Madame est tourmentée.
Furieuse et choquée, tout d'abord. Jamais elle n'aurait cru Ygerne capable d'un acte aussi barbare. Elle a sous-estimé l'état mental de la sorcière et la volonté de celle-ci. Elle s'est convaincue -sans doute parce que cela lui était plus simple- qu'elle avait la ressource pour faire front à la situation. Elle a négligé les signes. Elle avait tellement à faire et à penser, Bertus n'a cessé de la faire relativiser sur ce point. Néanmoins, il était de sa responsabilité de faire attention à Ygerne, de mesurer à quel point la mère éplorée avait pris le pas sur la nettoyeuse loyale et fiable de Malsheem.

A présent, elle doit faire face aux conséquences de cet échec.

Ils sont là, tous réunis dans son bureau : Colgan Murtagh et Marisol Laciudad entourant Lewis O'Keily pour la meute des Abyssaux; Eustache Malmandier et Hyppolite Poirot encadrant Ygerne McNamara pour Malsheem. Bertus est également là, mais pour elle. Uniquement pour elle.

Madame toise Ygerne en silence, assise à son bureau. Il y a des jours comme celui là, où les présences d'Assmodée et d'Amon lui font cruellement défaut : l'un savait arrondir les angles et l'autre apaiser les maux. Elle ne se sent pas capable ni de l'un, ni de l'autre aujourd'hui. Les retombées sont bien trop graves.

- Bien. Nous sommes tous réunis aujourd'hui pour évoquer la situation générée par l'altercation entre un de nos membres éminents et l'un des loups de la meute des Abyssaux. Avant d'entrer dans le détail et d'écouter les plaidoiries et doléances de chacun, je tiens à vous faire part de la manière donc cet incident a impacté les Shelters. Les Abyssaux, bien connus pour avoir fait parti des Hurlants, commençaient tout juste à s'intégrer à la communauté. Leur labeur au sein du Silo était sur le point de porter ses fruits. Humains et autres créatures se sont habitué peu à peu à leur présence et les ont identifiés comme "positifs" et "utiles" au bon fonctionnement des bunkers. Je vous laisse donc imaginer les retombées catastrophique qu'a pu avoir l'image d'une femme humaine attaqué sauvagement dans sa chambre à coucher par un de ces loups-garous. Malgré un travail de démantèlement des fausses informations, les rumeurs vont bon train et ne sont pas en faveur de votre meute, Colgan. Elle balaie d'une main tout début d'intervention de la part de l'Alpha et de sa déesse. Peu importe la vérité, les habitants des bunkers ont de nouveau la peur et la méfiance au ventre. Elle désigne durement les deux protagoniste de l'affaire. Vous venez de foutre en l'air tout un travail patient de réhabilitation. Alors, non seulement nous allons sanctionner les actes commis, mais personne ne sortira de cette pièce sans avoir suggérer des mesures à mettre en place pour corriger le tir. Me suis-je bien faites comprendre.

Elle n'a pas besoin d'élever la voix pour que celle-ci claque, cinglante comme un fouet. Tout comme l'Alpha irradie d'autorité auprès des siens, elle dégage une prestance royal, un pouvoir acquis à la seule force de son intelligence politique. Elle n'a pas usurpé son statut de dirigeante.

Madame a beau faire son numéro, Colgan n’en oublie pas que c’est avant tout sa meute qui a le plus perdu dans cette histoire. Tout se déroulait pourtant pour le mieux.

Mais à cause de la vendetta de cette femme, un membre important de sa meute n’est plus tout à fait lui-même et leur réputation vient de retomber au plus bas. Il a l’impression terrible d’être la personnification de Sisyphe.  
Il est furieux. Au-delà des mots. Il a tout tenté pour apaiser sa colère, en vain. En partie parce qu’il est tout à fait conscient qu’encore une fois, l’un des siens paie par sa faute.

A croire que l’univers ne cessera jamais de lui rappeler, de lui signifier que tout effort pour se rendre meilleur est voué à l’échec.
Il va pour répondre à Madame lorsqu’il perçoit le regard dans le vide de Lewis. Aussitôt, il pose une main sur son épaule pour le guider vers la réalité, une réalité qui échappe encore bien trop souvent au vieux Loup qui se fatigue rapidement à reconstruire le réel sur les faux-semblants de ses illusions.

- Lewis ?
Le Loup se tourne alors vers lui, fixe la paume qui englobe son épaule avant de relever un regard plus lucide vers son Alpha.
- Hum ? Pardon.
Colgan pousse un soupir discret, plein d’une tristesse sans nom et lui sourit douloureusement.
- Tu es là. Avec nous.
- Oui, je vous écoute.
Colgan se tourne vers Simone et plante son regard dans le sien.

