L'Arena est pleine. Pas complètement mais l'endroit résonne des bruits d'entrainements. Posée contre le bois peint de l'encadrement de la porte, j'observe, depuis la mezzanine du bureau, l'entrainement des nouveaux Dormeurs. Ca fait peu de temps qu'ils sont tous réunis au même endroit, ceux qui ont défié le Pandemonium avec moi et ceux qui sont prêts à donner une chance à la vision de Kaelig et le moins qu'on puisse dire, c'est que ça se voit...

Il y a une cission marquée par un vide dense et étonnamment matériel où le seul pont tangible est la silhouette fine de Sorin qui passe d'un groupe à l'autre.
Mes dormeurs et les anciens Sang-Coureurs se méfient les uns des autres. Ils ne sont pas encore cette unité qu'il leur faudra pour faire face à Unseelie et aux Hurlants.
Il ne se passe pas un jour sans que les deux groupes ne se galvanisent l'un contre l'autre.
J'inspire profondément et me retourne vers le cliquetis des touches d'ordinateur qui viennent de s'arrêter une nouvelle fois, derrière moi.
Kaelig, ses lunettes sur le nez, regarde un peu dans le vide. Je ne sais pas s'il cherche un mot, s'il est pensif... Je m'approche de lui et m'assoie sur le rebords de son bureau. J'ai aussi le mien, maintenant. Ca me fait bizarre. Ca fait chef. Officiel. Brr. J'ai encore du mal à m'y faire. Je boop rapidement son nez et lui souris.

-Coucou! Dis... Ca va? T'as l'air... pensif?

J'entends un nouvel éclat de voix, il est bref mais il a existé. Encore un et on vient juste d'ouvrir...

-... Chai pas toi, mais perso, cette petite guéguèrre interne commence à doucement me casser les ovaires... Alors, oui, je sais, on a dit, soyons patient mais là, sérieux. J'y réfléchis depuis quelques jours et va bien falloir qu'on les fasse se faire des bisous à un moment sinon ça va mal finir, nan?

Young man out there, the world is not so fair
You beg and steal and borrow
But your time is coming, I swear
You pay the price and see it's not so nice
You'd scratch your head and wonder if they'd ever sacrifice for you

Je l'ai fait.
On l'a fait.
L'alliance ancestrale des quatre clans des Sang-coureurs a éclaté. Je ne regrette pasn pourtant, quand je vois la jeune génération embrasser cette nouvelle formation avec aisance et facilité : Lua, Ilyas, Sorin... Les "Dormeurs" sont pour eux, inspirés par leur jeunesse, leur ouverture d'esprit.
La véritable difficulté est de convertir les plus aguerris.
Les démons rebelles d'Elie sont repliés sur eux même, méfiants et inquiet, à juste titre. La plupart d'entre eux ont les même séquelles que leur leader, stigmates  causés par l'expérience des Fosses.
Mes hommes sont défiants, parfois méprisants, ils ne manifestent que peu de respect pour cette "racaille" qu'ils estiment indisciplinée et à qui ils ne confieraient pas leur vie si je n'imposais pas cette fraternité forcée. Nombre d'entre eux ont perdu des camarades de la main de démons.

Provocations et prises de bec se multiplient. J'imaginais, naïvement peut-être, que retaper l'Arena collectivement aurait pour vertu de resserrer les liens : quoi de mieux que du bricolage pour nouer des liens. Ça n'a pas été suffisant.
Plus délicat encore, ma propre voix ne porte pas chez les "Dormeurs" originels comme celle d'Elie  n'atteint pas celle des anciens Sang-coureurs. Ils ne restent unis que par respect pour nous. Si l'un ne relaie pas l'autre et inversement, ils n'écoutent pas ou non sans rechigner.

Depuis des semaines j'écume les manuels de pédagogie, les traités martiaux, je suis même actuellement en train d'échanger par mail avec une institutrice de maternelle pratiquant la méthode Montessori afin de puiser des idées de méthodologie. Je veux résoudre le problème en douceur.

J'en suis là de mes réflexion quand mon étoile adorée me poke le pif.

-Coucou! Dis... Ça va? T'as l'air... pensif?

Je retire mes lunettes pour la presbytie  et me frotte l’arrête du tarin.

- Je réfléchis....
- ... Chai pas toi, mais perso, cette petite guéguèrre interne commence à doucement me casser les ovaires... Alors, oui, je sais, on a dit, soyons patient mais là, sérieux. J'y réfléchis depuis quelques jours et va bien falloir qu'on les fasse se faire des bisous à un moment sinon ça va mal finir, nan?
- Justement, c’est à ça que je réfléchis. J'ajoute avec un sourire, moi aussi.

Je me recule dans mon siège avec un soupir.

