- Suivez mon doigt...

Le Docteur Maintenon effectue quelques tests usuels de réflexes visuels et auditifs. Sa patiente est un peu groggy et légèrement incohérente. Ceci étant, il ne sous-estime pas ses propos  sur des papillons dans le ventre. Il a vu bien trop de cas passer dans cet hôpital pour ne pas sérieusement prendre les dires de Miss Quiry au sérieux. Il s'est d'ailleurs proposé comme gestionnaire de la crise sanitaire au sein de l’hôpital.
Cette maladie le fascine.
Pour le moment, il n'a pas noté chez elle de contusions dans le dos. C'est un fait positif. Cependant, elle ne l'exempte pas de  toute contamination par l'étrange mal qui rampe dans cette ville. Si cette dernière a été mise en quarantaine, ça n'est pas pour rien.

- Bien ... Tout semble être en ordre, mais par précautions, je tiens à vous garder en observation.
- Pourquoi ? s'enquiert-elle dardant son regard myope sur sa personne. Avec son bandage lui enroulant la tête et son faciès lunaire, elle donne l'impression d'être une sorte d'oeuf à la coq qu'on a renversé par terre. Oui, c’est ça. Un œuf à la coq à l'envers.
- Pourquoi pas, rétorque-t-il d'un ton monocorde
- Pourquoi si tout va bien ? L'ampoule a eu plus de dégât que ma tête.
- Ça n'est pas certain. Un commotion peut prendre quelques temps à révéler ses effets... Dites, vous pourriez arrêter de faire ça avec votre Voix ?
- Oh... Quoi donc ?
- Ce truc.. je ne sais pas... ça me chatouille l'arrière de la nuque quand vous parlez. C’est très désagréable.
- OOOOOh....  Elle plisse le regard en détaillant Ebène. On dirait une petite taupe mouchetée à la fois adorable et ridicule. Alors vous aussi....
- Hum ?
-... Vous êtes un démon !
- Pardon ?
- Ne vous inquiétez pas ! Votre secret est bien gardé avec moi...Vous n'êtes pas le premier que ej rencontre ! Elle pose un doigt sur ses lèvres et mime un "chut" qui laisse le docteur Maintenon quelque peu perplexe.

***

La salle d'attente est bondée. Malgré les consignes de la préfecture de police et du maire, les habitants de Tir nà Nog se sont rués en trombe à l'hopital. Ebène soupire. Il se prépare mentalement à engager la conversation avec la famille de Miss Quiry.

- Miss Quiry. Miss Beitris Quiry ! fait-il d'une voix grave qui porte étonnamment.
- Hein ? Quiry vous avez dit?

Un grand escogriffe massif et agité s'approche. Il a l'air un peu benêt et très émotif.

- Vous êtes de la famille ?
- C’est moi.. enfin non, c’est… ma copine… elle… elle va bien???
- Veuillez me suivre je vous prie. Nous allons discuter dans mon bureau.

Le dit bureau est clinique et incroyablement spartiate. Le seul élément personnel et coloré de la pièce est une photo panoramique d'une ville aux bâtisses chatoyantes. L'intitulé indique : "Bourbon street. Nouvelle-Orléans".

- Asseyez-vous, je vous en prie, déclare le médecin sans pourtant avoir l'air de lui prier quoi que ce soit. Il s'installe ensuite. Miss Quiry a-t-elle de la famille ? Etes vous mariés ou en concubinage? demande-t-il au préalable. Je vous le demande car j'aimerais savoir à qui dois-je m'adresser pour aborder le sujet d'une hospitalisation.

- Pardon?! Hospi… дерьмо*...

Un oeil s'échappe brusquement de son orbite et rebondit mollement sur le plat du bureau. Il roule mollement puis termine sa course juste devant Ebène qui louche sur le phénomène d'un air stoïc. Tout juste hausse-t-il un sourcil face à cette subite échappée belle oculaire. Son interlocuteur fait mine de rien et récupère l'organe (qui n'était pas un faux, le chirurgien sait reconnaître de  la chair vivante quand il en voit).

- Hum.

Simple ponctuation d'un "j'en prends bonne note", le Docteur Ébène Maintenon sait désormais que sa patiente n'affabule pas lorsqu'elle prétend connaitre de vrais démons.

- Ahem… je… je suis la seule personne proche d’elle… ses parents sont mort et elle a pas de frère et sœur… j’connais pas si elle a des oncles ou tante et… on est pas mariés...
- Vous êtes russe.

