I will hold you,
I will feel your every touch

You will taste it in these muscle cords
Feel it in the way I fill you

Il est presque 20h.
Trop tard pour l'honnête travailleur, trop tôt pour Ainselsborough. Le quartier ne porte pas encore ses résilles et son maquillage néon, il ne résonne pas de rires festifs et de verres qui s'entrechoquent. Il y a ce Ainselsborough jeune, friqué et déluré qui arpentent les artères en rois-soleils fringuant, factices, et puis, il y a ces ruelles plus intimes, ces impasses sombres, organiques, bordées de chair et de dentelles. Les reines véritables sont là, dépourvues de couronnes mais aiguilles aux pieds, martelant le pavé avec leur morgue en corset.

Pour le moment, le monde est entre deux heures et l'excitation enflamme ma poésie à deux balles.

J'ai reconduit Sorin au métro, et maintenant, je n'ai qu'une idée fixe : Toi. Je me rends compte comme j'ai la poitrine qui brûle et les godasses fébriles. Je cours presque pour te retrouver. Le chemin, je le connais par coeur. Entre la maison de Earl et ton appartement, il n'y a qu'un petit pâté d'habitations tortueuses, l'envers du décors chatoyant. Tu habites au dessus d'un resto chinois d'où remonte les vapeur épicées de bouffe orientale, et de et je me dis que c’est sans doute pour ça que tu te shootes aux chips aux crevettes non-stop. Je salue le taulier d'un hochement de tête familier, avant de pénétrer la cage d'escaliers jouxtant l'enseigne. Je grimpe quatre à quatre, tellement j'ai la dalle de te revoir. Portant, en arrivant devant ta porte, je suis pris d'une timidité trouble.

Peut-être que t'es occupée.
Peut-être que t'es sortie.
Peut-être que t'es avec quelqu'un, là.
Peut-être que tu t'en fous.

Peut-être que je ne t'ai pas manqué.

Je me mordille la lèvre inférieure. Depuis quand je m'emmerde de ces trucs ? Je frappe plusieurs coups déterminés, sur la porte qui en bave un peu sur ses chambranles. Je réfléchis, le temps que tu ouvres -ou que tu n'ouvres pas ?- à comment je vais introduire la fin de mon absence silencieuse. "Hey salut ! La connasse qui t'a abandonnée toute seule avec ton propre deuil à gérer est de retouuur ! Un bisou ?"

Peut-être que t'es fâchée.

Quand je te vois apparaître sur le seuil de la porte, j'en perds mon anglais, comme mon roumain. Mon sac d'offrandes ( chips crevettes, bières, vodka, fraises tagada et autres bonbon "qui piquent"...) tombe sur le paillasson avec un petit bruit étouffé. Je t'enlace brutalement, les mains avides de se remplir de toi. Je manque de te faire chavirer sur le palier. Je te respire à pleins poumons.

Un véritable camé.

Je réalise que je n'ai absolument pas fait les choses dans le bon ordre. Je m'écarte avec un petite rire gêné.

- Ahum.. Salut... Tu m'as manquée, j'crois.

Aveux offert avec le regard lumineux et un sourire intense.

C'est moi le putain de néon, en fait...

Une semaine et trois jours.
Sept et trois.
Dix.
240 heures, 14400 minutes.

J'ai pas l'habitude de m'attarder sur les détails. C'est juste que là, le temps me paraît long, trop présent, trop ennuyant. Trop. Comme dépossédé d'un truc qui faisait que les aiguilles des cadrans pouvaient, tout d'un coup, défier la vitesse du son.
Tout s'égraine lourdement. Gouttes de plomb.

C'est parce que j'suis toute seule, peut-être.
Et que la ville est trop grande, trop dépeuplée.

Y'a que les feux des phares de bagnoles pour se sentir entourée.

Avec Milady, on a fait des heures supp' pour s'occuper l'esprit. On a pas chômé, elle et moi. Son bois lustré a fait bander les musicos du coin, j'me suis fendue de concerts improvisés aux quatre coins de Tir Nà Nog pour me forcer à sortir de chez moi. Pour ne pas penser. J'ai gratté du Oasis à m'en fendre les cordes vocales.
Ma façon d'appeler à l'aide, peut-être.
J'avais des trucs à faire. Énormément de trucs. Tout les jours, tout le temps. Chaque minute pesante était affairée, pas le temps ni l'envie de respirer.

