"...Too mush make-up will stain your dress"

Foisonnement viril, entre sueur et gouaille. La salle bruisse d'un brouhaha de fin d'après-midi, entre vieux habitués. Nous ne sommes plus en présence des jeunots affables, qui viennent faire un peu d'exercice pour garder la ligne, mais bel et bien de vieux routards, aux mœurs crasses d’indécrottables alphas. Ceux là, il est difficile de leur inculquer les valeurs laissées en héritage par Elie. Loin d'être méchants, ils n'en demeurent pas moins nocifs, assis qu'ils sont sur leur douillet confort patriarcale.

Il n'y a pas si longtemps, tu siégeais parmi eux.

Je ne me fais aucune illusion, et le chemin demeure long jusqu'à tendre vers un mieux. L'essentiel est d'essayer, chaque moment qu'il me reste. Pour l'heure, ces gadjos là ne nuisent à personne d'autres qu'à mes oreilles, du moins est-ce que je croyais. De la porte ouverte de mon bureau, j'entends soudain :

- ... J't'assure qu'elle a pris chère et qu'elle en r'demandait encore !
- Comme quoi les discrètes à lunettes sont toujours les plus cochonnes !
- Et toi Sorin, t'as déjà tiré un coup ?

Je me raidis et fais marche arrière. Il y a malheureusement encore quelques mètre à combler le temps que je dévale les escaliers et soit à portée de colère.

- Elle doivent toutes tomber avec tes airs de minet. C’est à la mode maintenant, les précieux..... T'as vu tous les boys band coréens ?
- Tu peux nous l'dire à nous ! A ton âge un gars comme ton père avait déjà copieusement trempé son biscuit.

Allez-vous faire foutre, bande de tocards ! C'est particulièrement faux, du reste.

- Alors, blonde, brune, rousse... oooh à moins qu'elle soit plus exotique ?!
- Ouuuuh...... beugle la bande de connards.

Ca va pas. Ca va pas, ça va pas, ça va pas. Ca tourne en boucle dans mon crâne. Je n'en peux plus. Je suis à fleur de peau, j'aggresse et je m'énerve et ça me fait me sentir coupable.
J'en ai marre. Je suis à bout. Ce qu'il s'est passé dans ce hangar est... gravé. Léo va mal, ses parents m'ont dit qu'ils pensaient à une grosse grippe. L'agression vampire me laisse imaginer milles horreurs. La mort du photographe, aussi, reste gravé dans ma mémoire. Tellement rapide, tellement violente.... J'ai envie de pleurer et de plus jamais m'arrêter. Vioréa m'a surpris quand je suis rentré. Je ne sais pas pourquoi je n'en parle pas à Père. Je ne sais pas ce qui m'en empêche. Ca fait quatre jours que je tente de lui en parler et que ça reste bloquer.

Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Comment on est pas mort? Pourquoi ces vampires ne nous ont pas tué? Ca tourne en boucle et je n'arrive pas à comprendre.

A l'arena, je continue mon travail. Mon casque sur les oreilles pour ignorer le brouhaha et les blagues grâces de certains. Assez vite, mon casque s'envole et je me retourne prestement.

-Rendez le moi!
-Et toi Sorin, t'as déjà tiré un coup?

La question me surprend et m'agace immédiatement. Encore plus, les rires gras enflamment immédiatement mon myocarde boosté à la trouille.

-Lachez moi. J'ai du travail.

Ils haussent les sourcils. Ils sont surpris, je réponds rarement méchamment, je me contente de sourire gêné ou d'esquiver la question.

-Elle doivent toutes tomber avec tes airs de minet.
-Qu'est-ce que ça peut vous faire?
-C'est à la mode maintenant, les précieux...
-Vous voulez dire, les hommes qui ont découvert le savon?
-T'as vu tous les boys band coréens?

Je hausse les sourcils très hauts en serrant les poings.

-Tu peux nous l'dire à nous !

Vous dire quoi exactement? Que je risque pas de "tringler une go"?

-A ton âge un gars comme ton père avait déjà copieusement trempé son biscuit.

Je roule des yeux avec tant de force que ça me fait mal.

-Alors, blonde, brune, rousse... Oooh à moins qu'elle soit plus exotique ?!
-MAIS QU'EST CE QUE CA PEUT BIEN VOUS FOUTRE A LA FIN, HEIN! C'EST QUOI VOTRE MANIE MERDIQUE DE VOULOIR VOUS MESURER LA BITE EN PERMANENCE! VOUS ÊTES RIDICULES ET VOUS FAITES HONTE A L'INTEGRALITE DE LA GENTE MASCULINE! SI J'ETAIS UNE FEMME, J'PREFERERAIS CHOPER LES OREILLONS PLUTOT QUE DE M'APPROCHER D'ABRUTIS DANS VOTRE GENRE!

J'arrache mon casque des mains du voleur avant de m'éloigner pour finalement me retourner.

-Et puisque  qui baise qui semble vous accaparez à ce point! CHUI PAS PRET DE ME TAPER QUI QUE CE SOIT DE FEMININ, BANDE D'ATTARDES! Et pour les deux du fonds qu'ont UNE BITE à la place du CERVEAU! JE SUIS GAY COMME UN PINSON! VOILA! Arretez de me faire CHIER!

Je me retourne avant de me figer. Oh non. Je viens pas de faire ça... Mes yeux se lèvent pour tomber sur le regard de mon père. Oh non. non non Non!

Je ne souhaitais pas faire d'esclandre publique, bien m'en a pris. J'assiste, bouche bée, a une tornade de fureur. J'ignorais que le corps fluet de mon gamin abritait un tel coffre. Stupéfaits, la bande d'idiots recouvrent peu à peu leur lucidité, et je vois clairement les saloperies en devenir leur border la bouche. Je me dresse en ombre menaçante.

- Vous ouvrez vos mouilles : je vous défonce. Vous lui manquez de respect : je vous défonce. Vous faites encore une blague de merde sur l'intégrité des femmes ou sur les gays : je vous défonce et vous saurez plus jamais comment user vos bites pour pisser.
- Attends Kaelig, on voulais juste sympathi...

J'attrape l'imprudent pas la gorge et je sers. La chique coupée, il s'accroche futilement à mon poignet. Les veines gonflent d’asphyxie alors qu'il cherche désespérément de l'air.

- Très sympathique, de le foutre mal à l'aise avec vos blagues grasses et vos couilles molles que vous vous plaisez à exhiber à tout bout de champ, alors que la seule présence féminine que vous connaissez est votre PUTAIN DE MAIN DROITE ! Je relâche ma poigne. Au prochain mots de trop, je vous fout dehors. Pigé ?

