« Oh ma poupée, je suis tellement fier de toi, je vais pleurer ! »

Pétri d'une émotion palpable, Papa Steve claque un énorme baiser sur la joue de sa petite fille. Papa Bill, quant à lui, cache un peu plus son émoi même si ses yeux brillent d'une fierté égale. Il faut dire que le grand jour est là, le grand jour est enfin là !

Les premiers pas, littéralement, de leur bébé dans la cour des grands.

Près du portail d'entrée du lycée, Robin sourit de toutes ses dents. Elle est aussi emballée que ses pères, si ce n'est plus. La boule au ventre caractéristique de la rentrée n'existe pas, chez elle. Elle n'en a jamais vécue. C'est sa première, et par conséquent, la plus belle de toutes. Ses baskets roses flottent sur un petit nuage.
Steve jette un coup d'oeil à sa montre et son époux, les impératifs de leurs boulots se faisant plus pressant. C'est un déchirement pour le plus anxieux des deux. Ses yeux se posent avec sérieux sur leur fille, pour un dernier rappel avant la sonnerie.

« Appelle-nous si tu as le moindre problème, d'accord ? Tu as bien nos numéros ? Tu as vérifié ?
- Ouip !
- Et le plan de l'école qu'on a reçu ? La liste de tes professeurs ? Ton emploi du temps ?
- Ouip, ouip, ouip ! »

Le ton de la jeune fille piaille d'enthousiasme. Les mains vissées sur son sac, elle n'en peut plus, elle veut entrer dans cet immense bâtiment plein de promesses. Steve ne semble pas vouloir la lâcher et c'est donc Bill qui intervient pour le calmer.

Bruit de sirène aigüe, dernier coup de gong avant l'inévitable. Les boucles rousses se redressent comme la tête de l'adolescente, façon suricate. Oh, il faut y aller c'est ça ? Qu'à cela ne tienne. La petite court en riant vers la porte, au contraire des autres élèves traînant les pieds. Ses pères restent déconfits, mais finissent par sourire de soulagement. Leur tourbillon est une grande demoiselle, maintenant.

La tornade finit par arrêter sa course dans les couloirs, en faisant fi des regards sur sa personne. Elle rougit un peu, cependant, quand elle comprend que ce n'est pas le lieu pour se faire trop remarquer. Elle veut que ça se passe bien. Parfaitement bien. Alors elle regarde partout, absolument partout, pour trouver sa classe. Elle finit par se saisir du plan plier en quatre dans la poche de sa veste en jean, et se plonge tant et tant dedans qu'elle ne fait pas attention à la blonde qu'elle bouscule à un croisement. Elle, et son latte moka caramel, qui atterrit sur son opulente poitrine. Sa voix aiguë perce les tympans de ses copines.

« Hey toi, non mais tu peux pas faire attention ?! Mon cachemire ! Tu sais combien ça coûte ?!
- Euh... non... c'est cher je crois...
- Heeeein ? Tu veux pas parler plus fort ? Qu'est-ce que t'as, le chat a bouffé ta langue ?... Et attends voir, c'est quoi ces fringues ? Tu te fournis dans une friperie ou quoi ??
- Ben, oui. Chez Summers, tu connais ? Tu y vas aussi ? »

La jeune fille reste interdite devant la réponse, et surtout le grand sourire pétillant de sa vis-à-vis. La rousse est ravie. Si cette fille a les mêmes goûts qu'elle, peut-être qu'elles pourront devenir amies ? Toutefois la miss regarde ses compères avec déconfiture avant de froncer les sourcils et de pousser Robin en arrière d'une main manucurée.

« Attends tu dis que j'suis une pouilleuse c'est ça ?! Non mais tu te prends pour qui hein ?!
- Vas-y Sophie, montre-lui ! »

Sous ses yeux ronds, Robin se retrouve coincée, entre le mur et cette dénommée Sophie. Elle lui lance des balles de mitraillettes avec les yeux et ça la tétanise. Son cœur s'emballe, ses joues sont couvertes de rouge.
Elle ne sait plus trop où elle en est, le tourbillon à ses papas. Ça commençait pourtant si bien... Non ??

