.
-Je veux bien vous croire...

Une djinn, donc, une Ardhi avec ça. Ils ne sont pas nombreux. Ils le sont d'autant moins avec ce qu'il s'est passé.

-Vous savez ce qu'il s'est passé ici? Ce fut tellement violent qu'elle a... Comme absorbé leurs derniers instants.

Je pousse un soupire épuisé et je hoche la tête.

-C'est cela, que j'ai renssenti. Trop de vies s'éteindre subitement...
-Ici se dressait Tae Alam, une école pour Djinn... Lorsque les mondes se sont superposés, elle a été ecrasé par ce lieu. Je suis navré.

Un moment flotte à nouveau avant que je ne me présente.

-Saba. Saba Zand. Je viens de Faërie, du royaume des Nains. Mais je ne suis pas une Fae. Je viens de ce monde à la base.
-Vous êtes une Ardhi, n'est-ce pas? C'est un très bon ami qui dirigeait cette école. clarifie-je avant de revoir le baton de trop près.

-Je suis revenue parce que j'ai cru comprendre que l'heure était grave pour l'Humanité comme pour les Faes. Pardonnez-moi... mais qu'êtes-vous?
-Vous êtes toute pardonnée, Saba. Je suis un Prince-Démon et un avatar d'une divinité.

Je souris gentiment.

-Effectivement, l'heure est grave. Une créature surpuissante souhaite merger nos deux mondes. Elle a déjà fait beaucoup de dégats dans le miens et l'arrivée de la Faërie montre qu'elle ne s'arrêtera pas qu'au mien. Venez-vous tout juste de quitter la Faërie?

- Ici se dressait Tae Alam, une école pour Djinn... Lorsque les mondes se sont superposés, elle a été écrasée par ce lieu.

La Djinn se tourne là où se dressait certainement l’école.
- Je sais, souffle-t-elle. Je l’ai appris. C’est une tragédie pour les miens. Tant de jeunes vies fauchées… C’est tout un avenir qui s’est éteint.  
- Je suis navré.
Elle le fixe un instant puis hoche la tête.
- Vous n’y êtes pour rien. Il est ironique que le premier effort sensé de notre race se solde par une telle tragédie.

Vient alors le temps des présentations, sans doute un peu maladroites.  

- Vous êtes une Ardhi, n'est-ce pas ?
- Effectivement, confirme-t-elle en plissant les yeux, se demandant quel est à présent le statut des Ardhis dans ce monde. Je suppose qu’ils ont cessé de nous exterminer si une telle école a pu voir le jour.
- C'est un très bon ami qui dirigeait cette école.
- Et vous l’avez donc perdu. J’en suis désolée. Vous êtes venu pour vous recueillir ? Je suis revenue parce que j'ai cru comprendre que l'heure était grave pour l'Humanité comme pour les Faes. Pardonnez-moi... mais qu'êtes-vous ?
- Vous êtes toute pardonnée, Saba. Je suis un Prince-Démon et un avatar d'une divinité.
Une fois encore, son regard se fait scrutateur, curieux.
- Prince-démon… répète-t-elle avec une lueur amusée dans le regard. Je quitte un roi pour tomber sur un prince… Voilà un mélange peu commun. Impossible auraient dit les plus anciens. Elle a un mince sourire. Mais la sagesse ancestrale à ses limites. De quelle divinité s’agit-il ? Elle a soudain une moue embarrassée. Navré… ce n’est peut-être pas quelque chose que l’on demande.
- Effectivement, l'heure est grave. Une créature surpuissante souhaite merger nos deux mondes.
- J’en ai entendu parler. Et je le sens. Elle fait un geste vers le sol. La fusion s’étend profondément mais elle est si peu naturelle et forcée qu’elle provoque… ce genre de catastrophe.
- Elle a déjà fait beaucoup de dégâts dans le miens et l'arrivée de la Faërie montre qu'elle ne s'arrêtera pas qu'au mien.
- C’est certainement ce qui a précipité cette alliance entre les deux mondes. Une alliance qui fait beaucoup parlé d’elle, ajoute-t-elle.  
- Venez-vous tout juste de quitter la Faërie ?
- Oui, je voyage depuis quelques jours avec une amie, presque une sœur à vrai dire. Elle sourit tendrement à la mention de la naine. Elle doit ronfler comme un sonneur et ne se réveillera pas avant midi. Nous ne sommes pas loin du camp où logent les réfugiés, je crois…

