Simone est sortie. La première fois, depuis que je suis là. Depuis que ma vie a changé au point de tout renverser. Elle m'a confié aux bons soins de Varsovie, histoire d'avoir quelqu'un pour me surveiller. C'est vrai, on sait jamais. Même moi je sais que je serais capable de bouffer le moindre représentant en aspirateur s'il avait la mauvaise idée de se pointer au hasard ici. Et puis, j'l'aime bien Varsovie. Pas causante mais gentille.

C'est dans ce genre de moment que je me rend compte d'à quel point tout est allé trop vite. Je suis reconnaissant de tout ce que cette vampire a fait pour moi. Elle n'était pas obligée de me prendre sous son aile, ni même de m'héberger. Je ne pourrais jamais lui rendre le quart de sa générosité. Mais malgré tout... Elle n'est pas encore parvenue à me faire accepter.

Des mois que je m'effraie, tout seul. Avec les images et les souvenirs qui reviennent, par bribes. Avec les conséquences de mes actes sur la vie de maman. Avec les mensonges que j'invente au fur et à mesure pour garder mon frère loin d'ici.

Avec ces besoins irascibles de casser la moindre fenêtre pour m'échapper et aller dévorer toute la ville.

Je me reconnais pas. Je me suis jamais autant éloigné de moi. Et je l'ai pas choisi. C'est ça, le vrai problème.

Je crois que rien que pour ça, j'en veux encore au monde entier. C'est peut-être la meilleure des idées, de me garder enfermé...

Le nez dans un énième bouquin de la collection de mon hôtesse, je soupire un peu, la tête renversée sur le sofa, les pieds en l'air et l'esprit ailleurs. J'ai les pensées qui dérivent vers ceux de l'extérieur. Je pense à mes profs. A mes amis. Et à Lui.

Je sais que c'est pour le mieux. Que si je le revois maintenant... je ne sais pas ce qui se passera. Mais il me manque. Je sais qu'il était là. Il a tout vu. Le pire de toute cette affaire. Mon état de monstre... Ce que je suis devenu malgré moi. Alors qu'est-ce que je suis pour lui, désormais... ?  

J'aimerais tellement que tout redevienne comme avant...

« Leonard, il y a quelqu'un pour vous à la porte. Un certain Sorin Taur. »

La voix de Varsovie surgit, comme à son habitude, neutre et placide. L'info me surprend plus que son incertion soudaine. Au point que j'en tombe à la renverse, littéralement. Face contre le sol du salon. Génial.

« … Dois-je lui demander de partir ?
- N-Non ! Euh... Je... »

Merde. C'est quoi ce coup du destin ?? Il sait que c'est encore trop tôt... Même si... ça fait déjà des lustres. Presque cinq mois, si mes calculs sont bons, alors que je fais toujours plus les cent pas dans cet appartement pour m'occuper la tête et ne pas trop dérailler. Le temps continue de passer trop vite. Et peut-être... que c'est le moment de rattraper celui que j'ai perdu avec lui.

Je me relève, lisse un peu mon haut, remet mes cheveux en place. Heureusement que Varsovie ne remarque pas mes joues rouges malgré ma pâleur. Ou peut-être qu'elle est suffisamment sympa pour ne rien relever à haute voix.  

« Fais... Fais-le entrer... s'teuplé. »

J'attends. J'imagine les battements de mon cœur s'affoler. A défaut de pouvoir vraiment les sentir, comme la première fois qu'on s'est embrassés.

Et quand il apparaît devant moi, j'ai un milliard de choses à lui dire, qui transparaissent peut-être dans mon sourire. Grand, étiré, plus lumineux que jamais.

« Sorin... »

T'es venu !
T'es dingue !!
Tu m'as manqué !!!

« ... T'as l'air... en forme... »

… J'suis vraiment un crétin.