La soirée s'écoule comme une traînée de pluie fine. Une averse passagère qui arrose nos convives d'une certaine innocence simple, celle qui prête à un repas partagé. Cette atmosphère douce que j'observe, un brin en retrait, détaché de cette jeunesse que je prend plaisir à admirer en silence. Il y a, dans le flot continue et pourtant arythmique de ce moment ensemble, un bonheur irréel construit par et pour mes élèves. Un bonheur que j'ai l'impression de couvert, en secret, avec une volonté de le préserver.
Mes quelques regards perdus dans ceux de Nathan, mon oreille à peine concernée par les propos de Roxane, la verve inattendue de Lydie, l'étincelle bien plus évidente entre elle et Omar, le jeune Ismain épuisé par nos propos de grandes personnes... Tout ça me conforte dans ma position de spectateur et, aussi vite qu'elle s'imbriqua dans notre emploi du temps, cette parenthèse se referma sur les quatre enfants.

Partis.

Mine de rien, ce n'était pas si désagréable que nous l'aurions escompté. Passé la surprise... c'était une bonne soirée.

Le silence retombe dans l'appartement. J'entends presque le frémissement des pots de plantes gorgés d'eau. La grande table est encore dressée, même si les jeunes gens ont tout de même pris la peine de débarrasser une partie de la vaisselle. D'un sourire calme, je m'applique à m'être le reste dans l'évier, histoire de faire un semblant de ménage. Je considère les assiettes pendant un temps indéfini, en proie au pour comme au contre. Et je choisis.

« Cela attendra demain... »

Que je murmure. Il faut parfois s'avouer vaincu devant la procrastination bien menée.
Je rejoins à nouveau le salon, m'arrête, m'étire de tout mon long. Le bras prêt à empoigner le ciel, doigts tendus, je sens la moindre vertèbre de mon dos se détendre dans un bruit sourd. Ma gorge vrombit d'un son propre au plaisir des muscles dénoués.
Je finis par fixer mon sofa comme une consolation certaine. D'un mouvement lourd, je me laisse tomber sur le moelleux des coussins, la tête en arrière sur le dossier, regard vers le plafonnier.

Quelques secondes avant de me redresser, de jeter un regard à Nathan qui me voit dans un piteux état. Je souris avec tendresse avant de rire à nouveau, de cette manière incontrôlable et libératrice. Ma main s'écrase mollement sur mon visage, frotte mes yeux un brin pesant.
Et j'ouvre un bras pour demander silencieusement à mon vis-à-vis de venir me rejoindre sur le canapé. Une main tendue, à nouveau.
Je n'ai pas envie de bouger.
Je crois bien que lui et moi sommes absolument rincés. Avec toutes les nuances que ce terme peut bien apporter. Il faut dire que cette journée a été quelque peu remplie, avouons-le.

Je suis Amon dans le salon chambardé par la présence soudaine de mes camarades. Il a l'air épuisé comme en témoigne son avachissement gracieux sur le canapé. J’arbore un fin sourire, mon djinn porte la fatigue comme un bijoux précieux, même en cela il est élégant.
Je viens glisser mes doigts dans sa main tendue, remontant délicatement le sentier de son bras, jusqu'à rencontrer son épaule. Ployé au dessus de lui, je lui masse les trapèzes tendrement. Puis la nuque, le crâne, et je le sens s'abandonner à mes savantes caresses. Je l'abandonne le temps de contourner le canapé, de m'y asseoir et de le faire basculer d'autorité sur mes cuisses. Je me gave de son contact avec une adoration silencieuse.

Repose toi, mon amour...

Tu m'a accepté.
Cette existence prend un sens nouveau. J'ai couru après ton image, fantasmé pendant ma longue quête : j'ai à présent la félicité, de m'en trouver récompenser. La réalité est au delà de mes espérances, tu sais...

Repose-toi, mon amour...

Nous avons l'éternité pour savourer.