J'ai le cœur en vrac et les mains moites.
L'oeil qui tressaute à force de scruter partout, à chercher dans les touffes d'herbes enneigées ce que j'attends depuis une heure maintenant.
Elle est pas en retard. C'est juste moi qui suis trop en avance.
Les fesses collées sur un banc du parc de la ville, entre les vieux qui fument et les gosses qui hurlent.
Même pas froid. Juste nerveux comme jamais. Bien plus que je le pensais.
Même si c'était à prévoir, en vrai.
J'ai pris mon temps pour en venir à cette décision. Après les événements dans le brouillard, j'ai pas su comment rebondir. J'suis resté des jours dans mon pieu à essayer de me remettre, sans y parvenir totalement. Si grand-mère ne m'avait pas tiré de là à coups de pieds dans le derrière... j'y serais probablement toujours.
Elle est encore la seule capable de me remettre debout quand il le faut. Faudrait pas que je tombe et que je gâche tout ses efforts.

Je dois avancer. Même si ça me bouffe au fond et que je suis pas vraiment prêt.
Pas le choix, faut croire.
Et ça commence par la revoir.

Je m'attendais pas à ce qu'elle accepte, pour être honnête.
J'ai encore une boule au ventre à l'idée qu'elle ne vienne pas.
Faut dire que j'ai fais n'importe quoi, de l'autre côté. J'étais pas moi-même.
Et j'ai failli...

Je secoue la tête, rien qu'aux souvenirs qui me tordent les tripes. Rahat ! Foutue reine papillon de mes deux !!
Rien que pour ses tours de fantômes, c'est devenu personnel entre cette chose et moi.

Je ne la laisserai plus s'en prendre à ce qu'il me reste de famille.
Plus jamais.

J'attends encore un moment avant qu'on arrive à l'heure fatidique du rendez-vous. De quoi stresser davantage, surtout au moment où je l'aperçois, un peu plus loin.
Elle s'approche. Elle est venue. Elle est vraiment venue.
Ar-
… Jolhane.
Malheureusement, Jolhane.

« Salut ! »

Je bondis presque en me levant, la nervosité en avant. Calme-toi Nanar, n'oublie pas, délicatesse et demi-mesure. Tu sais faire. T'as lu des livres sur le sujet.
Ouais mais bon.
Entre la théorie et la pratique, y'a un gouffre au-dessus duquel ça va être compliqué de sauter sans se manger les dents sur la falaise.

Aaaaah... J'ai envie de bouffer mon poids en muffins triple chocolat et m'enrouler dans une couverture de ma roulotte jusqu'à me transformer en pelote de laine.
Que Mère-Nuit me vienne en aide...

« Merci d'avoir accepté de venir... »

Parce que mine de rien, c'est important.

I know I'm not made in your likeness
You're not made for my darkness
I know I get lost in the process
I do try but I'm hopeless

Elle n'a pas envie d'y aller. Jusqu'au dernier moment, elle s'est sentie refuser. C'est Ryan qui l'a finalement motivée à accepter. Qu'elle retrouve la mémoire ou non, cette "famille" existe quand d'autres n'en ont plus. Ryan est de ceux là. Contraint de tuer son père d'une balle dans la tête dans le Brouillard, alors en pleine mutation chrysalide, personne ne l'avait réclamé à leur sortie. Pas d'oncle, pas de tante et une mère absente depuis le début. "Au moins, toi, t'as un frère qui a envie de te connaitre." Jolhane n'avait pas eu le coeur de lui dire que ça n'était pas elle que ce Nardus désirait retrouver.
Aria Vulpe.
Qui est donc cette inconnue ?
Qui est cette femme qui porte son visage.
Doe a beau chercher, rien ne lui revient, rien que le noir absolu. Cette expédition qui les a exfiltrés de la Brume est constituée d'étrangers. Pourtant, leurs regards sur elle l'a dérangée. Ils ont tous vu quelque chose auquel elle demeure aveugle et cela lui a déplu. Au plus haut point.