C'est un drôle de spectacle qui se découpe devant ses grands yeux ronds. Elle regrette presque de ne pas avoir de pop-corn à disposition. Elle adore s'en gaver devant les films, et l'affrontement des deux jeunes filles, ça, ça avait le don de la distraire follement. Elle et une partie des autres lycéens, s'étant regroupé autour d'elles quand la brune s'est interposée. Sa voix était chaude d'une confiance en elle impénétrable sur l'instant. Elle était venue au secours de Robin sans même savoir son prénom.
La rousse fixe la situation, le souffle coupée, tendue à la moindre réplique qui allait fuser. Et elle ne fût pas déçue.

« Tiens tiens ! Mahony Mayonnaise, tu viens te ramener encore une fois avec ta grande gueule ? Mais t'as que ça pour toi ma jolie, c'est dommage ! Tout le monde ne peut pas avoir ma classe, petite jalouse va ! »

La dénommée Sophie affiche un air royal et un jetée de cheveux blonds qui en épate quelques uns autour. Elle se gave des pouffements et autres railleries qui jaillissent à l'encontre de cette « Mahony ». Elle vient tapoter le torse de la brune d'un doigt flanqué de nail art rose bonbon, souriant d'un air de vipère.

« Et si tu retournais cueillir des fleurs dans ta forêt, hein ? Pocahontas à deux sous ! Tu me traites de pétasse mais moi au moins, je suis pas une sauvageonne sans famille ! Clocharde ! Cassos ! »

Derrière les prétendus tons hautains de Sophie, se cache un poison piquant qu'elle déchaîne à tout va, poussant son adversaire à chaque insulte proférée. Robin ressent si intensément sa colère qu'elle se prend davantage au jeu. Son exaltation est telle qu'elle ne peut s'empêcher de vouloir participer, comme embrigadée dans un conflit fictif de scène d'action. Elle se sent face à un affrontement entre James Bond et Docteur No, le machisme daté en moins.

Sophie se sent pousser des ailes, prête à achever l'adversaire.

« Alors laisse-moi te dire une bonne chose ! Tu-
- Vous êtes comédiennes ?!! »

Le ton fluet s'est exprimé d'un coup d'un seul, braquant dans le même temps tout les regards sur elle. Les yeux de Robin pétillent autant que ses poings sont serrés. Elle affiche un large sourire passionné, quand elle s'adresse aux deux filles.

« C'est trop bien ! Vous êtes super douées !! Vous répétez quelle pièce ?? Moi j'ai vu Hamlet quand j'avais douze ans, mais ça sonne super différent ! C'est un auteur moderne nan ? Ou alors c'est de l'impro ?? »

Sa naïveté est tranchante d'une déconcertante franchise. Tant et si bien que Sophie en perd sa verve et ses mots visqueux, pour laisser place à une bouche pendante de surprise. Ses yeux se plissent de méfiance à l'égard de Robin. Elle en oublierait sa véritable cible.

« T'es vraiment une grosse malade toi...
- … Moi ? Bah non, j'ai même pas de fièvre ! Ce serait dommage pour la rentrée !
- … Mais t'es mongole ! C'est pas possible là ! Bon venez on se casse, c'est le repaire des débiles mentales ici !  »

Une nouvelle sonnerie retentit, mettant fin aux hostilités. Sophie bat en retraite et le pavé jusqu'à sa salle de cours, tout comme la foule qui se dissipe. La mine toujours aussi innocemment réjouie, Robin se rabat donc sur la mystérieuse brunette restée dans le couloir, l'expression guillerette collée à ses traits. Cette fille allait brûler les planches un jour !

« Alors ? Tu fais partie du club de théâtre ?? »