Pas de maquillage, pas de robes à froufrous, pas d'artifice.
Il fallait paraître simple et naturelle si l'on souhaitait conquérir le cœur des plus démunis. Se mettre à leur portée, devenir accessible, pouvoir être leur sœur, leur fille, leur femme ou leur mère, sans que rien n'obstrue leur vision.
Chacun voit en l'Agneau la main qu'il veut. Celle qui l'accompagnera et le soutiendra dans ces actes. Jhælynra avait été conçue et éduquée pour cela. Alors dans la voiture qui l'emmenait à l'hôpital de la ville de Tír na nÓg, elle récitait son texte, comme à l’accoutumée. Non pas qu'elle l'avait oublié, non pas qu'il lui fallait absolument dire mot pour mot ces phrases, mais elle savait que comme tous les mois elle allait voir des malades, des défaillants, des gens qui avaient tout perdu et qui allaient mourir dans les semaines, maximum les mois à venir. Certains ne l'écouteraient pas, d'autres lui pleureraient dans les bras et les derniers l'invectiveraient.
Mais elle ne se posait pas la question : elle devait le faire. Recommencer, sans cesse, pour montrer aux aveugles que la Vérité se trouvait en elle et en les enseignements de l'ICV. Au fond d'elle, un sentiment de tristesse l'envahit; pourquoi ils luttaient contre eux ? Pourquoi ne prenaient-ils pas la peine de l'écouter et d'essayer de comprendre que l'Institut ne leur voulait que du bien ? Elle par exemple, elle allait très bien. Et toutes les personnes qui suivaient les Agneaux et venaient se repentir, se conditionnaient pour le Nouveau Monde.
Mademoiselle. Nous y voici. Jhælynra releva la tête et regarda autour d'elle. En effet, ils y étaient.

Accompagnée de son assistante et ses deux gardes du corps, la fabuleuse rousse fit son entrée dans l'hôpital. Les conversations se stoppèrent. On pouvait lire l'incrédulité sur certains visages ou, au contraire, le mépris et la haine. D'autres, trop occupés, se fichaient bien de ce qu'il se passait derrière eux. Mais en quelques secondes, les fidèles de l'ICV se jetèrent aux pieds de l'Agneau. Les gardes tenaient un périmètre de sécurité, mais Jhæ' n'hésita pas à prendre des mains, accueillir certains baisers sur ses paumes et ses doigts, à ne jamais décrocher son sourire et surtout, à toujours énoncer des paroles encourageantes, des expressions de fiertés qui galvanisaient le cœur des plus abattus.
Elle se rendit, par la suite, dans le pôle de cancérologie, prête à passer dans les différentes sales où les gens suivaient des chimiothérapies ou venaient en rémission.

Elle y passa la journée. Le mouvement était le même, elle rentrait, seule. Un sourire radieux sur les lèvres, une petite couronne de fleur sur la tête, comme un serre-tête d'enfant, sa frange impeccablement taillée, sa robe blanche, simple, volant au-dessous de ses genoux. Ses yeux verts pétillaient et sa voix se faisaient optimiste, encourageante, pleine de grâce.

Il ne lui fallut que quelques minutes au bout desquelles elle termina : ...n'oublions pas que le Lumière est ce qui nous guidera toujours. Qui obscurcie le voile, se laisse corrompre par le Malin. Et vous savez, Jean a dit : La nuit s’en va et la vraie lumière brille déjà. Si quelqu’un dit : « Je suis dans la lumière », mais s’il déteste son frère ou sa sœur, celui-là est encore dans la nuit. Celui qui aime son frère ou sa sœur reste dans la lumière, il ne risque pas de tomber dans le péché. Et moi, je suis là pour vous donner cet amour, pour éclairer vos lampes et vous laisser porter par votre paix intérieure. Si nous abandonnons, nous nous offrons aux Vils. Je suis votre soutient, celle qui vous écoutera, pleurera et rira avec vous. Ici bas, nous avons tous une mission et telle est la mienne : Vous. Elle joignit ses mains l'une dans l'autre Nous accueillons tout le monde. Quiconque souhaite s'engager pour le nouveau monde peut passer par moi, ou nous contacter par tout autres biais. Je laisse ici la carte de visite officielle.
C'était parfait. Parfait à peu de chose près : il y avait tellement de personnes ne correspondants pas aux critères de l'ICV dans cette salle. Rien qui ne puisse être résolu mais elle savait que ça allait être eux, les plus complexe à convaincre.