« T'étais partie en mission avec Papa y'a des mois et... t'avais disparu.»
« Tout le monde t'as cru morte...Et au vu de ta situation, de ton esprit sans souvenirs, je me dis qu'il aurait sans doute mieux valu que tu le sois. »
« Toi. Tu vas me dire tout de suite ce que t'as fais à ma sœur. Maintenant. »

Je suis Moi.
Je suis Doe.
Je mérite d'exister !

Jolhane se dandine d'un pied sur l'autre, arrivé à la grille du parc. Elle a une envie puissante de rebrousser chemin. Elle se souvient des vociférations de ceux se prétendant sa famille. Elle se sent davantage proche des enfants qui vivent désormais avec elle que de ces gens parqués dans leurs roulottes et leurs certitudes. Au moins, leur alpha s'est-il montré délicat à son égard : lui prodiguant un toit et de quoi vivre le temps qu'elle sache réellement comment se rétablir. La personne se faisant appeler Ciulin, le seul individu l'ayant défendue dans le bunker, lui a fourni des papiers au nom de "Jolhane Doe".

«  C'moi qu'ai choisi, ça t'plait ? Jeanne Doe c'tait trop grave moche, Jolhane ça sonne plus rock'n'roll! T'as une tête d'rebelle à perfecto, meuf !»
Force est d'avouer qu'elle a apprécié le geste comme le choix de "blaze".

Doe prend une profonde inspiration.
Gimbhir lui fait savoir qu'elle sera là, tout du long, avec elle.
Elle s'avance donc vers le jeune homme qui se détache terriblement du lot. Il est beau, c'est un fait. Coquet, aussi. Elle s'habille comme elle l'a toujours fait : pour courir vite et ne pas avoir froid. Ses vêtements pratiques ne mettent guère en valeur  sa silhouette élancée et gracieuse. Elle se noie dans un jean élimé, un sweater à capuche doublé d'un blouson informe en guise de haut. Ses baskets ont tellement connu de main qu'elles ne se comptent plus.

- Salut !
-...Salut.
- Merci d'avoir accepté de venir...
- J'en avais pas du tout envie.

Silence.
Qui s'éternise.
Qui se meut en malaise.
Jolhane sent Gimbhir la pousser dans le dos. Elle se sent donc obligée d'ajouter.

-...Mais je suis là, maintenant.

Elle s'accorde encore dix minutes avant de partir si il continue à jouer les miuets.

« J'en avais pas du tout envie. »

Aie. Coup dur.

« … Mais je suis là, maintenant. »

J'ai la truffe basse en l'écoutant. C'est un vieux reflexe que j'ai face à elle. Je finis par lever les yeux, les planter dans les siens une seconde. L'essentiel est là, je suppose. Elle est venue.
Je ne dois pas gâcher ce petit pas en avant.

Je me sens mal. Une pression contre la poitrine. Une envie brusque de chialer et de me tirer loin d'ici.
Mais je dois tenir bon.

« … Ouais... »

Ouais.
Le vent d'hiver soulève les touffes d'herbe givrées et porte un parfum de bois fumé. Ça me calme un peu les nerfs, quelque part. Délie ma langue gelée alors que j'entame une petite marche sur le sentier à ses côtés.

« On m'a dit que Kaelig t'avais trouvé une baraque, pour toi et les enfants. Et que Ciulin t'a aidé pour ton identité. C'est... cool.  Ça se passe bien ? J'veux dire... les gosses vont mieux ? »

Super mec, vas-y, détourne ton sujet principal, voilàààààà, un beau virage pour passer bien tout autour. Sans déconner. Pourquoi j'y arrive pas ? J'ai quoi à perdre, exactement ?
Elle est en vie.
C'est pas ça, tout ce que je voulais ?
Pourquoi maintenant que je l'ai, j'arrive à rien ?

J'en ai marre de pas savoir quoi faire...

Encore de la bise. Elle me cloue de froid, rabat le frisson dans mon blouson fourré. Laisse le temps s'écouler.

