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 Amour aoriste. || Kolfir

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Kolbeinn Assonar
Kolbeinn Assonar
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« Très cher Parents-en-Ténèbres, j’exige que nous ayons tous et toutes deux anniversaires, l’un fêtant notre vie à Dieu, et l’autre à la Mort ! Ne seriez-vous pas d’accord, vous autres, pour une double ration de cadeaux ?
- C’est loin d’être juste pour ceux qui n’ont encore qu’une vie, tu ne crois pas Empy ?
- Oh Salva, te revoilà avec tes détails, encooooore des détails !
- Je suis d’accord avec lui, et puis, que ferais-tu de tout tes présents ? La maison craque déjà sous la place qu’occupe toute ta garde-robe…
- Sha ! Tu me fends le coeur !
- Vous ne voulez pas faire moins d’bruit les frangins ? Je m’entends plus m’accorder !
- La barbe, Rufus !
- Empy, ne soit pas méchante avec lui…
- T’en fais pas Mo, y’a bien qu’mon luth qu’j’écoute là !
- Empyréa.
- Quoi donc, Alban ?
- Je crois que le meilleur cadeau que tu puisses m’offrir pour ce second anniversaire, serait une victoire aux cartes.
- Ah, ça, n’y compte pas. Tu es loin d’avoir ma compassion à ce point-là !
- Mais je suis pourtant ton aîné, tu devrais te montrer magnanime !
- Au contraire ! Si je l’étais, je n’aurais aucune raison d’être plus compatissante avec toi qu’avec Damiàn, Toshiro ou Elin !
- Je ne joue pas aux cartes, très chère.
- Moi non plus.
- Vous devriez !
- Hmmm, nan…
- Papa, Maman, est-ce que je pourrais apprendre à jouer moi ? Je suis sûre que je battrai grande sœur Empy !
- Nooooon, oh grande fatalité, pas toi Polly, petit ange damné, ne te tourne pas contre mon regard bienveillant de-
- Il n’y a donc aucune manivelle pour cesser le mécanisme ce moulin à paroles… Kolbeinn, tu ne peux vraiment rien faire ?
- … Nous nous ennuierions, sans son animation. Tu ne penses pas, Esfir ? »


Et elle riait.
Elle riait d’un bonheur éclatant, d’une gorge déployée, palpitante de vie.
Elle riait, d’un son poursuivi, jusque dans les recoins tapis de souvenirs marqués.
Cachés.
Protégés.

De visages qui ne sont plus.
De tendresses tues.
De liens rompues dans les flammes et les balles, le sang versé d’une vengeance assourdissante.

Ces fragments perdus, Kolbeinn les a gardé. Choyés dans un écrin de mémoire, à l’abri du pire : le temps.

Sa famille n’existe plus que dans sa tête.

Elle demeure aussi belle et joyeuse qu’autrefois. Figée pour l’éternité.

Et vient toujours le pire, quand il pense à eux. Rémanent des cendres, seul âme de son essaim. Seul, à porter les rêves et les espoirs de chacun de ses infants, saignés ou non.

Une errance l’ayant mené jusqu’ici.
Quatre murs. Un plafond. Une porte, et très peu d’espoir.

Il n’est cristallisé que dans une seule illusion.
Une ressemblance trop parfaite.
Un visage, parmi tout les autres, qui refuse de le laisser en paix.

Elle.
Toujours Elle.
A jamais Elle.

Morte dans ses bras.

L’élan du souvenir, derrière la chimie des plantes sédatives, le tire d’un sommeil artificiel. Il jurerait que son coeur bat, sous la panique subite.
Les évènements du centre commercial se mêlent à ceux d’antan. N’y reste qu’un repère. La même, si différente pourtant. Probablement éloignée de lui, à nouveau.
A tout jamais.

Le vampire renonce.
Jusqu’à ce que les gonds sautent, que la porte s’entrouvre.

Que lui arrivera-t-il, cette fois-ci ?

«  Assonar. », tonne la silhouette floutée d’un gardien. « Quelqu’un veut te voir. Un geste brusque et tu sais ce qui t’attend. »

Les menaces ne servent à rien.
Pas quand le pire est déjà passé.

Pourtant, celle qui entre suffit à effacer cette certitude. Esfir. Elle est ici. Elle a rejoint les sièges des bunkers, en sécurité.
Si proche, et si lointaine...

« … Tu es venue... » Murmure mutique au regard anesthésié. On l’a assagie, la Bête, mais ses nerfs ont encore de la vigueur face à l’Impensable. On y décernerait presque l’émotion qui lui fait défaut depuis trop de siècles.

Y pointerait même l’ombre d’un sourire, si la situation le permettait.

Peut-être réside-t-il ici, son dernier vœu.

La revoir, une ultime fois.

« … C’est vraiment toi… »

Sa seule lumière.
Brillante, au-delà du réel.
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Anja Almen
Anja Almen
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Anja écoute le babillage de Viggo qui lui raconte les ragots du bunker. Il n’a pas son pareil pour récupérer tout un tas d’informations, faisant traîner ses oreilles dans tous les recoins pour récolter tous les bruits de couloir en vol.
Une aptitude très utile, surtout lorsque vous vous retrouvez enfermés dans des sous-sols avec tout un tas de gens dans un ville inconnue ou presque.
Mais cette fois, Anja n’écoutait que d’une oreille distraite, préoccupée par tout un tas d’autres pensées.

Esfir…

Ce prénom ne lui dit rien et pourtant…pourtant quelque chose gratte quand elle le prononce. Que ça soit à voix haute ou dans sa tête.
Un autre revient et si celui-ci n’évoque rien, il est lié à Esfir…apparemment.

Kolbeinn…

Ou alors tout ceci n’est qu’une méprise. Peut-être porte-t-elle simplement les traits de cette femme qu’il semble avoir connue… ou alors…ou alors il est la clé de son passé dont elle n’a aucun souvenir, de cette vie humaine qui n’est qu’une longue bande noire.
Inge lui a répété que tout cela était normal. Le choc de sa mort a été si violent que son cerveau a tout oblitéré. Peut-être. Mais pourquoi est-elle la seule dans ce cas ? Viggo se rappelle parfaitement sa lente agonie avant de mourir. Qu’a-t-il bien pu lui arriver de si terrible pour qu’elle en arrive là.

- Tu m’écoutes pas du tout en fait !
- Non, désolée.
Gros soupire du vampire.
- C’est cette histoire encore ?
Anja pivote la tête vers lui en triturant son pendentif.
- Avoue que c’est…troublant. J’imagine que tu ne peux pas comprendre. Toi tu te souviens de tout.

Et puis sur un coup de tête, elle se lève de son lit et s’éclipse sous les protestations de Viggo.
Elle ne l’entend plus, déterminée à avoir des réponses.
Dès leur arrivée, elle et Viggo se sont présentés à Simone de Montespan, ayant parfaitement conscience de leurs devoirs en pareil situation. Anja lui a assuré son soutien et lui a demandé en échange la permission d’aller voir le prisonnier, lui expliquant ses raisons. La vampire à l’élégance surannée le lui a accordé, sans doute dans un dessein particulier. Mais peu importe. Seul compte le résultat.
Voilà des jours qu’elle hésite, cogite, retourne tout cela dans sa tête.
Aujourd’hui, il est temps de faire face.
Le gardien la fait entrer et aussitôt son regard cherche le sien, comme pour essayer d’y lire la vérité.

Il a l’air…terriblement fatigué, le genre d’épuisement mental et moral qui vous marque profondément et une compassion sortit de nulle part l’étreint.