Aujourd’hui, j’ai pas envie qu’on me fasse chier. J’ai mal, j’ai passé ma matinée à vomir du sang en sachant que j’allais devoir venir ici pour faire ma séance de chimio inutile. C’est rare que j’y aille seule, généralement Kaelig m’accompagne mais je crois qu’il s’est passé des trucs avec des Sang-Coureurs ou je sais pas. Mais il a dû annulé, après s’être excusé un bon millions de fois.
Je suis donc dans mon fauteuil, seule avec l’humeur sale, des écouteurs dans les oreilles. Y en a qu’un sur deux qui fonctionnent, j’ai pas la thune pour en racheter une paire neuve.
Bref,
Journée de merde.

Quand j’entend les infirmières parler de l’Agneau, ça me fait moyen sourire. Apparemment, elle est dans l’hopitale, elle fait sa petite tournée. La journée passe tranquillement et je me dis que j’aurais sans doute le temps de me barrer avant de tomber sur sa Sainteté. J’ai assez trainée dans cette putain de ville pour savoir qui est l’Agneau, pour connaitre ce qu’on dit sur l’IVC, alors quand Micheline se pointe pour déclamer son discours. J’avoue… J’ai juste envie de gerber sur sa robe  proprète pour lui donner un p’tit gout de la réalité.
Elle déclame des stupidités dangereuses à des gens prêt à tout pour avoir un peu d’espoir.
Classic shit de secte. Ca aussi, c’est pas la première fois qu’j’entends des trucs pareils.
Je la regarde avec un oeil torve, prendre la pose comme une parfaite princesse pucelle. Elle finit son sermon par.

-Nous accueillons tout le monde. Quionque souhaite s’engager pour le nouveau monde peut passer par moi, ou nous contacter par tout autres biais. Je laisse ici la carte de visite officielle.

Un rire monte malgré moi de ma gorge et je me lève, perfusion de poison au bras.

-Approchez, approchez! Venez gouter à la redemption, un monde meilleur, sans maladie! Qui en veut? Un nouveau monde parfait, fait d’amour et de compréhension - sauf pour les gens différents, faut pas déconner - Ah… Attendez, on m’dit à l’oreillette qu’il y a un soucis. Ah oui. Effectivement, ce message d’amour et de paix est à condition : rejoignez-nous ou vous n’êtes pas grand chose finalement.

Je me retourne vers la princesse et penche la tête.

-Tu veux pas laisser les gens mourir tranquille, s’il te plait. On a tous pas vraiment le temps d’écouter tes conneries, on est un peu trop occupé à combattre le cancer. Donc, si tu pouvais fermer ta gueule et partir, ça arrangerait pas mal de monde.

Je retourne m’asseoir sous le regard médusé de certains. D’autres sont mécontents, d’autres sont juste vraiment fatigués. J’aurais pas du me lever comme ça. J’ai envie de gerber ma vie.

-T’as vraiment pas de race de venir ici pour vendre ta petite secte. Qu’est-ce qu’on est? Des blagues. C’est déjà assez pénible de subir une chimio et de s’acclimater à toute cette merde sans qu’en plus une pimbèche dans ton genre, qu’a probablement toujours été entourrée, en rajoute une couche avec sa spiritualité à deux ronds cinquante.

Jhælynra accueillit quelques questions, mais dans l'ensemble il y eut surtout des silences et des hochements de tête. Elle constata la fatigue des patients qui attendaient, pour la plupart, que seule leur dernière heure n'arrive. Il y avait, dans le lot, une jeune personne, une fille. La chimiothérapie fait en sorte que les humains se ressemblent tous, sans cheveux, sans cil, sans sourcil. Mais celle ci avait un visage singulier. Il fallut qu'elle se lève d'ailleurs.

