Ciulin

- Tu sens pas mal non plus, malgré la bave de mandragore sur ton cuir!
- Va t'faire foutre..... J'étouffe un petit rire lasse. Malgré l'épuisement, j'arrive à me marrer encore un peu. Ça n’est pas complètement la fin du monde.

Les pizzas sont vite commandées. J'ai la dalle, j'ai pas lésiné sur la quantité.

La maison ne m'a jamais parue aussi agréable. Ma maison. C'est toujours étrange à prononcer tout haut : mon mari, ma maison, ma vie, mes choix... Peut-être que je ne me suis pas encore bien fait à la notion de stabilité.

Je retire mes godasses et mon cuir, abandonnés dans un coin de piaule et je m'étire de tout mon long, comme seul un chat le ferait. Un chat dérouté par le moelleux de son propre lit quand il a dormi si longtemps dehors. Je jette un regard autour de moi. Ce loft respire la présence d'Asmodée, mais ne porte pas ma marque, comme si j'avais encore peur de vraiment m'installer.
Encore un truc dont je ne sais pas grand chose : je ne me suis jamais projeté dans un "chez moi". Ça me semblait tellement absurde, vu mon mode de vie.

- Bon, alors, par quoi tu veux commencer? Vesper? Le mariage? La télékinésie et les runes?
- Ça manque de photos... Que je me murmure à moi même. J'aimerais bien avoir des photos de nous et puis des gens que j'aime aussi, sur ces murs... Le formuler tout haut rend le souhait ridicule. Désolée, c'est niais...

Je viens m'affaler à coté de lui et je me laisse tomber mollement sur ses cuisses.

- Chuis pas certain d'arriver à encaisser quoi que ce soit sur Vesper ce soir. Je me rends compte à quel point le sujet est épineux alors qu'il me pique la gorge. ...Cause-moi plutôt du reste.

***

Kaelig

-J'ai vu passé qu'un régime alimentaire varié ça pouvait aider. Bon, ça remplace pas tout l'bordel de la thérapie et des médocs et tout mais vu que c'est plein de goûts différents, ça aide à s'enraciner dans le présent...
- Entrée-plat-dessert et cinq fruits et légumes par jour pour la petite dame ! C'est bien noté : On envoie en cuisine !

Elie me taquine sur notre étrange "relation" avec Asmodée. Je n'arrive pas à me décidé sur sa nature. "Amicale" c'est sans doute un peu trop tôt pour se l'avouer. Disons que j’apprécie une bonne petite baston en duo et les bières qui s'ensuivent après.
Avec mon adorable parasite à cheveux rose sur le dos, je remplie une casserole d'eau pour y cuir les pâtes et je lance une poêle sur le feu pour y faire fondre le beurre.

-... Dis. Je t'avais dit que j'allais aller chercher quelqu'un en-bas.
- Oui, plusieurs même. On doit toujours ébaucher un plan d'action pour...
- J'l'ai fais ...
- Hein ?!
-... et, un de ces quatre, j'aimerais que tu le rencontres.
- Attends, quoi ?! Je me retourne vivement avec un air salement froncé.
- Owen, il s'appelle. Je sais plus si je t'avais vraiment parler de lui parce que ben... C'est relié à plein de souvenirs un peu déclencheurs de crises... Mais, y a deux trois choses qu'il faut que tu saches sur lui et sur en bas et tout ça avant de le rencontrer...
- "Déclencheur de crise" ?! Parce que retourner là où on t'a torturée toute seule, ça l'est pas ?
-...Entre autre.
- Entre autre QUOI, bordel de merde !?

Je suis furieux.
Néanmoins, je prends une profonde respiration pour juguler mon envie de beugler comme un ours en colère.

- Entre autre, quoi... Elehiel?
- Owen est un chien de l'Enfer... Qui... Euh... appartenait à Kali... Il a rompu son lien avec elle pour le créer avec moi... J'en ai parlé à personne... Même Asmodée est pas vraiment au courant... Il sait juste que un des chiens de Kali a disparu... Il est gentil, hein... Il est un peu... cassé... mais il a été là pendant presque les quatre ans où j'ai été en bas.

Elle tripote mes cheveux, l'air de rien alors que je tombe des nues. Je contracte la mâchoire à faire saillir mes veines, paupières closes, pour ne pas tempêter sur son inconscience. Je me contente juste de retirer doucement mais ses doigts de ma tignasse. Je tiens fermement ses mains.

- Elie... Es-tu en train de me dire que tu as volé son Hellhound à Kali ? Je plisse le regard, en la regardant droit dans les yeux.
-Je t'en avais pas parlé, je crois? Je savais plus...
- Tu as omis de le faire..... Parce que sinon je t'en aurais empêchée et tu ne serais pas redescendue sans moi collé à tes basques ! Est-ce que tu te rends compte à quel point ton comportement est lourd de conséquences ? Quand est-ce que tu vas arrêter de penser que tu es toute seule !? Quand est-ce que tu vas comprendre que tes actions ont des répercutions sur un tableau d'ensemble qui ne concerne pas que toi ! Plus qu'une rébellion c'est un affront personnel que tu as commis. Kali ne te lâchera pas de si tôt, fais-je d'une voix sourde et profondément dépitée.

Le beurre est en train de noircit dans sa poêle.
Je me passe une main sur le visage, une pogne en appui sur le plan de travail.

- Le fait que tu débauches un hellhound soulève d'autres questions... Je croyais que seul les princes démons ont le pouvoir de commander aux chiens de l'enfer....

Asmodée

-Ca manque de photos...

C'est sans doute la première fois que Ciulin parle décoration. La première fois que j'entends une envie de quoique ce soit de spécifique dans ce loft. J'ai essayé de coller à ses gouts autant qu'au miens et ça a été de longues discussion parfaitement ridicules avec Simone.

-J'aimerais bien avoir des photos de nous et puis des gens que j'aime aussi, sur ces murs...

J'observe Ciulin qui d'un coup rosit pour me regarder comme s'iel avait dit la plus grosse connerie du monde.

-Désolée, c'est niais...
-Non, pas du tout. Il faut simplement commencer à en prendre. C'est tout.

Iel s'affaisse à coté de moi et je lea laisse s'installer tranquillement. Je caresse ses cheveux.

-Chuis pas certain d'arriver à encaisser quoique ce soit sur Vesper ce soir.
-ok.
-Cause-moi plutôt du reste.
-Hmmm...

Je réfléchis un peu et caresse ses cheveux en silence. Le temps de remettre à l'endroit tout ce que je pourrais bien dire.