- « … Tu es venue... »
Les orbes bleues, éteintes, retrouvent un semblant de lumière.
- Oui. Je suis là.
Elle s’approche jusqu’à lui faire face, sans aucune crainte, et constate qu’il a les veines un peu noircies, une certaine rigidité dans les membres.
« Il ne me fera pas de mal. »
Après tout, il l’a sauvée par deux fois. Sans réfléchir, elle pose sa paume contre sa joue barbue.
- Ils vous ont drogué.
Logique après tout, au vu de ce qu’il est capable de faire, de celui qu’il est. Elle retire sa main sitôt qu’elle s’en rend compte et se mord la lèvre, gênée.

- « … C’est vraiment toi… »
- Je ne sais pas ce que vous voulez dire par là. Mais oui, j’imagine que c’est moi. J’aurais… des questions à vous poser, si vous consentez à y répondre, demande-t-elle d’une voix étonnamment douce pour quiconque la connait suffisamment. Elle se reprend aussitôt et la raffermit.
- Vous m’avez appelée Esfir… était-ce mon nom lorsque j’étais humaine ? M’avez-vous connu en ce temps-là ? Elle laisse filer un silence. Je n’en ai aucune souvenir, avoue-t-elle finalement. Ma mémoire ne remonte pas plus loin que le jour où j’ai réouvert les yeux en tant que vampire. Ma deuxième vie.
Elle recule d’un pas.
- Ou peut-être vous êtes-vous simplement trompé …
Elle continue de le fixer dans les yeux, espérant qu’il lui délivre une partie de la vérité.
Sa vérité.  
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Kolbeinn Assonar
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« Oui, je suis là. »

Quelques mots. Quelques sons, d’une voix portée d’entre les morts, pour le ramener à la raison.
Ce n’est donc pas une illusion, ou bien les affres de la verveine sont venus à envenimer son esprit tout entier.
Esfir est bien ici, en face de lui, entre les murs de sa captivité.
Si elle y demeure, alors tout change dans sa condition. Où qu’elle se trouve, il y sera. Même sous le joug de ses opposants, même mis à l'arrêt par des sédatifs. Cela n'a pas d'importance.

Ses instincts apaisés se hérissent quand elle approche. Que sa main pâle vient trouver l’abord de sa joue barbue, pour y imprimer un contact qu’il n’attendait plus.

Un geste autrefois coutumier.
Un geste emplit d’un sens qu’il pensait perdu à jamais.
Esfir...

Fébrile et fugace, la caresse s’évapore comme un fantôme, en dépit du cou tendu de Kolbeinn pour en réclamer plus.
La torture est terrible.
L’instant le ravit, autant qu’il l’achève.

Il retient avec peine ces sensations enterrées, revenant l’assaillir comme au dernier de leur vie commune. Le pire étant que, dans ceux de sa promise, rien ne luit. Rien d’autre que la curiosité. Rien d’autre… qu’une mémoire en friche, et sa panoplie de doutes, érigés comme d’ultimes obstacles entre eux.

Pourquoi ?
Comment ?
Que s’est-il véritablement passé, ce soir funeste où tous ont péri devant ses yeux ?

Que croire, si ce n’est cette vérité inespérée ?


« Je ne sais pas ce que vous voulez dire par là. Mais oui, j’imagine que c’est moi. J’aurais… des questions à vous poser, si vous consentez à y répondre. »
Le recul, le ton, le vouvoiement. Tout porte à croire que Kolbeinn n’est en face que d’un sosie. Qu’elle ignore de qui il s’agit. Qu’elle souhaite savoir ce que lui, porte comme un fardeau.
Un hochement de tête, pétri d’une émotion lui empoignant la gorge, donne l’impulsion à Esfir de poursuivre.
« Vous m’avez appelée Esfir… était-ce mon nom lorsque j’étais humaine ? M’avez-vous connu en ce temps-là ? »
La terreur lui fait serrer ses poings, amollis par la drogue. C’est impossible, et pourtant…
« Je n’en ai aucune souvenir Ma mémoire ne remonte pas plus loin que le jour où j’ai réouvert les yeux en tant que vampire. Ma deuxième vie. »

C’est ainsi.
C’est donc cela.
Le pire des châtiments.
Le bleu des yeux virent à l’orage, fendu d’éclairs. Sa colère se mêle au chagrin, comprimé dans son torse, baignant son regard épuisé.

Elle a oublié.
Elle a tout oublié.
Tout.

« Ou peut-être vous êtes-vous simplement trompé …
- Non. »

Le ton est âpre, gorgé d’une douleur enfouie, profonde. Non, il ne s’est pas trompé. Il ne pourrait jamais, même par le biais d’illusions de qualité, même par le hasard d’un sosie, voire d’une descendante, jamais il ne pourrait la confondre.

Là est la limite de son possible.
Tout le reste, c’est à lui de lui rendre.

« … Si tu ne sais pas qui je suis… c’est que tes souvenirs de ta vie en ténèbres ont été falsifiés. » La souffrance lui fait perdre son peu de tact. Pourtant, une certaine bienveillance s’en ressent. Si Esfir ne se rappelle de rien… alors sa douleur à elle, sera insurmontable, quand tout lui reviendra.
Car tout lui reviendra.
Il le faut.
« J’ignore… J’ignore comment cela a pu se produire. Mais tu cherches des réponses… et je sais absolument tout de qui tu es vraiment. »

Le prénom fût la porte d’entrée. Kolbeinn s’y engouffre, avec sûreté.

« Esfir était bel et bien ton nom d’humaine. Mais je ne t’ai pas connue ainsi. Notre rencontre s'est faite bien plus tard… quand j’agonisais contre un rocher, à cause d’une chasse à l’ours ayant mal tourné. Tu m’as trouvé. J’allais mourir… et tu m’as offert à la Nuit. »

La vérité se délie. D’une faible force, Kolbeinn parvient à lever sa main vers elle. L’atteindre, juste l’atteindre, avoir cette chance de la toucher à nouveau. Rien que du bout des doigts…
Le velours de sa joue lui arrache un frisson.
Une vague, plus grande que toutes les autres, ravage le colosse. Elle se décrit dans ses yeux, au bord de larmes qu’il pensait asséchées.

Elle seule peut lui redonner cette humanité.

« … Tu es ma Mère-en-Ténèbres... Tu es mon épouse. Tu es... »

Ses mots émus meurent, à leur tour, dans la gorge pleine. Ne subsiste qu’un brin d’espoir que cela suffise, que l’éclat de leur vie commune reluise à nouveau dans ses souvenirs, qu’elle se tienne à nouveau auprès d’un amour qui n’a jamais faiblit.
Pas une seule fois.

« Souviens-toi, Esfir... »

Reviens-moi.
Je t’en prie...
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Anja Almen
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- Ou peut-être vous êtes-vous simplement trompé …
- Non.

Le ton est presque sec, rude. Pourtant les yeux du vampire brillent d’une émotion palpable. Elle fronce les sourcils.
- Comment pouvez-vous en être si certain ? Elle touche son visage qui a l’air d’appartenir à une autre du bout des doigts.
- … Si tu ne sais pas qui je suis… c’est que tes souvenirs de ta vie en ténèbres ont été falsifiés.
Anja fouille le regard de son semblable.
- Non, je me souviens parfaitement de tout ce qui s’est déroulé depuis ma reconnaissance. Et puis qui aurait intérêt à faire une chose pareille ?
- J’ignore… J’ignore comment cela a pu se produire. Mais tu cherches des réponses… et je sais absolument tout de qui tu es vraiment.
A nouveau elle le dévisage et s’approche, les yeux dévorés par la curiosité qui bataille avec un fond de scepticisme.
- Vraiment Kolbeinn ? Qui suis-je ?
- Esfir était bel et bien ton nom d’humaine. Mais je ne t’ai pas connue ainsi. Notre rencontre s'est faite bien plus tard… quand j’agonisais contre un rocher, à cause d’une chasse à l’ours ayant mal tourné. Tu m’as trouvé. J’allais mourir… et tu m’as offert à la Nuit.
Anja pousse un soupir déçu.
- C’est une bien jolie histoire. Mais ça n’est pas la mienne. Je sens que vous êtes vieux, je n’ai que deux cent ans. Elle a un sourire triste, pour elle autant que pour lui. Je porte manifestement les traits d’une autre. Une autre qu’il vous ait douloureux de vous rappeler. J’en suis désolée…souffle-t-elle avec sincérité.