La jolie rouquine s'avança vers elle pour l'aider mais le venin qu'elle lui cracha à bonne distance la figea sur place. Son sourire fana par la même occasion, et elle fut muette à l'écoute de son discours acerbe. Et alors que la cancéreuse alla se rasseoir, Jhælynra fit un mouvement de main, passant alors quelques mèches derrière son oreille, étirant doucement ses lèvres. Lorsqu'elle posa ses yeux sur la malade, elle n'eut rien d'autre que beaucoup d'empathie, de compassion et de peine.

Je comprends parfaitement. Notre but n'est pas de vous épuiser ou vous contraindre. Nous souhaitons vous dire que nous sommes là pour vous, prêts à vous tendre la main. Beaucoup cherchent la paix et, parfois, il est bon d'être accompagné pour la trouver plus facilement, surtout quand le temps nous manque. Elle joignit à nouveau ses mains, bras tendus, se balançant un coup sur ses pointes un coup sur ses talons Il n'y a pas de différence. Dieu n'en fait pas, il n'y a donc aucune raison que nous en fassions. C'est important de se sentir aider, c'est le seul message que je veux faire passer. Vous n'êtes ni des moins que rien, ni des blagues, pour reprendre vos mots. Nous considérons chaque vie, chaque âme. Considérer sans contraindre.

La jeune femme, cependant, semblait vraiment mal en point. Jhælynra attrapa un bacquet, une sorte de haricot médical, en s'approchant de l'inconnue Vous êtes très courageuse. Je n'aurai jamais pu être aussi vive. Elle posa l'ustensile sur l'espèce de tablette relié à l'accoudoir, pour que la malade puisse l'attraper sans mal. D'ailleurs, dans son énervement et sa hargne, elle avait perdu sa chaussure d'hôpital, un peu lâche pour elle Laissez moi vous aider... Jhælynra attrapa le soulier et se mit à genoux, les fesses sur ses talons, aux pieds de la colérique. Elle épousseta un peu la pointe en disant avec une voix douce, calme et ronde Ma... mère est décédée d'une longue maladie. Elle n'a jamais été entourée, elle n'avait que moi et je sais qu'elle aurait aimé être beaucoup plus soutenue... La petite soupira à ce souvenir Je ne suis pas l'ennemie. Et elle lui présenta la chaussure pour qu'elle puisse y enfoncer son pied.

Merde. Je sens que je vais en avoir pour long. Une part de moi, pas super loin de la surface, se passe la main sur le visage d’un air fatigué en murmurant “mais ferme ta gueule, Elie”.
Je m’épuise sur des conneries que je sais perdues d’avance. Rien qu’à voir le sourire réapparaitre sur le visage de la rouquine, je le sais. Je passe une main dans mes cheveux bleus, trucs que la chimio m’a pas encore enlevée.

-Je comprends parfaitement. Notre but n’est pas de vous épuiser ou de vous contraindre.
-Et pourtant, je viens de te demander de la tranquillité et tu continues à parler.

Je la détaille depuis mon siège. J’ai la gerbe, putain. J’vomirais pas devant cette meuf.

-Nous souhaitons vous dire que nous sommes là pour vous, prêts à vous tendre la main.
-Tu n'ecoutes pas.C’est très le validisme tout ça….
-Beaucoup cherchent la paix et, parfois, il est bon d’être accompagné pour la trouver plus facilement, surtout quand le temps nous manque.
-Madame Laurens, derrière toi, elle a surtout besoin de savoir que quand elle partira, elle laissera pas des dettes gigantesques à ses petits-enfants. Trevor, là, il voudrait savoir s’il va pas s’faire expulser de son appart parce que tout a été englouti par la maladie… T’es capable de leur donner la paix, princesse? J’t’en prie, j’te regarde.