Elle se demande alors pourquoi elle a quitté son monde rassurant pour… l’inconnu le plus total.
- Le monde a dû tellement changé depuis que je l’ai quitté… Lorsque je suis partie, l’Humanité venait à peine d’admettre que la terre était bien ronde. Une nouvelle renversante… elle plante un regard plus déterminé dans celui du démon. Dites moi Asmodée, avez-vous la moindre idée où je pourrais me rendre le plus utile pour vous aider dans votre lutte ?  

- Prince-démon… Je quitte un roi pour tomber sur un prince… Voilà un mélange peu commun. Impossible auraient dit les plus anciens. Mais la sagesse ancestrale à ses limites. De quelle divinité s’agit-il ? Navré… ce n’est peut-être pas quelque chose que l’on demande.

Je ne retiens pas un rire amusé. Je hausse les épaules.

-Le titre est bientôt obsolète, du moins, nous nous y employons. Et pour ce qui est de la divinité? Je suis Odin, Père de tout. Un peu ronflant si vous voulez mon avis.

Je m'enquis de la présence de cette jeune dame dans les parages. Je réalise que ce contact pourrait s'avérer très précieux.

-Oui, je voyage depuis quelques jours avec une amie, presque une soeur à vrai dire.

J'imagine que, venant du royaume des nains, il s'agit d'une naine.

-Elle doit ronfler comme un sonneur et ne se reveillera pas avant midi. Nous ne sommes pas loin du camp où logent les réfugiés, je crois...

Je hoche doucement la tête en désignant la direction du camp.

-Tout à fait. Il est de ce coté. Souhaitez-vous que je vous y emmene?
-Le monde a dû tellement changé depuis que je l'ai quitté... Lorsque je suis partie, l'Humanité venait à peine d'admettre que la terre était bien ronde. Une nouvelle renversante.

Ca fait effectivement quelques siècles de savoirs et d'innovation à rattraper... Je ne sais même pas par où commencer... La dernière fois que j'ai lu quelque chose sur la galopante evolution de la société humaine on était à un indice exponentiel de x500 000. C'est pas qu'elle va être perdu. C'est qu'elle aura meme pas commencé à trouver.

-Il s'est passé quelques petites choses depuis... Oui... Je vous raconterai à l'occasion.

Je commence à me demander si le camp est une si bonne idée. Il est possible que toutes cette nouveauté la fasse fuir. L'humanité a vraiment beaucoup évolué en un laps de temps très court. Je n'ai pas le temps d'en arriver à une conclusion que Saba me lance un regard déterminé.

-Dites-moi Asmodée, avez-vous la moindre idée où je pourrais me rendre le plus utile pour vous aider dans votre lutte?

Je penche la tête un instant et plisse un peu les yeux.

-Difficile à dire, comme ça. Je ne remets en doute aucune de vos capacités mais je viens de vous trouver au pied d'un volcan. Vous dites venir de Faërie et j'avoue avoir besoin d'informations sur ce "nouveau" monde. Je pourrais vous fournir des informations sur le mien également. Pour le reste, j'imagine que ça dépend de ce que vous savez faire? Nous avons besoin de tout... La ville où habitait les gens de notre camps a été ensevelie sous un brouillard où réside un certain nombre de créatures mortifères qui n'ont rien à voir avec ce que nous pouvons découvrir dans vos forêts. Nous avons autant besoin d'intelligence que de forces vives.