La main du vampire colossal se dresse vers ce visage qu’il voit sans doute habité par une âme différente de la sienne. Elle devrait reculer et pourtant elle n’en fait rien, le corps tendu, comme dans l’attente. De quoi ? Elle n’en a aucune idée.
Le bout de ses doigts dégringole sur sa joue et elle frissonne. Vaguement, tout au fond de sa mémoire, quelque chose s’agite.

- … Tu es ma Mère-en-Ténèbres... Tu es mon épouse. Tu es...

Je connais ce toucher.

Elle ferme les yeux, tentant d'attraper au vol ces bribes de souvenirs. Mais à peine réussit-elle à s’en saisir – ses doigts sur sa peau, partout, ses yeux si bleus qui pétillent de joie et la regardent comme si elle était la chose la plus précieuse qu’il ait jamais contemplé – tout lui échappe, comme aspiré. Une douleur aigüe lui transperce le crâne et elle grimace. Elle réouvre les yeux, papillonne des cils, semblant ailleurs pendant quelques secondes avant de reprendre une expression plus dure.
Elle ne se rend pas compte qu’elle vient de refermer ses doigts sur la bague qu’elle porte en pendentif, seule souvenir de sa vie passée. Elle le lâche et recule à nouveau plus franchement.

- Non. Vous vous trompez. C'est ridicule. Je...
- Souviens-toi, Esfir...
- Anja. Mon nom est Anja. Je n’aurais pas dû venir. C’est une erreur et je ne fais que nourrir un faux espoir aussi bien pour vous que pour moi. Je ne reviendrais plus.

Elle lui tourne le dos et s'avance vers la porte, prête à toquer pour qu'on la laisse sortir. Cette quête de son passé ne rime à rien de toute façon.
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Kolbeinn Assonar
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Anja. Anja, qui ne signifie rien, qui n’a aucun sens aux oreilles du millénaire.
Anja n’existe pas.
Anja n’est qu’un leurre, et lui seul peut le savoir.
Lui, et la personne qui a effacé Esfir de sa propre mémoire.

Ce constat le blesse. Pire, il le meurtrit. Tout comme le regard de panique qui luit dans les yeux de sa femme – car Kolbeinn ne peut se résoudre à la définir autrement, quand bien même ce ne serait plus le cas. - la poussant à reculer.
S’éloigner.
Partir.
Encore.

Coup et heurt au coeur, mort depuis longtemps.

En dépit de ses membres alanguis, de son corps fatigué, Kolbeinn tente de la rattraper quand Esfir se braque. Ces informations vont à contresens de ce qu’on lui a enseigné. Quelque chose, une dissonance fondée, pour lui faire tout oublier.

A dessein ?
Non...

« Non... », souffle-t-il, alors que le viking fait face au dos de son autre. Ça ne peut pas se terminer ainsi. Pas comme ça. Il doit y avoir un moyen, une raison à lui rendre, une preuve à lui donner que sa vérité est la seule. Quand bien même quelqu’un aurait essayé de l’étouffer, elle doit demeurer. Enterrée jusqu’ici dans la tombe et les cendres de ce qui a été.

Elle jaillira, éclatante, sous terre.

« Attends ! »

Ton impératif, mais d’une douleur sans nom. Plus plaintif qu’orgueilleux, là où sa voix sait parfaitement sonner d’ordres imposants. Kolbeinn est diminué depuis son échec, aussi bien sur le plan physique que mental. Toutefois, sa mémoire lui a toujours été tristement fidèle. Et il y a des détails, des objets, des personnes qu’il garde enfoui au fond de lui.
L’un d’eux, il vient de le remarquer, a brillé de son éclat avant qu’Esfir ne le dissimule.
D’un geste plus éloquent que tout le reste.

Comment Kolbeinn n’a-t-il pas pu la remarquer avant ? Accaparé par ce visage du passé, il en a ommis la preuve qu’il lui fallait. Qui brillait déjà, au cou de son aimée.

« Ton collier… cette anneau que tu portes... » Un temps, un pas vers elle. Dans le silence rémanent, seul compte le lien. Le leur s’est matérialisé sous la forme d’une alliance, que Kolbeinn n’a jamais pu quitter. Serment marqué à son annulaire droit, presque aussi pâle que sa peau. Bague fondue au corps de son porteur, veuf jusqu’alors.
Jusqu’à maintenant.
D’un geste lent, il la retire, pour la première fois depuis plus de deux siècles. La sensation de vide se fait instantanément sentir, mais il doit lui montrer.
Lui montrer qu’il s’agit de la même. Strictement la même, qu’elle vient de serrer comme un talisman protecteur.

« Je comprends… que ce doit être difficile à attendre. », concède-t-il, d’une voix serrée sous le chagrin. « Mais je dis la vérité. J’ai forgé ces alliances moi-même pour célébrer notre mariage. Il n’en existe pas d’autres au monde. Et nous sommes les seuls à pouvoir les porter. »

Regard plus doux, presque implorant. Il ne peut s’empêcher d’y croire. Il doit lui faire comprendre, même s’il s’agira de sa croisade personnelle pour les siècles à venir.

Esfir doit revenir.
Il le faut.


Et pour la retrouver, autant savoir de quelles tissus de mensonges « Anja » a été fabriquée.

« J’ai… besoin de réponses, moi aussi. » finit-il par avouer, sans la moindre agressivité. « Que t’a-t-on raconté ? Pourquoi ne connais-tu rien à ta vie humaine ? Et où te serais-tu éveillée aux Ténèbres, selon toute vraisemblance, il y a deux cent ans ? »

Deux cent ans.
Le soir du Feu.

Cela ne peut pas être une coïncidence.
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- Non...
Ça n’est pas un ordre donné. C’est une supplique formulée.
Cette constatation l’arrête aussitôt, la main levée pour frapper sur le battant. Faut-il que cet homme – qu’elle devine pourtant fier – soit désespéré.
N’est-ce pas ce qu’elle est, elle aussi. Désespérée de trouver des réponses à des questions qu’on lui interdit de formuler, même de penser.

- Attends !
C’est ce qu’elle fait. Parce que malgré tout, quelque chose d’indéfinissable la tire vers ce vampire. Pourquoi ? Elle a déjà oublié. Pourquoi a-t-elle oublié…. ?

« Esfir… Tu es ma Mère-en-Ténèbres... Tu es mon épouse. »
Ces mots sont douloureux à se rappeler et son expression se chiffonne sous le coup d’une certaine souffrance.

