Riley pousse maladroitement les portes du Gontr'hamburger, les mains pleines d’un paquet de feuilles et de son ordinateur portable déjà ouvert, scrollant sur la page qu’elle est en train de consulter sur le site de la mairie de la ville. Son téléphone se met aussitôt à vibrer dans la poche de son jeans et elle jure à mi-voix.

Elle s’écroule sur une banquette et laisse tomber tout ce qu’elle porte sur la table avant de se trémousser pour déloger son portable de sa poche arrière.
Elle a à peine le temps de remarquer que l’endroit n’est pas franchement plein mais dès qu'elle passe les portes du restaurant, elle se sent inexplicablement plus calme.

- Finglas !
- Salut Riri !
Riley grogne et passe une main dans ses cheveux.
- Pour m’appeler comme ça, t’as plutôt intérêt à avoir de bonnes nouvelles Grehan !
Elle calle le téléphone contre sa joue et pousse un peu le ketchup et la moutarde pour faire de la place sur la table.
- Mmm oui et non.
- C’est-à-dire ? demande la jeune femme en remettant vainement de l’ordre dans ses papiers.
- J’te fais un rapide topo mais tu auras tout dans le mail que je t’envoie. Les deux sœurs jumelles s’appellent donc Diane et Rouge, orphelines françaises et ont été adopté par un révérend…attend…voilà, Thaddeus Fleming, une ponte de ton ICV là. Il est mort il y a quelques années.
- Des nouvelles de la sœur, Diane ? Il ne me semble pas l’avoir vu à l’ICV mais c’est si grand…
- Nope, disparue de la circulation depuis quelques années, peu de temps après la mort de leur père adoptif… j’ai eu beau faire jouer toutes mes ficelles : chou blanc total.
- Tiens, tiens… intéressant…de quoi il est mort ?
- Mauvaise chute.
- Encore mieux ! Il y a eu une enquête ? Tu as pu retrouver le nom de l’orphelinat ?
- Pour l'enquête, non. Tout s'est fait en interne. Pour l'orphelinat, c'est dans le mail, ma belle ! Mais y’a pas grand-chose à se mettre d’autre sous la dent.
- Je ferai avec. C’est toi le meilleur, Grehan !
- Tu m’en dois une, Riri !
- A charge de revanche.

Riley met fin à la conversation en poussant un profond soupir.

Si elle arrive à récolter quelques informations éparses sur le professeur Fleming, tout ce qui entoure l’organisation reste très, très opaque. La mairie l’a gentiment renvoyée dans les cordes lorsqu’elle a demandé pour la deuxième fois à avoir plus d’information et elle commence à être à court d’idée.

Elle se prend la tête entre les mains puis attrape le menu, décidée à se noyer dans le sucre ou le gras, voire les deux, pour se remonter le moral.

Off with your head
Dance until you're dead
Heads will roll
Heads will roll
Heads will roll
Heads will roll
On the floor

Ennui.
Disgrâce.
Temps de chiotte.
Méteo de poufiasse.

Unseelie m'emmerde menu avec son brouillard. Mon business castratif est au ralenti. Enfermez une veuve noire sous cloche avec les même insectes et elle se retrouve vite à cour de vivre. En un mot comme en cent, je me fais chier sévère. Enyo est trop obsédée par la préparation de son petit meurtre en famille pour jouer avec moi. Kaelig planifie une sortie dans la brume et n'a plus le temps pour fumer un petit joint avec nous. Ce petit con d'Alix n'est jamais là quand on pense enfin à lui.

Merde, quoi ! Il pourrait se tenir prêt !
A disposition, corvéable à merci, tu veux dire ?
Il a sans doute une vie sans toi, ma chère.
T'es là toi ? Je croyais que tu avais décidé de bouder.
Je ne suis jamais bien loin quand tu te tortures aussi savamment l'esprit.

- Goooontrand... Je m'ennuiiiie!!!!

Je regarde les hélices du ventilateur au plafonnier, à l'arrêt tout comme moi.

- Bordel, Klaudia ! Descend du comptoir ! crache Lionel de sa cuisine.
- Ce que tu peux être soupe-au-lait, Lionel. Je médites sur le tragique de ma condition, l'inertie de l'être, tout ça...Fais-je en agitant les bras en l'air, allongée à l'horizontale sur le bar, un pied à plat sur le comptoir, une jambe nonchalamment dans le vide de l'autre.
- Les pieds là où on bouffe c'est pas hygiénique! Dis-lui, toi ! fait-il à Gontrand.
- Est-ce ma faute à moi si mes chaussures ont encore disparu ?
- Laisse-moi répondre à cette question... OUI !
- Je crois qu'il faut que je médite davantage pour les retrouver... fais-je en ignorant les râleries de Lionel, petit sourire aux lèvres, tout en fermant les yeux.

Je me demande quel genre de démon est Lionel....
Laisse-moi le chauffer encore un peu
et je suis certaine de parvenir à lui faire sortir sa vraie forme.
A défaut d'avoir quelque chose de plus intéressant à faire,
l'expérience a le mérite d'être instructive.