-Commençons par le mariage... Ce que ça implique, qu'est-ce que ça a changé pour toi, tout ça... Note qu'il faudra sans doute tester un peu tout ce que je te dis. Les mariages de ce type sur une personne non initiée, je sais pas si y en a déjà eu. J'ai fait quelques recherches mais j'ai encore rien trouvé de fameux, ça date. J'ai demandé à  Jolak de me ramener des vieux registres, pour voir... Mais...

J'inspire un gros coup.

-Voilà ce que ça implique, généralement : les deux essences sont melées, si on ne fait pas un, c'est tout comme. C'est pour cette raison que tu ressens ce que je ressens, par moment, et l'inverse pour moi. De manière générale, on devrait pouvoir se retrouver via les veinures d'Yggdrasil. Ca veut aussi dire que tu partages mon expérience shamanique, donc théoriquement, tu es susceptibles de vivre des moments d'augures. Je pense que tes pouvoirs sont chatouillés par une autre magie - celle de mes dieux  et probablement celle que j'ai acquise pendant mes années d'initiation en tant qu'Asatru d'Odin. Un Asatru, c'est un vaisseau qui canalise l'esprit d'un dieu. C'est la raison pour laquelle les anciens ont accepté que je suis l'enseignement chamanique, à la base, j'étais prédisposé à ça par mon statut d'Asatru... Bref, je suis assez sûre que tu parles toutes les langues que je parle... Tu devrais avoir ta légitimité face à mes dieux et ça fonctionne autant pour toute la partie demande de ta part que de la leur. A priori, ils sont pas super pressés de te demander quoique ce soit. Comme t'as déjà vécu, on peut visiblement communiquer nos souvenirs. J'ai entendu dire que fortement poussés, ce lien mental peut devenir une ligne ouverte constante. Plus besoin de parler à l'autre. Je ne sais pas si c'était juste pour mystifier les choses, si ça vient avec le temps ou si c'est complètement vrai. Ces mariages se rompent difficilement, très très difficilement. C'est arrivé une paire de fois mais bon, c'était à priori des situations assez dégueulasses.

Je me frotte un peu les paupières.

-Est-ce que t'as des questions? Parce que j'oublie probablement milles trucs, là.

***
Elehiel

Tout allait bien et d'un coup, c'est partie en couille. Et c'est ma faute. Je le sais. Je le vois parfaitement. J'observe ses traits se compresser, ses veines se gonfler et il fait un effort surhumain pour pas me hurler dessus. J'ai immédiatement envie de chialer, ça monte d'un coup. J'étais pas sûre de lui avoir dit et maintenant que je l'ai dit, j'ai l'impression de l'avoir poignardé dans le dos.

C'est exactement ce que tu as fait.

Je serre les dents.

-'Déclencheur de crises" ?! Parce que retourner là où on t'a torturée toute seule, ça l'est pas?

Je redresse la tête pour le regarder parce que étonnamment non. Non, ça ne l'était pas et je sais pas pourquoi, je savais que ça le serait pas. Je savais qu'il fallait que j'y aille là, à ce moment précis. Mais je me retrouve bêtement à le regarder comme une conne sans que rien ne sorte. Il vire ma main de ses cheveux, il est énervé comme jamais et moi, j'aimerais bien disparaitre du paysage.
Quoique je fasse, je bourde, j'ai l'impression. Qu'est-ce qui va pas chez moi?

Tout. Absolument tout.

Je continue à lui raconter. J'essaie de rester calme.

-Elie... Es-tu en train de me dire que tu as volé son Hellhound à Kali ?

Son regard me glace, sa colère est palpable alors j'm'entends lui redire que je savais plus si j'en ai parlé ou pas. Je m'entends essayer d'être toute petite et j'aime pas ça.

-Tu as omis de le faire.... Parce que sinon je t'en aurais empêchée et tu ne serais pas redescendue sans moi collé à tes basques !

L'idée qu'il descende avec moi avant son heure me glace. Y a une partie de moi qui est contente d'avoir oublié de lui dire. Est-ce que je l'ai fait exprès...? J'ai pas le temps d'y réfléchir que je me prends un flot de questions à demi criée. Je me sens me tasser.


-Est-ce que tu te rends compte à quel point ton comportement est lourd de conséquences ?
-C'est pa-
-Quand est-ce que tu vas arrêter de penser que tu es toute seule ?
-J'ai pas-

Une boule énorme monte dans ma gorge. C'est injuste. C'est injuste parce que je fais mille effort. Je vais en thérapie, je suis les protocoles de Salomon, je m'implique dans sa vie de famille quitte à me prendre des tsunami dans la gueule, je suis ouverte. J'essaie de parler souvent de ce qui s'est passé et ça rate souvent.
J'ai l'impression que soudainement, tout ça compte pour rien. Que je suis une énorme égoïste qui se regarde le nombril. J'aimerais qu'il me lache les mains, maintenant. J'ai pas envie qu'on me touche là. J'ai pas envie. Je tire sur mes mains pour les dégager, je tremble, je crois.

-Quand est-ce que tu vas comprendre que tes actions ont des répercutions sur un tableau d'ensemble qui ne concerne pas que toi !
-Qu-
-Plus qu'une rébellion c'est un affront personnel que tu as commis. Kali ne te lâchera pas de si tôt.

J'ai un rire que je regrette déjà, je sens le dépit dans sa voix. Oui, je sais, je fais cet effet-là, souvent, en ce moment. Qu'est-ce que tu veux... Ca doit être le coté démon... Ca doit être ça.
Je me colle contre le mur. Il est froid. Je sais pas quoi répondre alors je me tais, j'ai le cerveau vide. Plus de train de la pensée, rien. Le vide. Tout ce que j'ai en tête c'est "tu crois que je le sais pas". Et ça vient pas. j'arrive pas à reprendre le dessus sur le vide qui s'installe.

-Le fait que tu débauches un hellhound soulève d'autres questions...

Je lève les yeux vers lui. Quoi encore?

-Je croyais que seul les princes démons ont le pouvoir de commander aux chiens de l'enfer...
-J'en sais rien.

Tout le reste est bloqué dans ma gorge. Ca brule à un point que j'imaginais même pas.

-... J'en sais rien.

Je vais m'accroupir sur une chaise, roulée en boule.

-Il venait pour me ramener à elle, à la base...

Ca se bloque dans ma gorge. C'est bloqué parce que j'ai la sensation que dès que je fais un pas de travers, je me fais aligner et que ça annihile tout les efforts que je fais depuis le début. J'ouvre la bouche une nouvelle fois, tout ça pour me retrouver sans voix et aspirer une bouffée d'air rempli d'une odeur médicamenteuse. Je la referme et je regarde par terre. Je me sens devenir poisseuse, mon dos tire affreusement et avec un ralenti insidieux qui me ferait grincer des dents si j'étais pas trop obnubilée par le fait que je suis profondément égoïste. Le contexte ne sert probablement à rien. Je me sens me tendre fort. J'exsude du goudron. Mes yeux sont probablement passés au noir depuis un moment. Je recule d'un pas, puis d'un autre.

