Revenu à Tir Na nOg depuis quelques heures, 12 tout au plus. Pas dormi, pas manger, pas bu, pas vu Ciulin,. Non pas que je puisse pas vivre sans les trois premières mais c’est toujours un peu agréable, surtout le sommeil.
Astaroth, Zelan, le démon de Vesper et la ville de Tir Na nOg et ce putain de brouillard de manière général : ce sont mes sujets du moment. De gros, volumineux sujets pour sauvegarder les protégés de Malsheem. Je sens déjà venir les longues semaines sans sommeil.
C’est con, j’étais presque détendu en revenant d’Islande.

Ouais… Bah, c’est raté du coup.

Mon bureau est un vaste bordel de gribouillages, de comptes rendus codés. Il y a trois ordinateurs, huit téléphones et un nombre incalculable de soupirs.

Je suis déjà soulé. Ca fait douze heures que je suis là. Simone veille au grain et il me semble que je l’ai virée plus qu sèchement tout à l’heure.

Tout à l’heure…?

Je jette un coup d’oeil à la fenêtre. Jour. Ca doit faire plusieurs heures, en fait. Long soupire.
Je me laisse retomber sur mon fauteuil, je me masse les yeux.


Ok. J’ai besoin d’une douche.

La brillante idée d’avoir fait de ce foutu bureau un appartement, limite. Me manque plus que la cuisine…. Mais je préfère commander.

Je passe dans la mini salle de bain -enfin, on s’entend sur le mot “mini”, j’aime mon confort- et lance un coup d’oeil sur le miroir.

Putain de merde, j’ai une tête d’affreux. Ca m’apprendra à baiser pendant le voyage de retour et de revenir pour bosser douze putain d’heures d'affilée!
Eau brûlante.
Lumière tamisée.

Mes muscles se dénouent, la tension se dissipe au gré des piqûres brûlante de l’ondée.
Astaroth, Zelan, le démon de Vesper… Ca fait beaucoup de chose en même temps… Sans compté tout le reste.
Long soupire sous l’eau chaude.

Un toc toc toc lointain chasse mes pensées et me fais relever la tête. Je l’ignore. J’ai besoin de calmer mon cerveau en fusion.
Martèlement violent sur la porte. Je coupe l’eau.
Personne de chez moi n’aurait l’audace de frapper comme ça. Enfin si, Simone pourrait mais Simone a la clé.
Je me drape dans une serviette, parfaitement dégoulinant et je m’approche de la porte. J’entends la voix de Grigor et une grosse voix. Hmm. Connais pas. J’ouvre la porte.

Grigor se tourne vers moi, la perplexité sur le visage.

-P-Patron…?

Mes yeux se posent sur Kaelig Taur puis reviennent sur Grigor.

-C’est bon, Grigor. Tu peux nous laisser. Je m’occupe de Mr Taur, merci.

Sourire rassurant à mon employé. Je m’écarte de la porte pour laisser entrer Kaelig alors que Grigor s'éclipse en se demandant depuis quand j’accueille des gens en serviette de bain.

-Entre, je t’en prie.

Je ne me vois pas le vouvoyer, j’ai douze fois son age. Je me retiens grandement de lacher un “beau-papa” mais je sens que ça va arriver. Je retourne dans la salle de bain et prends quelques secondes pour ressortir parfaitement habillés. J’invite le Patriarche des Sang-Coureurs à s’asseoir.
J’énumère mentalement les raisons de sa présence. Je n’en vois qu’une. Une seule.
Elie.
Elie doit être morte et ça ne doit pas faire très longtemps, sinon je l’aurais su.

-Que me vaut la visite du Père des Sang-Coureurs ?

Pourquoi est-ce que j’évite le sujet…? J’en sais rien. Probablement parce que je n’ai pas été beaucoup plus présent depuis cette fameuse soirées, possible que ça soit parce que j’espérais réussir à repousser sa mort à nouveau, d’une manière ou d’une autre.
Parce qu’elle ne mérite pas d’être en bas et que je ne vais pas pouvoir la sortir de là avant de longs mois, trop de suspicion sur moi sinon. Je ne peux pas mettre Malsheem à mal. Je force pourtant.