- Le soucis c'est que le mariage de nos deux "groupes" n'est toujours pas consommé. Le pourquoi tiens à deux choses , à mon avis : un passif de part et d'autre qui les poussent à la méfiance et le fait qu'ils passent trop par nous pour communiquer. Je veux dire, nous sommes leurs chef, mais aussi des intermédiaires forcés qui jouons les envoyés diplomatiques entre deux formations distinctes qui ne se mélangent jamais. Il faut qu'on puisse briser ce phénomène. Avant que tes hommes me reconnaissent comme chef et vice versa pour toi et mes chasseurs, il faut que nous les amenions à se passer de nous. Que les uns apprennent des autres et vice-versa sans que nous ayons à faire la traduction en permanence. Il faut que l'on s'effacent momentanément pour les forcer à interagir.... Tout en contrôlant la soupe pour qu'elle ne déborde pas. J'ai contacté une spécialiste de la pédagogie et au cours de nos conversations, j'ai retenu deux trois choses intéressantes notamment le fait qu'elle se basait pas mal sur la transmission des enfants plus à l'aise à ceux qui le sont moins, en responsabilisant les premiers sur des projets collaboratifs avec les seconds. Ce qui est fascinant c'est que, dans cette configuration, des liens de solidarité se tissent qui permettent une meilleure assimilation des apprentissages...

Je me rends compte que je me suis exprimé volubilement avec les mains, de manière très passionnée. Je me sens vaguement rosir. A mon âge, franchement, ça tient du ridicule.

- Hum... Concrètement, il faudrait tenter de une expérience inédite avec eux : je pensais à des équipes de un dormeur/un chasseur ou des groupes plus larges de manière à ce que les premiers inculque la "danse" aux seconds et que les second apportent leurs savoir faire tactiques et leur connaissance du surnaturel aux autres... Voilà.. en gros.

Je la regarde avec une moue incertaine, en quête d'approbation.

- Est-ce que c'est... une bonne idée selon toi ?

C'est rigolo comme moi et Kaelig, on est souvent sur la même longueur d'onde. Je veux dire... Depuis que je me soigne, on retrouve cette communication fluide et cette synchronisation incroyable qui m'avait tellement marqué quand j'étais humaine. C'est débile, je sais bien mais ça me fait sourire comme une andouille alors qu'il m'explique pourquoi, selon lui, ça fonctionne pas du feu de dieu, notre petite popotte.
J'écoute attentivement mais y a un moment ou deux où je décroche parce que... Ben, vous avez vu cet homme, s'il vous plait? La beauté? La passion quand il parle pédagogie et tout? Bon. J'écoute attentivement, on a dit.
Plus ils m'exposent son idée, plus je réalise qu'en fait on a sans doute à peu près le même plan d'action. Sauf que lui, il a fait mille recherches pendant que j'ai simplement regardé le bordel en fronçant les sourcils et en me disant "hmmmm". Il est mieux calé que moi dans le détail de la gestion de tout ça. J'y vais encore littéralement à l'instinct parce que j'arrive franchement pas à lire les traités martiaux et tout le reste. Petit un, la moitié des mots, j'les comprends pas. Petit deux, j'm'endors devant comme si on avait foutu un somnifère dans mon thé.

Je hausse les sourcils et souris quand il s'arrête net avec son petit air pincé. Là, vous voyez, il est gêné parce qu'il vient de s'emballer et qu'il est - je cite - "trop vieux pour ces conneries". Je devrais ouvrir un cabinet de télépathie spéciale Kaelig Taur.
Je caresse gentiment sa joue.

-Rougis pas, bébé.

Je glisse ça en souriant avant de m'asseoir en tailleur sur le bord du bureau pour écouter la suite.

-Hum... Concrètement, il faudrait tenter une expérience inédite avec eux : je pensais à former des équipes de un dormeur/un chasseur ou des groupes plus larges de manière à ce que les premiers inculquent la "danse" aux seconds et que les seconds apportent leur savoir faire tactiques et leur connaissance du surnaturel aux autres... Voilà... en gros.

On a quasi la même idée. Ca me fait rigoler. Du coup, il a l'air moins sur de lui et me regarde avec ses petits yeux tout froissés là. C'est fou d'être aussi mignon, là.

-Est-ce que c'est... une bonne idée selon toi ?

Je me penche pour l'embrasser et frotte mon nez contre le sien.

-J'crois. En fait, j'crois même qu'on a à peu près la même idée. Alors, perso, j'avais l'impression que c'est plus parce que aucun des deux groupes voulait tester le bidule de l'autre... Du coup, ben... Ils restent chacun très étranges pour l'autre. Du coup, ça fait que vu que c'est étrange, ils en ont peur. Mais, ton truc sur le passif et la communication, c'est vrai aussi. Alors du coup, j'avais pensé à faire comme tu dis, faire genre deux groupes. ou quatre ou, j'en sais rien mais en gros, un avec toi et la pur méthode Sang-Coureurs de l'entrainement. Ceux qui sont habitués qu'à ma manière seront bien obligés de demander de l'aide à ceux qui connaissent que la tienne... Et un avec moi où ils vont apprendre à danser et à s'entrainer comme j'faisais dans les fosses. Et pis, genre à un moment on échange les groupes et pouf. ca les force à s'entraider et tout.

Je fronce un peu les sourcils.