Le reste me fait pousser un long soupire agacé et fatigué. J’vous jure, ces religieux, bordel… Elle s’approche de moi. J’ai le corps entier qui brûle. C’est une sensation de plus en plus persistante, de plus en plus crispante. Elle s’approche avec un foutu baquet. Je la regarde faire d’un oeil froid.

-Vous êtes très courageuse. Je n’aurai jamais pu être aussi vive.

Je la regarde poser son truc à la  con à côté de moi.

-Laissez-moi vous aider.

Elle s’agenouille devant moi pour récupérer ma godasse. Ca me hérisse le poil. Tout chez elle clame la bonne foi et aussi cette naïveté insupportable qu’ont les gens croyants et aveugles. Je devine sans mal son statut de privilégié surprotégée. Elle est l’Agneau suprême de l’ICV, elle s’imagine sans doute être capable de comprendre ce qui se joue ici. Derrière sa gentillesse naïve se cache une cruauté qui vient de plus loin que sa petite personne. Je lui souris tranquillement, la colère reflue un peu au profit d’une effronterie simple.

-Pourquoi, exactement? Je ne te dois rien. Je suis malade. J’ai pas besoin d’aide, j’ai besoin qu’on me foute la paix.

Elle époussette ma grôle à paillette, ça me fait sourire parce que c’est les exactes godasses sur lesquelles Enzo a vomi à notre dernière soirée. Les souvenirs reviennent. Elle me raconte l’histoire de sa mère morte d’une maladie toute seule. C’est triste, je lui concède mais l’attitude qu’elle a me hurle que c’est sans doute la seule et unique épreuve qu’elle a jamais vécu.

-Je ne suis pas l’ennemie.

Je souris et ris un peu en la voyant faire.

-J’ai jamais dit ça, princesse. Tu es simplement une nuisance.

Je me mets en tailleur sur mon fauteuil et je la détaille du haut de ma fatigue abyssale.

-C’est bien gentil de venir clamer haut et fort que tu sais comment apporter le réconfort et la paix, quand en fait, tout ce que tu sais, c’est ce que t’as vu de ta petite cage dorée, chérie. J’suis désolée que ta mère soit morte avec peu de gens autour d’elle mais on est pas tous comme elle et j’ai certainement pas besoin de m’entendre dire comment je dois me comporter et ce qu’il faut faire pour atteindre une quelconque paix. Ton approche est futile et déplacée. Ca s’appelle profiter des faibles et le pire, c’est que tu t’en rends même pas compte. Mais hey, l’Enfer est pavé de bonnes intentions.

L’ignorance que lui vouait cette femme, dépassait l'entendement. Entre mépris et snobisme, Jhaelynra n'avait que peu de choix. Malgré tout, elle resta calme, comme son tempérament lui exigeait, pour écouter cette inconnue au bord de l'agonie, se 'battre' contre la voie de Dieu. Beaucoup y étaient réfractèrent et son but était de les y emmener doucement. Mais pour certain, ce n'était parfois pas le bon moment.

Elle finit alors par se lever, et incliner la tête dans un sourire Merci pour votre bienveillance et vos conseils, je veillerai à redoubler d'efforts la prochaine fois pour ne heurter personne. Oui, car il y aura une prochaine fois. C'était obligatoire Je sais que votre temps est précieux, merci infiniment pour ces minutes que vous m'avez accordé. Au revoir à tous. Et elle fit volte-face pour partir.

En passant la porte, les deux l'interrogèrent du regard au vu du temps qu'elle avait passé dans cette pauvre pièce Rien de grave. Quelques récalcitrants qui ont chercher à me prouver que c'était eux qui avaient raison et que j'étais la nuisance absolue. Plus que leur maladie apparemment... La rouquine était un peu penaude en disant ça, mais l'assistante qui guidait sa journée lui proposa d'aller ailleurs pour passer à autre chose le temps d'une ou deux heures.

