Son regard se perd, et le mien se perd avec le sien. J'essaie de ne pas penser à tout ce que je suis en train d'emmagasiner. Je ferme les yeux, respire à fond, me détend, petit à petit. Je laisse mes mains s'enfoncer dans le sable, je laisse le vent me caresser le visage. La jeune voix parvient à mes oreilles et me fait sourire. On dirait la demande d'une jeune femme à son grand frère.

"Je t'apprendrai."

Et je n'ai qu'une parole. Cette phrase s'inscrit au fer rouge dans ma mémoire et rien ne pourra l'en déloger. Malgré mon pouvoir défaillant, c'est quelque chose que je ferai, j'en suis certain.

Petite intrépide. Je la regarde encore et l'imagine plus jeune, avec moins de soucis dans son regard juvénile, encore indécise, et avec toute la vie devant elle. Elle a dû en déranger, des ours, des renards, des trolls des montagnes...

"Quand une chèvre vit dans la tanière du lion, méfies-toi de la chèvre !"

Oui, ma manière personnelle de lui dire que ce n'est pas de moi qu'elle aura des réprimandes. Je déchante quand elle me demande ce que j'ai bien pu faire comme bêtises, et déchante encore un tout petit peu plus, jusqu'à pâlir (encore un peu plus) de sa question désarmante. Se pourrait-il que... non ! Elle a vécu, avant ! Elle...

Baphomet, putain, elle est seule, comme toi ! T'as mis à peu près 1000 ans, littéralement, à faire ta première fois !

"Je parle de relations charnelles dans le but de procréer ou simplement avoir du plaisir."

Mal à l'aise, je passe ma main dans ma nuque.

"Mes bêtises à moi sont plutôt de cet ordre-là. Mais je peux en trouver d'autres, si tu veux !" Rien dont elle ne comprendrait l'essence, j'en ai peur. Il faut que je remonte 1500 ans en arrière. Je remonte laborieusement le fil avant de me retrouver en 500 après J-C. My goat, ça ne me rajeunit pas. "Un jour, j'ai empêché un feu de forêt avec une jeune fille..." Je lui dédie un sourire. "Non, j'ai vraiment besoin de savoir avant de te répondre, je suis navré."

Voilà qui explique qu'elle n'ait pas du tout eu peur de ma forme. Elle est trop pure pour cela. Oh oui, elle est pure, et innocente, une vraie de vraie comme j'en avais rarement vue.

"Oui, j'ai pu voir que la peur n'était pas un sentiment très développé ni valorisé chez toi... et c'est très bien ! Si tu avais eu peur de moi, nous ne serions pas sur cette plage en train de parler tranquillement."

Sincèrement ? Elle aurait dû fuir, loin, sans se retourner, pour son bien. Elle ne l'a pas fait, et je lui en suis silencieusement très reconnaissant.

Là, je suis partagé entre l'envie de rire bêtement, et l'envie de vénérer ce petit bout de femme que la vie n'a pas encore cabossé. Non, sérieusement, vous pensez que j'en ai vu souvent ? C'est comme les licornes ! Ou l'efficacité administrative ! C'est un pokémon légendaire !

Une partie de moi est très attirée par elle... Non, pas de cette manière-là ! Mais tout de même. J'envie cette force, autant que cette faiblesse qu'elle a. La vie semble être beaucoup plus simple ainsi, n'être que volonté, et pas désir.

"Hé bien..."

Ah oui, je ne peux plus reculer, là. J'étouffe un nouveau rire. Si on m'avait dit ce matin que j'allais donner un cours élémentaire d'éducation sexuelle, je serais descendu de mon dragon domestique pour lui expliquer la vie. Allez, c'était mon fond de commerce fut une époque !

Bon, d'accord, je me lance.

"C'est..."

C'est moi ou je rougis !? Après avoir passé des semaines à devenir de plus en plus pâle, on dirait que j'en suis encore capable.

"Alors je ne sais pas si cela t'es déjà arrivé ou pas, ou si cela t'arrivera jamais... Cependant, il arrive qu'une personne soit très attirée par une autre, dans le meilleur des cas, c'est réciproque. Dans ton corps, il se passe des choses qui font que tu te prépares à... avoir des bébés. Tu peux être attiré par une femme ou un homme, parce que le désir et l'envie de conception n'est pas la même chose, cependant, ils répondent au même acte : l'acte charnel."