J'ai poursuivie l'enquête. Je suis sortie. J'ai rien trouvé. J'ai continué de chercher. Pas de trace de cet enfoiré. Il m'a laissée sur le carreau en plein hiver pour se tirer sans procès. C'est bien beau de jouer au méchant en lettres de sang, mais j'ai besoin d'affronter mon boss final, moi. C'est vrai, quoi.

Tu parles d'un « père. »
Ça ruine des vies et ça se casse.

Et le reste ? Le reste... Le reste, ça vit en moi. Ça ne partira pas. Ça restera comme ça.

Parce que, rien n'est arrivé.
C'est pas grave, pas vrai ?
Les gens vont et viennent,
Comme les hasards de la vie.

Alors moi, j'ai tracé. J'ai pas eu ce temps de repos, ce moment où on s'arrête pour regarder et contempler le massacre derrière soi. J'ai jamais fais ça. J'ai la gueule en avant, martelée des mains des cadavres qui me suivent à la trace.

Maman.
Antoine.
Regardez-moi.
Vous n'avez plus que ça à foutre, de toutes manières.

19h00. Mes pas bottés martèlent les pavés, fatalement légers. J'ai mon bonhomme de chemin tracé sous mes pieds. Un crochet au resto, là où mon noich préféré me fait cadeau des restes. Avec sa tronche de sharpei dégarni, je sais que c'est un bon bougre.

« Hey Wong Jin, ça farte ? Dis, t'aurais pas du poulet à la citronnelle ? S'teuplaaaaaaiiiiiiiit ! »

Grand sourire de petite fille qui a méchamment la dalle. Mon pote abdique et me file mon sac qui sent bon les épices et je lui colle un pouce en l'air. Quand j'aurai assez de fric, je lui rembourserai toute mon ardoise.

Techniquement, j'ai assez pour racheter sa bicoque.
Mais je vais pas salir son établissement avec ça. Sa cuisine est trop bonne pour puer la mort.

Je m'enferme chez moi, escaliers grinçants grimpés quatre à quatre. Milady va reposer dans son coin préféré et je dépiaute mon poulet devant le journal du soir.
L'heure passe. J'ai clopé plus que de raison. Ça couvre l'odeur du citron.

Je fixe les étoiles grimpantes. Et ça tonne à ma porte. Des coups secs et bruyants. J'écrase mon énième bâton et je saute dans un fut' pour aller ouvrir. Si c'est le proprio, j'suis pas dans la merde.

Mais non.
Non, évidemment.

Je te vois. Bien en vie. Debout devant moi. Le temps se fout de nous.
T'es là, aussi ému-e que ma bouille se fend de l'expression de surpris la plus pure. T'es ici, avec ta gueule de jeune premier, à me serrer comme si j'étais celle qui s'était barrée. Celle qui avait besoin de consolation.

Inverse pas les rôles, hé. Moi, ça va !

« … T'es revenue... »

Petite voix perdue dans les abysses.

Pardon Ciu.
Pardon de, pendant quelques secondes, ne pas l'avoir cru.

Tout remonte. Ça pique les yeux.

C'est comme un pansement qu'on arrache sur une blessure encore fraîche.
Je close les paupières, me gorge de toi. Mes paupières tremblent alors que mes bras te rendent l'étreinte, que mes doigts s'accrochent frénétiquement à ta tangibilité.

Et ça sort.

Je chiale tout ce que j'ai. Sans retenue aucune. C'est sonore, profond. Joie ou colère, j'en sais rien, sans doute les deux. Sans doute autre chose. Peut-être tout un tas d'émotions en branle que je me suis évertuée à cacher.

Parce que j'ai pas su gérer. Et que j'en serais sans doute jamais capable.

Je morve ton cuir, gonfle mes cernes à grands renforts de larmes salées. Puis je te regarde, et t'embrasse comme je ne l'ai jamais fais. Un échange au goût de deuil et de liberté.

J'ai mal au cœur, Ciulin.

J'écarte un peu, m'essuie la gueule à coups de poignet. Le rimmel va couler, avec tout ça.

« P'tain, hmph... »

Et j'te souris, comme si c'était rien. Comme si t'étais juste sortie acheter du pain et que ma crise vient du dernier épisode d'une série qui m'a tourneboulée. Parce que rien n'est grave. Rien ne doit m'arrêter.