-C’est à propos d’Elie, je suppose…

Il y a des œuvres qui n'attendent pas. Tu as fait de moi ton exécuteur testamentaire, et, crois-moi, je m’acquitterais de cette tâche jusqu’à la dernière lettre. Il n'y aura ni report, ni détour. Je ferais usage de détermination jusqu’au bout. Ton corps repose à la morgue, le temps que je m'acquitte de cette funeste tâche. Ensuite, nous te fêterons tous comme il se doit. Even et Enzo se chargent déjà de te préparer la fête du siècle pour que ta mort se grave dans tous les esprits. Tu étais une étoile et tu brilleras sur nous, aussi artificielles soient les lumières des néons.

Et, lorsque j'aurais honoré tes dernière volontés,
je pourrais m'écrouler.
Enfin.

Je connais le chemin de l'Eden's rest, ironie crapuleuse du titre. Habitué à me frayer un chemin là où personne ne souhaite me voir, je me glisse dans l'établissement fermé. Je vise le bureau. L'aplomb de ma démarche ne réveille pas les soupçons d'un personnel encore balbutiant et affairé. Pas immédiatement, en tous les cas.
Je me dirige vers les quartiers du propriétaire et frappe à la porte d'une forte poigne. Des pas précipités dans mon dos m'indiquent que j'ai été repéré.

- Monsieur, vous ne pouvez pas être là, je vais vous demander de sortir.

Je me retourne lentement vers l'homme en costume affublé d'une oreillette -probablement un garde du corps. Dans mon long manteau de feutrine noir, ganté de cuir de la même teinte, je fais sans doute office de potentiel "menace".

- Je suis attendu., dis-je simplement.
- Laissez-moi le temps de vérifier vos dir... Hey !!! Qu'est-ce que vous faites ?!

Je n'ai pas de temps à perdre, petit. J'ai ouvert la porte et je me suis invité. Devant moi se trouve celui que je suis venu chercher : à poil dans une serviette de bain. Haussement de sourcil broussailleux.

- P-Patron…?
- C’est bon, Grigor. Tu peux nous laisser. Je m’occupe de Mr Taur, merci. Entre, je t’en prie.
- C'est déjà fait. Le tutoiement, donc. Parfait. Est-ce une largesse que tu t'octroies parce que tu baises ma progéniture ?
- Que me vaut la visite du Père des Sang-Coureurs ? C’est à propos d’Elie, je suppose…
- Tu supposes bien. Elle est morte la semaine dernière. Elle m'a laissée ceci pour toi. Je sors l'enveloppe calligraphié à son nom pour lui tendre. Plusieurs choses : premièrement, je souhaite réquisitionner l'Eden pour sa fête d'enterrement. Ses deux meilleurs amis s'occupent de lui rendre ce dernier hommage et il m'est apparu tout à fait approprié que tu y ailles de ta petite contribution.

Une pause.

- Deuxièmement, j'ignore quelles sont les consignes pour le corps, sachant ... Pudeur des mots... Ce qu'elle doit devenir. Dois-je l'enterrer, brûler le corps, m’acquitter d'une autre forme de rituel ? On ne nous explique pas ce genre de choses à l'école de la Chasse.

Une expiration brève. Fatiguée. Digne.

- Troisièmement, j'aimerais savoir où je peux trouver : Simone Montespan, Gontrand Copperman et un certain ... Zelan. Je pourrais demander à mon fils de faire cette recherche, mais il m’apparaît plus courtois de te demander en premier lieux sachant que la plupart sont tes collaborateurs.

Et après ?
Après je pourrais pleurer tout mon soul.

- Tu supposes bien. Elle est morte la semaine dernière.