« Écoute... hum... » Merde, c'est difficile. Ça me rompt l'estomac. Ça court dans ma gorge et ça sort finalement sans retenu. « … J'suis désolé, d'accord ? »

J'arrête mon pas, cherche mes mots. Se mettre en scène, c'est très facile. Se mettre à nu, beaucoup moins.
Je colle mes mains dans mes poches pour éviter de me les tordre de malaise.

« J'ai conscience que... ça doit pas être évident, pour toi. Tout ça. Tout c'que j't'ai balancé... sur les Vulpes. Sur... » Sur toi. Sur la vraie toi. Celle qui m'a manqué et me manque encore à chaque seconde qui passe.
« … Aria. Ça t'a foutue une pression qui était tout sauf voulue, 'fin... merde, j'ai été un gros naze là-bas ! »

Je soupire, la tête un brin secouée.
« Tu dois vraiment m'prendre pour un taré... » Et elle aurait raison. Même s'il y a encore des reflets de ma sœur en elle, n'importe quelle inconnue m'aurait catalogué de fou du village. « Mais c'est juste que... j'ai perdu les pédales, dans le brouillard. Je sais pas exactement ce qu'il s'est passé. J'essaie encore de comprendre. Unseelie m'a complètement vrillé la tête et... je donnerai n'importe quoi pour retourner en arrière et l'empêcher de me forcer à te pointer un flingue dessus. »

Le silence retombe. Plus de vent. Je mords mes lèvres gercées. Mon regard se dérobe, part sur le côté.

« J'sais que... j'ai pas mal de faux-pas à rattraper, mais... si tu veux bien... seulement si tu veux bien... »

J'ose finalement de nouveau la regarder. Elle a cette expression particulière dont elle ne connaît rien. Moi, elle me rappelle trop de souvenirs pour que ça reste anodin.
J'ai envie qu'elle m'engueule, comme avant.

Mais ça n'arrivera peut-être plus...

« Ça te dirait qu'on essaie... une sorte de nouveau départ, tout les deux ? »

Le silence s'éternise, aiguise le malaise en pointe. Il a l'air aussi stressé qu'elle par l'entrevue, alors pour le leur imposer ? Une paisible ignorance lui aurait suffi. Compte à rebours lancé : elle tournera casaque dans 5... 4... 3... 2...

- On m'a dit que Kaelig t'avais trouvé une baraque, pour toi et les enfants.
- Oui.
- Et que Ciulin t'a aidé pour ton identité.
- En effet.
- C'est... cool.  
- Certes.
- Ça se passe bien ? J'veux dire... les gosses vont mieux ?

Il faut qu'elle se force à faire des phrases complète, avec  sujet-verbe-complément, mais la perspective est énergivore. Elle ne sait foutrement pas quoi lui dire. Heureusement, là, le sujet n'est pas elle.

- Ils n'iront jamais "mieux". Mais ils sont résiliant. On fait aller. On vit comme au bunker mais avec un jardin potager et des balades en forêt. La plupart n'ont pas été réclamés par un parent : l'isolement de la quarantaine n'aide pas. J'essaie de voir avec Ciulin si je peux avoir leur garde légale ou au moins un justificatif qui prouve que je suis leur accompagnante.  Ryan refuse de reprendre le lycée. Je suis en train de batailler avec lui pour qu'il aille au moins jusqu'au bac, son proviseur est d'accord mais il n'arrive plus à se faire à l'environnement étudiant. Squirrel est égale à elle-même : elle démonte tout ce qui lui passe par la main. Kate a gardé ses mauvaises manies de cleptomane. Elle aussi c'est compliqué pour la rescolariser. Marnie et William réclament après Mr. Corb très souvent. En attendant, j'essaie de faire plus ou moins l'école à la maison. Enfin, j'imagine que la question était rhétorique et que tu ne sais pas vraiment de qui je parle.
- Écoute... hum... … J'suis désolé, d'accord ?
- De.. ? Pas te souvenir de leurs noms ? demande-t-elle platement.
- J'ai conscience que... ça doit pas être évident, pour toi. Tout ça. Tout c'que j't'ai balancé... sur les Vulpes. Sur...Aria. Ça t'a foutue une pression qui était tout sauf voulue, 'fin... merde, j'ai été un gros naze là-bas !