~

Il y avait des choses assez étranges. Des attitudes qu'elle pouvait avoir qui ne correspondaient en aucun cas avec la situation. Et pour cause.
Même pas un mois s'était passé, qu'elle avait apprit que la dame qui se battait plus pour les autres que pour elle (du moins était-ce le souvenir qu'elle en avait), avait été transférée dans un autre service pour surveiller son état qui avait considérablement chuté. Les deux filles ne s'étaient pas revues depuis et Jhælynra prit le partit d'aller lui rendre visite sur ses temps libres. Il y eut une fois où elle avait laissé un livre de chevet parlant d'une enquête un peu quelconque, mais la lecture faisait passer le temps. Impossible de lui parler ou de l'entendre car la morphine la maintenait dans un sommeil constant.

La seconde fois l'Agneau toqua à la porte et lorsqu'elle entra, vit que la jeune femme était parfaitement réveillée Bonjour Elethiel ! Comment vas-tu ? Elle arriva près d'elle et constata que tout ce qu'elle avait mis en place n'avait pas bouger. Personne ne venait donc la voir ?
Jhælynra déposa le vase sur la petite commode, d'où en sortait beaucoup de fleurs rouges sang, pourpres et même noires pour certaines J'ai essayé de prendre une composition aussi piquante que toi ! Elle affichait un sourire radieux en se tournant vers elle Je ne voulais que des ronces mais la fleuriste a vraiment insisté pour agrémenter de quelques fleurs, alors je n'ai pas trop insisté. Elle vint s'asseoir sur la chaise à côté du lit Je suis passée il y a deux jours, je t'ai un peu accompagné dans ton sommeil puis je suis partie, me disant que tu souhaiterais peut-être être seule quand tu te réveillerais. La petite rousse lui prit alors la main, touchant ses phalanges Tu as tellement maigrie... Tu es capable de te lever et marcher ou c'est difficile pour toi ? Dans les yeux, dans l'attitude, dans la bouche de Jhælynra il n'y avait que amour, bienveillance, sincérité, sécurité. Elle ne prononça pas un mot en rapport avec la religion, car elle n'était pas là en tant qu'Agneau mais en tant que personne. Et quelque part, elle s'était un peu attachée à cette femme ronchon. Alors maintenant, elle s'inquiétait réellement pour elle et puis elle se disait que si elle pouvait au moins lui apporter un peu de joie lors de ses derniers instants...

La situation était plus qu'abracadabrante.
Jhælynra eut à peine le temps de se retourner pour poser le bouquet de fleur sur la commode que la patiente était en train de s'enfuir. La petite ne comprenait pas comment ça se faisait que les hôpitaux ne possédaient pas de tenues réglementaires. Elle plissa le nez en voyant les paillettes, porteuses d'infections si elles se faufilaient dans des plaies, que ce soit celles du malade en question ou des patients alentours. Cependant, ce ne fut pas la question qui lui resta en tête le plus longtemps.
Où vas-tu ? Mais Elehiel avait largement autre chose de mieux à faire. Comme son sac par exemple. Elle s'habilla, pour ce qui lui manquait du moins, et descendit du lit. Jhælynra resta interdite devant ce spectacle et elle n'entendit pas grand chose de tout ce que lui répondait la cancéreuse. Juste qu'elle partait et qu'elle avait intérêt de prendre son bouquet et de rester discrète.

Opération carapatage.
L'excitation et l'adrénaline monta dans le cerveau de la petite.
Elle se précipita, bouquet sous le bras, vers la jeune femme totalement rachitique. C'était vraiment un miracle qu'elle tienne debout d'ailleurs... Mais les pensées n'étaient pas à l'anatomie, mais bel et bien à la prouesse d'évasion.

De sa petite main parfaite qui énervait souvent les gens, elle attrapa une autre sangle du sac pour que, à deux, elles puissent se déplacer plus vite Ouuh, c'est trop bien !! Chuchota-t-elle dans le couloir avec un sourire jusqu'aux oreilles.
Elles croisèrent le parent d'un patient quelconque et Jhæ dit à sa complice N'as-tu pas un bonnet ? Il faudrait que tu cache tes cheveux, temporairement. Et attend, met ça ! La rouquine lui fourra son manteau (qui sentait un mélange de rose et de jasmin, odeur florale très légère) au col Claudine et à la taille qui s'évase en descendant vers les genoux sur les épaules, de manière à ce qu'elle puisse enfiler les bras. Pour sa part, elle resta en robe sombre.