L'affirmation semble hors de propos, dans ce contexte. Pour le praticien, il s'agit simplement d'une manière maquillée de lui faire comprendre qu'il sait ce qu'il est.

- J'imagine que vous êtes Sasha, la personne qui donne des papillons dans le ventre à Miss Quiry. Par les temps qui courent, il est dangereux d'affirmer être une chrysalide en devenir. Cependant, comprenez-moi bien, je ne peux pas laisser pareil cas , avéré ou non, dans la nature. Pas en période de quarantaine, vous me suivez ?

L'homme s'est exprimé de façon si monocorde et si peu vivace qu'il est difficile de définir s'il se moque de lui où s'il est mortellement sérieux. Ou mort tout court.

- Mais puisque vous êtes le démon protecteur de cette jeune fille, épargnons nous une perte de temps mutuelle : Est-elle ou non victime du brouillard ? Si oui, je vais devoir poursuivre mes analyses, si non, je suggère que vous convoliez en juste noces, déclare-t-il avec un timbre vaguement blasé.

-J’en sais rien ! Elle y est jamais allé et les seules fois où j’suis parti là-bas, j’ai vérifié qu’aucun putain de papillon de mes couilles de l’autre connasse m’a collé à la peau. Et de toute façon, j’peux les manger...
- Vous dites... ?

Une poignée de secondes, infimes, le visage du médecin c’est animé : une lueur de curiosité sauvage, d'intellect avide, presque effrayante dans son regard vide.

- Pardon pour… mes mots… Faites ce que vous avez à faire doc… Je… je peux la voir?

Maintenon chasse excuses et requête d'un revers de main. Données sans intérêt. Il plisse les sourcils d'un air concentré.

- Oui, plus tard, fait-il sur le même ton qu'un "Je m'en fous...". Vous vous dites capable de les manger ? Au sens propre ou figuré ? Leur ingestion a-t-elle eu des conséquences sur votre métabolisme ?

Dans le carnet qu'il ouvre devant lui, qui semble davantage consacré à ses notes personnelles, fiévreusement couchée sur papier, il consigne quelques mots.

- Sasha, c'est d'une importance capitale. Avez-vous, en tant que démon, la capacité de détruire les phalènes sans en être affecté ? Il laisse filer un silence. Votre compagne m'a expliqué posément que sa Voix avait elle aussi une incidence sur les papillons de cette.. comment l’appelez-vous ? "Unseelie" ? Est-ce la vérité ?

Le Docteur Maintenon regarde la trace de brulure sur son bureau comme s'il s'agissait d'un moustique gorgé de sang écrabouillé : quelque chose d'anodin mais qu'il faudra tout de même prendre le temps de nettoyer.

- Vous êtes très émotif. Ton monocorde, aussi empathique qu'un parpaing. Je prendrais votre tension avant votre départ. Démon ou pas, ce n'est pas bon pour la santé, une tension trop élevée.

Il se lève, lisse sa blouse immaculée et se dirige vers la porte. Voyant que Sasha ne semble pas le suivre, il ajoute.

- Vous ne venez pas ? Je croyais qu'il était impérieux pour vous de la voir ?

La chambre de Beitris est isolée des autres. Lorsque le médecin fait pénétrer le visiteur dans la pièce où elle réside seule, elle est en pyjama médicale rose, le nez profondément enfoui dans un livre. Elle n'entend même pas les gonds coulisser et les pas des deux hommes passer le seuil.

- Miss Quiry. Votre fiancé est là.
- Mon quoi ? Elle redresse son adorable museau constellé de tâches et ses grand yeux s'écarquillent derrière les parois de verre. SASHOU!!!! Elle saute de son lit pieds nus et se précipite vers le colosse. Elle tente d'encercler son torse musculeux avec ses bras ridiculement trop petits. Tu es venu ? Elle s'arrête soudain et se tourne vers le médecin en se touchant le ventre, puis la poitrine. Docteur, ça recommence ! J'ai de nouveau des palpitations et des papillons dans le ventre ! déclare-t-elle, alarmée, les joues rose et le regard brillant. Je vous l'avais dit ! C'est quand je vois Sasha que ça revient !

Ebène Maintenon se retient fort de lever les yeux au ciel.

- Vous êtes simplement amoureuse de lui. Une maladie vieille comme le monde, fait-il de son timbre de croque-mort. Il se détourne de la jeune femme pour ne s'intéresser qu'au démon. Bon. Mes réponses, maintenant.