-Bon par contre, ça nous efface pas du tout... C'est peut-être le seul truc que je comprends pas trop dans ce que tu m'as expliquer. J'pense que c'est important qu'on soit plus que des observateurs qui interviennent que quand ça part en sucette. C'est important qu'on s'implique dans ce processus mais qu'on pose de meilleurs limites. Genre, ok t'as du mal à communiquer mais si t'as un truc à dire à machin, passe pas par moi, t'es un adulte responsable et lui aussi. On peut pas être super présent et d'un coup, juste en retrait. C'est des extrêmes. Genre, j'pensais plus à si y a un problème ou quoi, mettre en place des moments de paroles où ils s'expliquent et tout. En vrai, j'me demande même si faudrait pas faire des vraiment moments de discussion genre, un truc un peu qui doit devenir une tradition? J'm'égare, là, non?

Je pouffe de rire et me gratouille la tête.

-Mais du coup, ouais, je pense que c'est une bonne idée. Et putain, c'que t'es sexy quand t'es passionné. C'est du délire.

-J'crois. En fait, j'crois même qu'on a à peu près la même idée.
- Oh ? Sérieusement ?!

Soixante ans et l'air d'un gosse qui frétille parce qu'il reçoit un compliment. Est-ce possible ? Oui. Crétin de moi. Tout ensoleillé de la constatation que nous partageons une forme de conscience collective propre aux amoureux, j'écoute ma petite démone de femme m'exposer son propre plan.

- Oui, ça me semble être pas mal pour un premier atelier.
- Bon par contre, ça nous efface pas du tout... C'est peut-être le seul truc que je comprends pas trop dans ce que tu m'as expliquer. J'pense que c'est important qu'on soit plus que des observateurs qui interviennent que quand ça part en sucette.
- Non, mais oui... évidemment ! On reste leurs "chefs", on doit s'impliquer... cependant on doit progressivement gommer les mécanismes qui font que nos gars nous utilisent comme agents diplomatiques entre eux sans tenter de véritablement communiquer directement. C'était plus en ce sens, tu vois ?... Evidemment que ça se fera en douceur.

Je médite sur la fin de son exposé.

- On pourrait tenter des moments de "familiarisation" plus spontanés, en dehors du cadre "boulot, boulot"... genre une grosse bouffe, par exemple, tous ensemble ? C'est pas mal comme tradition, une tablée familiale, non ?
- Mais du coup, ouais, je pense que c'est une bonne idée. Et putain, c'que t'es sexy quand t'es passionné. C'est du délire.

La conclusion m'électrise le poil et je sens mon visage brûler, rendant le contraste avec ma barbe blanche hilarant. Une Tomate sous la neige. L'amour, ce connard.

- Bon ! Fais-je en me levant brusquement manquant de faire valser Elie du bureau. Je l'attrape gaillardement par la taille et lui décoche un baiser. Allons mettre la théorie en pratique... Histoire que le mythe de ma sexytude perdure.

J'ai un rire de gorge qui ressemble un bourdonnement et je me dirige vers la porte. Celle-ci s'ouvre à la volée,claquant sur le mur, histoire de soigner mon entrée : effet escompté, tout le monde nous regarde dans un silence surpris.

- Votre attention, bande de jigodie! fais-je avec un large sourire bourru. Gardez toute cette belle énergie en réserve parce qu'on va tenter un nouveau type d'entrainement, pas plus tard que maintenant. Je laisse Elie vous expliquer de quoi il s'agit et je vous prierais de ne pas moufter et d'être attentifs! Merci, merci !

Je m'écarte pour laisser l'autre tête de notre hydre prendre la parole.

-On pourrait tenter des moments de "familiarisation" plus spontanés, en dehors du cadre "boulot, boulot"... Genre une grosse bouffe, par exemple, tous ensemble ?
-Ca serait trop cool.
-C'est pas ma comme tradition, une tablée familiale, non ?
-Mais grave! Putain, ça serait trop bien! Et putain, c'que t'es sexy quand t'es passionné. C'est du délire.

Il devient ecarlate. Et alors, le blanc ça fait ressortir le rouge du feu de dieu. Je pouffe de rire et ce faisant, je ferme les yeux pour me retrouver catapultée et rattrapée en moins de temps qu'il me faut pour pousser un petit cri peu flatteur du style "whaaaaaaaaaaargh".

-Bon ! Allons mettre la théorie en pratique.

Je me retrouve avec un enlacement et un bisou. Autant dire que j'suis contente.

-oookay!
-Histoire que le mythe de ma sexytude perdure.
-Oh mais t'es aussi sexy quand t'es une tomate, tu sais.

Je lui lance un clin d’œil outrageusement charmeur. Ça le fait rigoler bizarre, on dirait qu'on l'a foutu sur vibreur alors du coup, ça me fait marrer aussi. On sort et je sais pas si c'est parce que c'est une petite tomate ou parce qu'il est en joie mais la porte s'ouvre et se fracasse contre le mur. Je hausse les sourcils. Y en a chez les démons qui se crispent. Le PTSD, il a beau savoir ce que c'est, parfois il oublie un peu que les gros bruits soudains, c'est un sacré déclencheur. Je vérifie discrètement que personne n'est en PLS. RAS. Cool.
Je sais aussi que certains des ex Sang-Coureurs trouvent que les Dormeur sont toujours en recherche d'attention. Ca fait partie des choses qu'on doit déconstruire avec Kaelig.

-Votre attention, bande de jigodie !