Nous y voilà...

"Jusque-là, tu me suis ?"

Moi ? Lâche ? Tout à fait !

Elle sait comment on fait des bébés ? Je souffle de soulagement. Bon, si on lui a mal expliqué, au moins ce n'est pas ma faute ! J'écoute ses explications et... de la magie ?

J'éclate de rire, un vrai de vrai fou rire comme ça m'était encore rarement arrivé. Il n'y a rien de moqueur, juste... une sorte de libération... mais cela se transforme vite en quinte de toux, et je me calme presque immédiatement. J'essuie le coin de ma bouche et grimace en voyant mon pouce paré d'une tâche carmine.

Une partie de moi a trèèèèès envie de dire "Oui, c'est ça, la magie, les p'tits poissons, les cigognes, les roses et les choux, parfait, tu sais tout ! Chamallow ?" mais une autre partie de moi, la plus sage, se rebelle à cette idée. Non, il faut aller jusqu'au bout de l'explication... D'une part, je suis sans doute le seul à pouvoir le faire en l'état actuel des choses, et d'autre part, elle est certainement la seule à qui j'expliquerais jamais comment ça fonctionne.

Après tout, j'aurais aimé avoir eu un cours, moi aussi, ça m'aurait changé la vie !

Bon, allez, je suis un professionnel bénévole. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?

Je prends donc une voix beaucoup plus calme, et plus... enseignante ? Ça se dit, ça ?

"Alors oui, c'est ce qui s'est passé pour Urgèle et Merlin, effectivement. Cependant, ils ont dû faire... d'autres choses pour procréer... Tu as déjà vu tes parents s'embrasser ?" ... ou plutôt s'embraser ? Chut, tais-moi ! "Bon, l'acte charnel, appeler aussi "faire l'amour", ou encore "avoir des rapports sexuels", c'est l'action d'avoir un contact physique avec une autre personne dans le but de se donner du plaisir. Traditionnellement, il s'agit de mettre ses parties intimes en contact, mais il y a beaucoup de choses différentes qui peuvent être très plaisantes. Le désir charnel est juste l'envie de faire cet acte charnel, sans désir de conception plus que cela."

Bon, une petite explication, tout de même.

"Tu peux éprouver du désir pour n'importe qui, personne du même sexe, ou du sexe opposé. Il ne faut pas que tu en aies honte. Je te le dis parce que certaines personnes voudront te faire croire que c'est mal. Rien n'est mal dans le désir." Là, j'ai très envie de digresser sur les péchés capitaux, et sur leur erreur de traduction latine... mais on va éviter... pour le moment. "La chose la plus importante est de demander avant de faire l'acte en lui-même, et qu'on te demande aussi, d'ailleurs. Les personnes plus expérimentées savent à peu près d'instinct quand c'est le bon moment, mais si tu ne sais pas, demande."

Les premières étoiles apparaissent. Je pense qu'on va avoir une sacrée discussion, toute la nuit. Est-ce que ça me fait peur ? Pas du tout, bien au contraire !

"Avant d'entrer dans le vif du sujet, as-tu des questions ?"

Ow … une fois … sur la joue…

TORRIDE !

Mesdames et messieurs, nous avons nos moneyshots pour les prochains films X du moment ! En attendant, elle a trouvé une comparaison qui fonctionne plutôt bien.

“Ouais ! C'est comme de vouloir manger une nourriture en particulier. Imagine quelqu'un te touche le bras, est-ce que tu pourrais me dire par qui tu aurais envie d'être touchée ? Sans jugement aucun... ou même me le ou la décrire ?”

Aloooooors… nous y voilà !

“Quand un homme et une femme compatibles, venant du même monde par exemple, font l'amour, la femme peut tomber enceinte de l'homme et avoir un enfant dans son ventre. Certaines personnes n'ont de rapport que dans ce but. D'autres, dont je pense… être…la plupart… ont des rapports pour le rapport en lui-même. Certaines personnes ne ressentent pas de désir, jamais, et pour d'autres, c'est une obsession.” arrêtez de me regarder "Il y a un spectre trop grand et trop de spécificités pour faire des règles générales."

À un detail près.

"Sauf celle sur le consentement, bien sûr."

