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 L’offre et la demande. La psychanalyse selon Marx. [ft. Amon]

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Brónach E. Mooney
Brónach E. Mooney
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Et me revoilà comme sept ans en arrière. Saucissonnée dans un tailleur trois fois trop large (ce n’est pas de ma faute si je suis taillée comme une asperge avec une taille de crevette anorexique), cravate repassée à la prime, mallette noire sous le bras. Je pourrais limite passer pour un vendeur de porte-à-porte. À cette exception prêt que je ne trimballe ni l’aspirateur ni les échantillons de moquettes. Si ce n’est pour les talons hauts, j’aurais clairement pu passer pour un témoin de Jéhovah. Je me demande vaguement si j’aurais été mieux accueilli si cela avait été le cas. Personne ne les aime, et pourtant on s’adresse à eux avec une politesse à faire gerber un sourd et muet. Pardonnez l’expression. C’est le stress qui fait ça. De là à dire si c’est l’angoisse de me choper un refus ou celle de me voir embauchée … allez savoir.

Après tout, dans ma mallette je ne me trimballe rien de plus (ni rien de moins) qu’une lettre de recommandation de mon précédent employeur. Une lettre toujours scellée. Soi-disant confidentiel. Mais bon, quand ça nous concerne personnellement, vous en connaissez beaucoup des gens qui n’aurait pas cédé à l’appel malsain (et maladif) de la curiosité accrue ? J’ignore si j’ai eu peur d’y découvrir la fin fond pensée de feu mon dirlo ou bien des louanges à tire la rigot qui m’aurait  causé un fou rire mortel. Quelle douce ironie du sort pour une psychiatre de mourir de la sorte. J’imagine déjà l’inscription sur ma stèle : Dr. Mooney – M.D.R.

Mais assez de tout cela, j’ai un rendez-vous qui m’attend et arriver en retard dès les préliminaires … eh bien disons que ça ne fait non seulement négligé sur le CV, qui plus est ça réduit considérablement toutes mes chances de tenir jusqu’à la fin du rencart. Quand bien même l’idée me tente au plus haut point (après tout, on n’est pas venus se perdre dans ce bled paumé pour y rester … si ?), je ne suis pas du genre à rebrousser chemin face à l’adversité. Puis y’a un loyer à payer aussi. Tad a beau avoir son fichu dieu marchand dans la poche, il est hors de question que je me fasse entretenir par mon mec. Encore moins par un mac. Alors il va me faire le plaisir de scinder les charges équitablement sans quoi il va finir par roupiller sur le balcon ! Pour autant qu’on en ait un.

Et déjà je me mets en route vers l’entrée principale, military style. Inutile de se voiler la face, marche ou crève – c’est ça non ? Eh bien aujourd’hui je n’ai pas spécialement envie de crever et comme les options sont restreintes.
Je me dirige aussitôt vers l’accueil pour annoncer ma présence. Une femme visiblement débordée par quelconque imprévu dans lequel je n’aspire aucunement à m’impliquer me fait me répéter trois fois. Je prends sur moi. Le manque aberrant de personnel dans les hôpitaux n’est visiblement pas une légende urbaine coltinée à un seul pays et encore moins une seule région. Je ravale la première (ainsi que la deuxième et troisième) réplique qui me passe par la caboche et la remercie pour ses indications avant de lui souffler un petit mot d’encouragement. Toujours se montrer respectueux envers les maillons inférieurs (je n’ai PAS dit faibles !) de la pyramide féodale ; ça aide à monter les échelons. Croyez-en mon expérience, j’ai vu les dégâts que ça peut faire en sens inverse.

Je finis tant bien que mal par me dépêtrer dans ce labyrinthe de Dédale en déboulant dans l’aile psychiatrique. J’inspire un grand coup et me dépoussière un peu l’uniforme, car c’est exactement comme ça que je me sens. Un petit bleu qui se présente repassé à sec au premier jour de son service militaire. Je hausse mentalement les épaules. C’est une image comme une autre. Et nous savons toutes les deux que sur un champ de guerre c’est moi qui le remporterait haut la main – peau de lapin.

-« Excusez-moi. »

Je profite d’une porte qui s’ouvre et dont un patient s’extirpe (rien qu’à travers son expression corporelle on distingue sans peine les rôles répartis) pour accoster le toubib qui se cache derrière. Je m’interpose carrément dans la fin de la conversation, coupant ainsi radicalement fin aux adieux. Parfois ils peuvent être laborieux. Au pire j’ai vexé le patient. Au mieux j’ai sauvé son analyste.