Je sens la colère et l'incompréhension irriguer leurs caboches. Sans doute qu'ils alimenteront les ragots sur mon compte, mais il le feront dans mon dos, trop lâches pour me l'exprimer en face. Mon autorité s'exerce encore et je fais toujours peur.

En quelques enjambées, je rejoins Sorin dans les vestiaires. Cela fait quelques jours que je le sens à cran sans en comprendre la raison. D'ordinaire il n'aurait pas fait son coming out de manière si spectaculaire. Je m'attendais à une discussion en tête à tête bien plus intime.

- Fiu, t'es là ? Je m'invite auprès de lui. Est-ce que ça va ?

Je trouve refuge dans les vestiaires. Tremblant, terrifié, toujours furieux. Ce que je viens de faire est incompréhensible. Dangereux. Je viens de m'exposer et j'ai peur. C'est stupide et inconsidéré. Père était là. Père a forcément entendu. Je sais que Père a changé mais annoncer que je suis gay de cette manière. Lui faire perdre la face devant ses troupes… c'est autre chose.
J'entends sa voix s'élever de l'autre coté de la porte. Énervé. Je le sais rien qu'aux intonations. A l'accent qui remonte par à-coups.
Je n'arrive pas à empecher les larmes de monter violemment. J'en ai marre. Je fous tout en l'air.
J'essuie les larmes rageusement. C'est dingue d'être faible à ce point. Pas foutu de pas pleurer!

-Fiu, t'es là?

Je redresse la tête et sursaute. Je me sens soudainement sous pression. J'ai envie de m'excuser. De hurler. De tout casser.
Au lieu de ça, je reste désespérément silencieux et immobile.

-Est-ce que ca va?

Père est là. Il a l'air inquiet. Il a l'air de ne pas etre fâché. Pas contre moi, en tout cas. Ca me fait monter les larmes d'autant plus vite.

-j….

J'essaie de contrôler l'afflux de larmes et de hoquets.

-Tata… je. Chui désolé.

Je m'effondre au sol. Il faut que je lui parle, il faut que tout ca sorte.

-J'voulais pas. Je voulais pas que ca se passe comme ça! Mais!

Je frappe le sol.

-Je rate tout! J'arrive pas! Tata!

Je reste là a pleurer misérablement.

-Tata. Leo. Je. Je crois qu'il va mal. Et. J'ai peur et. Je t'ai caché des choses et je voulais pas. Je te promets que je voulais pas.

Le petiot s’effondre brutalement comme si le bouchon de liège qui maintenait ses émotions en bouteille vient d'exploser. Je me retrouve submergé par les sentiments d'un ado perdu, secoué de sanglots, de honte et de regrets.

- Tata… je. Chui désolé.
- Tu n'as aucune raison de l'être.

Assis tous les deux à même le carrelage, j'enroule mon bras autour de ses  frêles épaules.

- J'voulais pas. Je voulais pas que ça se passe comme ça!
- Je sais... Mais je suis fière que tu leur ai rabaissé leurs caquets à ces cons là.
- Mais!

Il esquinte son poing contre la faïence et je ne réprime pas l'élan d’inquiétude qui me comprime soudain la poitrine.

- Inutile de te faire du mal, fils... C'est arrivé comme c’est arrivé... Je masse ses métacarpes endolories.
- Je rate tout! J'arrive pas! Tata!
- Tu ne rates rien du tout. Il n'y aucune règle en la matière pour ce genre de choses. J'attendais patiemment que ça arrive, que tu te sentes prêt pour l'affirmer haut et fort. Et tu l'as fait. C’est bien... C'est très bien.

Tu pleure toujours, fils et mes paroles, que je pensais pourtant adéquates en pareille circonstances, ne parviennent pas à te consoler.

Je m'y prends peut-être mal....

- Tata. Leo.
- Leo... Leonard Kavinsky ? Ton "copain" ? Et je laisse peu planer le doute sur le sens à donner à ce terme.
- Je. Je crois qu'il va mal. Et. J'ai peur et.
- Comment ça ? Froncement de sourcils.
- Je t'ai caché des choses et je voulais pas. Je te promets que je voulais pas.

Nous venons de basculer d'une simple conversation père-fils à une confession de victime. Je prends Sorin par les épaules et je lui demande le plus calmement possible, en tâchant de paraitre rassurant.

- Je ne t'en veux pas, entends-tu ? Tu devais être vraiment terrifié. Ce qui explique sa nervosité sur ces derniers jours. Explique-moi tout. Nous allons affronter le problème tous les deux. Tu n'es pas tout seul, d'accord ? Je suis là, avec toi. Qu'est-ce qui arrivé à Leo ?

Père me rassure et je ne comprends pas pourquoi ça n'a pas l'effet escompté. Depuis que je réfléchis à ouvertement assumer ce pan de ma personnalité, j'espère entendre ces mots dans sa bouche. Pourtant, ça n'a pas exactement l'effet que j'espérais.
Tout est compliqué. Ce qui se passe avec Leo, l'attaque, moi étant gay, Vioréa. Tout ça. C'est terriblement compliqué. J'en viens à des excès de rage qui ne me sont pas familiers et qui me rendent honteux. Père masse ma main qui me fait terriblement mal. Je n'ai jamais rien tapé d'autre que les punching ball avec Mihai. Frapper du dur fait tellement plus mal.

-Tu ne rates rien du tout.
-Si!
-Il n'y a aucune règle en la matière pour ce genre de choses. J'attendais patiemment que ça arrive, que tu te sentes prêt pour l'affirmer haut et fort.

Je dévisage Père avec un sentiment confus de gratitude et de surprise.

-Et tu l'as fait. C'est bien... C'est très bien.

Les larmes reviennent aussi vite parce qu'il y a une multitude de choses qui bouillonnent et qui me drainent.

-Leo... Leonard Kavinsky ? Ton copain ?

J'entends l'hésitation mais je n'ai même pas la présence d'esprit de faire semblant d'hésiter. Je hoche la tête. le coeur et l'ame au supplice. Je lui explique et Père prend doucement la mesure de ce que je lui dis. Père me fait face désormais, ses solides mains sont ancrées à mes épaules. Son ton calme n'eteint pas le tourbillon de mon angoisse.

-Je ne t'en veux pas, entends-tu ?
-J..D'accord.
-Tu devais être vraiment terrifié.
-Je.

Je suis secoué de tremblements incontrolable.

-Explique-moi tout. Nous allons affronter le problème tous les deux.

Je regarde Père à travers un voile de larmes et de panique.

-Tu n'es pas tout seul, d'accord ?