Ouuukay… la suite ! Chaud devant !

“Les parties intimes sont le sexe, pénis pour un homme, vulve pour une femme, ou tout autre zone de ton corps qu'il te plaît de toucher ou où tu aimes être touchée. De cet ordre-la, sais-tu ce que tu aimes ?”

Hey, m'en sors pas trooooop mal !

Je hoche la tête en la regardant intensément. Il n'y a aucune envie de cette nature dans ses yeux, elle n'a pas encore été abîmée par la souffrance du désir, par la sensation de la jalousie ou de la frustration. Elle a encore cette simplicité, propre à l'enfance. Sincèrement, en cet instant, je l'envie atrocement.

“Non, les bébés naissent avec le sexe. Navré.”

Ça fait toujours un ‘truc’ d'apprendre ça, que chaque être vivant partage au moins cette certitude : ils sont le résultat d'un orgasme.

Mon sourire s'agrandit à sa question.

“Parce qu'on ne maîtrise pas son désir, et aussi et surtout parce que c'est une activité vraiment très agréable. À titre personnel, cela me manque énormément…”

Je secoue doucement la tête.

“Ce n'est pas grave. Tu n'as pas à te prendre la tête pour cela pour l'instant. Au moins tu es prévenue. Peut-être que ça t'arrivera un jour, peut-être que non, ou peut-être que ton désir se trouve dans un aspect que tu n'as pas encore expérimenté, tout cela n'a absolument aucune importance…”

Je tique.

“Mais… sache que tu peux être la cible du désir de quelqu'un…”

Surtout dans un monde post-apocalyptique où tout le monde semble baiser avec tout le monde.

“Tu es une fille très mignonne et je n'aimerais pas que tu te fasses abuser à cause d'un excès de confiance.”

En fait, si ça lui arrive, je creuserai la tombe de cette abjecte personne, c’est aussi simple que cela.

“Est-ce que tu souhaites en savoir encore plus ? Cela doit te paraître bien mystérieux.”

Fuck... elle a l'air triste. C'est un gros morceau à avaler, j'en conviens... ne riez pas au fond !

Puis, je la regarde, interdis. Cette question est sans doute l'une des plus compliquées qu'on m'ait posée depuis longtemps. Mais... je suis content que quelqu'un me la pose étrangement. C'est peut-être peu, mais c'est important.

"Hé bien..." Allez, c'est le moment ! "Non, je ne peux pas." Bon, il faut être plus explicite. "Vois-tu, je ne peux pas faire cela avec quelqu'un pour qui je ne ressens pas des sentiments très profonds. Je l'ai beaucoup trop fait pour 'faire plaisir' aux autres, et en fait. J'ai servi d'exutoire, et ensuite, les personnes préféraient toujours m'oublier... et cela me fait mal. Cela ne me convient pas. J'ai besoin de quelqu'un d'unique qui ressentira des sentiments sincères envers moi, peut-être pas équivalents, parce que c'est impossible, je pense, mais au moins qui me sera fidèle. La fidélité du corps, comme celle du cœur." Mon regard se porte à l'horizon et une lueur brisée passe dans mes yeux. "C'est-à-dire... j'ai l'impression que quelqu'un me manque cruellement, je ne sais pas qui, je ne sais pas où est cette personne actuellement, et à dire vrai, je ne sais même pas si elle existe pour de vrai." mon regard glisse sur le sable. "C'est insupportable."

Un corbeau ne peut pas survivre sans sa moitié. Il se laisse mourir. C'est ce qui est en train de m'arriver. Cette fois, mon regard est rivé sur mes pieds qui s'enfoncent dans le sable.

Sa nouvelle question me ramène à nous, et loin de mes propres problèmes. Heureusement.

"Oh non, il ne faut rien du tout. Si tu es heureuse ainsi, c'est très bien. En aucun cas, c'est une obligation. Mais... Oui, si tu veux essayer, il faut que tu trouves quelqu'un de spécial pour toi. Tu as tout le temps du temps, ne te précipite pas. La première fois est toujours unique."

Je dodeline de la tête. Je ne suis pas mal à l'aise, j'ai eu cette conversation des milliers de fois avec mes employés. Le problème est que mes employés étaient expérimentés, pas Kithiel.