-Je... Je savais pas. Quand il... il est venu, il était humain et... il était mort de dedans et moi, j'voulais pas retourner dans les geôles, j'voulais pas, j'voulais pas, j'voulais pas.... Et...Et... Et...

J'ouvre la bouche à la recherche de mes mots.

-Et je sais pas pourquoi, il a... il a dit qu'il voulait pas et... Et il m'a suivi et.

Je redresse la tête vers Kaelig.

-Je ne pense PAS que je suis toute seule! C'est horrible de me dire ça! J'ai! J'me suis battue pour te revenir, j'me suis battue pour les dormeurs, j'me suis battue pour Even et Enzo et tout le monde! J'ai passé quatre ans à essayer de tout calculer pour perdre personne ou le moins possible! A faire en sorte que quand je sorte, ils survivent tous! Et tu crois que je vois pas le tableau d'ensemble? J'ai pas ton expérience! J'ai pas ton incroyable lucidité sur tout ce qu'il faut faire et comment il faut le faire et chui terrifiée à l'idée que tu foutes les pieds en Enfer avant ton heure! Alors, peut-être que je t'en ai pas parlé inconsciemment pour ça! J'en sais rien! Mais Kaelig, c'est pas un champs de bataille, c'est une boucherie. Et j'pouvais pas les laisser là-bas. Et. Et je sais pas pourquoi je l'ai fait à ce moment-là. Ca voulait plus sortir de ma tête... Ca voulait plus.

J'essuie des larmes d'un revers de bras et me recouvre le visage de ce goudron étrange. Il est plus chaud que d'habitude.

-Je ne suis pas une gamine écervelée et je pense pas qu'à moi ni que je suis toute seule! Parce que si c'était le cas, si c'était vrai...

Mais c'est vrai, voyons.

Je m'arrête net. Elle a raison alors je me tais. Je suis en train de faire un caprice...?

Oui. Comme une gamine écervelée

D'accord... Je renifle et je cligne des yeux.

-... Laisse tomber... T'as raison... Désolée...

Je me mordille la lèvre avant de dire.

-Une douche... J'vais tout salir... Je vais prendre une douche.

Kaelig

L'explosion est nucléaire. Même anticipée, elle me fouette le visage avec violence. Logorrhée de reproches. Tout ce qu'il en ressort c'est qu'est persuadée que je ne pourrais jamais comprendre. Encore une fois, malgré mes efforts pour l'atteindre, elle s'éloigne, me tient à distance. Je n'ai pas droit de regard sur cette partie de sa vie qu'elle continue de me dissimuler consciemment ou inconsciemment. Cela me peine.

Cela me blesse.

Le sujet, chaque fois qu'il est effleuré provoque soit des crises, soit des engueulades. Il m'est nié. Je dois avaler , digérer et me taire. Je suis fatigué. Comment peut-on se réjouir de faire des macaronis aux fromages et l'instant d'après s'écharper.

Je la laisse aller.
Dans ces circonstances, il ne sert à rien de vouloir la rattraper. Elle a besoin d'être seul.

Je l'insupporte.

J'essuie le beurre noirci avec du papier absorbant quand j'entends la petite Sizreïs hurler. La soufflante a du la réveiller. J'abandonne la poêle et gravis les escaliers. Je retrouve la petite pousse de mandragore en larmes, vagissant, emberlificotée dans ses tiges. Je la démêle avec douceur et la prend dans mes bras.

- Laaa, laaaa... Désolée ma puce, on a fait du bruit avec nos grosses voix. Tout va bien...

Elle parvient à se calmer en suçotant mon pouce.
J'aurais du commander des pizzas.

***

Ciulin

Les explications de Ass sont touffues. Je suis crevé mais je me concentre à mon maximum pour enregistrer toutes les informations. Malheureusement je suis noyé par des mots que je ne connais pas.

- ... De manière générale, on devrait pouvoir se retrouver via les veinures d'Yggdrasil.
- Yggdrasil ? C'est quoi ça Yggdrasil ?
- Ça veut aussi dire que tu partages mon expérience chamanique, donc théoriquement, tu es susceptibles de vivre des moments d'augures.
- Des.. quoi ?
- Je pense que tes pouvoirs sont chatouillés par une autre magie - celle de mes dieux et probablement celle que j'ai acquise pendant mes années d'initiation en tant qu'Asatru d'Odin.
- P'tain j'pige que dalle! C’est quoi un Asatruc ?
- Un Asatru, c'est un vaisseau qui canalise l'esprit d'un dieu. C'est la raison pour laquelle les anciens ont accepté que je suis l'enseignement chamanique, à la base, j'étais prédisposé à ça par mon statut d'Asatru... Bref, je suis assez sûre que tu parles toutes les langues que je parle... Tu devrais avoir ta légitimité face à mes dieux et ça fonctionne autant pour toute la partie demande de ta part que de la leur.

Je me redresse.

- Attends, attends.... euh.. Odin machin et sa clique vont me demander des comptes ?
- A priori, ils sont pas super pressés de te demander quoique ce soit.
- Chuis moyen rassuré. J'aime pas avoir des dettes.
- Comme t'as déjà vécu, on peut visiblement communiquer nos souvenirs. J'ai entendu dire que fortement poussés, ce lien mental peut devenir une ligne ouverte constante. Plus besoin de parler à l'autre.
- Genre comme si on était en contact radio constant ?
- Je ne sais pas si c'était juste pour mystifier les choses, si ça vient avec le temps ou si c'est complètement vrai. Ces mariages se rompent difficilement, très très difficilement. C'est arrivé une paire de fois mais bon, c'était à priori des situations assez dégueulasses.
-.... oh....

Ce mariage, même si il a été commis dans la précipitation, n'est donc pas anodin (sans jeux de mots merdiques). C’est un engagement profond entre deux âmes. Ça me soulage et ça me terrifie à la fois.

- Est-ce que t'as des questions? Parce que j'oublie probablement milles trucs, là.
Est-ce que tu m'aimes ? La pensée fuse, sans retenue. Inconsciente.
- Pour ou contre la pizza à l'ananas ? J'éclate de rire. Bon.. Va falloir que j'étudies deux- trois trucs sur la mythologie nordique, le chamanisme et tout ce bordel...J'éspère que t'es prêt à mettre en oeuvre tes talents de conteurs !