Je hoche la tête maladroitement.

-Je suis là, avec toi. Qu'est-ce qui est arrivé à Leo ?

-J. Je sais pas. je. Je comprends pas. On...

Je me bloque d'un coup. Il va falloir que je lui parle de Sunny Beam... Oh mon dieu. Je cligne des yeux avant de pleurer de plus belle. Je n'ai pas le choix, j'en ai trop dit de toute façon.

-On était avec un photographe pour Sunny Beam et tout se passait b-bien. Et- Et d'un coup, un groupe de Strigoï est arrivé. Le photographe est mort et.

Je pleure d'autant plus que je revois la scène : le fond jaune pale de Sunny Beam, les jolies lumières, tout ça pollué par le sang, des gerbes et des gerbes de sang et le bruits d'evier bouché et enfin, le photographe, les vampires et la nausée.

-J'ai pas été assez vite! Et! Et Léo. Il a été touché! Et depuis, depuis il est malade! Ses parents pensent que c'est la grippe! Mais si c'est pas la grippe, Tata! Si il est pas vraiment malade? Qu'est-ce qu'il va faire?

Je m'arrête net avant de murmurer.

-Je comprends  pas. Comment ils sont partis sans nous tuer. parce que. Ils nous avaient trouvé et d'un coup, c'est comme si ils... Je sais pas. Comme si on les avait tiré en arrière et... Après. Après, je sais plus. Ils étaient plus là... Et Leo saignait! Il arrêtait pas de saigner alors... je sais plus. Je l'ai ramené chez lui et... Et Leo a dit que c'était un chien qui l'avait attaqué et.. Et si il était encore vivant le photographe? Et si à cause de moi, il était mort? Tata, j'ai peur. Je sais pas quoi faire. Je veux pas qu'il arrive du mal à Leo!

Je n'arrête plus de pleurer et je regarde Père à la recherche de la bonne réponse, n'importe laquelle pourvu qu'il ne m'annonce pas qu'il faut achever Leonard avant qu'il ne soit trop tard.

Sorin ne cesse de pleurer et mon inquiétude pour lui croît à mesure que je le vois dégouliner. J'ai presque peur qu'il ne se dissolve sous mes yeux. Inconsciemment, j'ai dégainé un mouchoir pour lui nettoyer le visage et éponger ses naseaux, comme lorsqu'il était tout petit.

Geste dont il ne doit plus se souvenir

Je ne fais aucun commentaire sur ce qu'est "Sunny Beam" ou le pourquoi exact de ces photographies. Ce n'est pas le sujet de préoccupation pour le moment.

- A la lumière de ce que tu me racontes, je pense qu'il est préférable de rendre visite le plus tôt possible à ton ami. Je vais évaluer son état et aviser selon. Donne moi également l'adresse de ton shooting : Je vais envoyer une équipe sur place pour enquêter.

Je laisse filer un silence, réalisant que mes paroles peuvent prêter peut-être à confusion au vu de mon rôle de Sang-coureur.

- Sorin, je n'attenterais pas à la vie de Léonard. Je caresse la joue de mon garçon pour le rassurer. Si je devais m'apercevoir que son état est trop alarmant, je me tournerais vers des personnes mieux à même de l'accompagner vers ce qui l'attend. Il existe des vampires qui maîtrisent parfaitement leur nature et la camoufle très bien pour vivre en société.

Je me lève et lui tend une main ferme pour l'aider à faire de même.

- Viens, fils. Mets ton manteau. Nous allons de ce pas chez les Kavinsky...

- A la lumière de ce que tu me racontes, je pense qu'il est préférable de rendre visite le plus tôt possible à ton ami.

Mon coeur rate un battement alors que mes larmes ne s'arrêtent de toute façon pas.


-Je vais évaluer son état et aviser selon.

Ca me coupe le souffle. J'arrive même plus à pleurer. Je me contente de regarder Père, les yeux écarquillés, parfaitement terrifié. J'essaie d'articuler que je ne veux pas qu'il est trop important pour moi, Léonard.


Donne moi également l'adresse de ton shooting : Je vais envoyer une équipe sur place pour enquêter.
-J-je...

Un silence terrifié et étourdi me contraint à regarder Père avec une inquiétude, grandissante.


- Sorin, je n'attenterais pas à la vie de Léonard.

Je me détends d'un coup contre la main de Père et sanglote une nouvelle fois.

-j'ai eu peur! Il est... C'est.

Malgré mon coming out retentissant, je n'arrive pas encore à dire ouvertement que c'est mon petit ami. Il se passe trop de chose, il est trop mal pour que j'ai envie de rentrer dans ces détails.


-Si je devais m'apercevoir que son état est trop alarmant, je me tournerais vers des personnes mieux à même de l'accompagner vers ce qui l'attend. Il existe des vampires qui maîtrisent parfaitement leur nature et la camoufle très bien pour vivre en société.
-V-vraiment?

Je suis tellement étonné que je ne sens plus l'angoisse enserrée ma cage thoracique.
Quand Père me tend la main, je la saisis sans réfléchir et me remet debout.


- Viens, fils. Mets ton manteau. Nous allons de ce pas chez les Kavinsky...
-D'accord. Je me passe un peu d'eau sur la figure et j'arrive.

Je m'écarte pour me balancer de l'eau froide au visage. Je refléchis à tout ce qu'il vient de se passer. Au fait que Père l'ai si bien pris, au fait qu'il parle de coopérer avec des créatures. Quand je retourne le voir et que nous nous retrouvons dehors, je lui demande.

-Tata...? On va travailler avec des créatures maintenant?

Je réfléchis un peu.

-Ca fait bizarre mais ils peuvent pas tous êtres d'horribles monstres, n'est-ce pas? Même s'ils tiennent du Jour, ils doivent aussi tenir de Mère Nuit et Mère Nuit, elle nous protège, pas vrai? Et puis, tout n'est pas noir ou blanc...

Lorsque fils est fin prêt, nous embarquons en voiture. Je fais tourner la clé et le moteur du 4x4 réponds aussitôt avec la fluidité d'un bon petit soldat.

- Tata...? On va travailler avec des créatures maintenant?

Question épineuse. Pourtant, je ne vois nulle raison de lui mentir.