"Tu n'as pas peur, tu es curieuse. Je trouve que c'est une force. Cependant, si quelqu'un souhaite faire cet acte charnel avec toi, mais que tu ne te sentes pas prête, il ne faudra pas que tu hésites à le lui dire explicitement. S'il ne te respecte pas et essaie de te forcer... appelle-moi. Par pitié, appelle-moi ! Je m'en occuperai. Ainsi, tu n'auras pas à te méfier de qui que ce soit."

Je passe ma main sur son épaule, comprenant parfaitement cette sensation de ne pas être à sa place, de ne plus reconnaître son monde, d'avoir absolument tout perdu et de ne pas être apte à se reconstruire.

"Oh oui ! C'était mon métier avant. Il y a beaucoup de chose à savoir sur les rapports charnels. Par exemple, et c'est très important, tu peux transmettre des maladies, et tu peux te protéger de ces maladies. Attends..."

Je me lève et me dirige d'un pas raide jusqu'à mon coffre. Ma tête me tourne, je me demande si je ne vais pas rendre les quelques Chamallows que j'ai mangés. Non, tout va bien. Mon coffre regorge de petites fioles mémorielles à l'aspect alambiqué. Elles sont toutes étiquetées, mais contrairement à mes étiquetages d'avant, le nom n'est pas celui à qui le souvenir appartient, mais celui à qui il est destiné.

Pour Lexi... Pour Pop's... Pour Saphir... Pour Belle Plante... Pour Ji-Ga... et même Pour Bélial... et de très très nombreuses autres. Je me dis qu'il en faudra que j'en fasse une pour Kithiel, je choisirai une jolie bouteille, et je la ferai quand je serai en paix. Je cherche à l'intérieur et en sort un sachet avec une unique feuille séchée à l'intérieur, et un emballage carré métallisé caractéristique. Je reviens m'asseoir.

"Si jamais tu jettes ton dévolu sur un mec, ou du moins, un être doté d'un pénis, tu vas utiliser cela. Cela s'appelle un préservatif. C'est un genre d'emballage qu'il met sur son sexe et qui permet d'éviter que tu tombes enceinte, ou que tu n'aies des maladies."

Je regarde la feuille, unique, dans son sachet, et hésite un instant avant de demander.

"Ton pouvoir te permettait-il de faire naître des plantes à partir de fragments de ces plantes ?"

A ses encouragements, je ressens de la tristesse, une grande tristesse. Je sais que j'ai foiré à ce niveau, et un gros foirage bien en règle comme seul moi en ait la règle. Non, s'il y a eu quelqu'un pour moi, je l'ai déjà rencontré, et je l'ai probablement déjà fait fuir ou déçue.

“J'espère surtout que tu trouveras quelqu'un pour toi.”

Je pose ma main sur la sienne. Il ne faut plus s'en faire pour moi. J'appartiens au passé. Elle est le futur, c'est d'elle dont il faut s'occuper. Mon sourire se pare d'un éclat.

“Prononce mon nom avec ferveur trois fois et j'apparaîtrais. C'est aussi simple que ça.”

Un pacte avec un démon.

“Vraiment, appelle-moi, ne te laisse pas faire ! Ton corps t'appartient !”

Je ne vais pas me laisser enflammer pour une histoire qui n'existe même pas. Je me calme… tout va bien. Parlons protection alors ! J'hésite à lui donner une arme en plus. J'hésite encore.

“Alors… oui. C'est effectivement assez agréable pour que certains fassent fi des maladies. Avec ce machin, ça te protégera. Au moins, ça te permettra de connaître tout cela sans conséquences, enfants ou maladies… mais si TU le veux uniquement !”

Elle regarde ma feuille, la seule et unique qu'il me reste.

“Ce n'est pas grave. Seulement… si tu y arrives un jour, penses à moi. En attendant, je vais t'aider à t'entraîner.”

Je me demande quelles choses je pourrais lui faire découvrir, des choses plus réjouissantes.

“Raconte moi comment c'est, ton monde, s'il te plaît.”

Avec le temps, oui. J'espère que cet aspect de sa vie se passera bien pour elle. C'est sincèrement tout ce que je lui souhaite, qu'elle se trouve quelqu'un de bien, qui la respecte, qu'elle aimera vraiment et que tout cet amour lui sera retourné. Si tant est que qui que ce soit puisse mériter quoi que ce soit en ce monde, elle mérite cela.

