Someday miraculous spread
will forgive every cowardly thing
that you’ve done

Dust it off

“Il fût blessé pour vos péchés, brisé pour nos iniquités ;
le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui,
et c'est par ses meurtrissures que vous serez guéris”
[~Ésaïe 53:5.]

La silhouette de granite s'élève, immuable, bravant vents et marais pour tendre vers le ciel de plomb. Que le brouillard domine la ville ou pas, ne change en rien cet état de fait : le monastère est une forteresse qui ne s'effritera plus jamais.

Le siège d'un culte.
Une prison.
Autrefois, sa seule maison.

Ohanzee a un fin sourire. Qui aurait pu croire qu'il éprouve de la nostalgie ?
Une bruine légère perle sur sa longue chevelure. Cela l'indiffère. En compagnie de Kaelig Taur et de Salomée Sparklewhite, il passe les portes battantes de l'institut, créant un remous dans le grand hall de marbre blanc. Le cliquetis des armes à feu que l'on sort des étuis se répercute en écho sur les murs immaculés. Dans sa mise simple, un jean et une chemise offerte par le bon Gaff, Ohanzee Figtree promène un regard paisible la forêt de canons pointés sur eux. Il embrasse les hommes et les femmes apeurés derrières.

- Bonsoir, frères et soeurs de l'I.C.V., déclare-t-il avec une pondération et un calme qui attire un haussement de sourcil du roumain qui l'accompagne.
- Sûr que le comité d'accueil respire la solidarité fraternelle, souffle-t-il dans sa barbe.
- Nous venons nous entretenir avec le professeur Fleming.
- De quel droit ?! Tu n'es qu'une expérience ratée et ingrate ! éructe le chef de la sécurité, qu'il connait bien.
- Ravi de vous savoir sain et sauf, Clemens.

Le jeune ancêtre avance d'un pas, affûtant la nervosité des hommes armés. Clemens, mâchoire serrée l'observe approcher. Mains jointes sur le devant, avec la quiétude d'un saint, Ohanzee affronte le pistolet qui frôle presque son front. Sparklewhite esquisse un geste que Taur retient d'une main ferme sur son épaule. Il secoue la tête et la dragonne ne va pas plus loin, non sans un plissement de paupières agacé.

- Nous somme venus en paix, nous entretenir avec le professeur Fleming, poursuit Ohanzee imperturbable. Mr. Taur représente les Dormeurs, Miss Sparklewhite les Dragons d'Emeraude. J'ai été désigné comme porte-parole de la communité d'exilés du Brouillard installés à la ferme Gaffney. Pourriez-vous nous annoncer à Rouge, je vous prie, Clemens ?

La portrait est immense. En toute éloge funèbre, le visage franc de Thaddeus Fleming est honoré auprès des grandes figures de l’Institut. Douze ans déjà que les pigments blanchissent en écoutant les prières intimes de sa dernière fille, quand un peu de temps lui permet de s’exprimer, et que son contrôle constant se relâche.
Les lamentations de Celle dont le chemin ne s’est jamais détourné de son éducation. Celle qui fit la fierté de ses pairs. Celle qui a sacrifié sans relâche pour gravir les marches du pouvoir, et se hisser au sommet.

Puissance. Professeur. Domination.
Rouge porte beaucoup de titres, mais plus aucun n’arrive à la satisfaire. Plus depuis que le monde, hors des murs protecteurs du sanctuaire, lui a échappé des mains.
Plus depuis qu’elle est tombée sous le joug du Malin, sous la forme de phalènes.
Et qu’elle a échoué à le déjouer.

Elle cherche une voie, dans le silence de la chapelle. Au cœur des tombeaux et des reliques, et dans les yeux d’huile précieuse de son père.
L’unique.
Qu’importe ce qu’elle entendra… et qu’importe qui partage vraiment son sang, dans le tréfonds des flammes infernales.

« Je me doutais que vous vous trouviez ici, mademoiselle. »

Seamus McCarthy se tient dans son dos. Les bras croisés, la posture droite, Rouge ne détourne pas son regard du tableau. L’homme s’approche d’un pas svelte, comme il sait si bien le faire. Une ombre de main obéissant à la famille White depuis des générations, conseiller émérite au sein des chercheurs, et avant tout, ami d’enfance de feu Thaddeus.