La porte tintinabule.
J'ouvre un oeil.
Une silhouette familière se dessine à l'orée de ma vision.
Je me redresse.

Ma foi, ce ne serait pas...
Si ! C'est la bidasse avec son petit minet en pyjama de l'ICV
Oh... Tu avais donc reconnu l'uniforme.
Yvain, tu m'insultes. J'étais ta meilleure espionne, que je sache.
Tu étais ma préférée...
Je déteste quand tu prends cette voix suave.

- Goooooontraaaaand ! dis-je d'une voix guillerette. Regarde un peu qui nous revient!  Tu sais fidéliser ta clientèle, grand fou! Je lui gratte la barbe en riant avant d'abandonner enfin le comptoir. J'ajoute avec une oeillade finaude. Je crois que je ne m'ennuie plus...

Toute distraction vient à point,
à qui sait attendre.
PLATEAU. PIONS. JOUEURS.
QUE LA PARTIE COMMENCE, ALORS...

C'est un peu compliqué... Il y a cette inertie inévitable avant la relance. Comme un moment qui refuse de s'en aller. Un moment de rien qui s'étire jusqu'à... J'en sais rien. Mais il s'étire.
Et c'est souvent pas le plus agréable.

Bon, alors... A gauche ou à droite..? C'est toute la question. Ou peut-être au centre. Pas la moindre idée. En tout cas demi-tour, impossible.

Les doigts appuyés sur les boutons du flipper, la balle coincée entre le petit bras et le rebord, je considère l'immobilisme brillant de sa situation. La suite de sa course, aussi. J'ai le choix : la garder ici - et ça ne lui réussit pas - et lui trouver un truc à faire comme aller toucher le jackpot.

Goooontrand... Je m'ennuiiiie!!!!

Je redresse la tête, envoie ma balle au hasard. La musique m'annonce un jackpot. Klau est étalée sur le comptoire. Ce soir, comme souvent depuis cette quarantaine, y a pas un chat dans le dinner alors je me fiche bien de pieds sur la table. Je me contente de rigoler en les entendant se chamailler. C'qu'ils sont mignons, pas vrai? Je m'en vais m'accouder au comptoir à coté de Klaudia.

- C'est dommage qu'on ai pas de clients, hein. Pour se divertir un peu.

La porte s'ouvre, petit bruit de clochette absolument délicieux. La chance, pas vrai?

-Goooooontraaaaand ! Regarde un peu qui nous revient !

Oh! ICVgirl sans son mignon à la tignasse! Alors, ça. Ca c'est une aubaine.

-Oh! ICVgirl sans son mignon à tignasse! Ca, alors!

-Tu sais fidéliser ta clientèle, grand fou!
-C'est les pin's, ça. Je l'avais dit que c'était une idée incroyable.

Je me fais gratouiller la barbe avec un sourire puis je contourne le comptoire que Lionnel nettoie en grognant.

-Je crois que je ne m'ennuie plus...
-La vie c'est comme une boule flipper qui roule.

Je m'approche de la demoiselle.

-Bonsoir! Ravi de vous revoir parmi nous!

Bon, visiblement, elle est plus littéralement en pleine prise de tête. L'idée me fait rire.

-Est-ce que je peux suggérer notre super chocolat maison, spécial Noel? Vous avez l'air d'avoir besoin d'une bonne dose de douceur.

Riley jette un regard presque désespéré à ce pauvre menu sous plastique comme s’il allait lui révéler les mystères de l’univers…enfin l’univers…elle n’en demandait pas tant !
Savoir ce que trafique réellement l’ICV derrière la surface bien policée de leur bâtiment lui suffirait amplement.
Le patron et la serveuse papotent et l’observe du coin de l’œil. Normal, ça se bouscule pas au portillon ce soir. Alors qu’elle hésite entre s’enfiler un milk-shake à la vanille ou un hot-dog, une voix guillerette lui fait relever la tête.

- Bonsoir ! Ravi de vous revoir parmi nous !

Elle relève le menton et lui offre un pauvre sourire fatigué. Ce qu’elle est. Moralement et physiquement. Elle referme rapidement les dossiers ouverts.  

- Est-ce que je peux suggérer notre super chocolat maison, spécial Noel ? Vous avez l'air d'avoir besoin d'une bonne dose de douceur.

Le sourire se transforme en grimace.

- Ca se voit tant que ça ? Faites m’en un bac s’il vous plait, j’irai me noyer dedans quand ça sera prêt ! Sans rire, je vous suis pour la suggestion. J’espère qu’il est aussi super qu’annoncé…N'hésitez pas sur la dose de sucre, je suis pas diabétique ! Je mangerais bien quelque chose aussi...mais j'arrive pas à me décider... Surprenez-moi avec un truc !

La moue amusée, le menton appuyé contre sa paume, elle se dit que le patron respire la bonhomie. La serveuse au look vintage lui fait une impression plus mitigée. Il y a quelque chose dans la façon dont elle se déplace et bouge qui l’a fait parfois tiquer.

Ses yeux balaient les bancs et tables vides du restaurant.
- Vous tenez le coup quand même depuis le couvre-feu ?