I told you how long we've got
All the time in the world
I've got a thing for you
You've got a thing for me

Le soleil d'été défragmente sur le verre fumé de mes raybans. La capote de la bagnole retroussée laisse mes cheveux libres danser avec le vent. Une cigarette tente de s'agripper au coin de ma bouche. Je dois la rallumer tous les feux rouges. Ici, il n'y en a guère, alors je roule sans nicotine. L'Aberration. La campagne ardéchoise a cela de bucolique qu’elle appelle au pique-nique et à la baignade. Cela fait longtemps que la France ne m'a pas inspirée un verre de vin, les pieds dans l'herbe.

Dix ans.
C'est beaucoup et rien en même temps.
Je ne pensais pas revenir de si tôt.

Trop de souvenirs ?
Trop de toi.
Tu me flattes.
Et toi tu m'ennuies. Tu ne veux pas aller parasiter d'autres têtes ?
Ta cervelle est douillette comme un oreiller en plume d'oie.
Va te faire confire le foie, Yvain.
....Tu me donnes faim.
JE ME donne faim.

J'arrête la tire sur le bas-côté avec un freinage sablonneux. Je déplie la carte sur le volant, briquet dégainé pour un énième allumage de cibiche. Sur le papier, sont entourés au feutre rouge tous les points déjà visités.

Il t'en fait voir du pays, celui là.
S'il a vraiment une maîtresse, il lui fait faire la tournée des clairières.
Plutôt une visite des rives de la Beaume.
Tu as noté comme tous ses déplacements longent le cour d'eau.
J'ai vu merci. C'est quand ta sieste, Yvain ?
Les morts ne dorment jamais, mon amour
et j'aime te faire part de mes fines observations.
En me tartinant la tronche en couches de confiture bien épaisses.
Que reproches-tu à la confiture ? C'est délicieux !

Je lève les yeux au ciel avec un grondement de gamine agacée. Il fait chaud. Mes cuisses collent à la banquette en cuir. Ma petite robe d'été s'immisce en plis bouillants entre mes miches. Désagréable. Je lorgne sur les photos qui dégorgent de l'enveloppe en kraft sur le siège passager. L'homme sur la photo a un air bonhomme parfaitement désarmant : Gontrand Copperman, qu'il s'appelle. Lili - enfin Madame Elisabeth Copperman- est persuadée que son cher époux la trompe. Voilà des mois qu'il se conduit de manière louche, et qu'il disparaît en plein milieu de journée pour ne revenir que tard dans la nuit. Elle est persuadée que Monsieur a une aventure et connait mon existence d'une amie américaine. Je m'exporte assez bien, que voulez-vous. Quoi qu'il en soit, Lili est malheureuse comme un parpaing. Elle me l'a chouiné lourdement entre deux écoulements de morve. Je me suis retenue de lui moucher le nez comme une gosse. A-t-on idée de chialer pour une paire de couilles ? On découpe et on passe à autre chose.

Oui, mais voilà.
J'aimerais bien cisailler l'affaire prestement, mais rien n'atteste que Copperman soit coupable de ce qu'on lui reproche. Le mec se lève aux aurores en sifflotant gaiement, puis vadrouille de petite village en petit village. Et systématiquement il finit par s'évanouir en pleine cambrousse. Crotte , quoi !

Quel vilain mot...
Oh, toi, ta gueule, hein !

Je décide de visser un chapeau de paille sur ma caboche et de partir en escapade sur les berges. Je descend la falaise comme un cabri. C'est tout plein de gros cailloux plats et de grottes érodées par le ruisseau. J'entends d'ailleurs le glougloutement paisible et plein de promesses de l'eau. N'écoutant rien d'autre que mon envie de fraîcheur, je retire mes chaussures et sautille jusqu’à la flotte. Je m'y assoie toute habillée avec un pépiement d'aise. Lorsque je me retourne je découvre que je ne suis pas seule.

Gontrand Copperman est sur un transat à l'ombre, les doigts de pieds en éventail sur une glacière et une canne à pêche entre les genoux. Moment de blanc, de cette latence un peu particulière qui ne saisit que les ahuris.

-... Salut ! Que je finis par dire en le regardant par dessus mes lunettes de soleil.

J'aimerais dire qu'on joue aux échecs,
mais il s'agit plutôt de crapette.
Que la partie commence alors...