Je désigne la direction de mon chalet.

-Si vous souhaitez, j'habite par là. Nous pourrions conversé autre part qu'à coté d'un lieu de mort massif. Ca ressemble à un meilleur cadre pour de futurs alliés, vous ne croyez pas?

Odin ? Un dieu nordique, donc. Oui, elle suppose que cela lui va bien. Elle grimace à la mention du « Père de Tout ».
- De tout ? Impressionnant, déclare Saba avec dans le ton une subtile ironie. Vous avez dû être très occupé !
Les hommes, peu importe la race, se pense toujours « Père » de grandes choses. Le roi des nains ne se fait pas appeler Père de la Pierre pour rien.
Elle se trouve toutefois soulagée d’apprendre que leur voyage touche à sa fin. Soulagée et angoissée.

- Tout à fait. Il est de ce côté. Souhaitez-vous que je vous y emmène ?
- Le monde a dû tellement changer depuis que je l'ai quitté... Lorsque je suis partie, l'Humanité venait à peine d'admettre que la terre était bien ronde. Une nouvelle renversante.

Va-t-elle être submergée d’informations, de nouvelles inventions ? L’Humanité a tellement évolué au fil des siècles. Elle se doute bien qu’elle n’a pas cessé. Comment assimiler tout cela à la veille d’une importante bataille ?

- Il s'est passé quelques petites choses depuis... Oui...
- « Quelques »… je suppose que c’est une manière de me ménager. Je suis certaine que l’Homme vole à présent ! L’Humanité a toujours été fasciné par le ciel.
Alors que la vraie richesse se trouve sous leurs pieds.
- Je vous raconterai à l'occasion.
- C’est… étonnement aimable ! Etes-vous aussi charmant avec toutes les créatures qui peuplent la forêt ? demande-t-elle avec un petit sourire amusé. Elle n’oublie nullement la hache. J’ai bien réussi à m’adapter à une autre dimension, je n’ai plus qu’à réitérer l’exploit.

Et pour cela, rien ne vaut de mettre la main à la patte ! Elle n’est pas revenue par curiosité mais pour agir.

- Dites-moi Asmodée, avez-vous la moindre idée où je pourrais me rendre le plus utile pour vous aider dans votre lutte ?
- Difficile à dire, comme ça. Je ne remets en doute aucune de vos capacités mais je viens de vous trouver au pied d'un volcan.
- Vous auriez préférez une montagne ?
- Vous dites venir de Faërie et j'avoue avoir besoin d'informations sur ce "nouveau" monde.
- Je vois… un échange de bons procédés.
Celui lui parait logique.
- Je pourrais vous fournir des informations sur le mien également. Pour le reste, j'imagine que ça dépend de ce que vous savez faire ?
- Tout ce que savent faire les Ardhis… avec quelques particularités.
Elle n’est pas restée non plus inactive chez les nains auprès desquels elle a appris d’autre maniement de la matière.  
- Nous avons besoin de tout... La ville où habitait les gens de notre camp a été ensevelie sous un brouillard où réside un certain nombre de créatures mortifères qui n'ont rien à voir avec ce que nous pouvons découvrir dans vos forêts. Nous avons autant besoin d'intelligence que de forces vives.
- Reste à savoir dans quelle catégorie je suis. Si tant est que je suis dans l’une des deux.

Elle sourit plus largement, commençant à comprendre comment cet Asmodée fonctionne. Elle a suffisamment côtoyé de « puissants » pour en reconnaitre un. L’esprit analytique, la petite lueur de calcul dans le regard, comme s’il essayait déjà de déterminer si elle allait avoir une quelconque utilité. Cela ne dérange pas Saba. Être utile, elle ne demande que cela.