Je lui décoche un baiser. Même épuisé, mon palpitant danse toujours la samba avec lui. Il ronronne comme un chat qui a trouvé les meilleurs genoux de sa vie. Et si j'en crois mesdames les augures, elle va être foutrement longue.

La sensation d'abrutissement et de blanc mental dure jusqu'à ce que l'eau chaude me coule dessus. J'aurais bien profité de ce blanc encore un peu.
Parce que ce qui vient de se passer est grave. Vraiment grave. Je suis partie en couille. Encore une fois.
L'eau dégringole sur ma tête et produit un son de cascade dans mes oreilles. Je ferme les yeux, bras contre la paroi froide de la douche. Tendue, j'essaie de respirer.
Je peux pas expliquer les vertus de l'ouverture à Ciulin tout en fermant toutes les portes à son père. Pourtant, j'essaie de les garder ouvertes, j'essaie. Et j'arrive pas à comprends pourquoi je les referme systématiquement. Je comprends même pas comment. Je grimace et l'eau envahie ma bouche, je me prends à la laisser chatouiller ma langue. Etrangement, la sensation m'apaise. Je pousse un long soupire et m'assoie au sol, sous la pluie battante du pommeau.
Qu'est-ce qu'il me prend, exactement? Pourquoi je suis vérouillée comme ça alors que je sais que c'est probablement l'unique personne à pouvoir comprendre et m'apprendre ce que j'ai besoin de savoir...?
Mes poings s'enfoncent dans mes orbites jusqu'à ce que je vois danser des petites étoiles et une miriades de couleurs.
Je me déteste de le repousser comme ça alors que j'ai même pas envie de le faire. J'en ai vraiment aucune envie et pourtant, c'est ce qui arrive systématiquement.
J'inspire un grand coup et manque de boire la tasse. Je trace le pourtour d'un tatouage avec application puis naturellement, elle vient se porter au taureau gravé sous mes seins.
Il faut que je le laisse entrer. J'ai aucune raison de le laisser dehors. Pire, encore, je nous mets tous en danger si je le fais.
Je ne sais pas pourquoi, sous cette douche, cette fois, je sens comme un verrou s'ouvrir et une sensation d'air frais parcourir mon cerveau mais je la sens.  La respiration fraîche, la détermination stupidement calme qui s'ensuit.
Je n'ai pas beaucoup de certitudes en amour. J'en ai beaucoup concernant Kaelig. Je l'aime. Depuis qu'il est dans ma vie, il a toujours été là. Je veux être là pour lui. On est une excellente équipe. J'ai une confiance aveugle en lui. Je ne veux pas le blesser. C'est avec lui que je veux passer le reste de ma vie. Je veux qu'on se batte côte à côte, quoiqu'il arrive. S'il me laisse rentrer aussi pleinement dans sa vie, je veux faire la même chose.
Voilà.

Je coupe l'eau après avoir viré le reste de goudron de ma peau. J'ai un besoin irrationnel de son odeur, là, maintenant. Je fous mon nez dans une chemise laissée là. J'inspire un peu avant de me regarder dans la glace.

-You got this...

Je hoche la tête lentement en ouvrant la fenêtre pour laisser l'humidité s'échapper. Il caille et ma peau se couvre de chair de poule, je claque des dents et je me précipite vers les vêtements propres que j'ai là. Un legging et un T-shirt, probablement à Kaelig, mille fois trop grand pour moi. J'y mets un nœud, histoire de ne pas me prendre les jambes dedans et aussi parce que je trouve que ça me va mieux.
Je sors. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là-dessous mais Kaelig est en bas. Il est debout. Probablement encore blessé de ce qu'il s'est passé. Je m'approche et lui prends la main, doucement. Je l'entraine jusqu'au canapé, doucement. Je m'y assoie et j'attends qu'il fasse pareil. Je ne viens pas me coller pourtant, putain, j'en ai envie. Je garde sa main, par contre. J'ai la sensation que cette discussion nécéssite de la distance. Elle ne demande pas les deux amoureux mais les deux partenaires de vie.
Je me tais un peu, le temps de me concentrer sur ce que je veux dire. Je me pince un peu les lèvres et finalement je parle.

-Je suis désolée. Je t'ai blessé, tout à l'heure, et je m'en rends compte et je suis désolée. C'était injuste et c'était nul de ma part. T'es la personne la plus patiente que je connaisse avec moi et tu m'as tendue mille perches. J'les ai virtuellement toutes balancer à ta gueule comme si elles étaient dangereuses et... Je comprenais pas vraiment pourquoi... Et j'crois que je comprends toujours pas trop.

Je me tais un peu à nouveau, je caresse sa paume et je m'emplie de la sensation pour m'enraciner. non, cette fois, je ne ferais pas de crises. Non, je ne fuierais pas dans un de ces délires psychotiques dont mon cerveau à le secret. C'est maintenant ou c'est jamais.
C'est maintenant ou c'est trop tard.

-Une part de ma trouille absolue de parler des Dormeurs, de ce qu'il s'est passé en Enfer et dans les Fosses est dûe au trauma... Mais il est surtout dû au fait que... j'ai pas les mots.

Je fronce les sourcils, contrariée.

-Je... Je voudrais en parler. Je voudrais être capable de te les dire mais... C'est des actions, des moments, des sensations et je trouve aucun mot qui les représente. Et je réalise que c'est parce que... j'ai pas tant parlé que ça, en bas. On communiquait autrement, les Dormeurs et moi... Par succession de mouvement, par espoir interposés. Rarement par la parole... Enfin rarement, pour les trucs que j'aimerais te dire, je crois.

Je fais une nouvelle pause pour lui jeter un coup d'oeil.

-Ensuite, c'est parce que y a des trucs qui se sont passé qui te concernent et que, au dela du blocage pur du syndrome post-traumatique qu'est encore un peu là, j'pense que je voulais pas te confronter à ça, tout en sachant que j'dois te le dire. Je sais que t'es pas en sucre et je sais que ça peut sembler paternaliste?- c'est ça qu'on dit?- mais c'est juste que j'ai pas envie que t'ai mal, vraiment. J'ai pas envie parce que tu mérite pas, parce que je t'aime de tout mon coeur et j'aimerais qu'il t'arrive jamais rien et j'ai encore moins envie que cette douleur, elle vienne de moi.

J'ai un peu la voix qui tremble. J'ai la trouille.

-Et je suis terrifiée à l'idée que tu m'en veuilles de pas en avoir parler plus tôt. Mais j'pouvais pas. Parce que c'est mélangé en plein avec tout ce qui me bouffe depuis mon retour et c'est vraiment très verouiller. Mais j'en ai finis de te garder systématiquement à l'extérieur, j'en ai marre. J'en ai marre de toujours laisser la peur prendre le dessus, marre de te repousser parce que c'est vraiment pas du tout ce que je veux...