Jolhane prend une profonde inspiration et hausse les épaules. Son regard dérive sur les riverains qui tentent de profiter du parc dans cette ville qui se fige dans le formole. A quoi servirait-il de lui dire qu'effectivement il s'est conduit comme un parfait connard ? Le chagrin et le deuil pousse les êtres à certaines extrémités. La survie aussi. Sans parler des illusions d'Unseelie.

-Tu dois vraiment m'prendre pour un taré... Mais c'est juste que... j'ai perdu les pédales, dans le brouillard. Je sais pas exactement ce qu'il s'est passé. J'essaie encore de comprendre. Unseelie m'a complètement vrillé la tête et... je donnerai n'importe quoi pour retourner en arrière et l'empêcher de me forcer à te pointer un flingue dessus.

C'est ça qui l'inquiète ?
Elle a déjà oublié.
Pas les accusations de la fille aveugle, par contre, ou son regard à lui boursoufflé de regrets. Aria est partie en laissant la maison vide. Pas de post-it sur le frigo, ni de message sur le répondeur. Qu'y peut-elle ? Elle est tout autant sa victime que Nardus. Elle le toise en plissant légèrement les yeux.

- J'sais que... j'ai pas mal de faux-pas à rattraper, mais... si tu veux bien... seulement si tu veux bien...Ça te dirait qu'on essaie... une sorte de nouveau départ, tout les deux ?

Jolhane ne répond pas immédiatement. Elle s'accorde le temps de la réflexion. Finalement, après une attente qui peut sembler insoutenable à son interlocuteur, elle lui livre la réponse.

- Je ne suis pas certaine que je peux avoir confiance en ce que tu dis. Cependant, je ne peux pas nier les efforts que tu fournis. Je vais simplement être claire : si je m'engage sur ce "nouveau départ" ce sera à mes conditions. Elles sont simples...

Elle lui fait face, les pieds écartés, solidement campée. Ses yeux immense le fixent sans ciller.

- Ne m'appelle jamais Aria, ne me compare jamais à elle, ne dis jamais que je suis une Vulpe et ne te figure pas que je t'accepte comme mon frère parce que tu viens me faire des excuses. Tu devras gagner ma confiance et mon respect. Je choisis moi même les membres de ma famille. Des objections ?

Sa réponse met du temps. Normal. Normal mais difficile à subir. J'attends en silence en serrant mes poings dans la doublure de . La patience c'est pas mon fort, ça ne l'a jamais été. Quand bien même le suspens est un truc haletant, perso, je préfère quand ce genre de démêlé est sont clair, rapide et précis. Exactement comme son regard franc qui finit par trouver le mien, moyennement assuré, au bout d'un trop long moment qui m'a paru durer une éternité.

Et tout ce qu'elle dit, c'est encore plus blessant que le reste. J'ai des vieux flashbacks d'engueulade, d'embrassade et de chialade fraternelle qui remontent, pour s'imprimer violemment dans ma caboche.
Ma défense à moi contre tout ça.
Mon moment qui me hurle de pas la laisser faire, cet espèce de démon en boule qui vient jouer des castagnettes dans ma gorge nouée.

Tu te souviens ? Ben c'est fini. Ça ne reviendra pas.

Parce que Johlane n'est pas Aria et ne le sera jamais.

… Hm.

On verra.

J'ai la tête embourbée. C'est bien la première fois que j'arrive pas à répliquer.

Ses conditions me laissent sur le carreau, le temps de pondérer. A mon tour de réfléchir, avant de m'incliner.

C'est pas comme si j'avais réellement le choix.
Cette nana, qui qu'elle soit aujourd'hui...
Je ne peux pas me résoudre à la perdre une seconde fois.

Alors ouais, des objections, j'en ai à la tonne. Mais faut avancer. Il faut concéder. Même si c'est douloureux.
Surtout quand c'est douloureux...