- Vous avez une place importante dans ce monde, n’est-ce pas ?
- Si vous souhaitez, j'habite par là. Nous pourrions converser autre part qu'à côté d'un lieu de mort massif.
Saba réfléchit un instant à la question. S’il devait être une menace, il ne se donnerait certainement pas la peine de l’amener jusque chez lui.
- Entendu… dites moi que vous avez du thé ou de la menthe et je serai la plus heureuse des femmes. Je crois avoir fait une overdose de bière naine.
- Ça ressemble à un meilleur cadre pour de futurs alliés, vous ne croyez pas ?

Elle éclate de rire.
- Vous allez vite en besogne, Asmodée… vous me donnez quelques secondes ?

Saba se remet à genoux et pose son bâton au sol. La terre tremble légèrement sur un petit périmètre autour d’elle. Subitement, elle se redresse et tout un pan de roche sort de terre. Les mains de l’Ardhis s’agitent dans une sorte d’étrange ballet alors qu’elle façonne la pierre. Sur ses mains, ses tatouages au henné se teintent de cuivre pendant qu’elle œuvre. En quelques secondes s’élève une sculpture représentant les quatre éléments mêlés, s’élevant vers le ciel.

La Djinn ramasse son arme en contemplant sa création. Elle pose brièvement sa main sur le bras du dieu-démon avec un sourire un peu triste.

- Vous me donnerez les noms des disparus ? Je les graverai dans la pierre. Alors… dites-moi, reprend elle sur le chemin. Que voulez-vous savoir ?

-De tout? Impressionant. Vous avez dû être très occupé !
-Ou je suis très orgueilleux, à vous de voir! lance-je avec un sourire amusé et un clin d'oeil.

Je me contente d'établir qu'il s'est passé pas mal de chose depuis son départ.

-Quelques...

Je pose les mains sur les hanches, de l'air de ceux qui ne savent pas bien par où commencer.

-Je suppose que c'est une manière de me ménager.
-Un peu...
-Je suis certaine que l'Homme vole à présent ! L'Humanité a toujours été fasciné par le ciel.
-... Ils volent. Ils sont même allé sur la lune... Vraiment, on va y aller par etape, sinon, je vais vous perdre.

Je pouffe de rire.

-Je vous raconterai à l'occasion.
-C'est... étonnement aimable !
-Ah, tout moi, Etonnant et aimable.
-Etes-vous aussi charmant avec toutes les créatures qui peuplent la forêt ?
-Envers celles enclines à la conversation plutôt qu'au combat? Oui.

Je vois bien son regard glissé vers la hache.

-J'ai bien réussi à m'adapter à une autre dimension, je n'ai plus qu'à réitérer l'exploit.
-Voilà une belle disposition!

Elle enchaine en me demandant ce qu'elle pourrait faire pour se rendre utile et, même si une petite part de moi est un peu méfiante. Après tout, je la rencontre en plein milieu de la forêt, ce pourrait être un piège élaborer. Cette idée manque d'un motif précis, cependant.
Malgré tout, une personne comme Saba est une vraie aubaine pour collecter des informations et je suis persuadé qu'Elie et Kaelig ne me pardonneraient pas de ne pas ramener une alliée de Faërie qui se trouve être prête à aider au dela des accords du concile.

-Vous avez une place importante dans ce monde, n'est-ce pas?

La question me surprend assez pour arrêter mon chemin de penser. Je cligne des yeux et détaille la jeune femme.

-Je me demande bien ce qui vous fait pensé ça. Vous êtes perspicaces, Saba.

Elle est perspicace et honnête. J'ai un petit rire à peine caché : Elie va l'adorer. Je l'invite à rejoindre mon chalet.

-Entendu... Dites moi que vous avez du thé ou de la menthe et je serai la plus heureuse des femmes. Je crois avoir fait une overdose de bière naine.
-Vous êtes en veine, j'ai une certaine quantité des deux.

Je me permets une petite pirouette qui déclenche l'effet escompté : Saba rit.

-Vous allez vite en besogne, Asmodée... vous me donnez quelques secondes ?
-Bien sûr.