- A l'avenir, oui, nous allons être amenés à coopérer avec celles prêtes à le faire.
- Ça fait bizarre....
- Beaucoup des nôtres penserons de même, mais par les temps qui courent c'est une question de bon sens.
-... mais ils peuvent pas tous êtres d'horribles monstres, n'est-ce pas? Même s'ils tiennent du Jour, ils doivent aussi tenir de Mère Nuit et Mère Nuit, elle nous protège, pas vrai? Et puis, tout n'est pas noir ou blanc...
- Ton "boyfriend" - et j'insiste sur le mot - C'est un mec bien, n'est-ce pas ? Je sais que tu n'offrirais pas ton cœur à quelqu'un qui n'en a pas. Hé bien, si c'est le cas, il n'y a pas de raison qu'il devienne soudainement mauvais parce qu'il s'est transformé en strigoï. On ne devient pas plus con en attrapant un cancer mais ça affecte, comme toute maladie. Certains se battront contre le mal qui les touche, d'autre se laisseront couler avec. Et quelque part, c'est leur nature humaine initiale, leur vécu, leur caractère qui va faire d'eux le vampire qu'ils seront, ou le loup garou, ou le démon....

Je t'observe avec un sourire en coin avant de fixer à nouveau la route.

- Ça te surprends comme discours ? Les événements de ces derniers mois m'ont aidé à mettre certaines chose en perspective. Nous ne pouvons plus appliquer aveuglement des préceptes éculés et simplistes vieux de plusieurs siècles. Chez les "monstres", il y a aussi des parents aimants, des enfants innocents et des êtres bienveillants. Chez les "humains" il y a  tout autant de meurtriers, de psychopathes et de bourreaux. Si Unsselie a eu un seul bienfait c'est de rebattre les cartes pour tous nous remettre à notre place.

Je me gare devant le pavillon coquet des Kavinsky, dans la banlieue-dortoir de Tyr Na Nog. Des gens normaux. Sans histoire.

Presque.

Nous frappons à la porte. C'est une femme au visage émacié et aux yeux rougis qui nous ouvre. Elle a la mine épuisée de ceux qui ont perdu le sommeil et trop pleuré. Elle pose un regard hanté sur Sorin. Je flaire immédiatement une odeur anormale de rance, de sueur âcre et de renfermé.

- Bonsoir Madame. Je me présente, je suis Kaelig Taur, le père de Sorin. Mon fils et votre Léonard sont très amis. Il aimerait lui rendre visite.
- v.. Vous ne pouvez pas entrer, souffle-t-elle d'une voix blanche.
- Madame, je me permets d'insister. Nous sommes très inquiets à son propos.

La femme est prise d'un tremblement. Son menton tressaute, annonçant une crise de panique ou de sanglot imminente.

- ALLEZ-VOUS EN ! jappe-t-elle en tentant de fermer la porte. Je retiens le battant fermement.
- Madame, nous devons voir Léonard ! Où est votre mari ?
- Il... Elle pleure à présent.... Je vous en prie... N'aller pas le voir.... Ne faites pas ça...

Je la repousse doucement et nous fais pénétrer dans un corridor meublée avec gout dont le ménage n'a pas été effectué depuis plusieurs jours.

- Madame Kavinsky... Je pause deux mains rassurantes sur ses frêles épaules. Je suis là pour vous aider, vous, votre famille et Léonard....
- V.. Vous ne pouvez plus rien pour mon époux, balbutie-t-elle, incapable de s'arrêter de claquer des dents et de stopper les larmes. Il... il ... Les mots luis sont douloureux entre deux hoquets d'angoisse. Il est mort !

J'écoute attentivement tout ce que me dit Père. Je ne sais pas si je suis surpris... En fait, je pense que, quelque part, ça va dans la lignée de tous les changements qu'il a opéré. Une part de moi éprouve une grande fierté face aux efforts qu'il déploie pour changer et pour améliorer tout ce qui l'entourre et ce que nous entourre nous. Tout le monde n'est pas d'accord et -Vioréa la première - il y a des heurts mais il ne baisse pas les bras.
Quand on arrive chez Léonard et que Madame Kavinsky ouvre la porte, je sens mon coeur couler. Ca ne va pas, pas du tout et l'insistance de Père à vouloir rentrer et à finalement ne pas lui laisser le choix, me propulse sur des charbons ardents. J'écoute le dialogue entre Père et Madame Kavinsky avec une horreur croissante. Toute la paix qui s'était installée en moi pendant le trajet vient de s'évaporer. J'ai envie de hurler.

-V... Vous ne pouvez plus rien pour mon époux.
-...Quoi?
-Il...il... Il est mort !

Je recule un peu sous le choc. Que s'est-il passé? Est-ce que ces vampires ont attaqués? Pourquoi laisser Madame Kavinsky en vie alors? Est-ce que c'est Léonard qui a fait ça?

-Madame Kavinsky. Il faut nous dire ce qu'il se passe. Mon père est un expert de ce genre de situation, il peut vous aider.

J'entends du grabuge en haut et je lève le nez.

-Léo...

Je m'élance dans l'escalier malgré les exhortation de Madame Kavinsky. Léo doit être terrifié et mortifié. Il ne doit pas comprendre ce qu'il se passe. Il n'a pas pu tué son père volontairement. Aucune chance. J'ai une foi absolue en Léo. J'arrive devant sa porte et m'y arrête un instant.

-Qu'est-ce qu'il faut faire, tata...?

La situation s'annonce pire que prévue. Un oeillade vers mon fils pout m’assurer qu'il tient le coup. Il encaisse avec difficulté, mais il encaisse et vient même appuyer mes propos.

Soudain un bruit de grattement et de chute résonne à l'étage. La mère de Léonard pousse un gémissement plaintif et me déconcentre la demi-seconde décisive qui m'empêche de retenir mon gamin ruant vers les escaliers.

- SORIN ATTENDS !
- N'y allez pas... Couine Madame Kavinsky, à présent affalée sur le sol.

Je pousse un juron et gravis les marches quatre à quatre. Je me vois déjà empêcher une bête sauvage de sauter à la jugulaire de mon petit. Louée soit la Nuit, la prudence naturelle de Sorin le fait stopper net devant une porte. Je devine sans mal qu'il s'agit de celle de la chambre de Léonard. La chambranle a été cloutée à la va vite et par un poignet fragile. Les clous sont mal enfoncés et certaines planches déjà défichées, à cause de coups répétés contre la porte sans doute.

- Qu'est-ce qu'il faut faire, tata...?

Je prends une profonde inspiration.

- Me laisser passer devant, déjà...

J'ouvre mon manteau, laissant entrevoir le harnais de ma machette. Je la sors du baudrier pour la confier à Sorin.

- Pour te défendre, au besoin. Les jeunes vampires ont en général une soif inconsidérée de sang. Léonard a faim et son créateur l'a laissé derrière lui sans pouvoir le guider. Même s'il te reconnait, il ne saura pas résister au besoin de ce nourrir.