« … Comme tu voudras. » J'enfonce un peu plus les mains dans mes poches. Mes phalanges serrées me font un mal de chien, ma parole. « Si ça vient pas de toi... je ne te parlerai pas d'elle. Ou des Vulpes. Mais si tu as la moindre question... un doute, ou quoi que ce soit, ben au besoin j'suis là et j'ai une tonne de trucs à te raconter. »

J'ai un petit sourire. Du genre triste, paumé dans le froid. Mais quand même un peu présent, à flotter sans raison. Je me dis que c'est la seule solution pour l'instant. Accepter... et attendre.

« Maintenant... j'imagine qu'on a plus qu'à se tourner vers l'avenir. Moi et les renards, toi et les gamins. »

Je hausse les épaules, comme presque déjà résolu. Ou au moins, convaincu qu'il faut l'être. C'est encore compliqué, ne nous mentons pas.

« T'as... des projets ? Des envies ? Des endroits d'la ville que tu veux découvrir ? »

Autant orienter le débat vers le futur !
Puisque le passé est relayé aux cellules des oubliettes après tout,
Et que manifestement, madame a bouffé la clef.

- … Comme tu voudras.

Elle veut. Il n'a pas le choix.

- Si ça vient pas de toi... je ne te parlerai pas d'elle. Ou des Vulpes. Mais si tu as la moindre question... un doute, ou quoi que ce soit, ben au besoin j'suis là et j'ai une tonne de trucs à te raconter.
- Quand je serais prête à les entendre. Réplique-t-elle fermement. Il est possible que ce ne soit jamais...

Il a de nouveau cet air triste de chiot paumé. Jolhane se mordille la lèvre. Son corps semble trépigner pour prendre ce pauvre garçon dans les bras. Un reliquat d'Aria. Une vague empreinte dans sa chair. Ses instincts premiers pousse à protéger les plus faibles, les enfants, mais Nardus est grand. Nardus est un adulte qui a failli la tuer.

- Maintenant... j'imagine qu'on a plus qu'à se tourner vers l'avenir. Moi et les renards, toi et les gamins.
- Et le Brouillard, ajoute-t-elle. Nous avons un ennemi commun. C'est la première chose qui nous lie... La seule pour le moment, ajoute-t-elle avec un brin de douceur qui arrondit ses angles.
- T'as... des projets ? Des envies ? Des endroits d'la ville que tu veux découvrir ?
- Je... Je sais pas trop.

La question la cueille au dépourvu. A vrai dire elle n'y a pas réfléchi.

- Je connais pas trop la ville... à part.... La friperie des "Anges de l'ICV" où on achète nos vêtements en gros et la supérette où je fais nos courses alimentaires...

Le regard fuyant vers ses baskets, elle suçote une mèche de cheveux, le front plissé, la mine songeuse.

- Tu.. Tu peux peut-être m'aider pour quelque chose... à vrai dire.... Elle déglutit et mâchouille toujours la pointe de sa tignasse. Elle vient de perdre dix ans et parait aussi juvénile qu'une adolescente. Je... euh... Tu as l'air de t'y connaitre en vêtement. Je veux dire. ça se voit immédiatement que tu es... coquet. C'est pas une insulte ! éclaircit-elle précipitamment.

Elle tambourine nerveusement des poings contre ses cuisses.

- Je.. Je voudrais trouver des vêtement plus féminins... Elle pique un fard. Pas trop ! Hein ? Juste.... Juste un peu plus. Elle fronce les sourcils. Si je demande à Ciulin, iel va m'affubler de trucs ultra dénudés qui me ressemble pas. Donc... voilà....

Enoncé à haute voix, la proposition lui semble brutalement risible.

- O... oublie ce que je viens de dire, c'est ridicule ! dit-elle embarrassée.

C'est pas si foutu que ça.
Les petits diables dans ma tête ont pris un autre tournant, un retournement de veste bienvenu. Je les préfère largement vacillant comme ça, prêts à tomber face aux paroles de Jolhane. Elle souffle un peu d'espoir derrière ses mots, comme un vieux tas de braises luisant dans une cheminée. On est encore loin du brasier. C'est maigre, mais c'est déjà énorme.