« … Ne devriez-vous pas vous tenir au chevet de vos maîtres, Seamus ? Il n’y a guère que vous qui puissiez les supporter., déclare-t-elle, sans prêter à attention à lui.
- Mon devoir réside autant auprès d’eux que de vous, Rouge. Et ne vous en déplaise, votre retour auprès des vôtres restaure mes promesses d’antan. »

Elle se fend d’un rictus abîmé. Toujours présent, en guise de serment, pour la retenir. Elle s’empresse de le lui rappeler.

« Vos promesses… comme m’empêcher de travailler ?
- Comme préserver votre santé. », corrige-t-il.

Elle tique, nerveusement. Fadaises. Ni lui, ni elle, ni personne ne pourra empêcher l’inévitable. C’est pour cette raison que ses yeux impriment l’image sur ses rétines faibles, des minutes, des heures durant. Avant qu’elle ne soit si grossièrement interrompue, bien sûr.

« … Bon, qu’est-ce que vous voulez ? », s’impatiente-t-elle, tandis que Seamus n’a pas bougé d’un pouce. Son introspection est malmené par la présence de l’autre homme.
« Clemens m’a annoncé que trois personnes, venues de la ferme Gaffney, viennent de pénétrer les lieux. Parmi elles se trouve Ohanzee Figtree. Ils souhaitent avoir une entrevue avec vous, personnellement. »

Le nom parvient enfin à décoller son regard. Elle l’adresse à Seamus, teinté d’une lueur plus vive. Ohanzee est ici. Et elle se doute de ce dont il s’agit.

« Préparez l'antichambre de Jacob. Et faites en sorte que personne ne nous dérange.
- Bien, mademoiselle. »

[…]

D’un marbre immaculé, la pièce ronde accueille en son centre une table propice aux réunions en petit comité. Flanquées d’armoiries et de vitraux, représentant l’épisode du saint Patriarche, elle est inondée de couleurs riches quand le soleil est haut. Rouge n’en profite pas, incapable de les distinguer. Tout ce qu’elle observe est la porte s’ouvrant sur la silhouette des trois venus, dont le désormais célèbre faiseur de miracles pour la communauté des rescapés.
Elle le gratifie d’un regard à mi-chemin entre une pointe de fierté et sa froideur habituelle.

« Bonjour, Ohanzee. » Sans faillir, son sourire blême vient maquiller ses traits. « Déjà de retour.  Aurais-tu un élan de nostalgie soudain en période de crise ? »

Ses yeux passent d’un représentant à un autre. L’homme des Dormeurs en premier.

« Mes hommages, monsieur Taur. »

Elle n’a pas perdu son respect pour le chasseur. Elle n’en a, en revanche, aucun pour l’envoyée de l’Ordre d’Emeraude avec laquelle elle a déjà eu des différends par le passé. Le début de toute cette histoire, quand elle y songe...

« Et… vous ? »

Un sourcil dubitatif s’arque.

« L’Apocalypse pousse décidément à de drôles d’alliances contre-nature. »

C’est ce qui semble se jouer ici. Elle ne souhaite pas tergiverser davantage, et en venir en fait. Chaque minute compte dans ce combat hors d’haleine.

« Puis-je connaître le motif de votre venue ? Comme vous pouvez vous l’imaginer, je n’ai que peu de temps à vous accorder. »

- Bonjour, Ohanzee.
- Bonjour, Mère, répond-il sur le même ton avec un sourire tranquille.
- Déjà de retour. Aurais-tu un élan de nostalgie soudain en période de crise ?
- Je viens simplement m'enquérir de vous et de votre santé. J'ai appris le rôle décisif que vous aviez eu dans la localisation de la Cité d'Emeraude.

Ohanzee contourne la table ronde et vient prendre la femme dans ses bras, lui offrant une étreinte spontanée et déstabilisante de sincérité. Ses deux compagnons, jouent des sourcils face à l'acte.

- Je vous remercie d'avoir concouru à ma libération et suis rassuré de ne pas vous savoir blessée dans l'entreprise.