Pendant mes explications, je dégaine une sorte de pistolet à seringue que je charge avec une capsule de liquide. Sur le même ton bref et concis, je poursuis mes explications.

- C'est une concoction d'élixir d'aubépine infusée à l'huile essentiel de verveine. La verveine est un tranquillisant naturel pour vampires. Elle engourdit les fonctions régénératives de leur corps, les poussant à une sorte d'hibernation parce qu'il ne parviennent plus à guérir, et l'aubépine a l'effet d'un opiacée pour eux.

Je secoue ensuite la bonbonne d'un petit brumisateur et j'en asperge Sorin.

- Eau de fleur d'ail. Excellent répulsif à strigoï, fais-je en répétant le geste sur moi même. Bien.... Tu es prêt ?

Je tiens mon arme en joue, une lampe-torche calée sous la culasse. Un jour on en rira tous les deux en se disant que je ressemblais à un de ces héros de séries B sur la flicaille new-yorkaise. D'un coup sec, j'enfonce la porte qui cède sur ses gonds sans trop résister. La pièce est plongée dans le noir. Une odeur nauséabonde de pourriture, de sang séché et d’excréments nous fouette le visage. Je balaie lentement le faisceau lumineux sur la pièce jusqu'à trouver Léonard.

Le malheureux a tous les attributs de la Bête : la bouche déchirée pour laisser saillir une mâchoire protubérante aux crocs effilés, les yeux révulsés et rougis, le corps nu et noirci aux extrémités. Il a le teint anormalement gris et se montre extrêmement peu vindicatif.

- Rahat....

Le gamin est statufié des pieds au bassin. Voilà pour quoi il peine à se déplacer et ne fait que se protéger de la lumière avec des bras rachitiques et souillés de sang. Non loin de lui, gît le cadavre exsanguiné de son père. Son seul et unique repas depuis sa transformation.

- Sorin, je te défends de l'approcher pour le moment.


J'attrape mon téléphone d'une main tout en gardant Léonard dans mon viseur. Le numéro est - tristement ai-je envie de dire- dans mes favoris.

- Allo, Hallsonar ? J'ai un cas d'urgence pour toi. Un regard vers l'adolescent agonisant.... Je vais avoir besoin du concours de Madame : c'est un tout jeune strigoï à un stade de pétrification avancée... Hum... ok... Mon fils va te donner les coordonnées.

Je tends le téléphone à Sorin avec un hochement de tête avant de venir m'accroupir à bonne distance de Léonard. Je baisse ostensiblement mon arme pour la poser au sol, bras en avant en signe de non agressivité.

- Léo, je suis le papa de Sorin. On va s'occuper de toi, mon petit. Reste calme, tu n'as pas à avoir peur.... Mon ton est le plus doux et rassurant possible.

En réponse, si s'en est une, la créature feule, réagissant au patronyme de mon garçon.

La préparation de Père a quelque chose du sacrifice. Cette porte cloutée me met mal. Elle me met mal au delà des mots parce que c'est la chambre de Léonard. J'écoute à peine. Je garde la machette à la main. Je me sens ridiculement inutile.

-Bien... Tu es prêt?
-...Non? Mais... C'est pas grave.

La porte s'ouvre et l'odeur qui s'en échappe me soulève violemment le coeur. Elle me fait tituber et reculer. L'envie de vomir me prend au tripe aussi surement que les corsets de Sunny Beam. J'ouvre la fenetre derrière nous et vomis copieusement. Ciulin m'aurait probablement lancé une pique pour détendre l'atmosphère. Père, lui, avance. Alors je le suis et plus j'avance, plus je me demande si j'aurais dû. La vision est cauchemardesque, le père de Léonard git dans un coin. C'est la première fois que je vois un cadavre aussi longtemps d'aussi près. Léo ne bouge pas. Les trace de griffures expliquent comment il s'est déplacé jusque là. Je fais un pas vers lui.
Cotonneux, j'ai l'impression d'être encadré d'un voile de brume. J'entends à peine Père qui me dit de ne pas approcher, pourtant j'obéis. J'obéis sans comprendre vraiment pourquoi. Je me retourne vers son père. Je ne sais pas pourquoi. C'est comme si l'air m'y poussait.
Il est bizarre, cet air. On dirait qu'il murmure. J'avance, un pas puis deux et je m'observe avec horreur poser la main sur la joue du père de Léonard avant de m'expulser de là comme s'il avait la peste.

-C'est un tout jeune strigoï.... je fixe toujours le cadavre avec une acuité que je ne comprends pas. pétrification avancée... comment il va faire sans son père? Il adorait son père. Mon fils va te donner... Non. Il ne peut pas être mort, je refuse! Les coordonnées.

Je me retourne vers Père qui me tends son téléphone. Je l'attrape mécaniquement pour le mettre à mon oreille.

-Hey. Allo? Sorin, c'est ça? Salut!
-... Bonjour...
-Je m'appelle Baltasar. j'aurais besoin que tu me donnes l'adresse.
-L'adresse?
-Oui. Hey. Sors un peu de la pièce, respire. T'as pas besoin d'être là.
-Mais... il faut que-
-SORIN. J'ai besoin que tu te concentres, l'adresse. S'il te plait.
-Ah.. Je. Oui. C'est... Y a toujours cette drole d'impression dans l'air. 327 canal street. Le 4x4 de Père est garé... Garé dev-

Je pousse un hurlement quand quelque chose me saisit soudainement la cheville.  Je m'écarte et fracasse el téléphone au sol.
C'est trop. Trop en trop peu de temps.

Laissez moi partir.

Le cri de terreur met tous mes sens en alerte. Je me suis retourné avec une prompte vivacité, arme au poing. Une goule. Le cadavre du père s’est transformé en goule. Il n y a qu'une chose à faire avec cette engeance décérébrée.
La machette confiée à Sorin gît à côté de lui alors que la goule essaie piteusement de se hisser jusqu'au dodu de son mollet. Une morsure et c’est la mort assurée. Les goules sont les ratés d'une transformation vampirique, ceux qui ne survivent pas à la mutation et demeurent coincés dans un entre-deux pétri par la Soif.

Des Moroï.

Quelques foulées et j'écrase la gueule du Moroï sous ma botte. Alors qu'il se débat, surpris, je me penche pour me saisir de ma lame. Un pas en arrière et mon bras effectue un arc de cercle net, bref, tranchant la tête du malheureux. Un sang noirâtre et épais éclabousse le visage de mon gamin.
J'aurais aimé qu'il ne voit pas ça, qu'il n'assiste pas à la vision de son père chasseur, qui n'a aucune hésitation à tuer. J'ai peur d'avoir foutu en l'air tout le travail positif que nous avons réussi à effectuer lui et moi jusqu'ici.