- Que voulez-vous qu’on vous dise ? Nous allons faire profil bas et continuer nos actions dans le Silo. Comme vous l’avez dit, je doute que les paroles servent à quoique ce soit. Nous sommes les méchants de cette histoire. L’étiquette nous collera à la peau longtemps. Nous le savions et nous avions commencé à œuvrer pour inverser cette tendance. Mais j’attends que ce crime ne reste pas sans action de votre part. Il tourne son regard bleu vers Ygerne. Une punition suffisamment exemplaire contre votre agent montrerait aux réfugiés que s’en prendre à l’un des nôtres ne restera pas impuni, pour ne donner d’idée à personne d’autre. Si l’Apocalypse règne là-haut, ça n’est pas le cas ici. Je refuse que l’on considère qu’il est normal d’attenter à nos vies et je refuse que mes Loups paient le prix de nos décisions, à Marisol et moi.
- Je ne paie rien à ta place, Colgan, intervient Lewis.
- Bien sûr que…
Lewis se permet de lever la main pour interrompre son Alpha.
- J’ai tué sa fille, Col. Moi seul.
- Parce que c’est ce que je vous ai ordonné de faire.
- Non. La règle a toujours été d’épargner les femmes et les enfants. J’ai agi pour protéger Shane à l’encontre de nos valeurs.
- Pas sur un champ de bataille.
- Peu importe. Nous ne pouvons pas constamment faire peser le poids de nos actions sur tes épaules. Il s’agit de ma responsabilité.

Lewis pivote la tête vers la sorcière avec laquelle il échange un regard puis revient à Simone.

- Pour ma part, je n’ai pas de griefs contre votre agent, Madame. Je ne crois pas qu’elle recommencera et je sais pourquoi elle a agi de cette façon. La chose est faite, réglons cette histoire et tournons-nous à nouveau vers un travail commun. Montrer un front uni finira par faire taire les rumeurs.  

Ygerne se rend à l'échafaud avec dignité. Elle compte endosser la pleine responsabilité de ses actes. Le discours de Simone lui permet de prendre la mesure de la confiance qu'elle a perdu auprès d'elle. C'est sans doute ce qui l'ébranle intérieurement le plus. En façade, elle demeure droite et calme.

- Une punition suffisamment exemplaire contre votre agent montrerait aux réfugiés que s’en prendre à l’un des nôtres ne restera pas impuni, pour ne donner d’idée à personne d’autre. Si l’Apocalypse règne là-haut, ça n’est pas le cas ici. Je refuse que l’on considère qu’il est normal d’attenter à nos vies et je refuse que mes Loups paient le prix de nos décisions, à Marisol et moi.
- Je ne paie rien à ta place, Colgan, intervient Lewis.
- Bien sûr que…
- J’ai tué sa fille, Col. Moi seul.
- Parce que c’est ce que je vous ai ordonné de faire.
- Non. La règle a toujours été d’épargner les femmes et les enfants. J’ai agi pour protéger Shane à l’encontre de nos valeurs.
- Pas sur un champ de bataille.
- Peu importe. Nous ne pouvons pas constamment faire peser le poids de nos actions sur tes épaules. Il s’agit de ma responsabilité.

Ygerne se tourne vers Colgan, belle et solennelle comme les sorcières d'entant. Marisol a très spontanément glissé sa main sur le poignet de Colgan, comme pour le tranquilliser.

- Mr Murtagh, j'assume pleinement la stupidité et la cruauté de mon acte. La mort de ma fille ne justifiait en aucun cas que je perpétue le cycle de violence. Je suis juste une mère qui a perdu la tête. De tous dans cette pièce, vous et Miss Laciudad êtes les plus à même de comprendre l'état d'esprit dans lequel je me trouvais. Il n'en demeure pas moins que ces explications ne sont en aucun cas des excuses. Elle pivote vers Simone. Je n'en ai aucune. Je regrette profondément d'avoir commis ce crime et je me soumettrais à n'importe quelles sanctions décidées dans cette pièce.

Ygerne échange un regard avec Lewis avant de lui laisser la parole. Simone note la chose avec un haussement de sourcil.