Restons jeunes et connes, tu veux ? Retrouvons-nous.

« … T'as intérêt à m'avoir rapporté un renne en peluche hein... »

Tu m'as pas manquée, connasse. T'étais au-delà de ça. Y'a pas de mots assez fort, j'crois.

- … T'es revenue...

Petite voix, ténue, paumée dans les plis de mon cuir abîme. Tu me ramènes à toi, serrant fort, à en perdre ta respiration. Tu suffoques. Non...

Tu pleures.

Mon coeur se fend.

- Je.. J'aurais jamais du t'laisser toute seule. Mais, j'arrivais pas à... à...

La fin de ma phrase se meurt dans un coin de gorge serrée. Je n'arrive plus à parler. Je te couvre d'une poigne muette, yeux fermés. Promesse, je ne te lâche plus. Front, à front, je ne tente pas de faire taire les sanglots. C'est sain, de purger. Moi aussi, je l'ai fait, dans des bras solides pour retenir mes fondations lorsqu'elles s’effondrent. Laisse-moi être les tiens, tu veux bien ? J'embrasse tes joues mouillées. J'happe tes lèvres déformées de chagrin. Baisers salés, parfum eye-liner.

Respire,
Respire mon amour...

- Chuis là, maintenant... Chuis là.... J'pars plus. Pas sans toi, 'tous cas.
- P'tain, hmph... … T'as intérêt à m'avoir rapporté un renne en peluche hein...
- J'ai juste de la vodka aux tagadas et des chips aux crevettes. J'y r'tourne ou bien ? Sourire en coin, tout en levant le pouce vers le corridor extérieur. Je t'aide à te débarbouiller la gueule du bout des doigts. Par contre, j'ai vu des trucs extraordinaires...

J'attrape le sac de courses et je ferme la porte sur nous, dans la tranquillité tiède d'un appart qui sent la clope et les restes de pâtés impériaux.

- Et j'ai des trucs à te dire, aussi. Je te prends la main. Vraiment important....

Il est temps de devenir "un peu" grands.

Je suffoque encore un peu, essayant de rattraper une bouffée d'air. Puis une autre. Et encore une autre. A tout ça se mêle ton parfum. Ça m'apaise immédiatement. Il ne me faut pas plus pour débroussailler le chemin de mon souffle des ronces qui le tailladent.

Un, deux, trois... Les secondes se passent et j'ouvre à nouveau les yeux. T'es là. Ton front contre moi. Tes mots qui glissent et qui s'excusent de m'avoir laissée.
Je me contente de secouer la tête en silence, renifler le peu de dignité qui n'a pas coulé de mes yeux. Non, Ciu, tu comprends pas. T'as bien fais. C'était la meilleure chose à faire, Asmodée le savait, on le savait tous. Et t'en avais plus que besoin. Il fallait que tu te débarrasses de tout ça.
Moi... Je fais à ma façon. T'inquiète pas.

Et ne t'excuse plus jamais pour ça.

Je souris, caresse du pouce tes pommettes aiguisées. J'y dépose un baiser sur chacune. Je retrouve les sensations du nouvel an. Je retrouve ta peau, fraîche de tes excavations islandaises. Sentiment qui grise, qui calme le palpitant bouillonnant. Je m'abreuve de ta voix qui balance ces conneries adorées. D'un air grave, je te retiens. Les bonbons et la vodka suffiront à remplacer Rodolphe le renne, tant que tu restes là. Mon visage se fronce d'un air sévère de poupée de chiffon :

« Naaaan, t'as pas intérêt à bouger d'là ou sinon j'te botte ton joli cul jusqu'à la Roumanie profonde. »

Oui, c'est paradoxal et ta gueule, mon coeur. J'ai pas la tête à réfléchir. Je veux juste profiter de ton retour.
Mes bras t'attirent à l'intérieur, j'oublie ma tronche de panda jusqu'au moment où je croise un tee-shirt balancé sur le rebord du sofa. Il me sert de mouchoir cache-misère, effaçant le noir pour ne laisser place qu'à la lumière d'un sourire sincère. Bordel, j'suis heureuse comme jamais.

« Raconte-moi, Ciu... Raconte-moi tout. T'as vu quoi ? T'as fais quoi ? »

Mon ton est celui d'une gamine devant un cadeau de Noël en plein mois de Mars. Ma main n'arrive pas à quitter les tiennes. Collées, pour ne plus se quitter. Pour cette soirée, et pour les autres à venir, je l'espère.