Le coin du couloir pouvait les trahir Reste-là Elehiel. L'Agneau s'approcha alors doucement et jeta un coup d’œil. Comme prévu, beaucoup de personnel médical, mais ce n'était pas très grave. Déterminée comme jamais elle rattrapa la sangle et murmura Tu es méconnaissable et l’ascenseur est juste là. Il y a une porte dérobée que les civils n'ont pas le droit d'emprunter, juste en sortant de l'ascenseur au rez-de-chaussé. Si tu me suis, on pourra passer par là sans se faire repérer. C'est la voie que nous devons emprunter quand nous venons faire nos offices ici. En réalité c'était la porte par laquelle les morts étaient évacués. Jhælynra prit entièrement le sac de sa nouvelle super copine d'évasion, alla appuyer sur le bouton et attendit que le petit ding retentisse, avant de s’engouffrer dans le local d'acier, mettant un pied sur la porte pour que Elehiel puisse la rejoindre dès qu'elle se sentait prête.

Ouuh, c'est trop bien !!

Je hausse les sourcils pour détailler la princesse. Elle a pas un si gros balais dans le cul. BORDEL DE MERDE! Elle est fortiche, elle me ferait presque oublier pourquoi je suis sensée pas l’aimer. Elle a un énorme sourire sur le visage, le genre de sourire qu’on voit sur les enfants trop sages quand ils font leur premières bétises consciemment. Et ça me frappe… Jhaelynra, l’Agneau, doit être sous haut contrôle. Elle doit habiter une énorme bulle et elle ne doit pas connaitre grand chose de la vie. Et encore moins de la sienne. Je lui lance un sourire en coin et un long clin d’oeil amusé malgré les cernes et la pâleur.

N'as-tu pas un bonnet ? Il faudrait que tu cache tes cheveux, temporairement. Et attend, met ça !

Elle se croit dans un film d’espion, ça y est, on a perdu, la princesse! Et. Je. Un col claudine.
J’ai un frisson, l’odeur, même douce m’agresse les narines et je m’aprète à feuler comme un chat quand j’avise l’énormité du personnel médical dans le couloir. Je me planque en refléchissant vite, la capuche de son manteau rabattue sur mon visage. Il tient bien chaud, c’est agréable, tellement, tellement agréable. J’inspire doucement, j’ai envie de dormir et j’ai mal au bide.

-Reste-là Elehiel.

Je la regarde avec cette mine surprise avant de lancer.



-Avoue, tu t’éclates comme une petite folle…

Je rigole un peu, un rire un peu rauque encore entartiné dans la morphine et la douleur.

-Tu es méconnaissable et l’ascenseur est juste là.


-Ben en meme temps, j’pense que avec un col claudine, personne me reconnait.

Je dis ça sur le ton de la blague avant d’écouter le reste. Elle prend mon sac et pour une raison incongrue je la laisse faire, autant que je la laisse partir en trottinant vers l’ascenseur. Ou bien vers les médecins qui confisqueront mes affaires et m'empêcheront de partir…. Mon estomac se couvre d’aiguille à cette pensée.
Pourtant, je la vois appuyer sur le bouton de l’ascenseur, me tenir la porte ouverte, j’ajuste le manteau, je copie la posture de Jhaelynra et avance dans la couloir aussi droit que possible, un pied devant l’autre jusqu’à atteindre le saint graal, la porte se ferme au moment où j’entends un de membres du corps hospitalier nous invectivez. Je déglutis et me laisse tomber contre la parois. Je suis épuisée, je suis en sueur et j’ai l’impression qu’on me ravage l’intérieur du ventre à la moulinette. Je grogne un peu.



-On y est bientôt…?