Il a un big smile et ça fait plaisir à voir.

-Gardez toute cette belle énergie en réserve parce qu'on va tenter un nouveau type d'entrainement, pas plus tard que maintenant. Je laisse Elie vous expliquer de quoi il s'agit et je vous prierais de ne pas moufter et d'être attentifs! Merci, merci!

Est-ce que c'est le compliment sur sa sexytude qui lui a foutu le feu au cul? Je souris un peu et je m'avance. J'en sais rien mais lui aussi il a une belle énergie.

-Bonjour à tous ceux que j'ai pas vu! Aujourd'hui, on va séparé vos groupes en deux. Deux groupes de Dormeurs, deux groupes de Sang coureur. Un groupe de chaque ira avec moi et je vous apprendrais les Mouvements ainsi qu'un p'tit entrainement classique de ce qu'on faisait au Pandémonium. Les deux autres groupes iront avec Kaelig pour un entrainement Sang-Coureur pur jus puis demain, on inversera.

Un certain brouhaha s'élève, diffus. Je les observe, on peut pas dire qu'on s'y attendait pas.

-Le but, c'est de vous mélanger, d'apprendre les uns des autres. On a besoin de cette cohésion et je comprends que ça soit pas facile, c'est pour cette raison qu'on vous donne un coup de pouce. A vous de faire le reste du boulot pour que ça se passe bien. On ne peut pas travailler avec une équipe divisée et polarisée. Ca donnera rien de bons en missions ou en affrontement. Vous êtes tous des guerriers remarquables, ça serait dommage de passer à coté de l'opportunité d'être absolument géniaux.

Je descends les escaliers et me place à coté de la salle de danse, j'ouvre la porte.

-Allez, c'est partie!

Forcement ça commence à grogner. Ca devait arriver. Je hausse les sourcils et penche la tête.

-C'est pas une option. Bougez vous le fion, sérieux. J'ai autre chose à foutre que de jouer la police.

Fatalement, un ex-Sang Coureur, caché dans la masse lance à l'attention de son camarade de gauche. Il est railleur mais c'est surtout l'inquiétude que je sens dans sa voix.

-Super, on va apprendre à rouler du cul sur une barre de pole dance... Ca va servir à quoi...

Du coté des Dormeurs, aucun n'est vraiment jouasse à l'idée de suer en tapant et en soulevant de la fonte ou en boxant dans un ring.

-On va quand même pas se retrouver à devoir boxer...? On en a jamais eu besoin, c'est une perte de temps.

Miranda prononce ses mots avec une voix estomaquée. Elle ne pense pas à mal, pas plus que les autres et leur regards légèrement défiants.

-Tu vas pas apprendre à rouler du cul sur une barre de pole dance. Tu vas apprendre à exprimer par le corps, à cristalliser et à transmettre. tu vas apprendre une précision de mouvement, une conscience de ton corps. Après, si t'as envie de faire du pole dance, libre à toi. Vous vous demandez à quoi ça sert. Ex-Sang-Coureurs, On a soulevé les fosses avec ça, tellement fort que le Pandémonium nous a recraché, un par un, pour tenter d'étouffer l'espoir qui y naissait. Ex-Dormeur des Fosses, les Sang-Coureurs ont appris une maîtrise incomparable du bestiaires terrestre et du maniement des armes, du combats. Ils sont humains et ils ont terrassés des démons.Ce n'est pas une perte de temps que d'apprendre de techniciens accomplis, quelque soit vos prédispositions. Pour l'instant, les Somnorosii sont une illusion maintenue par votre révérence respective à vos anciens leaders. Ca s'arrête aujourd'hui. Aujourd'hui, votre énergie sera canalisé à combiner vos talents et vos maitrise pour fortifier le groupe dans son ensemble. Aujourd'hui, les Somnorosii naissent pour de bons. Et si ça doit se passer dans la douleur et un peu de désagrément, alors qu'il en soit ainsi. On a jamais rien accompli par la complaisance.

Je laisse un moment de silence puis je désigne ma salle.

-Allez, la moitié de chaque, ici. L'autre avec Kaelig.

Elie fait un exposé limpide qui creuse mes fossettes d'un sourire  enthousiaste. Une vague de remous agite nos hommes en contrebas : clairement, ni les uns ni les autres n'ont l'air chaud pour s'échanger leurs techniques comme des cartes pokémons.

- C'est pas une option. Bougez vous le fion, sérieux. J'ai autre chose à foutre que de jouer la police.
- On est pas vos parents, Rahat , alors arrêtez de  vous comportez comme des gosses capricieux qui veulent pas bouffer leurs légumes. Personne n' a envie que j'distribue des fessées, j'vous le garantie....
-Super, on va apprendre à rouler du cul sur une barre de pole dance... Ça va servir à quoi...
-On va quand même pas se retrouver à devoir boxer...? On en a jamais eu besoin, c'est une perte de temps.

Je m'apprête à ouvrir la bouche pour rétorquer mais Elie me souffle la politesse et balance un laïus qui m'électrise de fierté. Lorsque les deux récalcitrants sont remis à leur place et bougonnent comme des gamins en obéissant, je me penche vers ma femme et lui chuchote au creux de l'oreille :

- Ce que t'es sexy quand tu diriges avec fermeté.... fais-je avec un soupçon de malice. Que je ne sois pas le seul à rougir d'amour, merde !