- Ton collier… cet anneau que tu portes...
Il s’approche alors qu’elle frôle du bout des doigts son pendentif qui n’est qu’une relique sans aucun sens dont elle n’arrive pourtant pas à se séparer, dernier lien entre elle et un passé emporté par un vortex.
Elle l’observe retirer la jumelle de sa bague, elle le voit d’ici. Lentement, elle s’approche, comme hypnotisée.
- Je peux ? demande-t-elle doucement, sentant à quel point cet objet lui est précieux.
Elle s’empare délicatement de la bague posée dans le creux de la large paume du guerrier. Ses doigts tremblent un peu alors qu’elle la tourne pour en observer tous les angles. Elle tire brutalement sur sa chaine pour mettre les deux bijoux côte à côté. Une émotion soudaine l’étreint, une vague de chaleur bienfaitrice, un souffle de quelque chose de terriblement familier. Elle remonte son regard vers celui du vampire.
Ses yeux…si bleus…si tristes… Elle voudrait pouvoir les éclairer d’une toute autre façon.
- Je comprends… que ce doit être difficile à entendre. Mais je dis la vérité. J’ai forgé ces alliances moi-même pour célébrer notre mariage. Il n’en existe pas d’autres au monde. Et nous sommes les seuls à pouvoir les porter.
- Kolbeinn…

Un prénom qui sonne soudain comme essentiel, qui entre en résonnance avec tout son être. Son époux ? Oui… la nuit était pleine d’étoiles, ils étaient près d’un…
Puis vient la douleur encore, alors qu’elle touchait du bout des doigt des souvenirs…
Comme une machine qui reboot, la douleur efface ses brefs instants et elle repose la bague dans sa paume, leur troublante similarité mise de côté.

- Pourquoi devrais-je vous croire ?
- J’ai… besoin de réponses, moi aussi.
Elle ressert le poing sur la bague.
- Que t’a-t-on raconté ? Pourquoi ne connais-tu rien à ta vie humaine ? Et où te serais-tu éveillée aux Ténèbres, selon toute vraisemblance, il y a deux cent ans ?
- Ma mère en ténèbres m’a sauvé alors que j’avais été battue à mort. Un ventre infertile et une tête trop faite ne plaisaient pas à mon mari et aux hommes de mon village norvégien…apparemment. Je… elle a une hésitation. Je ne sais pas pourquoi j’ai tout oublié. Ma mère m’a affirmée que cela arrivait lorsque la mort est trop violente. Elle est âgée, bien plus que vous et ses connaissances sont plus vastes que la plupart des vampires de ce monde. Je n’ai aucune raison de ne pas la croire.
Alors pourquoi doute-t-elle ? Pourquoi cherche-t-elle à se rappeler d’une vie qu’on lui a décrite comme terrible ?
- J’étais…très troublée lorsque je me suis réveillée aux Ténèbres. Perdue… je ne comprenais pas. Je suis restée sous verveine un long moment, comme vous. Elle trace du bout des doigts une pauvre veine grisâtre qui transparait sur le cou du vampire. A nouveau ce besoin de le toucher… inexplicable. Voilà ma banale histoire.
Elle a un fantôme de sourire.
- C’est celle que je vais garder. Je suis désolée pour votre Esfir.
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Kolbeinn Assonar
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Il l’observe, comme un spectacle inattendu. Comme la consécration de toutes ses attentes, cristallisées dans un seul et unique moment.
Esfir prend la bague tendue.
Comme elle avait accepté la sienne, des siècles en arrière, sous le bonheur de leur union.
Des vœux renouvelés, à chaque cycle de vie, devant les applaudissements de leurs infants.

Leurs infants…

Comme de raison, leurs images se calquent à nouveau dans son esprit. Le miracle voudrait qu’eux aussi, soient encore vivants. Que d’une manière ou d’une autre, le monde lui aurait rendu non seulement son Amour, mais aussi sa famille.

Les Dieux ne sont pas cléments.
Si tant est qu’ils le regardent encore.

Vu le tour qu’il est en train de se produire, leurs bénédictions a depuis longtemps fuit les pénitences pudiques des actions de Kolbeinn.
Le Destin se joue de lui.
Et il lui prouve encore quand, sous un nouveau signe de douleur cinglante, Esfir renonce et lui rend la bague, remise avec dépit à sa place.
Vaine tentative, qui enserre le coeur du viking.
Pourtant… pourquoi sent-il qu’elle demeure la clef du mystère de sa mémoire ?
Pourquoi aurait-elle gardé cette bague, si elle ne comptait pas aux yeux d’Anja ?

Ces réponses soulèvent davantage d’interrogations. Tout comme son récit de vie, que Kolbeinn écoute avec attention.

« Ma mère en ténèbres m’a sauvé alors que j’avais été battue à mort. Un ventre infertile et une tête trop faite ne plaisaient pas à mon mari et aux hommes de mon village norvégien…apparemment. »
Jusqu’ici, tout est vrai. Ce qui demeure d’autant plus troublant. Cette amnésie serait donc partielle, ou bien… ?
« Je… Je ne sais pas pourquoi j’ai tout oublié. Ma mère m’a affirmée que cela arrivait lorsque la mort est trop violente. Elle est âgée, bien plus que vous et ses connaissances sont plus vastes que la plupart des vampires de ce monde. Je n’ai aucune raison de ne pas la croire. »

Sa mère.
Sa mère.

Le regard de Kolbeinn s’arrondit, un bref instant. Avant de se voiler d’une colère sourde, datant de bien plus de siècles encore.
Il aurait dû y penser. Il aurait dû… savoir, que ce point précis, que cette femme pouvait se cacher derrière les replis de cette mémoire en friche.

Impossible, pas elle, pas encore.
Et pourtant…


« … Inge… ? »

Marmonné à voix haute, sans qu’il ne s’en rende véritablement compte. Le toucher le tire à sa réflexion, à sa fureur lancinante quand il repense à Inge et ses méfaits d’antan. Comme ce contact avait le don de l’apaiser autrefois, il le paralyse à l’instant, avant qu’il ne le secoue. Le tempête reprend de plus belle dans sa poitrine sans souffle. Coupé, pourtant, sous ce simple effleurement de ses veines anesthésiées.

« Voilà ma banale histoire. C’est celle que je vais garder. Je suis désolée pour votre Esfir. »

Non.
Non.
Ne sois pas désolée, car elle est encore ici. Il suffit de la trouver…


D’un silence gravé de tristesse, la main faible de Kolbeinn vient trouver celle posée sur sa joue. Augmente la pression contre leurs peaux froides, pour faire durer le lien. Une caresse qu’il languissait de retrouver, la seule qui aurait pu le ranimer. Un geste qui lui hurle de ne plus partir, à l’instar de ses yeux brillants d’une émotion que personne, d’encore en vie, ne lui connaît.
Quelque chose qu’il ne réservait qu’aux siens…

Son âme, à nue.

« Je t’en supplie... », murmure-t-il. « Je ferais n’importe quoi. Je te raconterai tout ce que je sais, je serai ton soutien dans cette lutte… Tout ce que tu voudras de moi. Mais… n’abandonne pas. »

Ne t’abandonne pas.
Ne m’abandonne pas.
Pas cette fois.
Ce serait te voir mourir, une seconde fois.


« Tu es Esfir. Je sais que tu l’es. Je n’ai jamais été plus sûr de moi. » Le verveine et les battements d’ailes de papillon ne seront jamais assez forts pour le détourner de cette idée. « Ne ressens-tu vraiment rien, quand je t’évoque tout ça ?… Que te dictent tes émotions, si ce n’est la quête de réponses ? Tu les souhaitais, et je te les ai donné. Et je t’en donnerai encore des milliers… si tu le voulais. »

Une constellations de vérités, difficiles, terribles. Mais aussi merveilleuses et délicates, comme les souvenirs de ces siècles côte à côte, réduits en cendres par la folie décousue d’une poignée d’Hommes.
L’image claire de son corps ensanglanté, de ses derniers mots, de cette promesse faite à l’aube de leur séparation. Elle se calque sur ce visage similaire, d’une porcelaine parfaite, qu’il ne peut s’empêcher de venir trouver de son autre main. Contact électrisant, le même, exactement. La joue tendre épouse parfaitement le creux de sa paume caleuse.
Comme autrefois.