La vie est belle.
Moi et Lili, on s’amuse bien même si je me rends bien compte qu’elle est de plus en plus triste. Elle devient jalouse, je crois. Pourtant, elle n’a rien à craindre. Elle est parfaite pour moi. On ressemble à une paire de gamins et c’est tout ce qui m’importe vraiment. Je profite de quelques petites enquêtes de chasse pour balader mes fesses et ma canne à pèches le long des rives ardéchoises.

Oui. Bon. Je choisis mes enquêtes en fonction de si oui ou non, je pourrais échouer dans un petit coin tranquille avec un cours d’eau. En même temps, faut bien se faire plaisir non? En attendant, on est la fin de journée et je me retrouve pépère, moi, ma glacière, ma canne à pèche pour gamin.
Ah oui. Je pêche pas vraiment. Déjà parce que j’ai pas de p’tit sacs à pêche pour mettre les poissons et surtout parce que la pêche, c’est surtout une question de détente. Alors moi et ma canne à pêche multicolore qui cliquette comme une vrai, on se tape une petite bière et un petit coucher de soleil à la faveur du clapotis tranquille de l’eau qui passe.
Cela dit, c’est pas parce que je pêche pas qu’il faut pas avoir l’air de pêcher. Voyez? Bon. Du coup, j’ai un chapeau avec des mouches dessus, un super bermuda et surtout.

Le plus important!

Des BOTTES EN CAOUTCHOUC!

Bon, là, j’les ai pas aux pieds. Parce qu’il fait beaucoup trop chaud.
Donc, j’ai les pieds posés sur ma glacière, ma canne à pêche dans les mains, bien tranquille dans un transat. Les bottes servent de repose glacière, pour pas qu’elle glisse.
Me demande si la femme qui me suis va débarquer. Ca serait marrant.

Le temps passe et puis j’entends soudain un plouf à coté de moi. Je tourne la tête pour découvrir la femme qui me suit. Je souris tranquillement en la voyant. Elle me regarde, visiblement un peu surprise.

-... Salut.
-Salut. Fais chaud, hein. Tu veux une bière?

Je reporte tranquillement mon attention sur ma canne à pêche et tourne le moulinet qui cliquette joyeusement.

-Ah. J’ai cru que j’avais une prise…

Grand sourire.

- Salut.

La situation est surréaliste.
Je suis une icône du surréalisme.
La situation me roule dessus avec la pesanteur d'un trente-trois tonne bourré jusqu’à la gueule d'aigrettes de pissenlits.

Paradoxe.
C'est cocasse, tu avoueras.
C'est désopilant, même.

-  Fais chaud, hein.
- ... Ouais.
- Tu veux une bière?

J'embrasse une nouvelle fois l'ensemble de la scène. La perspective est foutraque.

Je dirais abracadabrante, pour ma part.
Mot compte triple, t'as gagné.

-... Allez!

Je me redresse gauchement dans ma petite robe gorgée de flotte qui me dégouline contre les cuisses. Avec une désinvolture totale, je la retire pour l’essorer. Mes sous-vêtements son vaguement transparents. Si notre pécheur n'a pas d'aventures, je peux éventuellement lui en créer une. Que je justifie un peu mon boulot, bordel de chiottes.

La France exacerbe ta vulgarité.
C'est aussi là que je t'ai trouvé.
Coïncidence ? Je ne pense pas.

J'étale mes frusques au soleil sur une pierre brulante. Puis, je trottine ensuite jusqu’à l'autre demeuré. Il se met à frénétiquement s'agiter autour de la manivelle de sa canne à pêche pour gosses.

-Ah. J’ai cru que j’avais une prise…

J'éclate brusquement d'un rire qui plisse mes fossettes. C'est une situation à la con. C'est une savoureuse situation.

-Je suis un gros poisson. Alors cette bière ? Tu comptes la pêcher ou me la servir ?

On dirait bien que je viens de retrouver la demoiselle qui me suit partout. C’est marrant quand même, tout ça. Je pensais qu’elle m’avait perdue. Pas la moindre idée de pourquoi elle me suit mais, ça a du lui faire une tuile quand elle a paumé ma trace. Content pour elle.
Elle a toujours le cul dans l’eau et me regarde comme si ce qui se passait était incroyablement surprenant.
Ca l’est probablement. Je lui propose une bière. Elle accepte, se redresse avec sa robe détrempée puis la vire pour l’essorer. Pendant ce temps je sifflote en péchant. Les vetements mouillés, c’est pas agréable même par cette chaleur. Elle a bien raison. Et puis j’crois que ça mord à ma ligne. La demoiselle trottine vers moi alors que je découvre qu’il n’y a rien du tout. Je lui fais part de ma remarque. Ca la fait mourir de

-Je suis un gros poisson.
-Ah bon? Je croyais que c’était moi qu’on essayait de ferrer. Marrant.