Un nouveau ding. La porte s’ouvre et je souffle un bon coup avant d’avancer hors de la cage, posture droite. Chaque pas droit est une torture, je ne dévie pas. Chaque minutes à retenir mon dos bien droit est un supplice, je ne ploie pas.
J’avance inéxorablement vers la sortie, attrappe la main de la princesse et l’entraine en courant - quelle idée merdique- vers un petit parc pas loin dans lequel je m’éffondre dans une haie pour vomir copieusement.

La douleur me tire des larmes grosses comme des poings. Lorsque je m’arrête, c’est pour lacher.



-Putain de merde… j’suis désolée, j’ai niqué ton manteau….

Je tremble comme un feuille, je m’écarte de ma galette à quatres pattes pour me redresser sur un banc et m’y coulisser comme je peux. Tout ça m’a demandé une énergie phénoménale, je suis épuisée. Je coule un regard à la jeune femme.



-Chui désolée… D’avoir été un peu connasse. T’es sympa comme personne, simplement, ce que j’ai dit reste vrai pour ce que tu représentes, pas en tant que toi mais en tant qu’Agneau.

J’ai un sourire désolé.



-Merci d’m’avoir aider à partir. Quitte à crever, c’est encore moi qui vais décider où et avec qui.

Je pouffe de rire en retirant sa veste.



-Chai pas ce que tu vas bien pouvoir en faire mais hhum… Merci de m’l’avoir prêter.

Oh oui qu'elle s'éclatait cette petite fille dans l'âme !
Jamais elle n'avait essayé d'être plus maligne que les autres, comme jamais on ne l'avait poussé à sortir des sentiers battus mais en fait... Elle attendait que ça. Cette jeune femme qui ne vivait que pour les autres. Cette jeune femme qui ne vivait pas, en somme.

Elle regarda alors Elehiel avancer vers l’ascenseur avant de glousser. Oui, un col Claudine, personne n'aurait pensé que cette fille, championne du i don't give a fuck, porte un jour un accoutrement comme celui-ci. Mais ça cachait au moins la plupart de ses attribues qui faisaient qu'on la reconnaîtrait.

Sauf que quand le silence se fit, il était lourd. Lourd car Elehiel n'était pas en état de s'échapper de l’hôpital et encore moins d'échapper à la morphine. Elle était au bord de l'agonie, son teint était si pâle qu'il virait au vert et il ne lui restait pas grand chose... De sain en fait.

Bientôt oui... Courage...

Elle ne peut pas s'empêcher de lui mettre une main dans le dos, réconfortante (à ses yeux) et de la soutenir du côté ou Jhae ne tenait pas le sac de la jeune femme.
Mais a peine les portes se rouvrirent que Eli fila aussi vite qu'elle pu hors du parking et vers l'arrière du bâtiment vers le parc le plus proche. Elle s'effondra dans un buisson sous un cri bref de peur de la petite rousse. Au bruit, l'Agneau comprit rapidement qu'elle n'avait pas tenu le choc à toute cette escapade.

Seigneur Elehiel ! Je suis tellement triste... Ne t'inquiète pas du manteau ! J'en ai plein d'autres à l'Institut.

Elle l'accompagna pour s'asseoir sur le banc et posa le sac à leurs pieds. L'odeur de son haleine putride envahit l'atmosphère mais la rouquine prit sur elle pour que son visage ne se déforme pas sous le dégoût et la surprise.
Alors elle finit par prendre le manteau qu'elle lui tendit et le posa par terre, à côté du banc. Il n'est pas propre mais il servira à un nécessiteux que le col Claudine ne rebutera pas.

Je ne demande pas à ce qu'on m'aime. Ni moi, ni l'Agneau comme tu le dis... Mais je me suis un peu attachée à toi pour... pour tout toi. Peut-être que j'aime bien quand on me dit des horreurs. Elle glousse Plus sérieusement, je m'inquiète de ta santé. Je sais que tu n'aurais jamais du quitter ce lit mais... As-tu un endroit où aller ? Je ne peux pas t’accueillir chez moi... Même si j'aimerai bien. Mon appartement est filmé donc ils sauront que j'ai de la compagnie. Mais ça n'empêche pas que je peux t'accompagner où tu veux, je serai contente de te savoir en sécurité quelque part.