Je l'observe faire. C'est une Ardhi d'une puissance phénoménale au vu du pan de roche qu'elle fait se dresser et qu'elle sculpte avec une facilité enfantine. C'est un monument aux morts d'une splendeur naturelle. Elle se retourne vers moi, visiblement affectée.

-Vous me donnerez les noms des disparus ? Je les graverai dans la pierre.
-Je ne les connais pas tous, malheureusement. Cependant, je vous guiderai aux quelques survivants, ils vous donnerons ce que vous chercher et peut-être pourrez-vous leur donner un peu de paix comme ça.
-Alors... dites-moi, que voulez-vous savoir ?
-Tout ce que vous pouvez m'apprendre. Je n'ai pas été présent pendant un long moment et j'ai besoin de contexte sur la Faërie. Quelles sont les pouvoirs en place? Comment ont été perçu les décisions du concile?...

Je pousse un soupire en traversant une clairière.

-J'aimerais réussir à déterminer de qui les miens doivent se méfier.

Je me tourne vers elle avec un sourire triste.

-Ils ont déjà beaucoup trop perdu, vous comprenez ?

Et Unseelie leur fera probablement perdre encore plus avant la fin de cet affrontement. Si quelque chose doit nous frapper juste après sans que nous ne l'ayons prévu, alors c'est notre survie à tous qui est en péril.

-Dites moi, Saba. Que puis-je vous apprendre de mon coté?

- Je me demande bien ce qui vous fait penser ça.
- Mon petit doigt, louvoie-t-elle avec un petit sourire.  
- Vous êtes perspicaces, Saba.
- C’est qu’il faut l’être un minimum pour survivre dans un monde qui n’est pas le sien et qui a des règles bien différentes.

La Djinn se sent le devoir d’ériger une sculpture pour honorer les morts.
- Vous me donnerez les noms des disparus ? Je les graverai dans la pierre.
- Je ne les connais pas tous, malheureusement. Cependant, je vous guiderai aux quelques survivants, ils vous donneront ce que vous cherchez et peut-être pourrez-vous leur donner un peu de paix comme ça.
- La paix… répète-t-elle un peu durement.
Cette paix qui lui a été refusée à elle et à tous ceux qui ont péri par appât du pouvoir et par crainte stupide. Un éclair de colère traverse ses yeux marrons bien vite contrôlé. De l’eau à couler sous les ponts, cette colère là ne ferait que l’empoisonner inutilement. De plus les enfants tués ici ne sont pas responsables des erreurs de leurs parents ou grands-parents.  

Ils prennent la route. Saba laisse volontairement trainer son bâton dans la terre, créer une piste presque invisible que Deirdre pourra suivre si jamais son instinct se révélait faux et qu’Asmodée aurait finalement de mauvaises intentions. Mieux vaut redoubler de prudence.