"C'est plutôt toi qui as le pouvoir de m'invoquer, en l'occurrence."

J'hoche la tête, lentement.

"Les démons, comme beaucoup d'êtres d'ici ou d'ailleurs, ont de nombreux pouvoirs étonnants. J'aimerais beaucoup t'en faire la démonstration..." J'ai un sourire qui se veut apaisant. "...Peut-être... quand... je serai plus en forme, d'accord ?"

Malheureusement, ils perdent en efficacité, en puissance, et en précision à chaque fois que le soleil se couche, et à chaque fois que le soleil se lève. En fait, je perds moi-même en volonté. Cependant, si elle appelle, je serai là, même si la téléportation doit épuiser ce qu'il me reste de force vitale.

"Je te remercie. C'est tout ce qu'il me reste d'un traitement à long terme, et je pense que je n'avais pas pensé à quel point j'en suis dépendant."

Au moins maintenant, j'ai une porte de sortie, même si ce n'est pas pour tout de suite. Je n'ai pas envie que cette mémoire s'accumule, se tortille, se confond, à l'intérieur de ma tête, et que ça dure jusqu'à mon dernier souffle. J'ai envie d'être en paix.

"Nos mondes sont en train de fusionner, mais je veux connaître le tien, d'où tu viens. S'il y a des animaux similaires, j'aimerais savoir les races qui peuplent l'endroit d'où tu viens, les animaux fabuleux, les plantes, les environnements. J'imagine qu'il y a eu des histoires politiques, des guerres internes, ce genre de chose."

L'envie de lire sa mémoire est grande, très grande, mais je préfère qu'elle me raconte avec ses mots. Je lui tends le sachet de Chamallows comme on tend un bon verre de whisky avant une bonne histoire.

Je tique, j'aimerais lui dire que non, que c'est ce que d'autres appellent "une drogue" et que c'est mal d'en fumer ou d'en consommer... Mais je ne peux lui mentir, ni me mentir, depuis que j'ai été forcé d'arrêter, ma mémoire est tellement pleine dans ma petite tête que j'ai l'impression qu'elle peut éclater à tout moment. Comme un réflexe, je porte ma main à mon nez pour vérifier qu'il ne saigne pas.

"J'en ai peur, oui."

Son enthousiasme me fait très plaisir. J'ai même un petit éclat de rire.

"Chaque chose en son temps, ma grande ! Ne va pas trop vite. Tu pourrais vite perdre ce que tu as obtenu avec ta tentative d'aujourd'hui si tu es trop dure avec toi-même. Tu y arriveras, j'en suis convaincu."

Finalement, je m'allonge dans le sable, un bras derrière la tête, les yeux vers les étoiles. Le fait qu'elle ne soit pas "en politique" ne m'étonne pas vraiment. Le contraire m'aurait surpris. Je la sens trop légère pour se faire prendre dans les mailles d'un tel filet.

Mes yeux se tournent vers elle au moment où elle s'apprête à dire la suite. J'aimerais voir la Faerie de cette époque, celle de l'insouciance. À nouveau, j'imagine cette jeune fille en train de se précipiter tout droit vers un danger quelconque, et le danger de se sentir tout indélicat face à cette intrusion ingénue et inattendue. Sans rire, je pense qu'elle aurait pu désarmer un ours.

D'un geste du bras, j'invite Kithiel à s'allonger près de moi.

"Tiens, je vais t'apprendre un truc ancestral. Les étoiles dans le ciel forment des dessins qui permettent aux gens de se repérer. C'est une chose que la jeune génération n'a plus besoin d'apprendre, mais à notre époque troublée, c'est important. Quand la nuit tombe, les étoiles et leurs dessins bougent, d'une heure à l'autre, d'un jour à l'autre, et d'un mois à l'autre, à l'exception d'une seule, celle-ci."

Je montre l'étoile polaire qui vient d'apparaître, la première, toujours.

"J'ignore si tu sais ce que sont les points cardinaux, mais celle-là indique le nord, toujours. C'est la première à apparaître, la dernière à disparaître. On l'appelle le "pivot du ciel", ou l'étoile polaire. Ainsi, tu sauras toujours te repérer si jamais tu as besoin de savoir où est le nord."