« Esfir… Je n’ai pas pu te sauver, ce jour-là… Mais aujourd’hui, je le ferai. » Le ton du serment, du pacte, et de l’honneur. Ses yeux d’océan jurent, plus solennellement que jamais. « Je te ramènerai. »

Quoiqu’il lui en coûte.
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Anja Almen
Anja Almen
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- … Inge… ?
- Vous la connaissez ?
Cette fois c’est à elle d’exprimer la surprise. Comment peut-il savoir ? Est-ce que ça vaut dire que…qu’il est possible qu’il dise la vérité sur tout le reste ? Ou essaie-t-il de la manipuler ?
Elle ne doit pas oublier de quel côté il se trouvait lors de l’attaque. Celui de assaillants, des bêtes sans dignité qui ont assassiné de sang-froid des innocents.

L’évocation de son passé semble l’énerver, si elle en croit son regard devenu étrangement expressif – où est-ce seulement qu’elle est capable de le lire ? – et Anja penche légèrement la tête pour mieux l’observer.

- Voilà ma banale histoire. C’est celle que je vais garder. Je suis désolée pour votre Esfir.

Il presse faiblement ses doigts froids contre sa main pour faire durer le contact qu’elle a initié.
Par les dieux ! Il la regarde d’une telle façon qu’il est difficile de rester insensible. Elle envie cette Esfir qu’il semble avoir adoré au-delà du raisonnable.

- Je t’en supplie… Anja plisse le front de tristesse, désolée de ne pas pouvoir lui donner ce qu’il attend d’elle. Je ferais n’importe quoi. Je te raconterai tout ce que je sais, je serai ton soutien dans cette lutte…
- Quelle lutte ? souffle-t-elle en notant qu’elle n’a toujours pas retiré sa main sous la sienne.
- Tout ce que tu voudras de moi. Mais… n’abandonne pas.
- Abandonner quoi ?
- Tu es Esfir. Elle secoue la tête en silence. Je sais que tu l’es. Je n’ai jamais été plus sûr de moi.
- C’est une illusion construite par votre esprit, une simple illusion. Peut-être suis-je une parente de celle que vous avez connue ? Une descendante…

Elle tente de mettre de la conviction dans ses mots mais au fur et à mesure qu’ils parlent les aiguilles se réveillent et transpercent vicieusement son cerveau.

- Ne ressens-tu vraiment rien, quand je t’évoque tout ça ? … Que te dictent tes émotions, si ce n’est la quête de réponses ?
Plus il s’entête dans ce qu’elle pense être une forme de délire, plus elle l’écoute et plus la douleur se fait forte. Elle porte son autre main à ses tempes qu’elle frotte doucement en fermant les yeux.  
- Je… ne sais plus. J’ai…j’ai mal à la tête.
- Tu les souhaitais, et je te les ai données. Et je t’en donnerais encore des milliers… si tu le voulais.
Lentement, elle réouvre ses paupières sur des yeux voilés d’une douleur lancinante.
- Des réponses à quoi ?

Anja pousse une sorte de soupir lorsque la paume de sa main vient épouser sa joue. Elle s’y accroche avec force.
- Esfir…
- Ne m’appelez pas comme ça…Anja…je m’appelle Anja…
- Je n’ai pas pu te sauver, ce jour-là…
- Quel…jour ? Sauvée de quoi ?
La douleur s’accentue alors qu’elle tente de se rappeler.
- Mais aujourd’hui, je le ferai.
- Kolbeinn…arrêtez, supplique qu’elle profère à son tour sans pouvoir continuer tellement sa bouche se fait pâteuse.
- Je te ramènerai.

La souffrance éclate derrière ses yeux, une sorte de symbole apparait sur son front. Anja pousse un cri de douleur et s’effondre contre le corps du vampire, à moitié consciente.
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Kolbeinn Assonar
Kolbeinn Assonar
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«  … Inge… ?
- Vous la connaissez ? »

Sa mâchoire se serre. Ses soupçons se fondent davantage, et font revenir l’orage. Ce prénom honni, cette madone aux accents de despote, aux multiples plans pour leur barrer la route et emprisonner sa fille entre ses serres.
Son évocation, encore aujourd’hui, ravive la colère d’antan.
Encore vive, et tapie en lui comme un feu brûlant.

« Malheureusement. »

Ton susurré entre ses dents. Si ce pend précis de sa mémoire a été modifié, alors les indices ne finissent plus de se recouper.

Mais au fur et à mesure que la détermination de Kolbeinn s’affiche dans ses mots, ceux d’Esfir se troublent sous la puissance d’un mal de crâne. Lié, inexorablement, à la confusion de la collision. Entre passé décomposé et présent mal conjugué.

« Je… ne sais plus. J’ai…j’ai mal à la tête. »

Cette seule indication aurait due lui suffire pour comprendre, pour cesser.
Pour ne pas la pousser, éviter plus de souffrance que ce qu’elle endure elle aussi, dans sa propre mesure.
Kolbeinn s’y accroche, pourtant.
Car cette douleur est la seule chose tangible qui le pousse à croire qu’il ne se trompe pas.
Que c’est elle, parmi les illusions.

« Kolbeinn…arrêtez »

Sous ses yeux impuissants, une marque apparaît avant de briller intensément. Quelque chose de gravé sur le front d’Esfir, source de sa peine et de son incapacité à fouiller davantage dans sa mémoire brumeuse.
Son cri, ténu mais pourvu de tout son mal, lui brise les tympans dés l’instant où il s’échappe de sa gorge clair.

« Esfir !! »

La main de Kolbeinn sur sa joue glisse, dans un réflexe ancré, contre son dos à l’instant même où son aimée s’effondre contre lui.
Le poids de son corps contre le sien, affaibli par sa captivité anesthésiante, le pousse à reculer, heurtant le mur dans son dos.
Aucun lien de le retient. Rien ne l’empêche de la serrer davantage contre lui, alors que sa conscience file comme la marque sur son front.
Il la fixe avec stupeur, avec cette même expression que cette nuit terrible.
Une fois encore, aux portes de l’inconscience, dans ses bras sans force. Revivre une telle situation ne peut que réduire à néant les élans d’espoir qui venaient, petit à petit, reconquérir son esprit affaibli.
Ses doigts fébriles écartent quelques mèches courtes de son front offert, où le glyphe magique, inconnu à ses yeux d’artisans d’artefacts, perd peu à peu de sa lumière. Comme un battement qui s’éteint, lui aussi, laissant le guerrier complètement désarmé.

« Que diable t’a-t-on fait subir… ? »

L’instant est bien trop dur à supporter, pour le monolithe. Son visage de roche se fend d’un chagrin implorant, où les larmes ont retrouvées leur place.
Quelques unes glissent, d’un silence pesant. Penché sur celle qu’il retient tout contre lui, Kolbeinn laisse mourir les perles salées sur la peau glacée.

Ses bras tremblants font tout pour ne pas la lâcher. Il devrait hurler à l’aide, mais ne sait vers qui se tourner.
On l’accusera de plus de maux encore, pour un crime qu’il n’a pas commis.

Alors, il ne peut que prier.
C’est bien là le dernier rempart qu’il lui reste.

« Elskan... par tout les dieux, reviens-moi… »
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Anja Almen
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- Esfir !!

Elle se sent partir tout en était toujours consciente. Elle vacille, ne trouve un appui peu sûr que contre le vampire.
La douleur est toujours là, violente. Inconsciemment, elle s’accroche à lui avec force, comme s’il représentait la seule bouée de sauvetage sur laquelle elle pouvait compter.
Des flashs traversent son esprit : une famille, grande, heureuse ; une présence à ses côtés, inébranlables, aimée ; des mots d’amour murmurés dans le secret de la nuit…

- Min kjærlighet…

La marque sur son front brille plus fort, son corps a un soubresaut et ses paupières papillonnent follement.
Les images s’estompent, se floutent, disparaissent tout comme la glyphe sur son front. Elle s’alanguie contre lui, les yeux mis-clôt.