Plus de traces de mort dans nos serments partagés. C'est fini, tout ça. La page est tournée.

Alors je soutiens ton regard, plantée droite dans mon salon. Je veux t'entendre me les raconter, ces belles choses que tu as vues. Et ces choses importantes, qui pendent au bord de ces lèvres que je veux mordiller jusqu'à y tatouer mon lipstick.

« … J't'écoute. »

Plus que jamais.

- C'était vachement dépaysant, c'était assez dingue aussi.... J'ai croisé des créatures que j'connaissais même pas.... Des trucs qu'on voit jamais dans l'reste du monde. Et puis....

Je prends une inspiration.
C’est plus ardu à exprimer que je ne le voudrais. L'éloquence qui me coule si facilement du gosier pour raconter de la merde et vanner à tours de langue, fait sa timorée quand il s'agit de causer "vrai".

- Assieds-toi... Je te conduis jusqu’au canapé et je m'assoie en face de toi, sur le rebord de table basse. Je joue quelques minutes avec tes mains, tes doigts pleins de bagouses en toc et de vernis noir, ton toucher qui sait se faire tendre malgré tes mots vilains... Ecoute, je.. j'ai pris conscience d'pas mal d'trucs en partant avec Asmodée. Déjà que j'l'aime, profondément et que chuis engagée avec lui sur bien des plans. C'est.. C'est difficile à expliquer... Mais lui et moi on est liés. J'partage avec lui un truc vraiment unique.

Je me sens sourire comme un crétin énamouré. Le fait est que c'est ce que je suis. Totalement.

- C'que j'ai vécu en Islande, c'qu'on s’est dit l'un l'autre, ça m'a fait réaliser qu'Antoine m'avait jamais offert ça et aussi, qu'j'avais b'soin de t'les dire à toi. Je plonge mon regard dans le tien. Ass et moi, on a la même manière d'aimer : non exclusive et...plurale... Je me mordille la lèvre avec un rire bref. P'tain, j'me suis r'joué cette scène mille fois dans ma tête, mais ça sonne toujours aussi ringard.... M'en veux pas , steplé...d'être... Erf... M'en veux pas d'taimer, ok ?

Déglutition.

- Chuis amoureuse de toi, Vesper, comme un dingue. J'aimerais qu'ce soit sérieux entre nous. Mais, j'saisirais qu't'en ai pas envie, qu'tu veuilles pas d'un truc qui t’enchaîne ou qu'tu préfères pas mettre de mots sur ce qu'on a. J'comprendrais... Être ensemble, ce s'rait aussi accepter qu' j'aime également Ass, et peut-être d'autres, un jour, ça peut arriver.... Et ça j'peux pas t'l'imposer...

Je rajoute précipitamment, l'angoisse aux entrailles.

-Mais ça changera, rien, t'sais ! Rien au fait qu'on s'ra amis pour la vie, qu'tu m'dises oui ou bien... ben... va te faire foutre....T'es importante pour moi, quelqu'soit la place que tu veux prendre. T'es pas obligée d'partager ce que j'ressens! T'es obligée d'rien. C'est toi qui veux.... ou pas. Si  tu veux pas, j't'emmered'rais jamais avec ça... je... C’est sans obligation d'achat... un peu...Tu vois...?

Mes joues gonflent et je me déballonne brusquement comme une baudruche. Mon front chute sur tes poignets, sur ces paumes que j'enserre toujours.

- Bordel... J'aurais du boire toute la vodka avant d'te balancer tout ça. J'ai l'air débile.... Te fous pas d'ma gueule...

Te marre pas de la personne
qui ose te déclarer sa flamme,
et qui a peur de tout incendier dans la foulée.

Yeux qui clignent, gueule incrédule face au débit prononcé, tout d'un coup. T'as une sacrée façon de marquer ton retour, amore.
J'ai tout entendu, tout écouté, mais je suis pas certaine d'avoir tout compris. Pas grave. Je dois déjà analysé toutes les infos qui viennent de faire bug mon cerveau.

Tu m'aimes ?
Comme dans... attends QUOI VRAIMENT ?!
Faut que j'reboote mon système, à l'aide.

« Ok... Wow. Ok. »

J'observe ta silhouette penchée sur moi, comme pour une prière. J'ai cette impression de vide flottant, quand le silence retombe après ton envolée romantique. J'arrive pas à y croire.