Et ça redonne une bouffée de chaleur dans ma poitrine, de quoi me protéger du froid quelques temps.
Même si elle évoque le Brouillard, et que j'ai encore une poignée de frissons à l'idée d'y penser, ça m'empêche pas de sourire en retour. En coin, presque heureux. Parce que même si c'était une horreur, c'est en allant là-bas que je l'ai retrouvée. Fée maudite ou pas, si c'était à refaire... j'y retournerai.

« Ouais, pour le moment... j'te cache pas que j'aimerais bien partager des trucs un chouilla moins glauques avec toi hein ! »

Petit rire, sans amertume. Juste une pointe dans le vent, une graine plantée prête à s’épanouir si on s'en donne les moyens.
Y'a du taf, c'est certain.
Mais bon, ça vaut le coup.
J'peux bien apprendre le jardinage pour la bonne cause !

Je la laisse pondérer mes élans aux loisirs touristiques, ce que je comprends. Non pas que Tir Nà Nog soit une ville détestable en soi, mais j'ai connu meilleur en terme d'ambiance ces derniers temps.

« Je connais pas trop la ville... à part.... La friperie des "Anges de l'ICV" où on achète nos vêtements en gros et la supérette où je fais nos courses alimentaires... 
- Hum... Alors on va attendre un peu pour la nightlife débridée j'pense. » Je pouffe un peu. Côté proches, c'est Ciu qui connaît ce côté-là de moi, et certainement pas Aria. Pas sûr que ce soit la meilleure facette à montrer à Jolhane pour l'instant.
« Tu.. Tu peux peut-être m'aider pour quelque chose... à vrai dire...
- Oh ? »

J'ai la curiosité piquée, voire criblée de boutons pour le coup. Je l'observe et remarque ses tiques de vieille timidité, qui lui jettent au visage des vieux filtres nostalgiques façon photo instagram d'antan. Elle arrêtait pas de faire la même, ado, un paquet de fois quand elle se sentait en position gênée. Bordel, j'ai promis de pas comparer, mais ça reste ultra compliqué encore !

«  Je... euh... Tu as l'air de t'y connaitre en vêtement. Je veux dire. ça se voit immédiatement que tu es... coquet. C'est pas une insulte !
- Heureusement ! Dans mon dico personnel, c'est un de mes compliments préférés.
- Je.. Je voudrais trouver des vêtement plus féminins...  Pas trop ! Hein ? Juste.... Juste un peu plus.  Si je demande à Ciulin, iel va m'affubler de trucs ultra dénudés qui me ressemble pas. Donc... voilà.... »

Ça, c'est si iel a envie de t'habiller, dans le meilleur des cas. Mais très franchement, j'ai pas le réflexe de la réplique tant je suis abasourdi.
Ok.
Ok c'est pas Aria, ok ça reste quand même ultra étonnant venant de cette personne qui qu'elle soit, et ok c'est clairement mon langage qu'elle parle. Y'a un bug system dans mon cerveau qui fait que je sais pas si je ressens une profonde joie juste à l'idée de la relooker, de passer du temps avec elle ou juste flâner des heures dans les magasins sans penser à rien et faire flamber ma carte bleue ?? C'est un imbroglio sidéré qui me fait avoir une tronche de merlan frit, mais qu'importe... c'est carrément inespéré !

Elle renâcle et je la rattrape, non non non ma chérie, tu vas pas t'en sortir comme ça.

«  O... oublie ce que je viens de dire, c'est ridicule !
- Mais pas du tout !! »

C'est sorti comme un saumon hors du torrent. Pétillant et plein d'enthousiasme, peut-être un peu trop, mais tant pis. J'ai un sourire à fracasser des miroirs.

« Y'a rien de honteux, ni de ridicule, à vouloir se sentir bien dans sa peau ! Et si ça passe par le look, je suis ton homme ! Tu as devant toi l'expert en chef des codes de la Mode du monde surnaturel, rien que ça ! Si si, c'est un titre officiel, je t'assure ! » Auto-proclamé certes, mais ça n'enlève en rien sa légitimité. « Y'a des boutiques incroyables vraiment juste à côté, en plein centre ville. J'ai rien à faire là, si toi non plus, on peut y aller maintenant si tu veux ? Ou quand tu seras libre ! Quand tu veux, au final, moi j'suis pas aux pièces ! »

J'ai l'air d'un chiot fou avec une nouvelle baballe, emballé à l'idée de m'amuser. Ridicule mais pas faux, car pour le coup, c'est vraiment un terrain familier... que je n'ai jamais réussi à partager avec « elle », avant.
C'est peut-être l'occasion ou jamais...