Je frappe dans mes mains pour réunir ma partie "d'élèves" autour du ring et d'un bon leste monte dessus après avoir abaisser les cordes.

- Ok les gars ! Alors ouais, je sais que pour certains vous vous croyez invincible parce que votre nature démoniaque vous confère une force surhumaine et des pouvoirs aussi pratiques que la téléportation ou la télékinésie. Pourtant, regardez tous les humains de cette pièce: ce sont des guerriers parfaitement humains qui sont parfaitement capable de vous déboulonner sur le terrain. Pourquoi à votre avis ?
- Bah chais pas ... La chance? ricane Miranda.
- Miranda, rejoins moins sur le ring, s'il te plait.
- Quoi ? J'vais m'faire grondez, "Papa" ?

Je lui souris tranquillement, mon expression ne laisse rien présager de la suite. Elle s’exécute avec un petit salut cabotin pour ses comparses du public.

- Parfait, ma grande. Attaque-moi avec tout ce que t'as.
- T'es sérieux ? Mais.. j'vais t'casser en deux !
- Attaque-moi.
- Elie va m'en vouloir après...
- Tu as les chocottes à ce point là de te battre ?  Je vais finir par croire que tu ne portes pas tes ovaires, ma belle.
- Tu l'auras voulu, papy !

Je la gratifie d'un haussement de sourcil et d'un appel de la main. Je suis déjà en position de garde. Elle se rue sur moi comme un bœuf, sans finesse ni réflexion. Saut que le taureau c'est moi. D'une simple balayette, je fauche ses appuis au sol et sa foulée se retourne contre elle. Elle s'écrase au tapis qui grince salement sur ses ressorts. Elle se relève, énervée par cette entrée en matière.

- Première règle : Aussi balèze soit votre adversaire, il obéit -la plupart du temps- aux règles de la gravité. Privez-le d'appuis solides, et il perdra l'équilibre comme tout un chacun.

Miranda repasse à l'attaque visiblement décidée à me faire bouffer ma langue. Elle fait la maligne en tentant de feinter en frappant de face puis en se téléportant à la dernière minute pour frapper dans mon dos. J'esquive comme si je l'avais toujours su, d'un mouvement de tête sur le coté. Son poing s'enfonce dans le vide par dessus mon épaule. Je n'ai pas grand chose à faire pour la faire basculer par dessus moi et la culbuter au tapis en une prise.

- Deuxième règle : Sachez anticiper ! Aussi doté soit votre adversaire, il n'a qu'un cerveau pour réfléchir, un cerveau soumis au même stress que vous lors d'un affrontement. Observez-le, analysez-le, et vous déterminerez ses schémas récurrents comme ses réflexes. En déchiffrant son comportement, vous pourrez déterminer quel serra son prochain mouvement et  y répondre parfaitement.

Cette fois Miranda écume de colère. Elle a l'impression terrible que je me fous de sa gueule -ce qui est peut-être un tantinet le cas. Cependant, l'exemple est probant. Les démons ont cessé de se gausser et me prêtent une pleine et entière attention. Sauf que Miranda est trop fière pour s'avouer vaincue.
L’atmosphère devient plus lourde, l'air crépite de cette odeur caractéristique et indéfinissable qui précède l'usage de la télékinésie. Des poids et des altères s'élèvent dans les airs et fusent vers ma pommes. Je les évite tout en me jetant sur la démone en pleine concentration.  Poings serrés, je presse avec mes pouces quelques points d'acupuncture précis  : plexus, nuque, front. Les objets s'écrasent sur les tatamis, fissurent le parquet par endroit. Miranda cherche son air comme si ses poumons étaient bloqués, et que toute l'énergie mobilisée par son pouvoir restait prisonnière en elle sans pouvoir sortir.

Murmure de stupéfaction générale.

- Qu'est-ce tu lui as fait, putain ???!!!
- J'ai bloqué les flux de sa télékinésie de manière à obstruer les portes de sortie lui permettant de se manifester.

Je rattrape Miranda alors qu'elle a le visage tout congestionné de panique. Elle en a les larmes aux yeux.

- Ça va aller ma belle, ça va se dissiper. Respire lentement par le nez, expire par la bouche. Voilà... C'est ça... Comme ça....Je la tiens contre moi jusqu’à ce que son pouls se calme, imitant avec elle les mouvement respiratoire. Tout va bien, tu vois, fais-je d'un ton rassurant avant de reprendre d'une voix forte : Troisième règle !Un adversaire compte toujours sur sa puissance. Brisez cette confiance en retournant sa propre puissance contre lui. Pour cela, apprenez à connaitre l'être qui vous fait face : sa nature, ses failles, ses points forts, ses instincts.... Instruisez-vous et vous serez un bien meilleur combattant. Maintenant, mettez-vous par deux : un démon, un humain si possible. Je veux un attaquant et un défenseur. Le défenseur ne devra jamais riposter et seulement trouver la parade adéquate  face à son adversaire. Je circulerais parmi-vous pour voir comment vous vous débrouillez.