Mais je peux pas rester là, sans rien dire. C'est à mon tour. A mon tour... d'essayer de mettre des mots sur ce que je peux ressentir. Bonne chance, hein.

Je décale mes mains des tiennes, pour venir saisir ton visage. Tes deux points bleus en accroche de mes obsidiennes floutées d'émois. Nan, arrête de pleurer, putain, garde ça pour après meuf !

« J'ai pas envie de me foutre de ta gueule, Ciu... Vraiment pas. »

Soupire profond. Je rassemble mes idées. Mes prochaines paroles vont être cruciales.

« … T'sais... quand je suis venue ici, je pensais pas rester. J'avais même pas du tout envie de m'attarder dans le coin, j'avais juste un type à trouver, à buter, et hop. Retour à San Fran' avec un semblant de vie à continuer toute seule, comme une grande fille. »

Le récit se fait presque laconique et amer. J'ai la haine, d'avoir échoué.

« J'avais, uh... pas prévue de m'attacher à des gens. Genre pas du tout. De base, c'est pas mon truc. J'ai pas beaucoup de potes, 'fin, à part un grand dadet qui me suit depuis gamine et qui fait office de grand frère d'coeur, mais c't'un peu l'exception. 'Fin bref uh, j'digresse, désolée. »

J'te parlerai de Djam, un jour. Mon seul regret de San Francisco. Ma montagne de deux mètres de haut.
Je secoue la tête, relègue ça dans un coin. C'est pas le moment. Le discours reprend, teinté de sourire plus vrai que nature.

« En gros... Tir Nà Nog, c'était censée n'être qu'une étape pour mon enquête perso. Et c'est devenu p'tit à p'tit mon point d'ancrage. Grâce à toi. T'as... cassé tout mes plans pour reformer un truc chelou plein de rire et d'baume au coeur. »

Mon front rejoint le tien. J'espère que toutes mes pensées te parviendront mieux, ainsi. C'est pas facile, tu sais. D'avouer.

« J'l'ai compris... quand t'es partie. J't'en veux absolument pas, du reste. C'était important, nécessaire.  Mais autant pour toi que pour moi parce que... parce que ben, le manque il était là, tu vois ? Ça m'a jamais fais ça. Avec personne. Et c'est ton absence qui me l'a fait comprendre, j'crois. En gros. »

Je craque un nouveau sourire, me redresse, saisit à nouveau tes mains. Je joue avec tes doigts, cherche la suite, le point de doute palpable qui s'est émietté chez toi.

« J'ai bien compris que ta façon d'aimer, elle était complètement à contre courant des normes. Et c'est pas grave, c'est ce que t'es. Tu mérites d'être aimée pour la personne que tu es et pas pour ce que les autres pensent que tu es. »

Mes yeux se calent dans les tiens. Mes joues tremblent, plaques chauffantes façon fournaise.

« En tout cas moi c'est... comme ça que je suis tombée amoureuse de toi. »

Sourire. Poids qui s'élève.

« Je m'en fous pas mal de pas être la seule dans ton cœur. Je le sais déjà, j'te rappelle que je t'ai déjà vu en aimer plusieurs à la fois. C'est pas comme si c'était une nouveauté hein. »

Petit poke de nez pour détendre l'atmosphère. Je reste la même connasse cynique, t'inquiète pas.

« Tu verses dans l'amour à plusieurs ? Bah écoute, c'est comme ça. A quel moment j'suis censée t'ordonner de changer, en fait ? J'supporte déjà pas les ordres alors c'est pas moi qui vais en donner hein ! »

Rire doux. Mes épaules se haussent, plus légères.

« Par contre, j'y connais pas grand chose, j'te l'avoue parce que, bah... J'ai encore jamais rencontré de gens comme toi ou Asmodée, concrètement. Mise à part à la téloche. Mais ça m'empêchera pas de faire mon max pour comprendre. Y m'faudra juste un peu d'temps, si tu veux bien. »

J'y suis résolue. Ce n'est ni une tare, ni des caprices, ni de l'égoïsme. Ça existe et c'est comme ça.

« Je, uh... T'sais bien que je suis naze pour trouver les mots, merde ! Mais... »

C'est peu de le dire. Ton balbutiant, plus calme, plus tendre. Gamine paumée qui tente de s'accrocher.

