Le brouillard danse le menuet et ses papillons distingués ont sortis leur atours des grands soirs. C’est un spectacle fascinant et prohibé dont se délecte un spectateur unique. L'homme trône, majestueux, mains croisées dans le dos, à la merci des bourrasques nocturnes. Il se tient en équilibre parfait sur l'arrête d'une des barricade. Élégante silhouette nimbée d'un manteau de tweed vert bouteille, un lys à la boutonnière, il se trouve chapeauté d'un haut-de-forme anachronique qui lui donne des airs de sang-bleu.
Yvain de Landuc observe les volutes de brumes sombres qui inquiètent tant les petites gens de cette cité. Il trouve leur valse chaotiques d'un charme certain. Quelques papillons viennent butiner sur son épaule ou orner le ruban de son chapeau. Il les laisse approcher, avec une exquise curiosité pour ces magnifique créatures, pourtant si létales.

Il attend quelqu'un.
Un âme, en vérité.
Une oreille attentive qui n'attend qu'une Voix pour la guider.
Il cherche un partenaire de danse, il se sent d'humeur à guincher sur une polca.

Alors, c'est tout sourire qu'il finit par se retourner vers la jeune femme qui vient de traverser la route en sa direction, l'air fâché qu'il se trouve là à profiter de la vue.

- Bonsoir Mademoiselle O'Fuaim déclare-t-il du haut de son promontoire tout en retirant galamment son chapeau pour la saluer. Je vous attendais...

- Mademoiselle, allons, allons... Quelles affreuses manières pour une si adorable jeune demoiselle! Fais-je en secouant la tête avec une tendre réprobation, la même qu'on témoignerait à un enfant turbulent. Reprenons, voulez-vous ?

Mon haut de forme sur la tête, je saute de la barricade avec une grâce que je cultive avec, disons-le tout de go, une certaine coquetterie.

- Bonsoir Mademoiselle O'Fuaim! Quel plaisir de vous être enfin présenté.

Je me fends d'un baise-main - une menotte qu'elle me cède sans s'en apercevoir. Qu'y puis-je si ma galanterie est irrésistible. L'espace d'un instant, mon visage semble plus félin, mes yeux presque siamois. Un mirage, tu t'en doutes, ma douce Andr'heïa.

- Je me nomme Yvain de Landuc et je suis là pour exhausser vos souhaits, chère enfant. Car... Je claque les talons de mes souliers cirés avec un semblant de théâtralité. On ménage toujours ses effets quand on est fin orateur... Je ne doute pas que vous en ayez. Nombre d'entre eux, irréalisés, vous frustrent au poing de nourrir cette vilaine agressivité qui gâche votre joliesse si charmante.

Je souris comme ces chats babillant aux oreilles d'un oiseau hésitant. Plusieurs papillons nous tournoient autour. L'un deux se pose sur mon épaule et ébroue ses ailes sombres aux nervures violacées. J'arbore une mine peinée de compassion affectée.

- Toutes cette violence orchestrée par l'ordre d'Émeraude, ces rafles sur des jeunes humains prédisposés au don... Quelle tristesse ! Quelle bassesse ! Et ce petit ami que vous chérissez tant, que vous tentez de cacher désespérément à vos propres autorités... T-t-t-t-t-t-t... Tant de difficultés à surmonter pour une jeune femme qui ne devrait aspirer qu'au bonheur dans les bras de l'être aimé. Terrible, vraiment terrible....

Main sur le coeur, je m'approche d'elle.

- Je suis votre ami, ma chère, que dis-je, votre allié le plus précieux ! Rangez-donc cette lame dans son fourreau et laissez-moi vous aider...

*Les phrase en gras sont l'expression de son pouvoir de contrôle de l'esprit.

Le parfum exquis de la peur. La douce excitation de la curiosité. Je sens son minuscule cerveau s'agiter, libérer des hormones contraires, s'allumer comme un sapin de noël une nuit d'hiver. Pauvre, pauvre, pauvre petite sorcière !

- Et comment comptez vous m'aider? Qui vous dit que j'ai besoin de votre aide ?
- On a toujours besoin d'aide, Andr’héïa... Ou oserais-je, -Evidemment que oui- Andy' ? Les amis s'appellent par des sobriquets adorables comme celui-ci, fais-je  en lui tournant autour. Je pose aimablement une main sur son  épaule. Marchez avec moi, Andy...

Mots irrésistibles lui chatouillant les tympans.

- Je me suis donc laissé dire que vos supérieurs vous chagrinaient ? Il y a d'abord eu cette annexation  brutale et irrespectueuse du coven de Salzen. Tous ces pauvres malheureux, arrachés à leurs racines, forcé de rejoindre la bannière émeraude ou de mourir... Etiez-vous des Dragons qui ont sévi alors ? J'imagine que non... Vous avez des principes, Andy. Quelle tragédie, vraiment, quelle tragédie...

Je taquine l'ongle de mon index du pouce, comme si j'en chassais une saleté. Mon expression peinée est un rien cabotine. Les phalènes nous suivent, butinant parfois à mes épaules.

- J'ai même ouïe dire que vos semblable étaient employés pour traquer et embrigader de force de pauvres humains vaguement soupçonné d'avoir un don. Est-ce vrai ? Si cela est avéré, ces rafles me rappellent les heures les plus sombres de notre histoire, ne croyez-vous pas?

Godwin a toujours compris comment faciliter les débats et y mettre un point d'accord définitif. Une sorte de solution finale, en quelque sorte.