- Alors... dites-moi, que voulez-vous savoir ?
- Tout ce que vous pouvez m'apprendre.
- Mmm je crains que cela ne prenne autant de temps que de me remettre à jour sur ce monde.
- Je n'ai pas été présent pendant un long moment et j'ai besoin de contexte sur la Faërie. Elle se demande ce qu’il veut dire par « pas présent ». Elle pensait pourtant qu’hormis les trous sur la Faërie, ce coin de Terre était isolé. Quelles sont les pouvoirs en place ? Comment ont été perçu les décisions du concile ?...
Saba a à nouveau un petit rire.
- Combien de jours avez-vous devant vous ? Pour faire simple la Faërie était un monde divisé en un invraisemblable nombres de royaumes. Les principaux étant les Sidhes, les Nains, les Dragons, et les peuple de la Mer. Les autres sont soit plus petits soit s’intéressent bien moins à la politique de leur monde. Titania… elle baisse soudain la voix et regarde autour d’elle. Si les murs ont souvent des oreilles, ici, il en va de même pour les arbres et la forêt. Disons que depuis de très nombreuses années, la Reine s’échine à rassembler le plus de peuple sous son joug. Par la force ou la négociation. Depuis le massacre du peuple dragon, elle est bien plus crainte que respectée mais… elle s’approche alors et glisse son bras sous le sien comme s’ils se promenaient plaisamment pour lui murmurer…. Le fait est que certains peuples enragent de sa domination. A commencer par celui duquel je viens. Elle lui jette un coup d’œil entendu. Si le roi préfèrera la paix à tout prix, il n’en va pas de même pour son frère qui est votre ambassadeur.
- J'aimerais réussir à déterminer de qui les miens doivent se méfier.
- Cette alliance que vous avez obtenue… elle ne fonctionne que parce qu’elle vous considère comme des fantassins bons à mourir en première ligne. Elle n’a pas beaucoup de respect pour l’Humanité. Je l’ai rencontré deux fois. Elle m’a bien plus traité comme un animal de compagnie que comme un être pensant. Lorsque vous n’aurez plus d’utilité pour elle… eh bien vous voyez. La Reine des Filles de l'eau et toutes les cours Sidhes lui sont dévoués corps et âme. Les autres... pourraient se laisser infléchir.
- Ils ont déjà beaucoup trop perdu, vous comprenez ?
Elle s’éloigne alors et reprend sur un ton plus haut.
- Aisément. Je ne me suis pas exilée en Faerie pour rien, répond-elle sur un ton mélancolique.
- Dites-moi, Saba. Que puis-je vous apprendre de mon côté ?
Un sourire éclaire son visage.
- Tout ! Commençons peut-être par… le conseil de guerre. L’ennemi en face, comme l’Humanité a réagi à cela et… elle plante un regard inquiet dans celui du dieu-démon, quelles sont nos réelles chances d’en sortir vainqueur ?

J'écoute attentivement ce que me dit Saba alors que je la guide vers le chalet. Ce que j'entends me conforte dans l'idée que je me faisais de Titania. Une despote qui a visiblement suffisamment les oreilles partout pour que Saba, peu inquiète des dangers peuplants la forêt, se fasse soudainement très prudente.
Je lui prête volontiers mon bras et parfait la scène d'une main sur la sienne. Une balade somme toute agréable. Si les peuples de la Faërie enragent, certains, alors ça présage malgré tout des points de pressions particulièrement intéréssant.
Parce que ça ne serait pas la première révolte que cette famille enflamme, déjà. Surtout, ça nous donne une idée d'où aller trouver alliés. Chez les nains, déjà, peut-être. Je la laisse continuer alors que nous traversons la bulle de protection définissant le périmetre du chalet. Il est à peine perceptible. Le seul vrai changement, c'est l'arrivée des deux loups surdimensionnés, Freki et Geri. Ils s'approchent assez pour jauger Saba, un signe de tête de ma part les fait dévier leur trajectoire et trottiner vers l'orée de la clairière où ils se vautrent tranquillement.
Je nous guide vers la maison et relache sa main à la porte, que je lui ouvre avant de l'inviter à entrer. A l'intérieur, la bouilloire se pose sur la gazinière qui s'allume seule. Une fois entré à sa suite, je l'invite à s'installer sur les confortables fauteuils du comptoire et sort de quoi préparer le thé.

-C'est ce qui me semblait... Je n'étais pas au fameux Conciles des deux mondes mais les retours que j'en ai eu me laissaient entendre ce que vous venez de me confirmer. En revanche, pour ces tensions intestines... Lorsque nous serons complètement rassurés sur les intentions d'autrui, je serai ravi de parler de ce sujet particulier avec plus de précisions.

Je souris un peu. On y reviendra après. J'ai aussi ma part du marché à remplir. Je lui demande donc ce qu'elle souhaite savoir.

-Tout !

Je pouffe de rire.

-Il faut le dire haut et fort si vous souhaitez passer les 2 prochaines années ici, Saba. lance-je avec humour.
-Commençons peut-être par... Le conseil de guerre.
-Très bien.
-L'ennemi en face, comme l'Humanité a réagi à cela et... Quelles sont nos réelles chances d'en sortir vainqueur ?