Cette fois, ça ne traîne pas pour appliquer la consigne. Je me tourne vers Miranda avec une expression inquiète.

- Désolé, si j'y suis allé un peu fort. J'ai du riposter à hauteur de l'attaque. T'as une sacrée vélocité doublée d'une grosse puissance de frappe. Je ne voulais pas que les autres se prennent une altère sur le coin de la gueule.
- J'ai.. J'ai flippé, fait-elle la voix rauque, la gorge encore sèche.
- Je sais. Je suis navré... Est-ce que tu veux faire une pause ?
- Non, mais.. sérieux... J'aurais jamais cru que tu puisses contrer de la télékinésie, putain ! Je veux apprendre c'truc !

Je l'aide à se remettre debout.

- C’est au programme, mais je ne suis pas le seul à connaitre les principes du Ch'i. Y'a pas mal de ces chasseurs humains que tu vois dans cette salle, qui savent le mettre en pratique.  Mika ?  J'alpague un de mes camarades- un jeune, sec et agile, une grande touffe de boucles noires sur le sommet du crâne. Tu peux prendre Miranda en tandem quand elle se sentira d'attaque ? Emmène-là boire un peu d'eau et s'asseoir un moment avant...

Il hoche sobrement la tête et tend une main vers elle qui lui sert d'appui quand elle descend du ring. Je les regarde s'éloigner vers les vestiaires épaule contre épaule.
Un symbole prometteur.

Avant de me lancer dans une ronde de coaching je jette un regard vers Elie, voir comment ça se gère de son côté.

-Ce que t'es sexy quand tu diriges avec fermeté...

Il est fier de lui, j'suis sûr! Ah, le p'tit salopard. Je pique un fard en riant comme une andouille. Sans déconné, j'ai déjà du mal à me prendre au sérieux. En parlant de me prendre au sérieux... Maintenant que je me retrouve avec une moitié de Sang-Coureur, mon Saboteur interne s'éveille tranquille. Il s'étire pendant que je dépasse les rangs pour rejoindre le miroir gigantesque que constitue le mur du fond. Il baille et se lève pendant que je détaille les rangs en silence. Au moment où je me trouve une petite dose de courage pour commencer à parler. Il me dit : " Tu es consciente que t'as rien d'intéréssant à leur apprendre, pas vrai...?

J'inspire un grand coup parce que soudainement ma fermeté et ma certitude s'envole en brume dans la tempête. Qu'est-ce que je vais leur apprendre? J'observe les regards autour de moi. Clairement, les postures de la moitié des ex-Sang-Coureurs me fait comprendre qu'ils sont parfaitement dubitatifs et qu'ils attendent la première raison suffisante pour retourner de l'autre coté.

Qu'est-ce que j'ai à leur apprendre? Qu'est-ce que j'ai dit déjà? Maitrise du corps, connaissance, précision.

Mais n'est-ce pas là, ce que leur apprend déjà Kaelig? Tu es au mieux une option, au pire une usurpatrice. Pas très jolie.

Il ne s'est pas passé une poignée de seconde dans la salle mais mon cerveau mouline à la vitesse de la lumière, slalomant entre la raison et cette putain de voix harcelante. Je finis par secouer la tête.

-Bon! Parmi vous, y en a combien qui dansent?

Les Dormeurs lèvent évidemment la main. Parmi les Sang-Coureurs, on se regarde pour vérifier si on lève la main ou pas et l'esprit de meute à raison des quelques hésitant. Ca hausse les épaules, ça lève un peu les yeux au ciel.
Bordel, y en a pas un qu'est un peu de bonne volonté.
pas de bonne volonté, ils ont peur du ridicule.

-C'est à dire que le foxtrot ou l'rock va pas spécialement nous servir face à Unseelie.

Les Dormeurs baissent les bras, mi-vexés mi-honteux. Ca se réunit aussi en meute. OK.

-Greg, c'est ça?

L'homme, un trentenaire à la houppette châtain parfaite, hoche la tête d'un air dubitatif.

-Tu viens me rejoindre.
-Pourquoi faire, exactement?
-Bah tu vas essayer de m'empecher de danser et t'faire danser. A moins que tu t'en sentes pas capable, j'comprendrais.

J'ai un sourire un sourire tranquille, pas spécialement inquiétée. J'connais un peu ce genre de groupes, en soi, c'est pas si différent des Heksens. Mettez en doute leur attributs de mâles et ils foncent dans le tas.
Ca ne manque pas.

-J't'arrête quand tu veux, ma jolie. Tu peux rien contre un Sang-Coureur.

Je fais la moue et je hausse les épaules.

-P't-être bien. P't-être bien que tu peux pas grand chose contre la Rêveuse, mon poulet.