J'ai peur d'avoir perdu Sorin.

- Fiu.... Est-ce que ça va ? fais-je doucement. Je m'agenouille et m'approche lentement de son visage avec un mouchoir extirpé de ma poche. Ironiquement, je prends les mêmes précaution qu'avec son ami vampire pétrifié. Je suis désolé, dis-je à voix basse. Vraiment désolé....

Dans la chambre laissée dans le noir, Léo gémit toujours.

L'action se passe incroyablement vite. Je suis déboussolé. Entre la peur panique, l'envie de hurler, la colère et... et... Tellement de choses contradictoires en même temps.
Je crie. Quelque part, j'ai l'impression que crier ne vient pas vraiment de moi. Père se lève d'un coup, c'est très rapide mais... C'est aussi au ralenti que ça va vite. La sensation me laisse un goût de malaise dans la bouche. Il réagit à une vitesse que je sais hallucinante, en quelques secondes, la tête de ce qui a été le père de mon meilleur ami est tranché et la substance noir macule mon visage. Je crois que j'ai sursauté quand elle m'a touché pourtant je me vois regarder les gouttes arriver... Etrange.
Je sais ce qu'est une goule. Je sais ce qui le cause. J'ai lu beaucoup de livre sur le sujet. Beaucoup.

Mais ça prépare pas à ça. Certainement pas.

Père s'approche, je me sens trembler comme une feuille et je suis ses mouvements des yeux. Il a l'air inquiet. Pendant quelques secondes, la question "pourquoi" s'invite d'elle-même dans mon cerveau, stupidement.

-Fiu...

Mes yeux se fixent sur les pupilles de Père pendant qu'il s'agenouille. Tout à l'air si lent et si rapide à la fois.

-Est-ce que ça va ?
-... Je... Je t'avais jamais vu chasser.... Euh...

Je sais pas pourquoi un rire nerveux me traverse.

-Et maintenant, je sais pourquoi je veux jamais, jamais chasser.Haha....

Nouveau rire, il est pas douloureux mais il ressemble drôlement à des convulsions. Je laisse Père essuyer mon visage alors que j'entends Léonard gémir dans le fond. Je le cherche dans les ténèbres, je le vois mal, honnêtement. Il a l'air si mal.

-Je suis désolé.
-Tata.
-Vraiment désolé...
-Pourquoi?

Je ne comprends pas et je me prends à le contempler stupidement. Un nouveau gémissement me fait tourner la tête.

-Tata... On... On va pouvoir l'aider, pas vrai? L'homme au téléphone, il va pouvoir aider Léonard et sa mère?

J'ai l'impression que mon cerveau mouline d'un coup.

-Leo... Leo, il poste souvent sur les réseaux, peut-être... Peut-être qu'on pourrait demander à Cristian de faire des faux posts comme s'il était en vacance? ... Peut-être... Peut-être que je peux aider comme ça...?

Je regarde Père à nouveau, sourcils froncés, parce qu'il est hors de question que je n'aide pas d'une manière ou d'une autre.

-Je veux aider. Je veux pas me battre ou chasser mais je veux aider.

- Pourquoi?

Je suspends mon geste, avec une certaine stupéfaction. Mon fils a le regard clair, limpide, sans la moindre ambiguïté. Son incompréhension est sincère.

Pourquoi ?
Pourquoi me demandes-tu fils ?
Tout ce sang sur mes mains ne t'effraie donc pas ?

- Tata... On... On va pouvoir l'aider, pas vrai?
- Oui.
- L'homme au téléphone, il va pouvoir aider Léonard et sa mère?
- Je ne peux pas m'avancer pour sa mère, elle vient de vivre une série d'événements traumatisants. Mais je peux t'assurer que ton petit ami va être confié à des gens biens qui vont tout mettre en oeuvre pour l'aider à vaincre ses pulsions et à mieux comprendre sa nature.
- Leo... Leo, il poste souvent sur les réseaux, peut-être... Peut-être qu'on pourrait demander à Cristian de faire des faux posts comme s'il était en vacances?
- Je n'y avais pas songé, mais c’est une bonne idée en effet.
- ... Peut-être... Peut-être que je peux aider comme ça...?
- Sorin...

J'éprouve un sentiment mêlé de profonde fierté et d'inquiétude. Ce garçon dispose d'une ressource, d'une maturité et d'une force digne des plus grands chasseurs. Le coeur en plus. Plus que jamais, c’est à l'image de cet enfant que devrait se façonner les idéaux des Sang-Coureurs. Il est temps que je réforme les antiques traditions.

- Je veux aider.
- Je sais, fiule, je sais... Je lui pétris les épaules de mes énormes mains.
- Je veux pas me battre ou chasser mais je veux aider.
- Tu vas m'aider. Léo a besoin d'être rassuré, d'entendre la voix d'une personne qu'il aime pour être ramené à la raison. Est-ce que tu te sens le courage de retourner dans cette chambre et d'essayer de l'apaiser ? Le temps que mon ami puisse arriver avec son équipe... Tu t'en sens capable ?

Mon fils fait preuve d'un sang froid extraordinaire. Je vois bien qu'il tremble et qu'il a peur, mais il ne laisse pas Leonard le soupçonner. Je surveille la scène, attentif au moindre mouvement hostile. Sorin parle d'une voix calme, douce, qui ne trahit en rien ses inquiétudes. Je suis incroyablement fier de lui et très impressionné.

Asmodée débarque enfin avec sa clique. Je descends les escaliers en trombe et pousse délicatement la mère de Léo qui était prête à les chasser en hurlant. Je la retiens fermement, paume sur la bouche

- A l'étage, la seule porte ouverte, que je fais à destination du démon qui grimpe les marches quatre à quatre.

Simone entre à sa suite avec deux homme en costume.

- Ils vont s'occuper d'elle, Monsieur Taur, déclare-t-elle avec son flegme vampirique. Elle ferme la porte d'entrée le plus tranquillement du monde, puis s'aventure déjà vers les hauteurs. Je la suis non sans jeter un dernier regard vers ses acolytes qui font asseoir Mme Kavinsky, tétanisée, dans un fauteuil.

Dans la chambre, Asmodée est déjà à l'oeuvre. Il doit sans doute faire usage de ses dons de "fascination". Simone s'approche de Sorin et l'invite à sortir, le précipitant dans mes bras. Elle a les doigts glacés malgré son sourire aimable.

-... Tata... Qu'est-ce qui se passe...?
- Balthazar use d'une sorte d'hypnose pour influencer la volonté de Léo. En le nourrissant, la pétrification va s’atténuer puis disparaître.