Il s'écarte pour laisser à la directrice des lieu le soin de se recomposer une image.

- Mes hommages, monsieur Taur.
- Prof', fait le Dormeur en hochant la tête, volontairement familier.
- Et… vous ?
- ....
- L’Apocalypse pousse décidément à de drôles d’alliances contre-nature.
- Il n'y a rien de contre-nature dans ces rapprochement, Rouge. Il y a le vaste peuple de l'Humanité dans son sens le plus large contre Unseelie. Et puis... Ce ne sera pas votre première collaboration avec une femme qui vous a frappée en plein visage... Déclare le jeune ancêtre avec un de ses rares traits d'humour.

Kaelig se fend d'un rire grondant et même Salomée relève un coin de bouche.

- Puis-je connaître le motif de votre venue ? Comme vous pouvez vous l’imaginer, je n’ai que peu de temps à vous accorder.
- Pas de ça entre nous, Rouge. Taur tire une chaise pour s'y asseoir. Vous avez tout le temps du monde : votre Institut a perdu tout lieu d'être. Vous avez complétement perdu tout ce que vous aviez entrepris dans cette ville. En un mot : arrêtez de prendre vos grand airs, vous n'êtes plus qu'une bande de pignoufs en blouses blanches parqués dans votre blockhaus en granit.
- Ce que Kaelig essaie de vous dire avec ses propres mots c'est qu'il est nécessaire en ces temps de crise de faire front commun.
- Miss Sparklewhite l'a compris plus vite que vous, et pourtant la Nuit sait que j'aimerais lui foutre mon poing dans la gueule pour tout ce qu'on enduré mes enfants.
-Différent modes opératoires : même but, réplique sobrement l'intéressée. Nous avons tous le même but dans cette pièce : survivre et défaire Unseelie. C'est ce qui prime.
- Nous venons ici en amis, Rouge. Vous disposez de matériel médical, de savoir-faire, d'espace... Nous disposons de combattants.
- ... Et de faiseurs de Vrais Miracles, ajoute Salomée.

Le silence qui s'en suit est d'une gravité éloquente.

Elle écoute.
Elle écoute et réfléchit, le regard acéré.
Elle écoute les palabres derrière son visage de marbre. Les traits sont à peine fissurés par l’étreinte et les louanges de celui qu’on appelait le Prophète au moment de son départ de la ferme. Ohanzee et sa chaleur ont percuté un point sensible, mais elle ne laisse rien paraître.
Pas pour l’instant, pas tant que son devoir prime.
Les mots vulgaires du Taureau glissent sur elle comme de l’eau. Elle n’a que faire de ses opinions, pas plus que celles de l’envoyée des dragons. L’Institut est encore debout quand le reste du monde s’effrite, c’est tout ce qu’elle constate. Et si la foi s’épuise dans le cœur de certains, d’autres se soulèvent davantage pour croire encore plus forts.
C’est eux qui supplient, pas elle.
Ces deux-là peuvent rire, aboyer autour d'elle, qu’elle ne cillera pas une seconde à leurs allocutions mal placées : réclamer une main tendue après l’avoir mordue.
Ce que Rouge examine, ce sont les faits. Les faits véritables, présentés, qu’elle-même a pu constater dans la cité d’Émeraude.
Les retombées sont là, et menacent le monde entier.

Son regard chargé croise celui d’Ohanzee. De toutes les personnes présentes dans cette pièce, il est sans doute le plus à même de comprendre ce que cela veut dire.

Ses mains se croisent sur la table de chêne précieux. Elle pondère ses mots à venir. Elle les sait décisifs. Dans les trois paires d’yeux la fixant, elle se sent porteuse d’un message plus grand. Plus que tout ceux qu’elle a voulu défendre jusqu’ici.

« … Nous savions qu’elle viendrait, un jour. Nous avons tout fait pour l’en empêcher. », débute-t-elle, l’expression mutée de quelques bribes de regrets, passants rapidement comme un reflet dans ses lunettes. « Mais nos efforts pour l’endiguer ont été vains. Tout comme les vôtres. » Ses yeux glissent vers ceux de Sparklewhite, remontent vers Taur, et lancent un regard général. « Il n’est pas déraisonnable de penser que des actions séparées n’ont servies qu’à lui laisser plus de terrain pour semer la discorde… là où une force de frappe commune aurait pu être décisive. »

Avouer ses torts n’a plus tant ce goût amer qu’autrefois. Son mur de fierté est encore solide, mais a perdu quelques pierres.