Je me tais encore. Je sais pas bien si c'est pour que ça pénètre son esprit ou bien le miens mais on y est. C'est le moment de sortir de l'échelle El-Hadji.

-Premièrement... Tu dois savoir que Nelu est avec Kali et qu'il aime Kali comme une mère. Ca été mon bourreau jusqu'à ce que...

Ma voix m'abandonne et je me sens frissonner. Les meubles frissonne avec moi.

-... Je l'ai blessé, fort. Pour m'en sortir, vraiment, vraiment très fort... Je sais pas ce qu'il en a gardé mais la colère de Kali ayant été ce qu'elle est, je pense qu'il a des grosses séquelles... Et j'suis désolée...

Les larmes coulent mais sans les sanglots, tant mieux parce que j'ai pas fini de parler.

-J'voulais pas mais je voyais plus aucun moyen de m'en sortir et... J'avais promis de revenir...

Je me sens tellement égoïste à le dire comme ça.

-Donc, c'est devenu personnel avec Kali, très très vite...

J'ai un rire assez pathétique et je ferme un peu les yeux.

-Deuxièmement, je... suis plus vraiment entière et ça me fait flipper... Au pandémonium, j'étais capable de m'enflammer, j'étais capable d'utiliser mes ailes et... Et je sais pas pourquoi ça marche plus et... J'ai l'impression d'être cassée... Et comment est-ce que j'peux faire quoique ce soit si j'peux pas m'utiliser à 100%...

Je me passe la main sur le visage.

-Troisièmement, je sais pas exactement ce que sont de Hellhounds et c'est Owen qui m'a expliqué le peu que je sais. tout ce que je sais, c'est que c'était un humain et qu'il a tellement été torturé et déformé par la torture qu'il a fini par devenir un chien... Un chien putain.

Je sens la colère me monter d'un coup.

-Et c'est pareil pour toutes les âmes dans les fosses. tu choisis pas. On te torture parce que soit disant t'as été un monstre et quand finalement tu deviens un monstre parce qu'on a détruit le centre même de ce qui te fait, on te dit "ah, tu vois bien que j'avais raison"? Non. Juste non. C'est trop facile, c'est dégueulasse et ça doit s'arrêter.

Je secoue la tête.

-Au début, les Dormeurs, c'était... un genre de cercle de paroles? J'en sais rien... Je sais pas trop ce que c'était mais on était quelque uns à se réunir, à parler de ce qui nous arrivait à nous soutenir et... A un moment donné, c'est devenu les gens qui parlent et moi qui essaie de les aider. Et à un moment donné, on était un groupe de gens qui se réunissaient pour autre chose et j'ai déclenché mes pouvoirs. Pendant une de nos rencontre, j'leur ai dit un truc auquel ils avaient pas pensé et j'suis toujours persuadé que c'est hyper évident et qu'ils se foutaient de ma gueule.

J'inspire un peu en regardant le plafond.

-J'leur racontais que je me battais systématiquement. Que je rendais les coups, toujours. Pas parce que j'allais gagner, parce que c'était jamais vraiment le but mais que je m'étais fait une promesse : plus personne me touche sans que je rende les coups. Mais pas que, que je le faisais aussi parce que quoiqu'il arrive, ils me feraient aussi mal qu'ils veulent. Qu'est-ce que leur menace peuvent bien signifier quand de toute façon, ils prévoient de me faire mal quoiqu'il arrive? Et je sais pas, c'est un peu tout partie de là. Chai pas, c'est un peu comme menacer de mort quelqu'un que t'as l'intention de tuer... Ca a pas de poids. C'est juste vide de sens. Mais c'est ce qu'ils font. "Arrête de te débattre ou je te ferais mal". Techniquement, t'es en train de m'éviscérer avec une cuillière rouillée, j'ai du mal à voir ce que tu vas bien pouvoir faire de plus... Tu vois? Parce que, c'est ça le truc. Le but des fosses, c'est pas de te faire disparaitre, c'est de te faire te transformer en ce qu'ils veulent... Et... Les âmes qui peuvent pas résister, elles se dissolvent très vite. Parce que la douleur est inimaginable. Donc, il arrive un stade où à part te faire mal continuellement jusqu'à ce que tu craques un boulon, ils peuvent rien faire de plus... Bien sur, ils peuvent te buter pour de bon, mais c'est pas le but des fosses. Kali peut pas dissoudre l'intégralité de ses fosses. techniquement, si. Mais ça irait à l'encontre de la volonté de Pandémonium et de l'essence même de son rôle. Donc elle fait des exemples. Elle dissous des âmes, peu, au final. Pour calmer l'ensemble des fosses.

Je hausse les épaules.

-Et ça a marché... Et on m'en a parlé... C'était après qu'elle aie fait subir ça à certains du groupe. On m'disait qu'il fallait que j'arrête mes conneries, que y avait pas d'espoir. Et, c'est débile parce que quand on m'a dit ça... J'me suis dit : bah, j'ai juste à leur prouver que c'est pas si sans espoir que ça. Et je sais plus comment ou pourquoi... Ni quand exactement et si c'est avant ou après ce que je t'ai expliqué avec Nelu... Mais je me suis dit, "ok, le moyen de prouver que tout n'est pas si hors de control pour nous et aussi que Kali n'est pas si toute puissante, c'est de prouver qu'on peut, ne serait-ce qu'un peu, la faire tomber."

Je lance un coup d'oeil à Kaelig.

-C'est débile, je sais mais... C'est un peu comme le pompom dans les manège... tu essaie pas parce que tu crois que tu l'auras jamais, jusqu'au moment où quelqu'un dans la meme situation que toi arrive à l'effleurer et là, tu te dis que si c'est possible, tu peux aussi... Enfin... C'était l'idée. Donc j'ai lancé une rumeur. Kali était furieuse, j'étais déjà en train de me planquer comme je pouvais. Moi et le reste de Dormeurs. on était pas vraiment encore une rebellion, j'crois... Je sais pas. On était pas beaucoup, en tout cas. Mais j'ai fait courir la rumeur que Kali avait retrouver Elehiel et que y aurait une confrontation. Que dans sa grande -je sais pas comment on dit- elle lui donnerait l'occasion de se battre. Ce qui est pas très loin de ce qu'elle avait fait sauf que c'était de l'ordre de "tu peux plaider ta cause et supplier" tu vois? Bref. Parti de là, la rumeur s'est répandu comme une trainée de poudre. Kali pouvait ou voulait pas reculer, j'en sais rien. Bref, je me suis retrouvé face à elle, sachant parfaitement que j'allais perdre. Mais j'y allais pas pour gagner. j'y allais pour lui faire toucher un genou au sol. Y avait les autres Dormeurs dans l'assistance, ils ont fait passer l'idée : elle va lui faire plier le genou. Et... J'ai tout donné et je savais pas si je réussirais, franchement. je savais pas si ça marcherait mais... j'ai effleuré le pompom.