Je verse le thé dans de beaux mugs en gré et en pousse un vers l'Ardhi.

-L'ennemi en face est probablement un infini. Prenez ce que je vous dis avec beaucoup de pincettes. Nous ne savons pas grand chose d'elle. Si ce n'est qu'elle est puissante - presque omnipotente, en fait - et déterminée à en finir avec nous. Vous vous trouvez à l'orée d'une métropole humaine - sans être la plus grande du monde, elle reste malgré tout une grosse ville -. Cette ville est actuellement encapsulée dans un brouillard néfaste et vivant. Ca a commencé par un quartier entier avant de se propager soudainement sur l'ensemble de la ville. A l'intérieur, en plus d'une myriades d'illusions et spectres, vous trouverez des Priants, des humains qui ont été contaminé par un genre de virus transporté par des phalènes. Du fait de sa ressemblance avec le folklore féérique du pays, nous avons appelé cet ennemi Unseelie.

Je souffle un instant sur mon thé.

-Les humains ont réagi au surnaturel comme ils y réagissent d'habitude : ils ont tout nié en bloc dans la majorité. Les groupuscules de chasseurs de créatures se sont radicalisés et les groupuscules de créatures aussi... S'accusant mutuellement des maux causés. Finalement, une entente a été trouvé entre un grand groupes de Chasseurs et des rebelles des Enfers. En conjugant nos efforts, nous avons réussi à prévoir le pire. Nous avions créé une citadelle sous terre visant à protéger les populations. Jusqu'à ce moment fatidique, qui est survenu assez récemment, beaucoup d'humains se voilaient toujours la face.

J'hausse les épaules.

-Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas.

Je prends le temps de méditer un moment.

-Je rentrerais plus dans les détails si vous le souhaitez mais ce qu'il faut comprendre : nos forces sont divisées, partiellement dans les camps alentours et partiellement dans le Bunker - la cité sous terre. Suite à une altercation avec l'entité, nous savons qu'elle a peur d'un des infinis : Rêve.

Je tourne la tête vers Saba.

-Pour ce qui est de nos chances d'en sortir vainqueur.... Nous avons certains atouts, ils sont ce qu'ils sont et nous avons peu de moyens de savoir s'ils seront réellement efficaces. Cependant, nous avons dans nos rangs des faiseurs de miracles qui pourraient s'avérer salutaires.

Je bois une gorgée.

-Nous avons un vrai conseil de guerre, je vous les présenterais. Ma nièce notamment. Si vous le souhaitez.

Un frisson étrange la saisit lorsqu’ils passent ce que Saba croit reconnaitre comme une… sorte de protection. La magie utilisée lui est cependant inconnue.
- Impressionnant dispositif de défense, remarque-t-elle.
Elle observe les loups gigantesques avec curiosité et leur sourit, reconnaissant leurs caractères surnaturels.
- Ils sont magnifiques.

Dans l’étrange maison en bois, la Djinn écarquille ses yeux qui pétillent. Non pas à cause des objets qui volent mais surtout pour tout ce qui s’y trouve et dont elle n’a aucune idée de l’utilité, ni comment ils sont faits. Elle a subitement envie de les prendre en main, les tourner dans tous les sens, de poser mille questions.
Elle revient néanmoins, avec difficulté, à la gravité de l’instant. Elle s’assoit et le suit du regard alors qu’il prépare ce qu’elle espère être un thé. Apparemment, l’étrange meuble sur lequel se trouve un récipient qui se met à siffler.