Je pouffe de rire tranquillement.

-Alors cette bière ? Tu comptes la pêcher ou me la servir ?

Je regarde la jeune femme en sous-vêtement avec un sourire amusé.

-Ca s’rait marrant si ça se pechait. Ca voudrait dire qu’elle serait toujours fraîche…

Je décale mes pieds de la glacière et lui sors tranquillement une bière. Je la lui tends.

-C’est sympa la campagne ardéchoise, non? T’as dû en voir pas mal depuis le temps.

Je ramene la ligne à moi et la relance. Pas un seul instant, je ne me dis que le fait qu’elle me suive soit spécialement un secret.

-Tiens, tu m’en sors une. Moi, c’est Gontrand et toi?

Je sifflote tranquillement en regardant l’eau.

Le gus est tellement décontracté du slip que son kangourou en baille jusqu'en Chine. Impressionnant.

Tes goûts en matière d'homme sont de plus en plus douteux.
Je suis tombée amoureuse de toi,
je vois mal ce qui pourrait être pire.
Hmpf... ça me vexe.
C'est ça, va mourir.
Je le suis déjà.
Et bien décore un peu ta tombe
et laisse moi siffler ma bière à l'ombre.
Peuh...

- Y'a beaucoup d'choses qui sont marrantes avec toi, ma foi. Tu dois avoir les zygomatiques courbaturées.

J'attrape la bière offerte avec un flegme de gaudriole. Je la décapsule avec les dents, à la dure, et je crache la ferraille un peu plus loin. A la cowboy, mais version franco-plouc.

- C’est sympa la campagne ardéchoise, non? T’as dû en voir pas mal depuis le temps.
- Tu me fais salement perdre du fric en essence, surtout. Je m'assoie sur une pierre. Ma culotte mouillée laisse une trace sur le calcaire poreux. Ceci dit, oui, le paysage est pas pourri, mais ça m'explique toujours pas ce que tu traficotes de tes journées...

Nouvelle goulée de bière.
Gagnée par le jemenfoutisme manifeste de Copperman, j'ai décidé que, moi aussi, quelque part, j'en avais pas grand chose à carrer. L'eau est à température, la brise d'été caresse ma peau nue et la binouze est fraîche. Où est le mal ?

- Tiens, tu m’en sors une.

Je m'exécute tranquillement, puis je laisse mon regard se perdre sur les clapotis de la flotte reflétant le soleil.

- Moi, c’est Gontrand et toi?
- Je sais... Enfin, j'veux dire, je sais qu'tu t'appelles Gontrand. Tu m'apprends rien, ta femme me l'a déjà dit. Moi, c'est Klaudia.

Silence.

- Dis ? Je le regarde en coin, avec un sourire malicieux. Tu viendrais piquer une tête avec moi?

Quel est le plan ?
Y'a pas de plan.
J'ai juste envie, c'est tout.

- Y'a beaucoup d'choses qui sont marrantes avec toi, ma foi. Tu dois avoir les zygomatiques courbaturées.
-Pas vraiment, c’est juste que j’trouve que y a pas grand chose qui méritent d’être stressé. C’est plus sympa de les trouver marrantes.

Sourire tranquille alors qu’elle décapsule sa bière à coup de quenotte. La capsule scintille au soleil en voletant. Elle s’écrase dans la rivière et effraie des poissons.

-Ah raté! Mais beau tir! C’est sympa la campagne ardéchoise, non?
-Tu me fais salement perdre du fric en essence, surtout.
-Borf, ça fait prendre le soleil, c’est sympa. Au pire, lache ta voiture et viens avec moi.

La proposition est réelle, quitte à me suivre partout, autant pas s’embeter à se farcir deux voitures. Et puis, c’est plus marrant d’avoir un poto pour les roadtrips, nan?

-Ceci dit, oui, le paysage est pas pourri, mais ça m’explique pas ce que tu traficotes de tes journées…
-Bah, je chasse et puis je pêche. J’ai un truc dans le viseur mais il chasse qu’à des périodes spécifiques, alors je prends mon temps pour y aller. Je laisse de l’espace à ma femme aussi. Tiens, tu m’en sors une.