- Pour ma part, je n’ai pas de griefs contre votre agent, Madame. Je ne crois pas qu’elle recommencera et je sais pourquoi elle a agi de cette façon. La chose est faite, réglons cette histoire et tournons-nous à nouveau vers un travail commun. Montrer un front uni finira par faire taire les rumeurs.  
- Je partage son point de vue, ajoute la nettoyeuse, et pour abonder en son sens, j'aimerais réparer le mal que j'ai causé. Lewis et moi même avons convenu que je n'userais plus jamais de mon don à son encontre mais j'aimerais œuvrer avec lui au quotidien afin que son esprit puisse recouvrir ses pleines capacités. Il m'a donné son accord. Par ailleurs, je ne me fais plus confiance pour exercer mon pouvoir et j'aimerais que l'on me pose un artefact de contrôle afin de ne plus y avoir recours temporairement, le temps pour moi de mieux gérer la crise personnelle que je traverse.

Aussitôt Hyppolite s'offusque.

- C'est peut-être un peu excessif, non ? En ces temps troublés, se passer d'une de nos meilleurs agent est...
- Hyppolyte, silence, intime fermement Eustache sans élever la voix.

Le vampire se tait aussitôt. Le regard de Madame passe d'Ygerne à Lewis avec un plissement de paupières. Elle pousse un profond soupir.

- Lorsque j'ai appris ton coup de folie Ygerne, j'ai été furieuse comme rarement je l'ai été. J'ai songé à te retirer tes fonctions et même à t'effacer la mémoire pour que tu ne constitues plus un problème. En ces temps troublés, nous ne pouvons nous permettre  de conserver dans nos rangs des bombes à retardement. Hyppolite acceuille le camouflet sans broncher. Ygerne déglutit mais reste campée avec droiture sur ses jambes quand même Eustache semble accuser le coup. Cependant, si Colgan et Marisol sont responsable des actions menées par leurs loups, je suis également responsable des tiennes. Je n'ai pas su voir la profondeur de ton mal-être, je me suis accommodée de tes paroles m'assurant que tout allaient bien. J'en suis sincèrement navrée. J'aurais dû faire plus attention et mieux t'accompagner dans cette épreuve.

Un silence. Ygerne bat des cils pour chasser toute humidité. Elle est clairement émue par ces quelques mots.

- Vous semblez, tous deux, avoir réfléchi posément à la situation. Les sages parole de Mr O'Keily m'enjoignent à suivre la voie de la clémence. Si cela vous convient, Colgan et Marisol, et uniquement si cela vous convient, mon agent sera mise à pied pour un temps indéterminé, avec un bracelet de contention magique. Elle endossera le rôle d'assistante de vie auprès de Lewis pour limiter ses crises et travailler sur leur diminution. En voyant les deux sujets principaux de cet incident s'aider mutuellement au quotidien, la rumeur désenflera effectivement d'elle-même. Est-ce que cette mesure vous semble acceptable ?

- Je partage son point de vue, déclare la Malsheemienne. Colgan la dévisage avec une hargne certaine, et pour abonder en son sens, j'aimerais réparer le mal que j'ai causé. Lewis et moi-même avons convenu que je n'userais plus jamais de mon don à son encontre mais j'aimerais œuvrer avec lui au quotidien afin que son esprit puisse recouvrir ses pleines capacités.
- Au quotidien ? intervient, Lewis en fronçant les sourcils dans une attitude qui lui ressemble bien plus, ce qui fait presque sourire l’Alpha des Abyssaux. Je crois que…
-- Il m'a donné son accord. Il ouvre à nouveau la bouche mais la sorcière poursuit.- Par ailleurs, je ne me fais plus confiance pour exercer mon pouvoir et j'aimerais que l'on me pose un artefact de contrôle afin de ne plus y avoir recours temporairement, le temps pour moi de mieux gérer la crise personnelle que je traverse.

- C'est peut-être un peu excessif, non ? En ces temps troublés, se passer d'une de notre meilleur agent est...
- Hyppolyte, silence.
Colgan observe l’échange puis la main de Bertus qui vient se poser délicatement dans le dos de Simone avant qu’il ne pose une fesse sur son bureau. Il comprend le mea culpa de Simone, plus ou moins dans la position que lui.

- Vous semblez, tous deux, avoir réfléchi posément à la situation. Les sages paroles de Mr O'Keily m'enjoignent à suivre la voie de la clémence. Si cela vous convient, Colgan et Marisol, et uniquement si cela vous convient, mon agent sera mise à pied pour un temps indéterminé, avec un bracelet de contention magique. Elle endossera le rôle d'assistante de vie auprès de Lewis pour limiter ses crises et travailler sur leur diminution. En voyant les deux sujets principaux de cet incident s'aider mutuellement au quotidien, la rumeur désenflera effectivement d'elle-même. Est-ce que cette mesure vous semble acceptable ?

