Un charnier.
C'est comme ça que Boher, son supérieur le plus proche en terme de hiérarchie, a qualifié ce qu'il s'était passé à l'église. Des témoins sont tombés sur des fidèles calcinés, comme des « jambons trop cuits au soleil », selon le rire grinçant de Celciato, un bleu à peine majeur. Boher a collé une baigne à Celciato, et la brigade est partie en camion. L'alarme en bleu au-dessus du véhicule rouge, talonné par les voitures de police blanches, Farah en uniforme criard en voit de toutes les couleurs depuis qu'elle s'est engagée comme sapeuse pompière. Mais jamais rien de semblable.
Sur les lieux, son regard hagard s'étale sur les cadavres noircis. Elle prend quelques secondes pour se contenir, face à la montée de bile qui vient mordre son ventre.
Elle ignore ce dont il s'agit.
Elle sait, au fond de ses tripes, que sa mémoire antique a déjà vécu pire.
Et pourtant... l'émotion reste la même.
Elle ne revient à elle que lorsque la main lourde de Boher s'écrase sur son épaule.

« Eh Crescent, flanche pas. »

Avare en paroles, mais toujours bien pesées. Farah hoche la tête en silence et s'engouffre à l'intérieur de l'église, tandis que les policiers recueillent les témoignages. Les corps sont impossibles à identifier, tous rapatriés un à un l'extérieur. Elle a beau cherché, aider à sécuriser les lieux et tenter de comprendre ce qui a bien pu se passer, les faits sont là : rien n'a brûlé, si ce n'est la chair. Le bois, le mobilier et les vitraux n'ont rien, comme si rien ne s'était passé. Alors qu'elle inspecte, quelque chose attire cependant son attention, immédiatement interpellée par le motif calciné sur l'un des murs.

« Qu'est-ce que c'est qu'ça ?, bougonne Boher à la vue du dessin.
- On dirait... une créature. Avec beaucoup de dents.
- Génial. Putain cette ville part en couilles...
- On a pas déjà retrouvé cette représentation dans d'autres lieux d'incidents ?
- P'tèt bien. C'est aux poulets d'établir les liens. Nous on ramasse et on constate les dégâts. Allez bouge toi gamine, on va pas y passer la journée... »

Le dos rond de Boher se tourne vers le reste des fidèles à récupérer. A la force conjuguée de leurs bras, les pompiers de l'unité sept ont vite terminé de s'occuper des lieux. La foule s'agglutinent autour du cordon de sécurité. Le regard de Farah se perd vers la myriade de curieux morbides, qu'elle trouve beaucoup trop indécente. Les morts n'ont pas besoin de ce genre d'exposition...

Ses yeux se retrouvent bien vite attirés vers d'autres, derrière le cordon de sécurité. Parmi les stupéfaits, les photographes du dimanche et la presse plus ou moins qualifiée, Farah note la présence d'un homme. Un homme qui sourit, statique, à la vision des victimes agglutinées une à une dans les véhicules mortuaires, en direction de la morgue la plus proche.
Ses lèvres se pincent. Quelque chose la perturbe. Ce type la perturbe, sans qu'elle n'arrive à mettre le doigt dessus.
Et c'est faible de cet inconfort qu'elle remonte avec ses collègues. Les pneus crissent et son mal-être ne fait qu'empirer.

[...]

Elle y retourne, seule.
La journée est bien avancée, l'église est toujours condamnée le temps de l'enquête, et les barrières de sécurité sont toujours là. Elle observe le bâtiment derrière ses lunettes de soleil, les yeux rougis d'une colère sans véritable fondement.
Elle est persuadée que ces actes sont signés. Que ce dessin n'est pas là par hasard.
Ce n'est que lorsqu'elle aperçoit l'homme de la matinée que ses soupçons se confirment. Lui aussi est revenu sur les lieux du crime.
Reste à savoir pourquoi.
Et surtout, pour quelle raison ce sentiment de malaise persiste à sa vue.

« Monsieur. » Un ton ferme et un pas décidé, quand elle va à sa rencontre une fois la rue traversée. « Cet endroit est interdit au public. Vous n'avez rien à faire ic-. »

Et alors qu'elle est à sa hauteur, ses instincts les plus profonds lui hurlent de se méfier.
Les natures se reconnaissent, au plus primaire de leurs instincts de djinns.
Enfants du Feu, tout les deux.