- « Je viens pour le poste vacant. »

Vous n’êtes clairement pas le mec qui va m’auditionner, mais vous ferez l’affaire.
Et si je me fourvoie complètement dans les apparences, c’est que vous avez le droit de me virer avant même de m’avoir embauché.
De rien.
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Amon El-Hadji
Amon El-Hadji
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L'hôpital. Des semaines qu'on ne m'avait pas rappelé. Entre mon propre cabinet, l'école et Malsheem, il est vrai que mes activités ici étaient plus réduites, bien que je prenne toujours un plaisir indiscutable à en parcourir les couloirs. Je crois qu'il y règne une atmosphère particulière que je ne retrouve nulle part ailleurs. Je travaille aux côtés d'autres collègues, et aucun ne soupçonne ne serait-ce que l'ombre de ma nature élémentaire. Peut-être que c'est ça, qui me plaît plus que tout. Le fait que je joue plus à l'humain que n'importe où ailleurs.

Je vis une journée agitée qui s'étire en longueur. De nouvelles instructions suite à la quarantaine, et une réunion du personnel dans la matinée, avant d'enchaîner sur la liste de mes patients prédisposés. Je connais la plupart d'entre eux, gravitant entre les murs blancs comme un second chez eux. Une réalité qui leur appartient, dont certains se sont accoutumés, mais pas tous. Fred Browry, ma dernière consultation en date, fait parti de ces cas particuliers. C'est un jeune homme d'une trentaine d'années, enregistré pour troubles bipolaires aggravés, particulièrement violent depuis un retour de soirée aux alentours d'Eastside. Là où le brouillard s'évertue à faire des siennes.
Nous avons longuement discuté, mais je n'ai décelé chez lui qu'une forte recrudescence de sa maladie, le poussant à devoir rester plusieurs parmi nous. Mais rien qui ne porterait de traces surnaturelles. J'ignore jusqu'où les pouvoirs d'Unseelie peuvent influencer la psyché humaine mais... sa menace devient de plus en plus prégnante.

Alors que je donne à monsieur Browry ses dernières recommandations, une jeune femme nous interrompt. Elle se place allègrement entre notre poignée de main, ce qui me désarçonne légèrement, tout autant que mon patient qui se voie pris en charge par son infirmière attitrée. Je reste interdit devant cette audace soudaine.

« Excusez-moi.
- Je vous en prie...
- Je viens pour le poste vacant.
- Le... oh ! »

Les bribes de la réunion du matin me reviennent. Entre autres informations, il m'a été transmis qu'en raison de mon emploi du temps relativement chargé – ce qui est un euphémismes -, l'hôpital s'était chargé de me trouver un ou une suppléante que je serais chargé de former, reprenant une partie de ma patientèle lors de mes absences. Et cette jeune femme était visiblement l'une des candidates... qui n'avait aucune idée d'où aller. J’émets un sourire en coin, lui donnant à elle aussi une poignée de main, en dépit de son comportement.

« Je suis le docteur El-Hadji. Le poste vise en partie à me suppléer, le hasard fait donc bien les choses. » Je l'observe, un peu plus longuement. Son visage ne m'est pas inconnu. « Mais il me semble que je vous ai déjà vue... Vous n'étiez pas au Congrès Britannique de Psychiatrie le mois dernier ? »

Peut-être que oui, ou non, mais dans tout les cas, elle n'est pas venue pour papoter avec moi.

« Quoiqu'il en soit, les entretiens se font dans le bureau du directeur. Suivez-moi, je vais vous y conduire. »

Je prend le pas de remonter les différents couloirs jusqu'à la zone interdite aux patients. Tout les corridors sont identiques, pour qui ne s'y connaît pas. Sur notre route, nous croisons une multitude d'infirmières et infirmiers débordés, de collègues en blouse, et autres internes en pleine course. Deux ou trois manquent de nous renverser à la croisée des chemins.

« Désolé, c'est souvent la panique ici... Mais la plupart du personnel sont des gens charmants, vous verrez ! »
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Brónach E. Mooney
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Je vois bien au regard qu’il me jette, que ça ne lui plait pas. Ou du moins, que cela sort de son quota ordinaire. Ce qui n’est parfois pas plus mal. Il faut savoir se faire secouer un peu. Évoluer avec l’air du temps. Pas que j’ai envie de frimer avec mon âge, mais c’est juste la suite logique des choses.
Les couloirs froids et aseptisés. Les docteurs en blouse blanche, lunettes visées sur le nez, qui se contentent de faire semblant d’écouter avant de prescrire des médocs que la direction a réussi à négocier au rabais auprès des grandes enseignes pharmaceutiques multinationales … non merci, très peu pour moi.
J’ai personnellement eu à gober des cachetons pareils dans mon enfance.
Been there.
Done that.
No thank you.