Long soupire fatigué. J’ai été une sombre merde, sur ce coup-là. Je n’imagine pas l’état mental de l’homme qui se trouve en face de moi. Si je devais perdre Ciulin, je serais loin d’avoir son self-control.

-Elle m’a laissée ceci pour toi.

Il me tend une lettre où je reconnais l’écriture alambiquée de la gamine. Je sais bien qu’elle reviendra. Le soucis, c’est que je sais aussi par quoi elle va passer. J’ouvre la lettre et la parcours des yeux le coeur lourd. Des mots gentils, des encouragements, des excuses, de l’empathie par cargaison. Putain, Elie… J’espère que t’arriveras à tenir le choc en Enfer. J’espère vraiment. Il y a une seconde lettre dans la première, à destination de Ciulin. Ca me fait sourire tristement. Pendant que je lis celle qui m’est destiné et que je range celle destinée à Asti min, j’enregistre ce que Kaelig me dit.
1 - Eden’s Rest pour la fête d’adieu en l’honneur d’Elie.
2 - Le corps d’Elie et comment s’en occuper.
3 -  Où trouver Simone, Gontrand et surtout, plus surprenant, Zelan, son paternel, mon frère.

Je relève la tête de la missive et la replie en réfléchissant.

-Aucun soucis pour l’Eden, il sera bien évidemment privatisé pour lui dire adieu.

C’est l’évidence même. Je sais bien que Kaelig doit avoir de sérieux doutes sur mon compte, sur mon honnêteté vis-à-vis d’Elie, je les comprends. J’ai usé d’elle pour apaiser Zelan et ça n’a pas marcher du tout. C’est triste et je l’ai poussé à bout, beaucoup trop loin et trop fort pour son état. J’aurais dû mieux faire. Je pourrais invoquer tout un tas de raisons, la réalité c’est que je l’ai faite passée après. Parce que je savais qu’elle pouvait encaisser, parce que j’avais d’autres choses plus importantes devant les yeux, par simple facilité. Je n’en suis pas fier. Le ton de Kaelig me fait comprendre qu’il considère que j’ai fauté et je suis d’accord. Pour autant, Elie reste ma nièce et je me vois mal refuser un quelconque coup de main à tout ça. En fait, je l’aurais probablement proposé de moi-même.
Pour ce qui est du corps… Je m’approche du bureau encombré de beaucoup trop de papiers, de beaucoup trop d’ordinateur et de beaucoup trop de téléphone. Ca me trucide rien que de voir tout ça. Je pose la lettre sur le dessus et farfouille dans un tiroir, sort une carte, un bloc note et un crayon. Je gribouille une adresse à une heure de route d’ici, une morgue familiale tenue par des personnes de Malsheem. La pudeur de Kaelig me fait dire que le retour d’Elie ne sera pas exactement joyeux. De là où je me trouve et vu l’hyperactivité des sang coureurs en ce moment, je le vois mal accepter calmement le retour d’Elie sous sa forme démoniaque. Je le vois mal accepter que qui que ce soit d’autre puisse éprouver le même sentiment qu’Elie : vivre en harmonie, vivre tranquille… Mais ça, c’est pour plus tard.
Je m’approche de lui et lui tend  une carte noir parcourue de dorures runiques, ils sauront quoi en faire en la voyant.

-Pour ce qui est d’Elie et de comment gérer son corps. Vas à cette adresse, ils savent quoi faire pour des personnes comme Elie qui vont devenir des démons. La morgue ne posera pas de soucis pour transférer le corps là-bas.

Je m’éloigne et remplis un verre pour le lui tendre. Je m’en sers un et le vide aussi sec. Vraiment une période de merde.

-Pour ce qui est de Simone, tu la trouveras au Before the Fall dans le centre ville. Gontrand tient le Gontr’hamburger à Westside. Pour Zelan… Il devrait être du coté des entrepôts. Le plus simple serait encore de l’invoquer.

