Dans les profondeurs du monde, naissent les tourments.
Dans la matrice d'une mère, vagit l'avenir.
L'un comme l'autre laissent les Soeurs-Pleureuses indifférentes.
Elles ne sont là que pour annoncer la Fin, jamais le Commencement.

L'accouchement d'Andr’héïa O’Fuaim fut laborieux. Le travail s'avéra aussi périlleux que douloureux. Débéctée pat la perspective de toute cette souillure humaine dans ses draps faeriques, Titania déporta la sorcière vers la seule personne connaissant les mystères de la reproduction chez les mortels : Urgèle. Assistée de Léann, le jeune vampire poète, elle aida la jeune femme à mettre bas dans sa propre cabane.
Pendant que la future mère luttait avec force pour libérer ses jumeaux, trois Banshees attendaient en silence dans leurs voiles noirs devant la porte de la Gardienne du Bosquet des Murmures. Dès lors que les deux enfants avalèrent leur douloureuse première goulée d'air et que le placenta fut expurgé,  l'une d'entre elle franchit le seuil de la maisonnée et pris les nourrissons dans ses bras blancs et décharnés. Sans un regard pour leur mère qui n'avait même pas pu la prendre dans ses bras, sans un mot pour apaiser ce déchirement viscérale, elle quitta les lieux sans jamais se retourner.
Alors, Soeur Caoin et Soeur Scairt firent à leur tour leur entrée dans l'espace étroit du logis.

- Soeur Aibhill  conduit ta progéniture auprès de leur père. A présent que tu es vide de toute manifestation parasite de Vie, tu peux te consacrer à la Mort. Lève-toi et suis nous.
- Elle tient à peine debout ! s'insurgea Urgèle.
- Silence, Bannie. La Maitresse-Pleureuse ne s'est pas adressée à toi. La souffrance de la perte est ce qui nous façonne, nous, les Voix de la Dernière Heure. Chaque entité psychopompe en passe par là. Elle a choisi cette voie, il est temps qu'elle l'embrasse.
- Lève-toi et suis nous, reprit Soeur Caoim, le timbre doux, mais ferme.

Impuissante face au sacré du pacte instauré, Urgèle et Léann ne purent que se faire spectateurs discrets de ce premier pas vers la métamorphose de la demi-humaine en banshee.

Urgèle se tût et abdiqua. La mère qu'elle était, et qu'elle avait aspiré à être au prix de sa faecité, ne comprenait pas le choix d'Andr'heïa : abandonner ainsi ses enfants, sa chair, son sang. La Gardienne du Bosquet des Murmure garda malgré tout le silence et laissa la jeune femme s'en aller.

Les deux Pleureuses attendaient la demi-banshee campées dans leurs voiles noirs nimbant leurs silhouette ténébreuses. Sitôt qu'Andr'héïa mis un pied en dehors de la masure que les deux créatures voltèrent et se mirent en branle, sillonnant au milieu des racines et des éternelles feuilles mortes sans jamais les faire bruisser. On aurait dit qu'elles traversaient le paysage sans jamais influer sur lui. La moitié de banshee, en revanche avait beau peiner, souffler, suer, ses deux ainesses ne ralentirent jamais la cadence.
Dans le cheminement demeurait la première épreuve, le premier pas vers la métamorphose.
Dans le dépassement de soi résidait l'essence même de la Banshee : s'oublier pour marcher aux côtés des morts ou de ceux, en sursit, qui n'attendaient que d'être fauchés.

Sans un regard en arrière, les deux Banshee conduisirent leur aspirante vers un ruisseau dont elles remontèrent le lit à contre-courant jusqu'à parvenir à une bâtisse ressemblant à s'y méprendre à un lavoir. D'ailleurs, tous les instruments d'une lavandière s'y trouvait à disposition. Les deux femmes voilées se tournèrent dans un seul mouvement vers la jeune mère dont la chemise de nuit était encore maculée de sang et de placenta.