Cependant, je la sens suffisamment proche de ses instincts d'aventurière pour pouvoir se passer de ce genre de renseignements et simplement savoir revenir sur ses pas... Mais le monde, lui, bouge sans arrêt. Avoir des choses fiables qui nous servent de point de repère peut s'avérer précieux.

Oh… si elle pouvait réellement faire cela, je pense qu'elle aura ma reconnaissance plus qu’éternelle. Je pense que je passerai un vrai pacte à l'ancienne avec elle, oui, avec l'agneau, les bougies et le sang de vierge ! Bon, je débloque un peu, je sais…

Je regarde les étoiles avec elle et j'embrasse cette formidable sensation de se sentir tout petit. Chaque respiration semble être plus facile, et m'apaiser un peu. Après l'incendie de tout à l'heure, j'en ai vraiment besoin.

“Ah oui ?”

Son père lui a parlé des étoiles, mais pas de moyens de reproduction. Chacun ses priorités, j'imagine.

Les dessins ? Oh, soit. Je lève la main vers le ciel pour commencer à montrer les étoiles qui apparaissent paresseusement.

“Alors, les étoiles en forme de sablier, avec les trois étoiles au centre qui brillent, c'est Orion. Celle-ci, en forme de W, c'est Cassiopée. Tu as celles-là en forme de casserole qui s'appellent la grande ours. Là-bas, c'est Vénus, la planète. Elle forme un pentacle parfait, jour après jour. Jous les quatre ans, et quand elle atteint sa pointe, les Grecs lancent les jeux olympiques.”

Je regarde la jeune femme.

“Ce sont des compétitions sportives, et les Grecs sont un peuple avec une très grande culture ancienne. Je suis persuadé qu'aujourd'hui, plus personne ne connait l'histoire de Vénus et de cette étoile qui se dessine.”

Mes yeux se perdent à nouveau dans la contemplation des étoiles. Je recherche des anecdotes dans cette atmosphère apaisante.

“Il y a une croyance selon laquelle la position des étoiles lors de la naissance déterminerait son caractère, et son avenir.”

"Oui, ce sont des compétitions sportives. Par exemple, on fait courir des gens le plus vite possible, et le plus rapide gagne. C'est... c'était... une manière de rendre hommage à leur corps." On ne peut pas dire que ce soit la même chose aujourd'hui. "À l'époque, c'était réservé aux hommes et certaines femmes se faisaient passer pour des mecs pour y participer. Peu après cela, il a été décidé que les participants devaient faire leurs épreuves totalement nus."

Oui, cette histoire me fait rire. Mais bon, revenons-en à nos moutons.

"Vénus, cette petite étoile très brillante n'est pas une étoile, c'est en réalité une planète recouverte de nuages, c'est pour ça qu'elle réfléchit autant la lumière, et aussi parce qu'elle est très proche de nous. On l'appelle l'étoile du berger parce qu'on dit qu'elle marquait la fin et le début du travail d'un berger..."

Je regarde à l'horizon et me rallonge.

"Il existe aussi la constellation du chien, mais on ne la voit pas en ce moment. Elle n'apparaît que par temps très chauds, d'où le terme de canicule. Canis, le chien, en latin."

Nous continuons et passons d'astronomie à de l'astrologie.

"Oui. C'est une croyance populaire très ancrée. Si tu connais ta date de naissance... de ce monde, je pourrais te dire quel signe tu es."

Mes yeux rejoignent le ciel.

"Moi aussi. Sincèrement."

Mes yeux se perdent un instant et les étoiles deviennent floues.

"Je suis persuadé que tu as un bel avenir devant toi. Déjà, tu m'as trouvé, c'est un excellent point. Avec moi, il est impossible que tu t'ennuies, désormais, je peux au moins te faire cette promesse."

Ah tiens ? Il faut croire que je vais un peu mieux ...

"Est-ce que tu penses que tu vas retourner en Faerie ?" Je secoue la tête... On va préciser la question. "Je veux dire... tu aimes observer, découvrir, tu es curieuse et tout. Du coup, tu préfères découvrir un monde inconnu, ou est-ce que l'idée de retrouver ce que tu connais déjà est préférable ?"

Je me tourne vers elle, appuyé sur un coude. Pour une raison qui m'échappe, la réponse à cette question est très importante.