« Mais sans vouloir t'influencer... j'ai déjà un bon millier d'idées de tenues qui me viennent, là, tout de suite ! »

Parce que sans rire, on partage les mêmes gênes de divine beauté, ce serait un crime de la condamner à la friperie de l'ICV. Ces grenouilles de bénitiers n'ont aucun sens du style...

- O... oublie ce que je viens de dire, c'est ridicule !
- Mais pas du tout !!

Jolhane sursaute presque tant la démonstration d'enthousiasme a été brusque. Nardus vient d'abandonner sa mue de petit garçon triste pour celui d'enfant excité par l'arrivée du Père Noël. La jeune femme, prise au dépourvu, a effectué un mouvement de recul, tirant sur les pans de devant de sa parka trop large comme pour se protéger. La renarde demeure un animal craintif. Les gestes vifs affolent ses alarmes. Le sourire aux quenottes parfaitement alignées et a l'émail immaculé la dérange. C'est trop parfait pour être honnête. Elle les sonde d'un plissement de regard méfiant.

-Y'a rien de honteux, ni de ridicule, à vouloir se sentir bien dans sa peau ! Et si ça passe par le look, je suis ton homme !
-.... Vraiment...? Elle a attrapé inconsciemment le bout d'une mèche de cheveux qu'elle triture.
- Tu as devant toi l'expert en chef des codes de la Mode du monde surnaturel, rien que ça !
- J'ignorais qu'il existait un tel "rôle", rétorque -t-elle avec un haussement de sourcil dubitatif.
- Si si, c'est un titre officiel, je t'assure !
- Y'a des boutiques incroyables vraiment juste à côté, en plein centre ville. J'ai rien à faire là, si toi non plus, on peut y aller maintenant si tu veux ?

Elle mâchouille à présent la pointe de sa mèche, la mine songeuse. Après tout, c'est elle qui a suggéré cette option : autant l'assumer jusqu'au bout.

- Ou quand tu seras libre ! Quand tu veux, au final, moi j'suis pas aux pièces !
- Les enfants... amorce-t-elle comme si elle cherchait une excuse pour refuser alors que ça n'est pas le cas.
- Mais sans vouloir t'influencer... j'ai déjà un bon millier d'idées de tenues qui me viennent, là, tout de suite !
- Ah... Ah bon ? fait-elle mal à l'aise. En vérité, je... ses sourcils se froncent. Ghimbir lui souffle qu'il serait peut-être temps de se dégourdir un peu. Elle puise dans l'énergie de sa moitié pour terminer sa phrase de manière compréhensible. Je pense qu'ils pourront attendre un peu...Les enfant je veux dire.  Ca devrait aller, si... si on fait ça maintenant.

Elle grignote son morceau de chevelure, très angoissée soudain par ce qu'elle s'apprête à dire.

- En.. En verité.... J'aimerais... hum... j'aimerais que ça plaise à quelqu'un... Son teint d'albâtre s'empourpre. Elle a un rire mortifié. Dis à voix haute ça sonne encore plus stupide que dans ma tête.... souffle-t-elle presque pour elle même.

Ses pensées dérapent vers Magni, sur le fantasme de se faire "jolie" pour lui faire tourner la tête. Son coeur s'emballe et son expression s'adoucit pendant un fugace instant. Une brèche inopinée dans l'armure qui laisse entrevoir une fragilité enfantine qui se comble aussitôt.

- Ne te moque pas, fait-elle un peu sèchement de manière préventive.