Je regarde Kaelig.

-Et d'un coup, j'avais une armée de Dormeurs... D'un coup, j'avais une révolte à gérer. Et j'avais pas la moindre idée de quoi faire et - soyons réaliste - j'ai toujours aucune putain d'idée de quoi faire. Alors, j'ai commencé à faire ce que je sais faire de mieux : j'ai dansé. J'ai dansé et dansé et ils ont dansé aussi et c'est bizarre mais... c'est devenu un langage... tu te souviens de la série qu'on avait regardé ensemble? Avec la danse? The OA? J'adore cette danse, elle a quelque chose de mystique, de profond et de primale et... Je leur ai apprise, parce qu'elle est vraiment puissante et simple et c'est devenu un moyen de reconnaissance, les cinq mouvements. Et je sais pas à quel moment, c'est devenu plus qu'une danse, mais ça a été le cas. Et par la danse, j'étais soudainement capables d'enflammer les espoirs, de leur transmettre et à partir de là, j'ai pensé : hey mais, si on faisait des flashmobs en enfer? C'est stupide, je sais mais ça m'a semblé tellement évident. Et c'est ce qu'on a fait. On a commencé à se battre et à danser. A Danser pour se battre et inversement. Kali était furieuse et on a du aller se cacher chez Léviathan. Mais on faisait toujours des opérations dans ce genre. On libérait des gens aussi, des genre de raids, je suppose? Pour libérer les gens des tortures, les aider à se reconstruire.

Je renifle un peu.

-... L'une des particularités de mon pouvoir, en tout cas, comme je l'utilisais en bas. C'est que à un moment donné ça te vide d'energie. Et tu dors. Tu dors si fort et si profondément que rien te réveille... Pas même la torture. Alors, j'ai pas mal utiliser ça comme ça aussi...

Je glisse mon regard sur le canapé.

-Je... La temporalité de tout ça est... probablement fucked up... Parce que... Ben... Tu sais pourquoi. Le temps et moi, on est pas pote... Mais en gros, c'est ça qui s'est passé... Maintenant, je suis d'accord avec toi, je dois prendre la responsabilité de ce que j'ai créé. Que j'ai fait exprès ou pas. C'est pas important.

J'ai un sourire crispé.

-Mais je flippe. Parce que en bas, ça m'avait l'air de couler de source. C'était logique. Il fallait réagir et maintenant que je peux mettre de la distance... J'ai juste l'impression de m'être transformer en gourou d'une secte et j'ai la trouille parce que j'veux pas faire mal, j'veux pas blessé les Dormeurs, c'est ma famille. J'veux faire au mieux pour eux mais plus le temps passe plus j'ai l'impression d'être néfaste dans cette position et que j'pourrais rien faire d'autre que d'être une immonde connasse qui s'ignore. Parce que plus le temps passe, plus j'analyse et j'explique et moins ça fait de sens. Parce que j'avais pas vraiment de mots et il m'en manque toujours autant et plus j'en pose et moins ça fait de sens. Et moins je comprends. Moins je comprends pourquoi j'étais si déterminée, pourquoi c'était si limpide alors que maintenant ça l'est plus du tout...

J'inspire un grand coup.

-Bref... C'est la merde dans mon cerveau et j'aurais du t'en parler plus tot.

Je le regarde dans les yeux.

-Parce que je sais, j'ai aucun doute là dessus, que tu peux m'aider. Et je sais que je veux pas m'engager dans ce terrain sans toi et ça fait des mois et des mois que j'essaie de sortir tout ça et que je rétropédale au dernier moment. Autant dire que je me comporte comme la reine de merde... Enfin voilà... Ca fait beaucoup d'un coup... Ca aussi j'suis désolée...

Encore cette sensation délicieuse de tout faire de travers... Super.

***

Asmodée

Ciulin pose des questions au fur et à mesure et je les note dans un coin de mon esprit. Il va devenir assez vite important que Ciulin potasse l'Edda de snorri, entre autre. L'avantage du lien, c'est qu'iel devrait être capable de lire mes notes de l'époque...
Ce n'est pas forcément que je veux lae faire adhérer à  ma religion mais vu notre lien et ses questions, il va devenir nécéssaire qu'iel s'impregne de ça. Ce qui me fait penser...

-Il va falloir que je me plonge aussi dans les rites de Mère Nuit...

que je marmonne à voix haute. Moi aussi, j'ai besoin d'apprendre ça. Aucun doute que les deux vont s'entrelacer dans ce lien et qu'il faudra composer avec les deux.

-Pour ou contre la pizza à l'ananas?

Iel rit et ça me fait du bien de l'entendre rire un peu. Je souris alors que j'ai une question fugace qui me traverse l'esprit : Est-ce que tu m'aimes?.

-Bon... Va falloir que j'étudies deux-trois trucs sur la mythologie nordique, le chamanisme et tout ce bordel...
-Oui... Je pourrais te passer, dans un premier temps, l'Edda de Snorri. C'est le plus courant pour débuter... Et l'Edda poétique... Jolak nous ramènera probablement ce qu'il faut pour combler les trous laisser par des écrits d'historiens et les histoire de l'edda poétique... Pour le reste, j'pourrais répondre à tes questions. Et oui. Oui, je t'aime. Bien sur que je t'aime, Asti min.

-J'espère que t'es prêt à mettre en oeuvre tes talents de conteurs!
-Et toi, les tiens! Parce que je pense que pour mieux comprendre notre union, il va falloir que je me mette à la page sur tes croyances à toi... Et pour en revenir à tes questions...

Je me remémore pendant que je me fais embrasser et que je rends l'appareil avec grande joie.

-Yggdrasil. C'est l'arbre monde. C'est un if qui relie les neufs royaume. La terre, ici, c'est Midgard, le royaume du milieu. Un Asatru, c'est un avatar, en gros, c'est le receptacle d'un dieu. Souvent, chez nous, tu nais Asatru. Des Augures, vois ça comme des genres de rêves ou d'hallucinations très imagées qui peuvent avoir un sens : un avertissement, une version du futur, vision du passé...

Je plisse les yeux.

-Je ne sais pas si Odin vont te demander quoique ce soit. Mais quand bien même, ça sera sans doute de participer à certains rites... Ou j'en sais rien. Et oui, comme un contact radio constant. Deux âmes qui se fondent en une seule.