Elle regarda un peu autour d'elle et ses yeux tombèrent sur le sac d'Elehiel. Elle n'avait pas beaucoup d'affaires quand même...

Si j'avais su, j'aurai pris de la morphine... Mais l'appareil et le pied étaient trop visibles...

C'était une vrai problématique pour elle alors qu'en réalité, rien que d'y penser était assez hallucinant : on ne partait pas avec un appareil à morphine.

Je ne sens pas la main dans mon dos.
Mon corps vibre et se contracte au gré des vomissements.
J’aimerais passé le stade de la douleur vive mais elle est là pugnace. Elle me tord comme un torchon.
Ca dure un moment infini. Une fois assise sur le banc, Jhaelyndra me rejoint. Je reste pantelante un moment. Je reprends mes esprits, en somme.

-Seigneur Elehiel ! Je suis tellement triste…

Ca me tire un sourire amusé.

-Ne t’inquiète pas du manteau ! J’en ai plein d’autres à l’Institut.

Je farfouille mon sac pour dénicher une bouteille d’eau et de quoi me brosser les dents. Depuis que je suis malade, je sors plus sans. Kaelig a toujours un kit de secours sur lui et pareil pour Enzo. Les deux amours.
Elle me répond et je souris un peu. Je vois bien qu’elle ne comprend pas ce que je cherche à lui dire. J’imagine qu’ils ont cultivé la naïveté même chez elle. Le meilleur moyen de se rendre intouchable c’est d’avoir des personnes ignorantes des rouages qui vous représente. Cette nana est parfaite.

-Je ne demande pas à ce qu’on m’aime. Ni moi, ni l’Agneau comme tu le dis…
-C’est pas la question. La question n’est pas de t’aimer ou pas. La question est de reconnaître la place que tu as dans un système d’oppression, Jhae. En dépit de ta bonne volonté et de ta gentillesse.
-Mais je me suis un peu attachée à toi pour… pour tout toi.

Je ne dis rien. Ca me touche un peu mais j’ai aussi le sentiment qu’elle se trompe et qu’elle projette des choses que je ne suis pas.

-Peut-être que j’aime bien quand on me dit des horreurs.
-Ou peut-être que tu as besoin d’un peu de sincérité?
-Plus sérieusement, je m’inquiète pour ta santé.
-Pas besoin de t’inquiéter. Je vais mourir. C’est pas une option. Et je suis loin d’être pessimiste.
-Je sais que tu n’aurais jamais du quitter ce lit mais… As-tu un endroit où aller?
-Oui. J’ai un endroit où aller. T’inquiète pas pour moi. Je gère. Et je serais pas rester dans ce lit. C’est pas comme ça que j’meurs. C’est tout.
-Je ne peux pas t’accueillir chez moi… Même si j’aimerai bien.
-Pas besoin, mais c’est sympa.
-Mon appartement est filmé donc ils sauront que j’ai de la compagnie.

Je m’étrangle dans mon brossage de dents.

-QUOI?! Comment ça t’es filmé? Putain, mais c’est flippant!
-Ma ça n’empêche pas que je peux t’accompagner où tu veux, je serai contente de te savoir en sécurité quelque part.
-Attends, attends, attends! On peut rev’nir deux secondes sur le fait que y a des connards qui te surveillent, s’il te plait? C’est quoi ce délire?

Bordel, pourquoi je réagis? Je me rince la bouche à la petite bouteille d’eau, je crache dans la poubelle à coté. Je suis rodée, c’est pas la première fois.

-Si j’avais su, j’aurai pris de la morphine… Mais l’appareil et le pied étaient trop visibles…
-T’inquiète, j’ai ce qu’il faut. Y a d’autres moyens d’avoir de la morphine que par les hopitaux. Et du coup, c’est quoi la raison de ta surveillance? Ils ont peur que tu disparaisses? Ils controlent ta virginité? C’est quoi ce délire, sérieux?