- Elskan... par tous les dieux, reviens-moi…

Anja reste suspendue pendant quelques secondes entre réalité et souvenir, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la réalité crue et cette voix.
SA voix… familière et étrangère, connue et jamais entendue…juste sa voix.
Une goutte d'eau s’écrase contre sa joue et elle revient lentement au moment présent. Elle relève le menton, ses doigts s’envolent pour cueillir les quelques larmes qui dévalent les joues du vampire.
Touchée au delà des mots, quelque chose se brise en elle. Qu’elle s’en souvienne ou non, cet homme croit dur comme fer qu’elle est sa femme perdue depuis longtemps.

- Ne pleurs pas… je suis là.

Elle se redresse, le soutient presque autant qu’il le fait pour elle. Ses paumes encadrent son visage qu’elle relève délicatement, dégageant ses larmes de ses pouces et lui sourit avec une compassion qui vient du fond de son âme.

- Parle-moi d’elle… murmure-t-elle dans un souffle. Parle-moi de ton Esfir.
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Kolbeinn Assonar
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L’espace d’une seconde, il croit encore au pire, au moment funeste. Reflet de deux cent ans en arrière, du corps alangui, blessé, du regard échangé avant l’ultime séparation.
Ce qu’il reste du coeur du colosse martèle dans sa poitrine fatiguée. Ce n’est que lorsqu’elle revient à elle qu’il se calme, retourne à sa morte peine.
Ses larmes ne tarissent pas, glissent encore sur ses joues creusées par la verveine et l’enfermement, l’attente et l’angoisse lancinante que ces jours lui ont causé.
Ce n’est qu’un infime espoir qui tarit le flot. Une surprise, provoquée par des mots d’antan, ponctuée par une voix d’une douceur perdue.

Quand « Anja » revient, ce n’est pas elle que Kolbeinn perçoit. Il n’y a plus tellement de confusion dans son regard boisé, et quand elle vient cueillir les sillons trempés sur son visage, le nordique reconnaît des gestes qu’il ne pensait plus jamais retrouver.

« Ne pleurs pas… je suis là. »

Un instant suspendu, auquel Kolbeinn se retient de toutes ses forces pour ne pas tomber. Yeux dans les siens, il ne peut qu’y croire.

Oui…
Tu es là.


Un sourire fend finalement la barbe, après tout ça. Faible, mais présent. Au-delà du chagrin, au-delà de la conscience ou même d’une quelconque mémoire en friche, quelque chose demeure.
Ce lien ténu, irrévocable.
La Nuit qui les unit.

Les mains massives viennent se poser sur celles plus fines, dans la volonté de faire perdurer ce moment fébrile, de peur qu’il ne s’échappe. La solennité de l’instant est accentuée par la demande particulière :

« Parle-moi d’elle… Parle-moi de ton Esfir. »

Le sourire faiblit, avant de reprendre, à l’évocation de tout ce qu’elle représente. C’est presque difficile de savoir par quoi commencer.
La Raison voudrait relater les faits de manière chronologique, pour permettre aux souvenirs enfouis de retrouver une bribe de chemin. Ce sont les émotions, pourtant, qui dictent la voie :

« Une guerrière, une mère… une femme d’une intelligence et d’une compassion remarquables… Elle était résolument juste et dotée d’un respect pour l’existence qui dépassait tout ce que j’avais pu connaître. »

Le discours est en pointillés, les injections de verveine à répétition ont épuisé le corps et l’esprit. Le vampire se recule, s’adosse au lit rudimentaire de la cellule, incapable de tenir debout pour le moment.
Ses mains cherchent pourtant à garder le contact avec sa vis-à-vis.

« Esfir était bien des choses… je n’aurais jamais assez de temps dans toute mon immortalité pour la définir entièrement. A ses côtés… Le soleil ne me manquait pas. La soif de sang était un simple détail dont je m’occupais avec la plus grande précaution pour épargner le plus de vies humaines possible. Mon humanité était intacte. Grâce à elle, sa force, et ce que nous avions construis ensemble a fil des siècles... »

Les yeux dans le vide, Kolbeinn s’autorise à les relever, fixer à nouveau ceux de l’être aimée. S’y perdre, aussi.

« Tu-... »

Reprise. Il secoue sa tête comme pour tenter d’échapper à un insecte.

« … Elle m’a offert bien plus que l’éternité. »

Sans s’en rendre compte, son pouce caresse faiblement une main d’Anja depuis un moment déjà.

« Elle m’a sauvé de ce que j’étais… et m’a montré que d’autres voies étaient à tracer. Et que nous le ferions ensemble, pour le bien de Tous, humains comme créatures. »

Un soupir pour reprendre des forces, un élan pour ne pas craquer. Une pause, avant de reprendre.

« … J’aurais voulu être capable de faire perdurer son œuvre. Mais sans elle… Sans eux... »

Les espoirs, dévorés par le Feu. Il n’y a pas un jour où il n’en ressent pas les brûlures. Kolbeinn a du mal à en dire davantage, même à celle qui l’a vécu tout autant que lui.
C’est d’une cruauté terrible que de forcer cette porte-ci, pour elle comme pour lui. Pourtant… c’est un mal nécessaire.
La tête vers l’arrière, le prisonnier est résolu.

« … J’ai… sans doute trop de souvenirs à supporter pour une seule personne. » Son regard glisse, à nouveau. Tente d’y lire à travers le flou. « Si je les partage avec toi… peut-être que… ? 
- Assonar, c’est bientôt la fin. La dame va devoir partir. »

La voix du gardien transperce les murs, refroidit le sang bouillant du vampire. Les yeux deviennent acérés et maudissent la porte blindée.

Pas maintenant, qu’il vocifère sans mots. Tout ce qu’il peut déclarer, ce sont des tremblements à l’idée d’être de nouveau séparé d’elle.
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Anja Almen
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Le sourire fatigué qu’il adresse à la vampire agite quelque chose dans sa poitrine à en faire presque battre son cœur mort.
Elle ne sait même pas pourquoi ces mots-là lui ont échappé. Il semblait naturel, comme si elle les avait déjà prononcés pour lui.
Tout est plus ou moins confus dans sa tête et elle tente de s’agripper au concret, à l’instant, à la raison si tant est qu’elle existe encore.

- Parle-moi d’elle… Parle-moi de ton Esfir.

Une question sans doute vaste qui lui permet de se reprendre un peu, de rassembler ses esprits.
- Une guerrière, une mère… une femme d’une intelligence et d’une compassion remarquables… Elle était résolument juste et dotée d’un respect pour l’existence qui dépassait tout ce que j’avais pu connaître.

La déférence et l’amour qu’elle perçoit dans ses mots pourtant déclarés avec une lassitude profonde agissent comme des caresses étranges. Il lui faut toute sa raison pour se rappeler qu’il ne parle nullement d’elle.
Au mieux, ce qu’elle fut. Au pire, rien du tout.

- Esfir était bien des choses… je n’aurais jamais assez de temps dans toute mon immortalité pour la définir entièrement. A ses côtés… Le soleil ne me manquait pas. La soif de sang était un simple détail dont je m’occupais avec la plus grande précaution pour épargner le plus de vies humaines possible. Mon humanité était intacte. Grâce à elle, sa force, et ce que nous avions construit ensemble a fil des siècles...

Anja frissonne et baisse les yeux pour se rendre compte que le triste vampire caresse délicatement la peau fine de sa main. Son pouce lui rend inconsciemment la pareille et elle observe le phénomène, fascinée. Elle n’a jamais été très tactile, comme si le moindre contact avec autrui la répugnait.
Mais avec lui… les choses sont inexplicablement différentes. A nouveau cette sensation de familiarité.