Je caresse ses cheveux doucement et viens l'embrasser à nouveau.

Sizreïs est repartie taquiner la barbe de Morphée. Elle me rappelle étrangement Ciulin bébé : grosse fringales et lourds dodos. Je suis mécaniquement en train de faire la vaisselle quand Elie revient de la douche. Je la laisse me conduire en silence. Dans ces instants de retombées post-apocalyptiques, il vaut mieux respecter son rythme plutôt que d'imposer une cadence qui pourrait rallumer une mèche fraîchement éteinte.

Je sais attendre.
Je t'ai attendue toute ma vie.
Je t'écoute, stea mea.
Je n'ai jamais cessé.

-Je suis désolée. Je t'ai blessé, tout à l'heure, et je m'en rends compte et je suis désolée. C'était injuste et c'était nul de ma part. T'es la personne la plus patiente que je connaisse avec moi et tu m'as tendue mille perches. J'les ai virtuellement toutes balancer à ta gueule comme si elles étaient dangereuses et... Je comprenais pas vraiment pourquoi... Et j'crois que je comprends toujours pas trop.

Je lui caresse la joue du pouce avant de prendre ses mains dans les miennes.

- Est-ce que tu veux bien... Qu'on essaie de comprendre ensemble ?
- Une part de ma trouille absolue de parler des Dormeurs, de ce qu'il s'est passé en Enfer et dans les Fosses est due au trauma... Mais il est surtout dû au fait que... j'ai pas les mots. Je... Je voudrais en parler. Je voudrais être capable de te les dire mais... C'est des actions, des moments, des sensations et je trouve aucun mot qui les représente. Et je réalise que c'est parce que... j'ai pas tant parlé que ça, en bas. On communiquait autrement, les Dormeurs et moi... Par succession de mouvement, par espoir interposés. Rarement par la parole... Enfin rarement, pour les trucs que j'aimerais te dire, je crois.

Montre-moi.

Les gestes suffisent parfois pour communiquer.
Si tu fuis toutes les formes d'expressions à mon égard, que me reste-t-il comme outil pour parvenir à saisir tes maux ?

- Ensuite, c'est parce que y a des trucs qui se sont passé qui te concernent... J'arque un sourcil....et que, au delà du blocage pur du syndrome post-traumatique qu'est encore un peu là, j'pense que je voulais pas te confronter à ça, tout en sachant que j'dois te le dire.
- Chérie, je suis capable d'encaisser. Je ne suis pas en sucre...
- Je sais que t'es pas en sucre et je sais que ça peut sembler paternaliste?- c'est ça qu'on dit?- mais c'est juste que j'ai pas envie que t'ai mal, vraiment. J'ai pas envie parce que tu mérite pas, parce que je t'aime de tout mon coeur et j'aimerais qu'il t'arrive jamais rien et j'ai encore moins envie que cette douleur, elle vienne de moi.
- Je sais faire la part des chose entre le message et le messager, Elie. Je sais que tu l'oublie souvent parce que je fais indubitablement plus jeune que mon âge, fais-je avec un sourire pour détendre l’atmosphère, mais je suis grand.
-Je suis terrifiée à l'idée que tu m'en veuilles de pas en avoir parler plus tôt. Mais j'pouvais pas. Parce que c'est mélangé en plein avec tout ce qui me bouffe depuis mon retour et c'est vraiment très verrouillé. Mais j'en ai finis de te garder systématiquement à l'extérieur, j'en ai marre. J'en ai marre de toujours laisser la peur prendre le dessus, marre de te repousser parce que c'est vraiment pas du tout ce que je veux...
- Bon... Ecoute, on va arrêter avec la culpabilité et l'autoflagellation, ça ne sert strictement à rien. Note, que c'est un peu l'hosto qui se fout de la charité, mais j'insiste ! Je préfère qu'on soit transparents entre nous, qu'on se disent tout même si c'est possiblement douloureux. Les non-dits c'est comme les mensonges, "l'honnête-radicale" en toi le sait, ça empoisonne, surtout pour la personne qui garde le secret. Pour autant, je n'ai aucune envie de t'en vouloir. Mon temps est vachement trop précieux pour le perdre avec ce genre de ressentiments. Ok ?

Elie prend un moment pour rassembler son courage et sauter le précipice de la libération de parole.

- Premièrement... Tu dois savoir que Nelu est avec Kali et qu'il aime Kali comme une mère. Mon coeur rate un battement. Ça été mon bourreau jusqu'à ce que... Nelu, mon Nelu, le si bon et juste Nelu... Je l'ai blessé, fort. Pour m'en sortir, vraiment, vraiment très fort... Mon tout premier fils sacrifié aux Sang-Coureurs, la toute première victime de la malédiction proférée par mon géniteur. Je sais pas ce qu'il en a gardé mais la colère de Kali ayant été ce qu'elle est, je pense qu'il a des grosses séquelles... Et j'suis désolée...J'voulais pas mais je voyais plus aucun moyen de m'en sortir et... J'avais promis de revenir... Donc, c'est devenu personnel avec Kali, très très vite...

Je me sens engourdi par une vague de froid pénétrante. Lorsque ma voix parvient enfin à jaillir hors de ma gorge, mon timbre est étrangement atone. Du bruit blanc.

- Tu n'y es pour rien... Tu n'as fait que te défendre.

Nelu, Iulan.
Je les pensais naïvement  l'âme en repos.
Tout ça est de ma faute.

- Tu n'as rien à te reprocher...

Je ne parviens pas à pleurer. Je me sens simplement comme... vide.
Anesthésié.

-Deuxièmement, je... suis plus vraiment entière et ça me fait flipper...  Je me reprends. Les morts sont morts. Et les âmes perdues ne sont pas à ma portée. Je retrouverais Nelu, un jour,  quand mon propre temps sera venu. Au Pandémonium, j'étais capable de m'enflammer, j'étais capable d'utiliser mes ailes et... Et je sais pas pourquoi ça marche plus et... J'ai l'impression d'être cassée... Et comment est-ce que j'peux faire quoique ce soit si j'peux pas m'utiliser à 100%...
- C'est peut-être... Psychologique ? Tu as parlé de ce phénomène à Salomon ? Il n'est pas impossible que ton PTSD bloque l'accès à tes pleines capacités.

Elle ne rebondit pas immédiatement et enchaîne sur les Hellhounds, sur l'injustice de leur condition, sur la nature exacte des Dormeurs. Je n'entrave pas cette parole qui se libère après avoir été si puissamment contenue. J'écoute. Je bois ses mots. Je découvre le récit touchant d'une jeune femme qui n'a pas pesé le poids de son immense et incommensurable charisme. Le bagout d'une volonté que je sais profonde, sauvage et indomptable. La danse comme arme, comme instrument de communion et d'expression d'un sentiment de révolte : c’est à la fois simple et impactant. Poétique aussi.