Le jeune vampire s'ébroue, effectivement, à nouveau libre de ses mouvements, mais toujours sous la contrainte du démon. Il a mâchouille le plastique de la poche de sang, essayant d'en extirper la moindre goutte qu'il reste. Malheureusement, elle est vide et la faim tord ses boyaux. Il gémit, gratte sur le sol furieusement, comme s'il était en cage.
Et ses dent saillent de nouveau.

- Je vais prendre le relais, déclare posément "Madame".

Elle est imposante, dans la semi pénombre, dans sa combinaison de soie écarlate, sa chevelure noire et lustrée ondulant sur un coté de son visage. Son regard vert d'eau flotte comme deux perles nacrées dans l'obscurité.

- Léonard, dit-elle d'une voix douce et qui pourtant impose un brutale silence et la totale attention du petit strigoï. Mon nom est Simone Montespan, je suis une vampire, tout comme toi. Et tout comme toi, j'ai du en découdre avec ma nouvelle nature sans l'appui de ma Mère en Ténèbres, ni l'entourage de son nid. Cependant, me voici : plus humaine, certes, mais non départie de mon humanité.

Elle laisse filer un silence. Puis tend sa main pâle aux ongles parfaitement manucurés et laqués de rouge.

- Je peux te guider sur la même voie, qui t'apprendra à combattre la soif qui t'habite et à la maîtriser. Tu pourras vivre une vie presque normale, je m'y engage. Pour cela, cependant, il faut que tu acceptes la main que je te tends.

Du bout de l'ongle soudain pointu comme une serre de corbeau, elle découpe le derme albâtre de son poignet.

- Le Sang est toujours loyal. En te présentant le mien, j'atteste de ma sincérité. En acceptant de le boire, tu reconnais mon autorité. Par cet acte, tu gagneras ma protection éternelle et celle des miens. Que décides-tu ?

Léonard semble hésiter. Mon fils, tout comme moi, retenons notre souffle. Le jeune vampire tourne autour de Simone qui tend toujours son bras, stoïque et sculpturale, puis jette plusieurs regard vers Asmodée et Sorin. Il s'attarde sur ce dernier, un long moment.
Enfin, il approche ses lèvres de la coupure et lape la plaie. Si le geste s'avère timoré au départ, il s'affirme jusqu’à la morsure. Simone ne cille pas une seule seconde, caressant doucement les cheveux du jeune garçon, alors qu'il s'abreuve à son pouls. Leonard a retrouvé pleinement sa forme humaine, blotti tout contre le giron de Simone.

-Je vais prendre le relais.

Une magnifique dame parfaitement appretée fait son apparition. Je ne sais pas pourquoi, j'ai une pensée pour Vioréa en la voyant. L'homme à la voix magique s'écarte, lance un clin d'oeil à la dame et s'écarte. En fait, il vient même près de nous et observe, avec un amour évident dans les yeux. Il est évident qu'il a une total confiance en la dame. Sa voix calme d'ailleurs Léo immédiatement. Et j'observe la scène avec les yeux de quelqu'un qui observe pour la première fois un tour de prestidigitation. Sauf que tout est réel. On ne peut plus réel. Les mots de Simone Montespan, puisque c'est son nom se brouille dans mon esprit. J'entends à peine les murmures de l'homme avec Père. Je suppose qu'ils échangent des informations importantes. Quoi exactement, je l'ignore. Les mots se transforment en bruit qui se transforment vibrations, qui deviennent une sensation irrépréssible de bouillonnement à l'intérieur de mon être. J'ai chaud d'un coup et puis j'ai froid en même temps. Je me sens suer et salivé. Mon visage me pique. Je cligne des yeux. Le visage et les joues me chauffent incroyablement. Léo est en sécurité et enfin, je comprends. Je me redresse, comme electrisé, et regarde autour de moi. Rien. Pas une corbeille en vue, pas une porte de toilette. Les WC sont en bas. Oh Mère Nuit....

Je dévale les escaliers en lançant un tremblotant.

-Oh.Euh. Je. escusezmoi.jere-reviens.

J'entends la voix de l'homme dire.

-Ah. Ca y est. C'est la descente... De l'eau et du sucre, gamin! De l'eau et du sucre!

Je n'aurais jamais le temps d'aller aux toilettes. Mes mains s'agacent sur la porte d'entrée qui, péniblement, s'ouvre. Je fais deux pas vers le plan de pétunia et vomis et vomis et vomis. Comme un gant de toilette qui se retourne.
Presque. J'ai presque été à la hauteur.... J'ai fait de mon mieux. C'est tout ce que je pouvais faire. Je me laisse retomber lourdement sur le sol et je reprends mon souffle. J'ai mal aux cotes.Je ne sais pas ce qu'il m'arrive mais les vomissements se transforment en tremblements puissants qui me font claquer des dents si fort que je me mords la langue. Je me fais l'impression d'être un smartphone sur vibreur.

-Qu...Que...Qu'est-ce que...?

La tension redescend brutalement. Sorin s'échappe de mon étreinte en dévalant les escaliers, pâle comme linge.

- Ah. Ça y est. C'est la descente... De l'eau et du sucre, gamin! De l'eau et du sucre!
- T'es vraiment un trouduc, en me tournant vers lui et sa gueule goguenarde. J'esquisse un sourire en coin. Merci d'avoir réagi aussi rapidement.

Je descends les escaliers. Les deux hommes en costard -des djinns sans doute- sont toujours dans le salon avec une Mme Kavinsky catatonique mais étrangement relaxée. Fils, quant à lui, a repeint la pelouse et les parterres de fleurs de dégueulis. C’est une chance que les haies soient assez fournies pour que les voisins ne s'inquiètent pas du spectacle. Je retire mon blouson et le pose sur les épaules de Sorin. Je lui frotte vigoureusement le dos.

- Tout va bien, fiu, tout va bien... C'est la pression qui redescend. Respire doucement. Tu peux marcher ?

Je le conduis à l'intérieur, le fais asseoir dans la cuisine et prépare un thé au lait très sucré, comme si j'étais chez moi.

- Tu viens d'encaisser beaucoup de chose, sans compter ton état de stress ces dernière semaine. Tu accuse le coup, c'est normal. Je lui ébouriffe la tignasse avec une tendresse bourrue. Tu as été extraordinaire, Sorin. Je suis très fier de toi, vraiment très fier.

Je le couve d'un sourire paternel. Mon coeur vibre de cette note rare, repoussée tant d'année, la même qui m'avait étreint en prenant Ciulin, vagissante dans mes grosses paluches abîmées, à sa naissance.