- Ce… ce que vous aviez construit ? De quoi s’agissait-il ? Tu parlais de mère… souffle-t-elle avec un fond d’hésitation, comme si elle craignait inconsciemment la réponse. Qu’est-il arrivé à vos infants ?
- Tu … Il se reprend et Anja se mord la lèvre. Elle m’a offert bien plus que l’éternité. Elle m’a sauvé de ce que j’étais… et m’a montré que d’autres voies étaient à tracer. Et que nous le ferions ensemble, pour le bien de Tous, humains comme créatures.
- Elle semble être presque trop parfaite pour exister cette femme… cela ne peut être moi.
Anja a la gorge nouée. Elle ne se reconnait nullement dans cette description idyllique.
- … J’aurais voulu être capable de faire perdurer son œuvre. Mais sans elle… Sans eux...

Dans l’un de ces gestes qu’elle ne s’explique pas, Anja attrape soudain le visage du vampire et l’oblige à la regarder dans les yeux.
- Il n’est pas trop tard, Kolbeinn. Ses paupières voilent un instant le bleu de ses iris avant qu’il ne revienne se fixer dans celui du vampire. Je ne sais d’où me vient ce sentiment, mais je crois… non je sais, que tu n’es pas le monstre que tu as laissé voir dans ce centre commercial.
Il lui échappe et pousse un soupir à fendre l’âme. De résignation ? Cette idée l’insupporte.
- … J’ai… sans doute trop de souvenirs à supporter pour une seule personne.
- Et je n’en ai aucun ou presque.
- Si je les partage avec toi… peut-être que…
- Je peux d’aider… je veux d’aider. Même si je ne suis pas la femme que tu attends… j’ai l’impression de lui devoir au moins cela.

- Assonar, c’est bientôt la fin. La dame va devoir partir.
Elle sursaute violemment. Elle en avait oublié le lien dans lequel il se trouve, la position de prisonnier du vampire. Anja se redresse, comme prise en faute.

- Cinq minutes, assène-t-elle sur le ton de celle qui a pour habitude de commander. Elle dévisage un moment le vampire, tentant une dernière fois de faire remonter des souvenirs, des sensations, quoique ce soit qui pourrait lui indiquer que tout cela pourrait être vrai. Mais il y a ces bagues qu’elle a toujours au creux de sa paume, comme des talismans précieux.
Lentement, elle réaccroche son collier autour du cou et lui repasse la bague au doigt, simulacre du geste que cette Esfir a du effectué des années en arrière.
- Je reviendrais te voir… si j’y suis autorisée et si tu le souhaites.
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Kolbeinn Assonar
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« Il n’est pas trop tard, Kolbeinn. »

Il ignore si cela vient des mots, du ton si proche de celui partagé pendant des siècles, ou bien de la chaleur de ses mains glacées sur son visage. Il ignore même s’il ne s’est pas un peu perdu lui-même, dans ses espoirs nourris de conviction puissante, face à ce visage qui lui ressemble tant. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il avait besoin de l’entendre. D’elle, et de personne d’autre.
D’elle, et de ses instincts endormis par une tierce personne, mais qui refont pourtant surface comme une fleur sur un champs de bataille.

Elle.
Et ses paroles qui font foi, comme autrefois.

Même si elle n’est pas la femme qu’il attend.
Même si l’Esfir qu’il a connu n’est plus totalement celle qui se révèlera.

Il veut y croire, se retenir à l’idée que c’est elle, qu’importe ce qu’il advient.

Ses yeux se ferment sous l’instant solennel, l’émotion qu’il réprime pour éviter de s’épancher davantage. Elle s’exprime pourtant quand il vient coller son front au sien, qu’il fait perdurer ce contact avant qu’il ne se brise. Que cela reste. Qu’il ne se réduise pas en cendres, lui. Qu’il demeure éternel, et promesse de quelque chose de plus fort que leur errance.

Le gardien rompt la magie. Kolbeinn entend l’impératif dans la voix d’Anja, qui demande plus de temps. Il se redresse légèrement, du peu de forces qu’il lui reste. C’est quand elle passe la bague à son doigt que son coeur se soulève, qu’il lui faut un instant pour ne pas flancher.
Ce geste équivaut à mille morts pour lui.
Leur mariage.
Leur promesse.
Les sourires sur les visages de tout leurs infants.


«  Je reviendrais te voir… si j’y suis autorisée et si tu le souhaites.
- … Bien sûr... »

Avant que les mains de la vampire ne quittent les siennes, Kolbeinn les retient. Incapable de rompre le contact. L’émoi est si fort qu’il en porte une à ses lèvres et y imprime un baiser, si emprunt de tendresse que son armure craquelée se fend aussitôt.

Juste pour quelques secondes, il n’est plus le colosse tueur des Hurlants.
Il n’est que l’homme blessé, le reste d’humanité, calcinée dans le brasier ardent.

Il se rend vite compte de son initiative et revient à la réalité. Ses mains lâchent celles de la vampire et son regard esquive le sien, pétri d’une soudaine peur de l’effrayer, elle et sa mémoire abimée.

« … Pardonne-moi. »

Le gardien s’impatiente. De nouveaux coups contre la porte, alors que Kolbeinn soupire.

« Va, avant qu’il n’entre lui-même... »

Anja libre de partir, pour mieux revenir. Il lui donne une dernière ombre de sourire avant qu’elle ne s’efface, le coeur moins lourd qu’à son arrivée.

Au revoir, Esfir.
Nos adieux d’antan n’ont plus lieu d’être.
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Anja Almen
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Malgré les occupations qui ne manquent pas et les expéditions à mener sous la houlette de Bertus, l’esprit d’Anja bat régulièrement la campagne et joue machinalement avec son collier.
Le regard du vampire nordique la hante, son toucher, son baiser et l’histoire de sa femme également.
Les révélations de Kolbeinn perdent au fil des jours leurs impacts mais, aussi surréalistes qu’elles soient, elle ne peut les ôter de sa tête.
Son regard se plante sur le visage que le miroir lui renvoie. Un visage et un regard dur, une mâchoire carrée, un menton un peu fuyant, un nez fort et des lèvres fines.
Familier, tout cela est familier.
Et pourtant…
- Qui es-tu ? souffle-t-elle à son reflet.  

S’il dit vrai… s’il dit vrai alors elle est définitivement perdue.

Pourquoi ne se rappelle-t-elle pas ? Quel rôle Inge joue-t-elle dans tout cela ? Est-ce pour cette raison qu’elle ne voulait pas qu’elle vienne à Tir Na Nog ?

Des questions, toujours des questions sans réponse !
Comme à chaque fois qu’elle essaie de se souvenir de quoique ce soit concernant Kolbeinn et les nombreuses années qu’ils ont partagé avec Esfir, un poignant mal de crâne la saisit.
La raison voudrait qu'elle oublie, qu'elle ne cherche pas et ne gratte pas une possible vérité qui mettra en péril tout ce qu'elle est aujourd'hui, tout ce à quoi elle croit.
Mais, elle ne peut décemment pas faire comme si elle n’avait rien appris !

C’est là, devant ce miroir qu’elle prend finalement une décision et arrange tout en ce sens.
Les accords ont été donnés, il ne manque plus que l’accord de la dernière personne de cette action un peu précipitée mais nécessaire si elle ne veut pas devenir folle à force de se poser des questions sans réponse.

Si son idée ne fonctionne pas, elle sera assurée que le vampire nordique divague complètement.
Mais si son idée fonctionne… elle gagne un passé, une identité, des réponses et … un époux.
Elle n’est pas certaine de se réjouir de cette partie-là mais si Kolbeinn représente un trait d’union entre Anja et Esfir… elle souhaite tenter. Savoir.
La curiosité est certes est vilain défaut mais elle n’a plus que cela.