Colgan échange un regard avec Marisol qui lui signifie discrètement son accord. Il faut qu’il calme ses pulsions plus virulentes, il sait que la solution proposée par Simone est sans doute la meilleure pour éviter tout débordement préjudiciable à la meute. Il imagine simplement un instant qu’on s’en prenne à nouveau à Marisol pour le même genre de raison que la sorcière et frémit d’horreur.

- Lewis ? Ça te convient ?
- Eh bien, je sais que je n’ai plus les idées toujours très claires mais « aide de vie » me parait un tantinet hors de propos. Tout comme le mot « quotidien » me semble un peu exagéré. Il est vrai que j’ai consenti à ce qu’elle m’aide, mais ça ne signifie pas que j’ai besoin d’elle a chaque instant. Je suis certain que vous saurez l’occuper bien plus efficacement.
Marisol se penche et pose sa paume sur le bras de Lewis.
- Je t’aiderai si je le peux, moi aussi. A nous trois, on trouvera rapidement, tu verras !
- Merveilleux………

Lewis a clairement la tête d’un homme qu’on conduit à l’échafaud. Colgan se tourne vers la sorcière.

- Il n’est pas un sujet d’expérience non plus. C’est lui qui décidera de la fréquence de vos entrevues. Je souhaite qu’il continue aussi à travailler avec nous au Silo, ça l’ancrera peut-être un peu plus dans cette réalité, avec nous.

Lewis lui coule un regard qui en dit long. Connaissant son tempérament, il sait parfaitement qu’il n’aurait pas tenu des jours entiers en compagnie de deux femmes dont l’une particulièrement énergique. Colgan pousse un soupir.

- Entendu. Je pose une condition. Votre agent ne s’approchera plus de nos loups tant que ce bracelet n’est pas en place. Et j’aimerai être tenu au courant lorsqu’il lui sera retiré.
Il préfère ne prendre aucun risque.

- Il n’est pas un sujet d’expérience non plus.
- Ai-je l'air d'un savant fou, selon vous ? rétorque-t-elle du tac au tac avec un certain piquant. Je ne me permettrais jamais.
- C’est lui qui décidera de la fréquence de vos entrevues.
- Bien.
- Je souhaite qu’il continue aussi à travailler avec nous au Silo, ça l’ancrera peut-être un peu plus dans cette réalité, avec nous.
- Cela me semble également une bonne chose, approuve Madame.
- Entendu. Je pose une condition. Votre agent ne s’approchera plus de nos loups tant que ce bracelet n’est pas en place. Et j’aimerai être tenu au courant lorsqu’il lui sera retiré.
- Aucun souci. Nous allons lui mettre dès à présent.

Simone se lève avec cette dignité toute royale qui lui est propre.

- Comme cela, vous en serez témoins. Hyppolite, si tu veux bien te donner la peine ?

Le vampire toise sa supérieure avec un regard noir, mais finit par s'exécuter. Il sort une petite clé en or pendue à une chainette autour de son cou et la tourne dans le vide en prononçant quelques mots de pouvoir. Une porte de la taille de celle d'un placard s'ouvre littéralement dans le néant. Poirot en ressort un bracelet manchette en or serti d'une pierre d'un vert très profond. Il ferme la porte magique et tend l'artefact à Simone qui pivote vers Ygerne.

- Ton bras s'il te plait.

La sorcière s'exécute et Madame fixe l'objet sur le poignet gracile de la thaumaturge. La vampire se perce le doigt  et fait couler une goute de son sang noirâtre sur la pierre. Une rune se dessine sur la la surface absorbant le liquide vital. Aussitôt, l'artefact s'anime de lui même, s'enroule autour de sa cible et strangule la chair. Ygerne contracte la mâchoire, l'opération ayant l'air d'être douloureuse.

- Með blóði mínu bind ég þig. Með blóði mínu muntu verða laus. Kraftur þinn mun vera næring hins helga steins,* prononce solennellement Madame.
- Ég geng undir vilja Óðins**, répond Ygerne, très pâle.

Le rituel terminé, Madame se tourne vers Colgan, Marisol et Lewis.

- Voilà. J'éspère avoir pu atténuer vos inquiétudes et régler le préjudice qui nous occupe.

*Par mon sang je te lie. Par mon sang tu seras délivrée. Ton pouvoir sera la nourriture de cette pierre sacrée.
**J'accepte la volonté d'Odin.