«  En.. En verité.... J'aimerais... hum... j'aimerais que ça plaise à quelqu'un... »

Mon regard s’ouvre sous la surprise. Un petit instant, la lumière est passée à travers la fêlure. Quelque chose de beau sous le vernis un peu craquelé, plein de piques façon hérisson. Quelque chose de nouveau, aussi. Qui lui va bien, dans tout le débâcle que ça doit être dans sa tête.
J’en souris, un peu pensif face à la nouvelle. Je m’attendais à tout, sauf à ça.
Je sais pas qui est ce quelqu’un. Mais quoique cette personne ait fait… ça la rend heureuse, et lui change les idées. Même avec un truc aussi futile pour certaines personnes que le goût des belles fringues. Alors je me dis que même si ça ne semble rien, c’est déjà énorme. C’est sans doute ce qui compte, au fond. Sans doute...

« Dis à voix haute ça sonne encore plus stupide que dans ma tête…
- … Disons que c’est pas banal. »

Parce que c’est bien la première fois que j’entends cette voix se préoccuper de son apparence. Aria a toujours plu, avec son physique de rêve – c’est naturel, dans la famille - et ses capacités de leader. Elle avait une quantité de prétendants dont elle se fichait bien, à part un certain Mathyas avec qui, je crois, y’avait un truc. Mais elle a disparue avant de vraiment m’en parler. Pas vraiment sûr qu’elle l’aurait fait, quand j’y réfléchis.
Est-ce que Jolhane, elle, me parlera de son nouveau prince charmant pour qui elle veut se parer de dentelles ? Hm...

« Ne te moque pas.
- Je serais bien le dernier à le faire ! »

Ça m’arrache un sourire franc, moins crispé, beaucoup plus détendu. Même si elle revient sur sa position défensive, moi je suis bien décidé à lui prouver qu’elle a le droit de penser à elle.

« Si tu te sens bien dans tes vêtements, la personne en face le sentira aussi. Et tu lui plairas, j’en suis sûr. », que je lance, dans un haussement d’épaules. Ça n’a rien de sorcier, il suffit juste de se séduire soi-même avant tout. D’un regard complice, j’affirme avec aplomb : « Je vais transformer tes haillons en soierie, et tu resplendiras de toute beauté, prințesă ! Viens ! »

Je la conduis hors du parc dans un élan d’enthousiasme. J’ai même l’impression que le soleil brille bien plus haut que lorsque je l’attendais. Le cœur de la ville palpite de monde, les fêtes de fin d’année apportent leur lot de cartes de crédit en pleurs et de promotions en rouge et or. Les vitrines brillent, les oiseaux chantent, mon âme de roi du shopping est en ébullition.
C’est l’heure de dépenser sans compter !

Mon pas allègre s’arrête devant une enseigne bien connue de mon portefeuille. Une boutique de bonne taille, regorgeant de vêtements, de bijoux, de lingerie et même d’un stand de maquillage dernier cri.
« Commençons déjà par ici. » Mes yeux viennent croiser les siens, alors je pousse la porte. « Y’a beaucoup de fringues tendances, et pas mal d’accessoires aussi. En plus je connais bien le propriétaire, si un truc te plaît, je suis sûr de pouvoir négocier un bon rabais ! »

Je gratifie Helen, la petite vendeuse, d’un joli sourire en entrant. Immédiatement, mon regard est accroché par une rangée de blousons et tout un panel de vêtements que je n’avais pas vu la dernière fois que je suis venu. Mon sang bouillonne, exulte !

« Oh c’est pas vrai ! Ils ont déjà reçu la nouvelle collection !! »

Je suis sur le point d’aller tâter de ces nouveaux cuirs absolument som-ptu-eux, avant de me stopper net dans mon élan. Je tourne la tête vers Jolhane, un brin décontenancé. Nanar, ta mission, n’oublie pas ta mission...
« Hum… Désolé, désolé. C’est vrai qu’on est là pour toi ! » Je me reprends, bien vite. La boutique regorge de trésors qui n’attendent que de la sublimer, mais encore faut-il qu’elle ait une petite idée pour m’aider à l’aiguiller. « Tu as déjà des envies en particulier ? Des couleurs, des coupes qui te plairaient ? »