- Déshabille-toi, ordonna alors la Maitresse-Pleureuse. Lave-toi des souillures de ton humanité, frotte ton linge comme ta peau de toute cette vie qu'ils ont portée.

Sous le regard voilé des Pleureuses, Andr'héïa se départit peu à peu des oripeaux de son humanité : regrets, chagrins, espoirs, violences, colère, amour... Tout se dilua dans l'eau froide du lavoir. Bientôt, elle ne grelotta plus, gagnée par une paix telle qu'elle ne l'a jamais connue. Elle sortit du ruisseau, et pour la première fois, Soeur Scairt fit preuve de mansuétude à son égard. Elle sèche sa peau nue avec une très grande délicatesse puis lui tend une tunique de lin noir.

La voix de la Maitresse-Pleureuse résonna alors jusque dans les replis de l'esprit de la métisse banshee.

- Bienvenue à toi, Novice Andr'héïa. Tu t'apprêtes désormais en entrer dans un monde de silence, de recueillement et de calme spirituel. Ne parle que si l'on t'y invite et jamais sans demander la permission. Ecoute, observe et apprends.

Soeur Caoim ouvrit alors une porte dérobée du lavoir qui ne se trouvait pas là auparavant et derrière s'offrit au regard un long boyaux d'obscurité qui semblait s'enfoncer dans les tréfonds de la terre. Un fil indienne, les deux banshees ouvrant et fermant la marche, la jeune sorcière fut conduite aux travers des ténèbres. Pour se guider, elle ne put que se fier à ses sens et en particulier à son ouïe. L'opacité regorgeait de murmures à peine audibles pour une oreille humaine mais dont désormais, elle entendait les chuintements au creux de ses tympans. Ils lui étaient encore indécryptables mais bel et bien présents.
Bientôt, la lumière revint, ténue, étouffée, lunaire. Les trois femmes entrèrent dans un grand jardin entretenu par d'autres femmes voilées de dentelles noires qui œuvraient dans un silence monumental. D'autres, lavaient du linge et l'étendaient sur des fils d'argent. Une forte odeur de lavande flottait dans l'air. La végétation, les édifices, l'univers souterrain dans laquelle Andr'héïa avait échu semblait dépourvu de la moindre note de couleur. Tout y paraissait décliné en monochrome de gris.

- Te voici chez toi à présent, pour les temps à venir. Soeur Scairt va te guider à ta chambre pour que tu puisses t'y reposer. Nous ne dormons ni ne nous sustentons de la manière dont les humains l'entendent. Néanmoins, ton cas étant particulier, nous feront en sorte que tu puisses entretenir ce corps toujours mortel. Ton éducation commencera dès demain.

D'un mouvement de tête Soeur Scairt lui intima de la suivre.

Soeur Scairt glisse sur les pavements sans paraitre les effleurer. Sous son voile de dentelles ténébreuses, son visage semble bien moins décharné que celui de la Maitresse-Pleureuse. Sa chevelure d'un blanc immaculé coule jusqu'au sol et donne l'impression de flotter, comme tout le reste de sa personne. Les Banshees forment un balai spectrale et muet.
Dans ce monde silencieux où rien ne semble produire de bruit - pas même la porte de l'espèce de prieuré qu'ouvre Soeur Scairt - Andr’héïa parait être la source d'une cacophonie insupportable.

Les deux femmes gravissent un escalier en colimaçon et débouche un corridor austère où perce à peine la lumière diaphane de l'extérieur. Son guide pénètre une petite chambre monacale où ne figure que l'essentiel pour un humain : une paillasse, un baquet rempli d'eau, un pot de chambre. Nulle décoration, pas même une plante ou un bureau. Le strict minimum essentiel.

- Nous avons aménagé cette espace pour toi. Néanmoins, nous ne sommes plus au fait des usages des vivants, donc, s'il te manque quoi que ce soit, fais-en moi doléance.

Un silence s'étire.

- Parle-moi de ta mère, de ta lignée, lâche soudain la banshee à brûle pourpoint. Je veux savoir qui t'a transmis le Cri.