Comme la première fois, elle se présente au contrôle des geôliers et on lui permet enfin d’entrer dans la cellule.
Cette fois, elle sourit à la haute silhouette qui se déplie à son entrée et remarque avec un certain soulagement qu’il n’a pas l’air aussi mal que la dernière fois. Peut-être que sa requête de réduire ses doses de verveine ont été entendues ?
- Bonjour Kolbeinn. Je suis désolée de ne pas être venue plus tôt… j’avais… beaucoup à penser et à analyser.
Elle s’approche puis s’arrête finalement pour triturer ses doigts nerveusement.
- Je… J’ai réfléchi à tout ce que tu m’as dit et … elle plante son regard dans le sien, déterminée. Si ce que tu affirmes est vrai... sur moi, quelque chose retient mes souvenirs et m’empêche d’être…elle, Esfir. Il y a une sorcière chez Malsheem dont le pouvoir joue sur la mémoire et l’esprit. Je lui ai demandé si elle pouvait m’aider à faire sauter les verrous qui tiennent mes souvenirs éloignés de mon esprit. Et elle a accepté. J'effectuerai donc une sorte de voyage dans ma mémoire.

Elle semble hésiter à nouveau, porte deux doigts à son front et marmonne.

- Par les Dieux, c’est de la folie…
Elle effectue les derniers pas qui la maintenaient loin de Kolbeinn et cherche à nouveau quelque chose dans son regard. La vérité, l’affection que le lie à Esfir… n’importe quoi qui lui prouverait qu’elle ne perd pas tout simplement la tête.
- J’aimerais que tu m’accompagnes dans ce voyage...et que tu m'aides... si tu le veux bien.
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Kolbeinn Assonar
Kolbeinn Assonar
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Le corps est raide. Dans l’attente, constante, d’un temps qui ne s’écoule plus entre les quatre murs de la cellule sous-terre, à l’abri du soleil et de la nuit qui n’ont plus cours.

Allongé contre le lit sommaire, les yeux clos et les doigts croisés sur son torse, Kolbeinn semble endormi. Ni paisiblement, ni sereinement. Sa physionomie ne lui permet plus, et son esprit lui a de toute façon fait comprendre depuis longtemps qu’aucun repos ne sera possible.

Tout s’agite dans son crâne.
Un million de questions tournent en boucle comme un cyclone où il se perd volontiers.
Toutes ont un biais commun. Une femme. Cette femme. Sa femme.

Sa dernière visite et ces retrouvailles douce-amères repassent derrière ses yeux fermés. Il en refait le film entier, seule distraction dans ce huis-clos avec ses souvenirs.

Comment faire ? Songe-t-il. La savoir en vie redonne un élan à la sienne. Mais sa mémoire scellée l’éloigne irrémédiablement, comme un destin plus cruel encore. Elle est ici, mais ailleurs. Si proche qu’il en souffre, plus qu’il ne l’aurait cru.
Car il n’y a pas d’erreur.
Il en est encore plus convaincu, depuis leur entrevue : Anja n’est pas un sosie. Ce n’est qu’un masque, imposé par Inge par un procédé tout aussi mesquin que ce que la vampire lui a fait percevoir, des siècles en arrière.

Ses pensées dérivent, recompile, reforme les pièces d’un puzzle tragique qui a fragmenté son existence depuis cette terrible nuit.
Si cette harpie est impliquée dans cette perte de mémoire, alors peut-être par malheur est-elle aussi--

L’enclenchement du verrou de la porte coupe nette sa réflexion. Les billes glacées s’ouvrent à nouveau, prête à darder d’éclairs ce gardien antipathique qui le surveille depuis trop longtemps.
En se redressant pourtant, le vampire sent son regard s’adoucir considérablement en voyant la personne escortée dans la cellule.

Esfir…

Il s’en lève, à sa vue. Il est en meilleure forme, objectivement, depuis la dernière fois : les injections de verveine se sont mystérieusement espacées ces derniers temps, et les rations de sang, bien qu’extrêmement limitées, lui suffisent pour ne pas se calcifier. Un traitement de faveur pour un meurtrier.

« Bonjour Kolbeinn. Je suis désolée de ne pas être venue plus tôt… j’avais… beaucoup à penser et à analyser. »

Il secoue la tête en silence, l’émotion soudaine le poussant à la réserve et le privant de paroles. Il lui pardonne tout, et la remercie surtout d’être revenue. De ne pas être une illusion.
Elle s’approche, devient plus tangible, plus concrète.
Sa présence est un bonheur à observer, comme autrefois.

« Je… J’ai réfléchi à tout ce que tu m’as dit et … Si ce que tu affirmes est vrai... sur moi, quelque chose retient mes souvenirs et m’empêche d’être…elle, Esfir. »

Il hoche la tête à nouveau. Ses mots se libèrent, dans un grondement légèrement rauque, à l’évocation de cette ultime barrière.

« Un sceau. », déclare-t-il, scrutant son visage plus intensément. « Je l’ai vu, sur ton front, la dernière fois. Au moment même où as perdu connaissance… »

Au moment même où il crût la perdre de nouveau. Elle poursuit :

« Il y a une sorcière chez Malsheem dont le pouvoir joue sur la mémoire et l’esprit. Je lui ai demandé si elle pouvait m’aider à faire sauter les verrous qui tiennent mes souvenirs éloignés de mon esprit. Et elle a accepté. J'effectuerai donc une sorte de voyage dans ma mémoire. »

L’expression de Kolbeinn se mute entre surprise profonde et soulagement immédiat. Une telle opportunité, ici ? L’idée lui paraît aussi miraculeuse qu’insensée. Sa méfiance naturelle le pousse à se dire que ce serait bien trop simple, et que dépendre de Malsheem pour une telle tâche n’est pas foncièrement ce qu’il voudrait. Mais s’il s’agit là de leur seule chance, il la saisira à pleine main et fera tout pour qu’elle fonctionne.
Tout, pour elle.

« Anja » s’approche, toujours plus proche. D’une détermination qu’il espérait voir dans ses yeux, d’une envie, propre et choisie, de trouver des réponses. C’était tout ce qu’il attendait.

« J’aimerais que tu m’accompagnes dans ce voyage...et que tu m'aides... si tu le veux bien. »

Et cette demande parachève sa propre résolution. Aucune hésitation dans sa voix, désormais.

« Je serai là. À chaque seconde. » Impératif et doux à la fois, ses mains larges viennent, précautionneusement, saisir les siennes. « Je ferai tout mon possible pour te venir en aide, et que tu te retrouves toi-même. »

La gravité est solennelle. Un instant qui lui rappelle un autre, la sacralisation de leur départ de son village natal, peuplé d’ombres nocturnes en guise d’habitants. Des humains qui les ont suivi, niant leur rythme biologique, réserve de sangs et d’idolation. Libérés de leurs chaînes à leur départ, pour un premier voyage, à deux, puis en famille, achevé dans la douleur. Jusqu’à aujourd’hui.

« Je te l’avais promis… que je serai toujours à tes côtés. C’était il y a très longtemps. Et cette promesse tiendra à jamais, qui que tu sois. »

Son regard soutient le sien durant un temps indéfini. Il veut qu’elle comprenne que l’inverse n’est pas possible. Si ce n’est par rétention involontaire, de part son statut de prisonnier.

« Mais pour cela… Il faudra que je sorte d’ici. »

Un coup d’oeil aux murs impénétrables les entourant. Kolbeinn a pourtant le sentiment, fort de ce contact de leurs mains jointes, qu’il serait soudainement capable de les abattre.
User de toutes ses forces, et honorer son serment d’amour.
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