Je suis nouvelle, ici. Tout le monde me le dit. Je suis très jeune. Tout le monde s’en amuse.
Sauf que je fais ça depuis mes quinze balais et que j’ai commencé avec le pire taré que l’humanité puisse porter.
Et je sais comment ce business marche, je sais comment on se fait un parc d’escort girl ou de prostituées, je sais comment ça fonctionne.
Et là, ce qui se passe, ça me plait pas. Ca me plait pas du tout.
Être une avalon girl devrait être un avantage : toutes les filles doivent donner 30% de leur revenus du jour aux Heksens. C’est énorme. En conséquence de quoi, les filles sont protégées.
En cas de soucis, des protecteurs sont là pour gérer les soucis, tabasser les clients trop entreprenants. Bref, ça tourne comme une entreprise.
La grosse différence, c’est que les Heksens, eux, c’est des druides. Et ils se fichent un peu des Avalon girl, j’ai l’impression. Mais on leur rapporte de la thune et on travaille pour leur gueules et là. Y a Amy qui vient de se faire péter la gueule par un client, sans que personne ne lève le petit doigt.
Hors de question d’accepter ça.
Alors je trace ma route vers le bureau du Président du club. Je sens que je vais me friter avec quelqu’un, j’en profite tant que mon état est stable, tant que les hallucinations sont loins et sous contrôle, tant que la petite voix est loin.
Ma fabuleuse remontée est arrêtée par Casey.
Casey, la nana qui se croit supérieur.
Je m’arrête parce qu’elle me barre la route, je fronce les sourcils. Ca, ça va grandement m’agacer.

-Pardon, j’dois aller voir le Prez. Si tu pouvais te décaler…

Elle se décalera pas.

Dans l’ensemble, Casey ne se plaint pas du tout des circonstances inhabituelles de sa naissance ou de la taille très étendue de sa fratrie. Elle n’a manqué ni d’affection, ni d’oreilles attentives, ni de compagnons de jeu. Si elle a envie de voir ses proches, elle a toujours l’assurance que l’un ou l’autre de ses frères et sœurs sont sur la même longueur d’ondes. Et elle adore sa multitude de nièces et neveux.

Il n’y a que quelques points noirs à cette situation idyllique. D’abord, elle se ruine en cadeaux d’anniversaires. Ensuite, il y a les déménagements. Mais ce qui l’ennuie le plus c’est de devoir prendre rendez-vous avec son père pour la moindre chose.

Le rituel est immuable ou presque. Parce que sa mère a fait des pieds et des mains pour la faire reconnaître par Saor d’une part et pour faire d’elle une Initiée de l’autre, Casey a un statut dans le gang. Elle a aussi un statut par mi les Augures. Saor n’est pas inaccessible. Elle arrive à le voir en privé une fois tous les deux mois plus de deux minutes.

Elle attend en pianotant sur son téléphone quand un de ses frères plus âgés surgit de nulle part et entre dans le bureau sans un mot d’excuse pour qui que ce soit. La jeune femme peut presque entendre les hurlements quand ils commencent. L’autre point noir d’avoir une fratrie avec un nombre à deux chiffres. Il y a toujours des gens pour s’engueuler.

Elle ne peut décemment pas s’introduire dans le bureau pour faire valoir son droit. La chose conduirait à une engueulade bien pire. En revanche, elle peut faire en sorte que la situation ne se reproduise pas. Plantée devant le bureau, Casey fusille du regard tout prétendant à sa place. Et c’est précisément à ce moment-là que la petite apparaît. Quel âge elle peut bien avoir l’Initiée ne se risque pas à essayer de le deviner mais elle l’a bien vue deux trois fois. Une Avalon girl. Une de plus. D’ordinaire, ces filles-là, elles rasent les murs en apercevant les Augures. Oh il y en a bien deux trois qui se verraient monter en grade comme belles-filles de Saor mais leur immense majorité est un harem géant dans lequel les hommes de son père piochent. Elle est bien placée pour le savoir, sa mère en est une.

La nouveauté c’est que celle-ci n’a pas l’air de savoir que chez les Heksens il y a une chaîne alimentaire et qu’elle se trouve au bout. Tout au bout. Ce qui met le feu aux poudres, ce sont ces deux phrases. Casey s’est déjà fait passer devant une fois. Pas deux.