Bon, ce n’est pas obligé de figurer sur mon CV et encore heureux.
D’un autre côté, un bon employeur n’a qu’à aller creuser un peu plus profondément mon dossier pour trouver ce que je n’essaie même pas de cacher. À quoi bon ? C’est en tentant de brouiller les pistes, qu’on sème les plus grosses miettes.

Mais là n’est pas la question.
Oui je me suis imposée. Un petit peu seulement. Si j’avais vraiment voulu faire dans l’esbroufe, j’aurais carrément pu le bousculer. Ce qui est toujours un quitte ou double quand on ne connait pas le diagnostic du patient X. Autant partir du principe du worst case scenario. J’aurais pu me retrouver face à un schizophrène ou un cannibale. Ou un combo des deux.
Ce qui me fait sourire intérieurement car j’ai le souvenir d’une de mes premières consultations qui refait surface. Un hypocondriaque de première. Accro aux séries télé.
Une sorte de bizutage orchestrée par mes collègues de l’époque.
Je revois encore leurs visages quand le mec est sorti de mon bureau.
Ah, douce nostalgie quand tu nous tiens.

Mais assez de cela.
Il faut que je revienne dans le ici et le maintenant.
Celui où l’homme devant moi se présente, en me serrant la main et en me jetant directement dans le bain.
En gros, il est surmené et son chef a bien daigné vouloir l’écouter.
Je note, je note.
Ça doit bien être la première fois que la direction écoute les doléances de son personnel. Un bon point pour le Mab’s Crown Hospital. Un !

Il me reluque.
J’en fais de même.
Est-ce qu’il L’a vu ?
Est-ce qu’il L’a perçu ?
Quelque chose semble émaner de lui, mais je n’arrive pas immédiatement à mettre un nom dessus.
Puis vient la question sur ma présence à un certain Congrès.

- « Seulement en distanciel. Vous savez, la Nouvelle Orléans n’est pas la porte d’à côté. »

Je tente un ersatz d’humour pour briser la glace. Histoire que je ne lui laisse pas uniquement une image de fouteuse de trouble. Ce que je suis à dire vrai. Mais ça, il n’est pas obligée d’en avoir la confirmation avant ma nomination.
Il ne relève d’ailleurs pas la perche tendue et nous voilà tous deux à dévaler ces couloirs qui se ressemblent et où il faudrait limite une carte routière pour s’y retrouver. Ou un GPS intégré à la tablette. Fichtre, j’espère qu’ils bossent avec un minimum de technologie ici. L’ère du stylo et du papier, c’est tellement has been. Même si ça fonctionne fichtrement bien. Et que, secrètement, j’en suis une véritable adepte.

On croise moult people. Au plus on se rapproche des parties privées (à lire « ceux interdits au personnel non autorisé »), au plus vite ça se bouscule. Au plus ça manque de ME bousculer. Je zigzague entre les corps en mouvements. Il faut dire que là, pour le coup, mon physique s’y prête. Certains diront que je passe entre la feuille et le mur. Ce n’est pas faux. Je m’en sors donc plutôt bien. Pour autant que je garde ma concentration sur le trajet. Si en plus il se met à me parler, ce n’est pas gagné. Mais je suis du genre à accepter un petit challenge quand le jeu s’y prête.

- « Pourquoi vous vous excusez ? »

Un hosto sans couloirs débordants, ce serait un peu déprimant … non ?
Et pas très rassurant.
Soit c’est trop cher, soit ça a mauvaise réputation.
L’un comme l’autre, les gens seraient quand même en train de se pousser aux portillons.
Et comme je suis ici car il doit suppléer …

- « Vous participez à l’interview pour l’entretien ? »

Ce qui serait logique, si c’est lui que je dois convaincre de bien vouloir de moi à former.
D’un autre côté, la direction n’est peut-être pas aussi ouverte d’esprit.
Et tout risque de dépendre de mon prix.

- « Des conseils ? »

Ça peut paraître étrange de demander cela, mais j’essaie surtout de sonder ses réactions. Pour autant qu’il consent à les partager avec moi.
On dit que la première impression fait beaucoup.
Quelque chose me dit que j’ai foiré la mienne.
Ça ne me dérange pas outre mesure.
J’aime prouver aux gens qu’on peut se tromper.
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