Je remonte ma ligne en sifflotant tranquillement pendant qu’elle me sort une bière, je la décapsule tranquillement et la sirote avant de me présenter. J’ai failli oublié. Haha.

-Je sais… Enfin, j’veux dire, je sais qu’tu t’appelles Gontrand. Tu m’apprends rien, ta femme me l’a déjà dit.
-Oh, tu connais Lili! C’est marrant, j’t’ai jamais vu.

-Moi, c’est Klaudia.
-Cool, Klaudia, moi c’est Gontrand.

Je lui lance un regard  amusé avant de boire une lampée.

-Dis ? Tu viendrais piquer une tête avec moi?

Je refléchis un instant.

-Allez!

Je me lève, pose ma canne à pêche et rentre tout habillé dans l’eau.

-aaaaah… Ca fait du bien!

Je barbote tranquillement et penche la tête sur le coté.

-Oh….

Je plonge et remonte une bague en or sertie d’un rubis. Je la tends à Klaudia.

-Tiens, pour l’essence.

-Cool, Klaudia, moi c’est Gontrand.

Je me retiens de dire que je sais. Il sait que je sais. Est-il vraiment important qu'il sache que je sais ? Après-tout, il m'a laissée savoir jusqu'ici, tout en ne sachant pas qu'il savait.

C'est confus.
...
Tu boudes ?
...
Tant mieux pour moi !

- Tu l'as déjà dit, tu sais ?

*PLOUF*

- Aaaaah… Ça fait du bien!
- T'es vraiment un drôle de poisson, toi...
- Oh….
- Quoi ?! Il plonge, tête la première avant que je n'ai pu couiner un. Mais qu'est-ce que tu fais ?!
- Tiens, pour l’essence.

Un objet scintille dans sa paume. Je me penche, avec la curiosité d'une gamine. C'est une bague. UNE PUTAIN DE BAGUE ! Le rubis est énorme et rougeoie au soleil.

- Oooooh, Gontrand... que je minaude, avec un sourire de petite fille adorable. Je me sais adorable. Oui, je le veux. J'enroule mes bras atour de son cou. Mes cils battent si fort qu'ils pourraient générer des ouragans. T'es quand même un rapide ! Me demander en fiançailles après cinq minutes de causette. Enfin j'imagine que ces longues heures à serpenter derrière ton capot dans le no-man's land ardéchois nous a rapproché. Haussement d'épaules. J’espère que t'es plus endurant dans l'exercice conjugale, tout de même ! Je me mordille la lèvre inférieure, fossettes malicieuses creusées dans mes joues. Bon, mon petit triton, quand est-ce que tu m'emmènes voir ton père le Grand roi Truite, pour annoncer nos épousailles ?! Il faut célébrer cette grande réunion gazole-rivière, tu ne crois pas ? C'est historique !

Je frétille en bonne sirène contre ce grand dadais. Je me prends au jeu. En vérité, je crois que je m'amuse... Et pour la première fois depuis longtemps, Yvain a cessé de me tourmenter.

-Oooooh, Gontrand… Oui, je le veux.

J’éclate de rire en la laissant s’enrouler à mon cou. Elle papillonne à grand renfort de cils et ça n’arrive qu’à me faire rire encore plus.

-T’es quand même un rapide !
-Je sais bien, on m’le dit jamais.
-Me demander en fiançailles après cinq minutes de causette.
-Si c’est la rivière qu’a montré la bague, est-ce que c’pas la rivière qui te marie, du coup?

Je lui passe la bague au doigt, très littéralement, ça fait un moment qu’elle me colle le train et elle a du dépenser une sacré fortune en gazoil.

-Enfin j’imagine que ces longues heures à serpenter derrière ton capot dans le no-man’s land ardéchois nous a rapproché.
- J’dirais qu’on est copain comme cochon, même nan? T’en dis quoi?
-J’espère que t’es plus endurant dans l’exercice conjugale, tout de même !

Je hausse les sourcils à la manière d’une caricature de crooner.

-Si tu savais, minette, j’dure au moins 30secondes ENTIÈRES.
Je rigole d’autant plus.

-Bon mon p’tit triton, quand est-ce que tu m’emmènes voir ton père le Grand roi Truite, pour annoncer nos épousailles?! Il faut célébrer cette grande réunion gazole-rivière, tu ne crois pas?

Pour toute réponse, je la soulève hors de l’eau pour la balancer plus loin.

-Tu lui feras la bise de ma part!

Et je me barre en courant dans la flotte en riant comme un gosse.
C’est une bonne après-midi vous trouvez pas?