Clin d'oeil. Il me rejoint pendant que je lance une piste au hasard. Hit the road, Jack. Ah bah, ok. Je le regarde en souriant, mon attitude change, caméléon face au rythme de la musique, je m'imprègne du rythme. Il s'approche, tente les fameuses prises immobilisantes et je me transforme en flotte. Fluide, j'enchaine quelque pas chaloupés dans son sens qu'il recopie par mimétisme inconscient. Il tente de me battre pendant que je joue. Plus le temps passe et plus, il frappe en rythme, plus je le pousse à suivre et à copier, sans qu'il en ai conscience. Ma peau commence a s'illuminer, l'air de rien, et je pousse le vice à m'approcher, près, très près..
Plus que le duo, ce qui m'intéresse aussi c'est de sentir la pièce changée d'ambiance. Ca rigole, ça se détend. Ca vient, ça vient. Une minute ou deux plus tard, je coupe la musique et conclut sur une pirouette qui se finit sur un grand écart à quelques centimetre de Greg. Greg est essoufflé et un peu agacé. Ca se comprend.

-C'est aussi ça le pouvoir de la danse. Mais être un dormeur, faire partie du groupe, c'est pas uniquement ça. Vous avez sentie? Les murs tombés, vous avez soudainement ressenti le jeu. Parce que je jouais. J'combattais pas. On évoluait pas sur la même sphère. Et j'capitalise sur son énérgie. J'en comprends le rythme. Tout a un rythme, une cadence, absolument tout.
-Ouais, mais tu m'as pas fait danser.

J'ai pas le temps de répondre qu'un des gars, Joe -si je me souviens bien- lance un étonné.

-On aurait dit qu'tu dansais avec elle. C'était... Trop étrange.

Greg regarde ses camarades, il n'y croit pas trop. Je hausse les épaules.

-Tu connais pas ton rythme. Moi, oui. Parce que c'était le mien. Soyons clair, vous apprendrez jamais ici des techniques précises ou des postures de combats... Vous apprendrez à connaitre et à maitriser votre corps, pas celui de l'autre. Le votre. Je peux vous apprendre, via la danse, à vous rendre fluide puis solide en quelques secondes. J'peux vous apprendre à communiquer silencieusement, juste en modifiant ce qui se dégage de vous. Et plus que tout, si vous vous sentez prêt, je pourrais vous apprendre les Mouvements, source du lien entre nous, vecteur de la force commune qui nous lie à notre idéal.

Ils montent soudainement, les Dormeurs, comme à l'époque des fosses. Ils bougent au même moment que moi, sans concertation, l'esprit de groupe est fort. Une drôle de lueur s'échappe de leur corps et du mien, à mesure des enchainements. Des changements d'intentionnalité. De la pulsion sauvage de vie communiquée par les Mouvements nait une pluie d'étoiles qui convergent et s'étend, fortifie et grossit. Elle ne se limite pas aux Dormeurs, elle s'etend à leur futur frères qui regardent le spectacle pour la première fois. Quand les mouvements s'arrêtent, les petites lueurs scintillent et disparaissent.

Je me tourne vers Greg et lui souris.

-C'est étrange, pas vrai?
-Je... C'était quoi?
-L'espoir. La volonté de vivre. La force. De l'ensemble du groupe qui s'embrase.
-C'était... Comme si... il cligne des yeux. Il trouve pas vraiment les mots mais je crois qu'ils ont enfin compris. J'espère, du moins.

-Ce que les Dormeurs ont à vous apprendre demande de la discipline, pas dans le même sens qu'un art martial mais il demande d'apprendre une règle d'or : la vulnérabilité n'est pas une faiblesse. L'espoir, la peur de mourir, l'envie de vivre, l'indéboulonnable volonté d'aller de l'avant, l'honnêteté... Tout ça est vecteur de pouvoir et surtout, tout a un rythme qu'on peut suivre à son avantage. L'univers, la pluie, le magma, tout possède un rythme et comprendre ce rythme, s'y harmoniser, c'est aussi un peu clamer de sa puissance.

Ca murmure dans la salle. Les nouveaux arrivants se demandent:

-Mais ça marche vraiment, ce truc ?

C'est Owen qui répond.

-Ca marche pour de vrai. Honnêtement, j'me rappelle que la première fois qu'elle m'a parlé de danser pour se battre contre Kali, j'ai tapé une si grosse barre que j'ai failli crevé une nouvelle fois. Mais y a un truc qui se passe quand ça s'ouvre en d'dans et c'est vachement puissant.

Owen, sous sa forme humaine, a une carrure de catcheur et l'attitude d'une diva avec ses mimiques expressives et ses haussement d'épaule carabinées. Il ressemble et s'entraine comme l'un de ces gars, peu ou proue.
Le silence se fait un peu et j'en vois certains qui hochent la tête en silence.
Je claque dans les mains.

-Ok! J'vous propose de faire des binômes! On va commencer par un truc simple. Vraiment! Vous inquiétez pas. Un qu'a l'habitude de danser et un qu'a pas l'habitude!

Les duos se font petit à petit mais Greg reste à coté de moi, un peu figé. Mal à l'aise. Le fait est que ce sont plutôt mes danseurs qui proposent aux Sang-Coureurs, légèrement pétrifiés à l'idée de danser. Je donne un gentil coup d'épaule à Greg qui déglutit et reste silencieux.

-Ca va aller, t'sais. T'aurais pas l'air ridicule. Personne est là pour juger. Khalid!

Un p'tit gars aux allure de geek discret s'approche, il sourit - un sourire parfaitement solaire- à Greg.