« Moi je... veux juste être heureuse, avec toi. Et si tu l'es avec moi alors bah... c'est encore mieux hein ?  Et j'ai envie d'être... ta petite amie. Wow, ça fait bizarre... mais genre, le bon bizarre, tu vois ? »

J'me marre, échappe des larmes, j'ai envie de courir dans l'appartement, gueuler dans la moindre pièce, de sauter du toit, d'exploser les étoiles et de m'écraser sur du bitume frais. J'ai les émotions en branle, elles tremblent dans ma voix que je tente de canaliser.
Mes yeux ne te quittent plus. Plus jamais.
Tout comme mes lèvres, qui rejoignent les tiennes.

« … Je t'aime aussi, Ciulin Mari. D'puis un bail. Je crois que... c'est l'essentiel, en fait. »

J'ai un truc qui m'enserre le cœur.
Il se décolle, d'étapes en étapes,
Et la première, il a fallu que ce soit toi.

Souffle en suspend.
Les dernières fois que j'ai tenté d'expliquer tout ça, ça c'est soldé par des départs, dont l'un plutôt radical et définitif. Terreur au ventre, poigne sur les boyaux : j'ai peur de péter le fragile équilibre qu'il y a entre nous et qui n'entre pas dans les cases.

Toi et moi, on entre pas dans les cases.

On est les enfants perdus de ce siècle, que Peter Pan a laissé sur le carreau. Paumés, balayés par l'existence, toujours debouts comme des putains de roseaux. Je te laisse déblatérer, je me force à la patience malgré l'inconfort de cette situation. Toi, comme moi, on se sent cons : parler à coeur ouvert c'est le plus sur moyen de te le faire écrabouiller. C'est la preuve de notre puissante fragilité, de cet écho qui résonne et nous offre des vibrations semblables. Pourtant, tu causes, tu causes, et l'étau se desserre sur mes poumons.

- J'ai bien compris que ta façon d'aimer, elle était complètement à contre courant des normes. Et c'est pas grave, c'est ce que t'es. Tu mérites d'être aimée pour la personne que tu es et pas pour ce que les autres pensent que tu es.  En tout cas moi c'est... comme ça que je suis tombée amoureuse de toi.

Les sons, les odeurs, le décors, tout disparait, assourdi, voilé. Il n'y a que cet écho qui m'habite, qui m'emplit : "amoureuse de toi"... "amoureuse de toi".... "amoureuse de toi"...

J'ai un rire stupide, maladroit.

- Pardon ! J'me moque pas... je.. C’est juste qu'j'étais partie pour m'enquiller une bonne grosse taule... Marrade nerveuse. T'es.. T'es lesbienne et chuis pas vraiment, ben.. chuis... Tu vois quoi... ?

Mots qui manquent. Pas assez de vocabulaire pour mon spectre indéfini.
Tu me pichenettes le nez.

-Tu verses dans l'amour à plusieurs ? Bah écoute, c'est comme ça. A quel moment j'suis censée t'ordonner de changer, en fait ? J'supporte déjà pas les ordres alors c'est pas moi qui vais en donner hein !
- Chais pas, t'aurais été pas mal en dominatrice... Je porte tes doigts à ma bouche et je te mordille les phalanges en représailles.
- Par contre, j'y connais pas grand chose, j'te l'avoue parce que, bah... J'ai encore jamais rencontré de gens comme toi ou Asmodée, concrètement. Mise à part à la téloche. Mais ça m'empêchera pas de faire mon max pour comprendre. Y m'faudra juste un peu d'temps, si tu veux bien.
- On prendra l'temps qu'y faut...
- Je, uh... T'sais bien que je suis naze pour trouver les mots, merde ! Mais...
-... Pas assez d'vodka que je ponctue d'un air fataliste.
- Moi je... veux juste être heureuse, avec toi. Et si tu l'es avec moi alors bah... c'est encore mieux hein ?  Et j'ai envie d'être... ta petite amie. Dans ma poitrine c'est un festival de bouchons de champagne qui explosent en "pop" mousseux. Les bulles me font planer. C'est subtilement différent des émotions éprouvées auprès d'Ass, tout en jouant sur les mêmes teintes. Rahat... C'est donc ça le bonheur ? Wow, ça fait bizarre... mais genre, le bon bizarre, tu vois ?
- "Du bon bizarre sans obligation d'achat", on pète de romantisme, meuf. Du Shakespeare !