Mes enfants, mes chers enfants...
Je ne mérite pas d'être ainsi comblé.

Le blouson me semble peser une tonne. Il m'écrase les épaules et je n'arrive pas vraiment à savoir si j'apprécie ou non le poids. La chaleur, en revanche, est bienvenue. Je claque des dents comme si elles voulaient faire un concert. La main de Père me secoue comme une puce alors qu'il me frotte le dos. j'ai l'impression d'être secoué dans tout les sens et l'image me faire rire intérieurement.

-Tout va bien, fiu, tout va bien...
-j-j-j d-d-d'ac-c-c-ord...
-C'est la pression qui redescend. Respire.

J'inspire profondément et lentement et je me fais l'impression d'être une locomotive à  pleine vitesse.

-Tu peux marcher ?
-J-j-j-j je s-s-s-sais p-p-p-pas.

Je me redresse et manque de me casser la figure, Père me rattrape et me guide. Je me sens comme une énorme guimauve fondue au soleil. Mou, dégoulinant, y a comme du bruit devant mes yeux. Je me retrouve assis sur un tabouret de la cuisine des Kavinsky. Un moment, je me demande comment je suis arrivé là. L'idée m'effraie avant que le chemin jusqu'à la cuisine, à demi porté par Père, me revienne.

-Tu viens d'encaisser beaucoup de chose.

J'observe Père qui prépare un thé dans une cuisine qui n'est pas la sienne. Maintenant que j'y pense... J'ai remarqué que Père aimait beaucoup faire la cuisine. Je crois qu'il y prend du plaisir. Bon peut-être pas là, dans l'immédiat, mais bon.

-Sans compter ton état de stress ces dernière semaine.

J'ai un rire spontané d'une nervosité qui me surprend. Je regarde Père en clignant des yeux alors qu'il m'ébouriffe les cheveux.

-Tu as été extraordinaire, Sorin.

Je hausse les sourcils très haut. Je n'ai pas l'impression d'avoir fait quoique ce soit d'exceptionnel... J'essaie simplement de faire au mieux avec mes faibles moyens.

-Je suis très fier de toi, vraiment très fier.

Ma bouche s'entre-ouvre alors que cette phrase résonne en moi. Elle me réchauffe de l'intérieur. J'ai l'impression d'avoir le coeur énorme mais ce n'est pas de la tristesse. C'est différent.

-Tata...

Je ris un peu, l'eau à fleur de paupières. J'ai envie de pleurer et de rire et de respirer grand et fort comme si mes poumons venaient d'un coup de tripler de volumes. Je me lève maladroitement pour aller serrer Père dans mes bras. Je reste comme ça un long moment, perdu dans le manteau de Père. Je finis par m'écarter.

-J-Je sais pas si c'était s-s-s-i... Si ex-ex-extraordinaire que ça mais... Mais j'essaie de... suivre t-t-ton exemple.

Je hausse un peu les épaules avant de sentir mes jambes flageoler. Je retourne sur ma chaise.

-... Ca met combien de temps? Avant de... D'arrêter de trembler. C-c-c'est p-p-pas p-pratique.

Mon fils est ému par mes paroles et son étonnement sincère se répercute en moi en multitudes de doux échos. J'accueille son étreinte avec plus de démonstration que d'ordinaire. Cet enfant a le cœur placé au bon endroit et gorgé d'une sainte énergie. Mère-Nuit l'a béni comme une étoile.

-J-Je sais pas si c'était s-s-s-i... Si ex-ex-extraordinaire que ça
- Si, ça l'est Fiu, ça l'est. Tu as fait preuve d'un aplomb et d'une efficacité dont peu d'adultes serait capables.
-...mais... Mais j'essaie de... suivre t-t-ton exemple.
- Vraiment ? Tu m'honores. J'espère être un meilleur modèle pour toi que je ne le fus par le passé et pour tous mes autres enfants.

Il tremble toujours et claque des dents. Mon petit garçon déjà si grand.

- Ça va lentement retomber... Une bonne nuit de sommeil y contribuera. Je pose ma large paume sur sa nuque gracile. Je pense que l'on peut rentrer. Balthazar a pris les choses en main.

J'adresse d'ailleurs un hochement de tête au lascar dans le salon avec ses nettoyeurs. Je jette un regard à Sorin.

- Je peux te porter si tu veux. Tu as bien l'droit d'être encore un peu mon gamin, tu sais ? Personne n'y verra un signe de faiblesse. Je lui souris avec douceur. Vois ça comme un caprice de papa dépassé parce que son petiot grandit bien vite.

-Si, ça l'est Fiu, ça l'est. Tu as fait preuve d'un aplomb et d'une efficacité dont peu d'adultes serait capables.

La phrase résonne en moi. Pour la première fois, j'ai l'impression d'avoir trouvé un peu ma voie dans la mission familiale. Elle me semble nouvelle, moins radicale, plus humaine. J'ai l'impression de pouvoir aider Père et les autres.

-Vraiment ? Tu m'honores. J'espère être un meilleur modèle pour toi que je ne le fus par le passé et pour tous mes autres enfants.

Je suis à la fois content et triste. Content du changement que Père effectue avec application depuis près d'un an, content qu'il se rapproche de nous - Vioréa a beau dire qu'elle déteste, je sais qu'une part d'elle commence à comprendre qu'il est là en cas de besoin aussi. Triste, parce que j'aurais voulu que mes frères et soeurs en profitent, à commencer par Ciulin et Cristian. En attendant, je tremble comme une feuille et je n'arrive pas à m'arreter.

-Ca va lentement retomber... Une bonne nuit de sommeil y contribuera.

Sa paume sur ma nuque me plante fermement dans le sol et calme un peu l'intensité des vibrations.

-Je pense que l'on peut rentrer. Baltasar a pris les choses en main.

Je tourne la tête vers le salon, Baltasar rend le hochement de tête et me lance un clin d'oeil. Je lui rends une tentative de sourire qui se termine en haut le coeur contenu.

-Je peux te porter si tu veux.
-De quoi?

Je suis surpris et je me retourne vers Père, destabilisé.

-Tu as bien l'droit d'être encore un peu mon gamin, tu sais ?

Ce n'était pas une boutade?

-Personne n'y verra un signe de faiblesse.

Ce n'était pas une boutade et le sourire de père me réchauffe le coeur.

-Vois ça comme un caprice de papa dépassé parce que son petiot grandit bien vite.

Je cligne des yeux et l'observe un peu avant de réaliser qu'il faut que je réponde.

-Ah... Je. oui. D'accord. Ca... Ca me ferait plaisir.