-Greg et toi, vous feriez un cool duo pour progresser, j'pense.

Khalid hoche la tête et demande gentiment.

-D'accord! Ca te dérange, si on va dans le fond, Greg? Chui pas encore très à l'aise d'être devant tout le monde et tout.

Je souris pendant que Khalid guide Greg vers le fond de la salle. Khalid parle doucement et Greg ne répond pas trop mais je vois bien qu'il écoute. Je reporte mon attention sur la salle. Les duos sont prêts. Tout le monde est un peu gêné. Ca me soulage un peu. J'ai pas la moindre idée de comment ça à marcher mais apparement ça fonctionne. Il a dit quoi Kaelig? Pas se poser de question et pas montrer que même nous on y croit pas.

-Exercice simple. On va mettre de la musique et vous allez juste bouger en rythme. Face à face. Oubliez le miroir, oubliez les autres. Pas obligé de faire quoique ce soit de compliquer, ok? Ca peut être taper du pied, ça peut être bouger les hanches ou meme dodeliner de la tête en rythme. Lea, baisse la lumière, s'teuplé. Ensuite, de temps en temps, l'un d'entre vous va ajouter un nouveau mouvement à ajouter. On reste simple, amusez-vous. Présentez-vous. Prêts?

J'allume la musique et pour donner l'exemple de la ridiculosité. Je pointe le doigt en l'air et entreprend de faire ce mouvement iconique des années disco. Puis quand tout le monde, timidement commence à bouger au son de Baiana, je m'arrête pour les regarder évoluer. Je les laisses tranquille un peu avant de me balader.
Forcément je jette un coup d'oeil à Kaelig pour voir ce qu'il se passe.

La petite démonstration du groupe de danseurs laisse le mien quelque peu soufflés. Les chasseurs sous ma houlette ont vu bien des choses, mais une telle manifestation, jamais. Certains tire de ces gueules, je me sens obligé de les moquer un peu.

- Aaaah! Tout de suite ça vous parait plus attrayant d'aller swinguer avec Elie, pas vrai ? Pas de bol, c'est mes vieux os et mes gants que vous vous coltinez.

J'ai un petit pouffement de fierté. Elie gère parfaitement la testostérone ambiante et se montre plus pédagogue qu'elle ne le croyait. Moi, je n'en ai jamais douté. Je frappe dans mes mains de manière sonore.

- On se concentre ! Allez !

Les rythmes festifs de la musique d'Elie se mêlent aux raclements de baskets sur le sol et aux froncement de tatamis malmenés. Mes duos s'investissent davantage, comme si désormais, une saine compétition s'était instaurée entre les élèves d'Elie et les miens. Après quelques échanges timorés, un peu maladroits, bourrus ou pudiques, mes duos se détendent et prennent leurs aises. Ca pose des questions, ça donne quelques tuyaux, même que ça blague. C'est exactement ce que j'attendais de l'exercice : de la communication ! Je sillonne entre les binômes: encourageant certains, corrigeant une posture ici, racontant une anecdote en exemple là... Des affinités se dessinent déjà. Justine et Damian, par exemple, on une alchimie indéniable qui rend leur passe intéressante.
Une fois que chacun s'est familiarisé avec son partenaire, je les fais passer sur le ring pour des micro-combats de cinq à dix minutes. A chaque fin de match, je demande au reste de faire part de remarques ou d'observations. Là encore, si les premiers duels suscitaient des commentaires timides et plutôt mous, les langues se délient peu à peu. On est loin de la guerre froide régnant ces derniers temps.

Viens alors le temps de changer de professeurs. Pendant le switch, je me glisse derrière Elie et lui chuchote.

- Ca ne se passe pas trop mal, qu'est-ce que tu en dit?

Ils essaient. Ils essaient vraiment. Ca me fout dans une joie extrême. Là où y a quelques minutes, la moitié des humains tapotaient timidement du pied, ils tentent désormais de répondre aux mouvement des Dormeurs - certes timidement, être à l'aise avec la danse prend un certain temps - et les démons commencent à donner des idées et à aider les uns les autres. Je les observe tranquillement, de loin. Pour aujourd'hui, c'est déjà très très bien. Chez certains nait déjà une certaine alchimie. Gavin et Rowan, par exemple, semblent réellement agir de concert et leur gestes s'harmonisent déjà relativement bien.
On danse, on rit un peu.

J'arrive à les faire jouer et lacher prise, un peu. Ca me va.
On finit par faire le changement et rien qu'à la chaleur dans mon dos et à l'odeur, je reconnais Kaelig. Je souris, glisse ma main dans la sienne.

-Ca ne se passe pas trop mal, qu'est-ce que tu en dit ?
-J'en dis que j'pensais pas que ça marcherait si bien et que j'suis super contente.

Je me retourne vers lui, rayonnante - littéralement-.

-Ils sont tous incroyables. Ca m'donne envie de danser partout, c'terrible.

J'ai un rire de gorge et je sautille un peu sur place. Une vrai pile électrique. J'les aime déjà tous. Vraiment fort.

-Et si après c'groupe, on leur faisait une petite démo de ce que ça donne quand nos deux entrainements se mélangent? Histoire de les surmotiver un chouïa?