Tes lèvres me clouent le bec, moi et mes conneries désinvoltes.
L'anti-romcom est pourtant pétri de respect et d'affection. Merci, merci de m'aimer comme je suis. Je te rends ton baiser avec la même simplicité enfantine.

- … Je t'aime aussi, Ciulin Mari. D'puis un bail. Je crois que... c'est l'essentiel, en fait.

Lentement, je me coule jusqu'à toi, mes genoux de part et d'autre de tes cuisses. J'y prends confortablement place, ployé vers ton visage coquelicot. Inversion des rôles. Rôles dont on n'a jamais eu rien à foutre.

- Te iubesc, Vesper "Whisper" Whelan ...

Je viens manger ta bouche. Je lèche tes joues salées.
Baiser d'adulte, désirs de grands.
Je ne pars plus.
En escale à tout jamais dans ce bled, paumés, mais paumés à deux. Promis !

Moi, ça me plait.

- J'vais t'coller au train comme un vieux chewing-gum, deal with it... Nouveau baiser mouillé. Je te lorgne avec un air de blaireau machiste à deux bonbecs : charme virile, parfum couilles. J'espère qu't'as l'palpitant bien accroché, poupée...

Et je suis prise d'un besoin viscéral de te chatouiller. Trop d'angoisse, trop de tensions, viens qu'on se vide tout ça en bataille d'oreillers !

A nouveau, le temps se suspend. Ton poids sur mes cuisses fait office de chape de plomb d'un abri anti-réalité. C'est l'idéal pour t'apprécier, t'écouter, savourer les moments partagés. Mes yeux trop sombres plongent dans l'océan bordé de rivages escarpés. Tes pommettes, sous mes doigts joueurs.
Je pique ta langue maternelle quand la mienne cherche à danser. Piment sur les papilles.

« « T'es Ouzbèque » aussi, Ciulin « Tequila » Mari... »

Rire de sale gosse qui s'étouffe dans ta bouche. Mes ongles grattent la peau de mes bras nus, t'entourant le cou comme de longues tentacules. Je joue à la sirène possessive pour ce soir, rien que pour ce soir.

Et pour toute la vie, peut-être.

J'ai envie de plénitude, Ciu.
De tumultes dans le bonheur, de rondeur et de douceur dans ce monde malade.
Je veux, et j'ai besoin de ça.
De toi.

Alors promets, promets-moi encore,
Que tu resteras, là, tangible, avec ta chaleur et ton parfum âcre,
La texture de ton cuir tanné de dessins gravés, et le goût de tes lèvres parfum tabac frais.

Promets-moi, comme si tes mots avaient le pouvoir d'assurer les destinées,
De bâtir des piliers et d'effacer les insécurités.

Promets-le, Ciulin.
Ta parole est d'or.

« Parfum citron jaune, le chewing-gum, j'vous prie ! »

Je souris, pleine de légèreté, martèle mes réponses de baisers cloutés à nos lèvres. Tes belles tournures glissent et cognent contre les miennes, les rôles s'échangent et se bercent. Ta masculinité, je la renverse d'un défi, nouant mes mains autour de tes hanches droites pour te soulever légèrement. Dominante. Enamourée.

« C'est toi qui va avoir besoin d'un pacemaker pour me suivre, bébé. »

Clin d'oeil classieux avant que mon rire façon chatte à la queue écrasée ne vienne perturber l'ambiance chaude. Tes putains de chatouilles me collent une énergie folle, je hurle, je crie, rit avec ferveur en te rendant la pareille, pieds et poings en avant. Catfight façon ados déchaînés, les oreillers du sofa volent, frappent, on roule façon botte de paille sur le col jusqu'à se coller à un mur. Mon souffle est erratique, mes petits poumons n'ont pas fini de souffler ton nom.

Les membres enchevêtrés, les joues rouges, on vient de faire l'amour à notre façon.


« … T'fais du bien à l'âme, tu sais ? »

C'est dit avec le cœur. Je ne l'ai jamais avoué à personne. La tête à même le sol, penchée vers toi, je souris en traçant l'arête aiguisée de ton nez du bout d'un doigt.

« Y'a comme qui dirait un truc apaisant chez toi, sous tes dehors de racaille survoltée. Va savoir quoi... »

T'es pas obligé-e de me révéler ton secret, amore.

Y'a que dans tes bras que je peux croire à l'éternité.