A-toot, a-toot, a-toot-tiddeliyada-toot!
He blows it eight-to-the-bar, in boogie rhythm.

Sur un toit, confortablement assis sur la margelle, jambes croisées, j'observe la vie en contrebas. Des fourmis qui s'agitent, se querellent, s'inquiètent. Un bouquet de cervelle aussi insignifiants que des paquerettes dans un pré : un jour une vache viendra les brouter !
Quelques phalènes volettent autour de mon auguste personne. Dans mon beau costume crème j'ai valeur de chandelle dont la flamme attire, je le conçois aisément. Je concède à l'un des lépidoptère de venir butiner sur mon index ganté.

- Que dis-tu ? .. Tu es affamé ? fais-je en plein cabotinage. Mais ne serait-ce pas là un de ce fameux dîner à l'américaine qui servent des hamburgers ? Vraiment? Avec un supplément frittes ?

Je ricane.

- Et pourquoi pas un vulgaire coca-cola tant que tu y es !

Je souffle sur le glouton qui s'enfuit à grands battements. Je rajuste mon canotier sur ma chevelure gominée et me redresse. Ma chemise rouge sous ma veste blanc cassée, mes souliers ocres et vernis, ma canne à la main j'annonce une évidence.

- N'est-il pas tant d'entrer en scène, ma foi ?

Je saute du toit.

***

La clochette tintinnabule, annonçant un nouveau client (Moi, voyons ! Qui d'autre ?). Mes tympans sont inondés d'emblée par le swing d'un classique des Andrew Sisters, crachoté par le vieux jukebox vintage en fond de salle. Le damier du carrelage et le cuir rutilant des banquette hurlent leur amour du rêve amerloque. Une odeur de friture d'oignon et de jus de viande me chagrine les narines. Je fronce le nez sans me départir de mon sourire. Je vogue avec nonchalance vers le bar, le talon de mes chaussures claquant sur le sol. Je sors le carré de soie rouge de ma poche de front et j'essuie le cuir du tabouret avant de m'asseoir et de ranger le tissus à sa place.

Je pose mon ticket de rationnement sur le bar avisant l'espèce d'hippie barbu qui se dandine grotesquement derrière.

- Bonjour ! On m'a dit que ce restaurant était tenu par un de mes compatriote français. Est-ce vrai ?

Je crois que Lionel à la gueule de bois. Il arrête pas de grimacer dès qu'un bruit se fait entendre. Sa cuisine est à peu près la seule source de bruit qu'il tolère. J'ai chantonné sans vraiment y faire attention toute la sainte journée, à son grand désarrois. Bon, il était moins dans la déprime quand je lui ai fait mon p'tit remède spécial.
Je sais pas s'il était de mauvaise humeur avant la gueule de bois ou si c'est la gueule de bois qui l'a rendu de mauvaise humeur mais ce petit nuage n'a pas l'air prêt de disparaître.
La sonnette dingleling et je tourne la tête pour sourire au nouveau venu. Sacré style, on le croirait sortie d'un vieux film de l'âge d'or hollywoodien. Froncement de nez et sourire. Etrange comme grimace, nan?

-Bonjour!

Je regarde le ticket de rationnement avec un sourire amusé. La moitié des clients du Dinner's n'ont pas de tickets, Westside est une quartier qui prend soin de ses membres. Je souris tranquillement en arrêtant ma petite danse décontractée.

-Bonsoir.
-On m'a dit que ce restaurant était tenu par un de mes compatriote français. Est-ce vrai?
-Ca serait assez inutile de mentir sur le sujet...

En même temps, pourquoi ne pas le faire si c'est inutile... Vaste sujet. Je pouffe de rire avant de poser la carte sur le comptoire.

-On a un carrot cake maison en dessert. Et on offre le coloriage en prime. Vous voulez quelque chose à boire?

Je me tourne pour me servir une petite tasse de café en attendant sa réponse. Lionel assassine le gars des yeux. Les talons qui claquent, ça... Ca pardonne pas. Il retourne dans les méandres de sa cuisine alors que deux clients viennent chercher une commande. Le Drôle de Gus est français.

-C'est marrant, j'aurais parier que vous sortiez d'une comédie musicale...

-Ca serait assez inutile de mentir sur le sujet...
- Certes, fais-je d'un ton docte.

L'hurluberlu rigole tout seule et je sens déjà un semblant d'agacement me frictionner la rate. La médiocrité me fait toujours cet effet : une sorte de vague gastrite.

-On a un carrot cake maison en dessert. Et on offre le coloriage en prime. Vous voulez quelque chose à boire?
- "Maison" ? Visiblement pas celle de France. C'est curieux ma foi, j'avais espéré qu'un Français apporterait une gastronomie plus... élaborée, diront nous, en Irlande. Petite moue de dédain. Un café, un italien si possible. Soit gouteux et serré. Le "jus de chaussette" porte redoutablement son nom. Allez, soyons fous, osons le carrot cake. Gardez le coloriage pour ceux -je balaie l'air comme si j'agitais une baguette magique - qui ont su garder leur âme d'enfant.
- C'est marrant, j'aurais parié que vous sortiez d'une comédie musicale...
J'arbore un petit rire feutré.
- Les talons claquant de bons souliers fait parti des plaisirs simples de la vie, Gontrand. C'est bien Gontrand, votre prénom, n'est-ce pas ?

Un ou deux discrets papillons sont apparus ça et là. L'un vient butiner sur l'assiette d'un client est e fait machinalement chasser. Un autre se perche sur le jukebox et secoue ses ailes. On dirait qu'il swingue. Personne ne les remarque.

- C'est amusant, tout de même. Elle ne m'a jamais parlé de vous. J'ai un petit sourire de connivence. Ma femme, j'entends.