Tellement toi.

Je digère toutes les informations qui me sont données. C'est copieux, touffu... Je ne dois pourtant rien négliger.

- Bref... C'est la merde dans mon cerveau et j'aurais du t'en parler plus tôt.
- C'est pas grave...
- Parce que je sais, j'ai aucun doute là dessus, que tu peux m'aider. Et je sais que je veux pas m'engager dans ce terrain sans toi et ça fait des mois et des mois que j'essaie de sortir tout ça et que je rétropédale au dernier moment.
- L'essentiel c'est que tu sois parvenu à le sortir...
- Autant dire que je me comporte comme la reine de merde... Enfin voilà... Ça fait beaucoup d'un coup... Ça aussi j'suis désolée...

Je viens clore sa bouche d'un baiser.

- Redis encore une fois du mal de toi et je te prive de câlins pendant toute une semaine !

J'ai pris ma voix de Taureau furieux. Ma voix de patriarche.

- La vie, et  en l’occurrence la mort, nous amène a faire des choix dont on ne mesure pas toujours l'impact. On ne peut pas revenir sur ce qui a été fait : on peut tenter de corriger une trajectoire ou de suivre la route qui s'offre à nous, mais on ne peut ni reculer, ni s'arrêter en marche.

Je laisse filer un silence.

- Je peux t'aider à organiser tes Dormeurs, Elie. Je peux t'apprendre à canaliser ton leadership inné. Je peux même faire plus... Je prends une profonde inspiration et ses deux mains entre les miennes. J'ai la sensation drolatique de me préparer à la demander en mariage. Il ne manque que le genou à terre... Je peux leur offrir un refuge sur terre, ici... Je peux réformer les Sang-Coureur de manière à les accepter comme alliés, voir comme frère-d'armes...

Il y a un moment que je macère cette idée. Elle est passée de chimère à projets concret au fil des  mois.

- Nous offririons de cette manière de nouvelles perspectives au monde surnaturel, de l'espoir pour la nouvelle génération et... Nous le ferions à deux.

Au delà du choc de l'information sur Nelu, Kaelig réagit comme j'ai toujours rêvé qu'il réagisse. Je ne peux pas m’empêcher de me dire à chaque fois qu'il parle, qu'il propose une solution qu'il me répète que c'est pas grave, que au moins c'est sortie: putain, je t'aime. Alors je m'excuse, je me répands en insulte sur moi-même, en autoflagellation.

-Redis encore une fois du mal de toi et je te prive de câlins pendant toute une semaine !

Je peux pas m’empêcher d'avoir un petit rire pitoyable et humide alors que je tente de faire disparaître une larme qui ne coule de toute façon pas.

-Chui sur que personne te désobéit avec une voix pareille.

J't'ai dit ça, la première fois qu'on s'est rencontrée. Je renifle et souris à nouveau, j'essaie au moins. Je t'embrasse.

-La vie, et en l'occurence la mort, nous amène à faire des choix dont on ne mesure pas toujours l'impact. On ne peut pas revenir sur ce qui a été fait : on peut tenter de corriger une trajectoire ou de suivre la route qui s'offre à nous, mais on ne peut ni reculer, ni s'arrêter en marche.

Je médite ses paroles. Je n'ai pas spécialement envie de faire marche arrière ou de m'arrêter. La panique fait que c'est souvent ce que je cherche à faire, les blessures aussi sans doute. C'est là que je dois tirer la ligne entre ma maladie et moi. C'est un long apprentissage parce qu'il y a bien longtemps que les deux se mélangent sans vraiment de distinction.

-Je peux t'aider à organiser tes Dormeurs, Elie. je peux t'apprendre à canaliser ton leadership inné.

idée ridicule. Moi un leadership inné.

-Je peux même faire plus...

Il s'arrête de parler, inspire profondément et me prend les deux mains. Je hausse les sourcils. Il se passe quoi, là?

-Je peux leur offrir un refuge sur terre, ici...
-Tu veux dire que. que je commence sans oser terminer.
-Je peux réformer les Sang-Coureur de manière à les accepter comme alliés, voir comme frère-d'armes...

J'ai envie de pleurer. Mes yeux passent au noir sous l'émotion incompressible. J'ai le souffle coupé.

-Nous offririons de cette manière de nouvelles perspectives au monde surnaturel, de l'espoir pour la nouvelle génération et... Nous le ferions à deux.


Aucun mot ne sort.
Aucun.
A la place, pour la première fois depuis mon retour, je communique autrement. Par flash d'espoir, par image mentalisée, scène figée ou mouvante.
Kaelig et moi et les Dormeurs, ensemble pour créer un avenir acceptable pour tous. Kaelig, moi, tenant une boutique remplie d'horloge et de petits automate. Lui avec ses lunettes sur le nez et moi avec les miennes pour voir les mécanismes les plus délicats.
heureux.
Joie.
Joie.
A deux. Deux. Deux. Deux. Tous ensemble. Famille. Famille. FAMILLE. Vioréa, Sorin, Ciulin, Enzo, Even, Owen
Ensemble. REPOS. plus jamais toute seule. Toujours ensemble.
Mon espoir brule fort et clair. Les images défilent à une vitesse éffrénée et pourtant, apaisante.

Ca dure, ça dure puis finalement, j'ouvre la bouche pour ajouter des mots mais il me semble soudainement superflus alors je lui prends la main. Je pose un doigt sur ses lèvres. Je l'entraine dans le jardin, nus pieds dans l'herbe. Tu offres un refuge, je t'offre la porte des Dormeurs. Je t'offre nos mouvements.
Je le place en face de moi et j'entame le premier mouvement doucement. Une première fois, une seconde, une troisieme... Jusqu'à ce qu'il me suive, qu'il le sente de l'intérieur.
Une fois que tous les mouvements s'enchainent pour la première fois, je les enchaine tous. Ma peau irradie d'une lumière que je ne lui connais pas ici. Mon espoir tend les bras à Kaelig, la flamme dans le creux de ma poitrine vibre pour enflammer le sien. Une communion qui continue, je crois, un long moment jusqu'à ce que je l'embrasse, pressée contre lui, en sueur. Mon derme s'éteint petit à petit.

Tu as dit que j'étais ton étoile.
Je crois que je suis prête à l'être complètement.

J'éclate d'un rire libérateur, profond, qui font trembler les fondations de mon être jusqu'à le faire chuter en avant. Putain.

Je suis à la maison. Pour de bon.