« Concentre-toi Saba ! »

- C'est ce qui me semblait... Je n'étais pas au fameux Conciles des deux mondes mais les retours que j'en ai eu me laissaient entendre ce que vous venez de me confirmer. En revanche, pour ces tensions intestines... Lorsque nous serons complètement rassurés sur les intentions d'autrui, je serai ravi de parler de ce sujet particulier avec plus de précisions.
Elle enroule une boucle frisée entour de son index.  
- Je doute que vous puissiez un jour vous sentir pleinement en confiance avec des Faes et leurs intentions. Ils ne… réfléchissent pas comme nous. Si j’en crois les informations que j’ai pu glaner pendant toutes ses années à les côtoyer, je crois que… les peuples de Faërie se meurent. Plus ou moins tous et depuis longtemps. Et je crois que vous êtes bien placés pour savoir de quoi les êtres sont capables lorsqu’ils sont mis au pied du mur pour leur survie.

Elle n’a su que fuir. Elle n’a pu que fuir.

Saba revient au moment présent et se fait la réflexion qu’Asmodée a un beau sourire. De ceux qui mettent en confiance. Ou plutôt qui endorment toute méfiance par son charme. Elle ne peut pas s’empêcher d’y déceler aussi autre chose derrière. Comme lorsqu’elle se forçait elle-même à sourire alors qu’elle souffrait terriblement, que toutes ses pertes la rongeaient de l’intérieur. Souffre-t-il lui aussi ? Impossible de le savoir, évidemment.
Elle l’écoute avec attention, ses doigts enroulés sur l’étrange tasse qui embaume la menthe à plein nez.
Si elle a vaguement entendu parler des Infinis, jamais elle n’a entendu qu’ils s’étaient manifestés d’une façon ou d’une autre dans l’histoire de l’Humanité. Mais il est vrai qu’il lui en manque d’énormes bouts.

Sa description du brouillard et ses créatures lui fait froid dans le dos. Elle boit tranquillement son thé sans l’interrompre, tente de mémoriser le plus d’information possible.  
Elle note qu’ils parlent finalement peu des humains lambdas au final.
- Comment peuvent-ils nié quelque chose qui leur a pourtant sauté au visage ?
Elle a un peu de mal à comprendre.
- Je rentrerais plus dans les détails si vous le souhaitez mais ce qu'il faut comprendre : nos forces sont divisées, partiellement dans les camps alentours et partiellement dans le Bunker - la cité sous terre. Suite à une altercation avec l'entité, nous savons qu'elle a peur d'un des infinis : Rêve.
- Rêve ?  Elle secoue la tête. Même à moi qui suis née et ait toujours vécu dans le monde du surnaturel, cela me parait… beaucoup. Quel a donc pu être le déclencheur de tout cela ?
- Pour ce qui est de nos chances d'en sortir vainqueur.... Nous avons certains atouts, ils sont ce qu'ils sont et nous avons peu de moyens de savoir s'ils seront réellement efficaces. Il reste bien flou et Saba y voit une méfiance somme toute naturelle. Cependant, nous avons dans nos rangs des faiseurs de miracles qui pourraient s'avérer salutaires.
- Des… faiseurs de miracles ?  Elle le regarde avec un scepticisme évident. Saba ne croit absolument pas aux miracles. Cependant elle se reprend et boit une nouvelle gorgée de thé. Pardonnez-moi c’est simplement… difficile à concevoir. Que font-ils donc vos faiseurs de Miracles ? Il est très bon au fait,  fait-elle en désignant son breuvage. Même s’il manque un peu de sucre. Nous le buvions excessivement sucré chez moi…  se rappelle-t-elle avec nostalgie.
- Nous avons un vrai conseil de guerre, je vous les présenterais. Ma nièce notamment. Si vous le souhaitez.
- Oh … je vous remercie de cette marque de confiance. J’avoue que… je m’attendais à plus de méfiance. Mais avec plaisir, évidemment !
Elle sourit alors et ses yeux reprennent une petite lueur de curiosité avide.
- Votre maison est fascinante ! Il a tellement de choses que je ne connais pas ! Pitié… expliquez-moi un peu ce qui m’entoure. Est-ce cette étrange plaque qui a fait chauffer l’eau ?