« Si je pouvais me décaler? » Elle renifle avec mépris. « Oh pardon, madame la marquise, je n’avais pas vu que je parlais à une Vergobret et pas à une Avalon Girl de seconde zone. Dans quel quartier t’ont-ils donc ramassé? Il faudra leur dire aux recruteurs de ne pas faire la sortie des écoles. Et qui t’a donc permis d’appeler Saor, notre archidruide, mon père, le Prez’, hein? Qui es-tu, gamine?»

Casey méprise les Avalon girls. Ca exsude par le moindre pore de sa peau. Elle nous considère comme des moins que riens, un genre de sous-race humaine. J’ai à peine vingt balais et elle me fatigue avec son attitude merdique. Elle fait le chien de garde devant le bureau du Président. Quelque chose me dit qu’elle est contrariée mais cette histoire d’Avalon girls qui se font tabassées, c’est important.

Je lui demande de se décaler. Elle me regarde avec tout le mépris du monde. Je ne cille pas.

-Si je pouvais me décaler ? Oh pardon, madame la marquise.

Ca y est. Ca me soule. J’ai envie de la frapper. Ca me démange mais rien ne transparait. Les raclées de Jim, délicieuses pour apprendre à masquer.

-Je n’avais pas vu que je parlais à une Vergobret et pas à une Avalon Girl de seconde zone.

Venant de la fille d’une Avalon girl, ça me fait sourire sans que j’arrive à l’empecher. C’est bien, définis moi par le prisme exclusif de ce que je fais pour me faire de la thune.

-Dans quel quartier t’ont-ils ramassé ? Il faudra leur dire aux recruteurs de ne pas faire la sortie des écoles.

-Londres et tu diras ça à Cathair.

Sourire tranquille. C’est pas des recruteurs qui sont venus me chercher, connasse. C’est ton frangin. Non pas que ça me donne un quelconque pouvoir mais si tu comprends pas pourquoi ils nous recrutent si jeune, t’as vraiment pas bien compris dans quel monde on vit.

-Et qui t’a donc permis d’appeler Saor, notre archidruide, mon père, le Prez’, hein? Qui es-tu, gamine ?

Je plisse les yeux.

-Votre façade, c’est un club motard. De fait, c’est le Président du club et je me rappelle parfaitement de ton petit discours d’entrée : nous, on est les humaines nulles à chier, on a droit à rien de magique. Donc ça parait logique qu’on l’appelle plutôt le Président. Et sincèrement, il pourrait être ton oncle que ça m’en toucherait une sans faire bouger l’autre. J’suis déjà en bas de l’échelle et à moins d’avoir l’intention de me menacer pour de vrai et encore, t’as intérêt à le faire bien, tu m’impressionnes pas des masses, Sainte Casey.

Je penche la tête et m’adosse contre un mur.

-Mais vas-y, si tu veux. T’expliqueras à ton cher papa pourquoi t’es pas venu lui dire plus tôt que l’un de ses gagnes pains est en train de se faire défoncer la gueule sans que personne ne bouge le petit doigt.

Je m’arrête, prends exemple sur Enzo et sa drama-queenerie. J’ouvre grand les yeux, l’air effrayé.

-Oh lala… Ca a l’air de gueuler là-dedans, dis donc…

J’ai un rire un peu provoquant j’avoue. Depuis que je suis partie de Londres, j’ pense que je cherche beaucoup trop la confrontation. J’ai tout plaqué pour m’enterrrer dans ce trou et je sais toujours pas bien pourquoi si ce n’est mes études et la promesse d’être protégée par Malsheem quand je ne serais plus humaine.
A quoi je joue putain… Est-ce que je cherche à me buter? Est-ce que c’est comme ça que je me punis d’avoir disparu comme ça de la vie d’Enzo? Est-ce qu’il va bien?
Est-ce qu’il m’en veut? Non. Je ne pense pas. J’en sais rien. J’espère que non. Pourtant, j’espère que oui aussi.

Et… Tu mens.

Frisson imperceptible à l’entente de cette voix. Je la connais trop bien. Elle berce ma vie depuis longtemps, depuis les médicaments. J’ai vendu mon âme pour la calmer. Et ça n’a pas fonctionné comme je voulais…