« Votre initiative n’est pas dénuée de sens. Et je n’y vois aucune objection. Entre pions à terre, il est nécessaire de savoir nous relever. » Son cou amaigri se tourne vers la porte, où veille l’ombre des lieux. Seamus ne dit rien, mais comprend les intentions de sa protégée. Il quitte les lieux dés lors que sa mission à venir est claire : veiller à ce que la famille White n’oppose aucune résistance aux décisions imminentes de l’autre Domination. « Je mettrai à votre disposition ce qui vous paraîtra nécessaire pour abriter, soigner et équiper les survivants se trouvant au haras. Les forces vives de l’Institut se joindront aux vôtres au besoin, ainsi que nos dispositifs de surveillance. »

Le discours est appuyé, mais le poids d’une condition figure en tout petit, au bas du contrat verbal, du pacte à signer d’une poignée de main.

« Je souhaite en retour un droit de regard et d’action sur les opérations à venir contre Unseelie. »

Le sine qua none vrombit dans sa gorge, l’implacable est joué pour cette trêve passagère. C’est son âme scientifique, son désir d’apprentissage et son ego personnel qui entrent en jeu. Pour le bien du monde, Rouge doit savoir, et comprendre contre quoi elle se bat.
Car elle n’a pas abandonné. Les épaules sont pliées, mais ne s’affaisseront jamais.

« Quoiqu’il advienne à l’avenir… face à l’Apocalypse, nous serons tout les quatre sur un pied d’égalité. »

Kaelig semble prêt à rétorquer du tac au tac mais un rapide échange de regard avec Ohanzee le dissuade de pousser la provocation plus avant. Il y a un temps pour chatouiller les plaies de l'adversaire et un temps pour pieusement se taire.

- Il n’est pas déraisonnable de penser que des actions séparées n’ont servies qu’à lui laisser plus de terrain pour semer la discorde… là où une force de frappe commune aurait pu être décisive. Votre initiative n’est pas dénuée de sens. Et je n’y vois aucune objection. Entre pions à terre, il est nécessaire de savoir nous relever. Je mettrai à votre disposition ce qui vous paraîtra nécessaire pour abriter, soigner et équiper les survivants se trouvant au haras. Les forces vives de l’Institut se joindront aux vôtres au besoin, ainsi que nos dispositifs de surveillance. Je souhaite en retour un droit de regard et d’action sur les opérations à venir contre Unseelie.
- Je ne peux pas causer pour Malsheem, mais je pense que vous pouvez compter sur leur accord de principe, du moment que vous étendez votre aide jusqu'à leurs quartiers de Tae'alam , au bord du lac et que vous confirmiez ça avec Amon El'Hadji.
- Quoiqu’il advienne à l’avenir… face à l’Apocalypse, nous serons tout les quatre sur un pied d’égalité.

Avant que quiconque ait pu élever une objection, le jeune ancêtre prend la parole.

- Sur un pied d'égalité, nous le somme déjà : unis par nos échecs face à l'adversité. Chacun d'entre nous savait, prévoyait et a tenté, à la mesure de ses moyens, de faire front à cette terrible menace. Désormais, seule une union harmonieuse des volontés saura nous défaire d'Unseelie. Dans cette optique, j'aimerais que vous accédiez à la requête suivante : confiez-moi, votre Agneau sacré. Entre les quatre murs de ce monastère, elle ne vous est d'aucune utilité. En revanche, comme envoyée de l'ICV auprès de Miss Sparklewhite au point de ralliement du haras Gaffney, elle pourra se faire relais de la voix de l'institut. Jhaelynra fera une merveilleuse émissaire de l'entente que nous venons d'établir.

Avec un sourire doux, il ajoute :

- Mère, vous savez désormais les vertus d'une émancipation consentie. Laissez vos enfants prendre leur envol et semer leurs propres graines. Vous pourrez savourer ensuite le fruit de leurs récoltes dans la paix.