Zelan, mon frère des fosses… Il est particulièrement compliqué de saisir le bougre, devenu complètement dingue et ayant rejoint les rangs de Léviathan, il est exactement tout ce qu’elle adore : imprévisible, créatif et complètement timbré. Mais je l’aime comme un frère.

-Pas la peine de mêler Cristian à tout ça. On est des gens civilisés.

Je retourne m’asseoir à mon bureau.
Sourire fatigué. Kaelig est épuisé et je le sais sans même le connaitre.

-Elle n’apprécierait sans doute pas que tu t’exténues comme ça pour elle, tu te doutes…

Inspiration tranquille, y a une chance sur deux que je l’énerve. Je refléchis un moment avant de dire.

-Quatre mois. C’est le plus court que je puisse faire.

Je louche sur la carte avec un plissement de paupières, avant de finalement la saisir et la mettre dans ma poche. Je prends également bonne note des informations sur les destinataires manquant. Je renâcle légèrement à l'évocation du dit Zelan.

- Je ne tiens pas à invoquer un quelconque démon, Père d'Elehiel ou pas, "votre majesté". Sarcasme à peine voilé. J'irais le débusquer dans son trou à rats.
- Pas la peine de mêler Cristian à tout ça. On est des gens civilisés.
- Je ne me rappelle pas avoir jamais mis "démon" et "civilisé" dans la même phrase.

Je sais.
Je sais que je ne retrouverais peut-être jamais l'Elie que j'ai connue. Cette femme pétillante et bouillonnante de détermination. Il faut que je vive avec l'amertume du deuil alors que se dispute à elle l'infime espoir d'un jour la revoir. Ne te fais pas d'illusions, vieux taureau, si tu recroise la route de ton étoile, ce sera pour la chasser de ton ciel.

La décrocher définitivement du mur.
Ni plus, ni moins.

- Elle n’apprécierait sans doute pas que tu t’exténues comme ça pour elle, tu te doutes…
- Qu'est-ce que ça peut bien te foutre ? La question n'a pas l'énergie de sa véhémence initiale. Je suis trop fatigué pour y mettre une once de rage.

J'en ai ma claque.
Je voudrais hiberner et me réveiller dans trois siècles. Pas d'épouse maniaco-dépressive, pas de cancéreuse qui se transforme en démon. Pas de brouillards et de chrysalides. Pas de chasses insensées. Juste le silence du vent et le bruissement des vagues qui s'écrasent contre la falaise.

Et puis plus rien.

Soupir.

- Quatre mois. C’est le plus court que je puisse faire.
- Quatre mois pour quoi, exactement ? Fourbir mes armes ? Aiguiser ma machette ? Psalmodier quelques exorcismes ? Quatre mois pour quoi... Exactement ...Assmodée ? Je le pourfend du regard, mes lèvres se pincent. Ne fais rien, c'est encore ce que tu fais de mieux.

La gratuité de l'estoc ne me soulage en rien. L'espoir est un animal furieux qui me griffe déjà les entrailles, réclame sa pitance. Il s'accroche, s’agrippe, frétille. Il me consomme. Il me consume. Il ne me lâchera plus.

- T'es vraiment un connard.

Silence. Lourd.

- Quelles sont ses chances ?

De survie.
De rester intègre.
De me revenir.
De ne pas nous entre-tuer.

Mon rire aigre s'égraine à couteaux tirés entre moi et le bureau. Voix suave. Ton terrible.

- Et bien, t'arrête pas en si bon chemin, maintenant qu'tu m'as ferré avec ta dope; Nourris la Bête...

Foutu dealer d’espérance.

-Je ne tiens pas à invoquer un quelconque démon, Père d'Elehiel ou pas, "votre majesté". J'irais le débusquer dans son trou à rats.

Je lève les yeux vers lui, le sarcasme me glisse dessus et me laisse un sourire traquille.

-Comme tu veux, “beau-papa”.

J’ai pas pu résister. Faut dire que mon niveau de fatigue n’aide pas. Si Simone était là, elle roulerait des yeux si fort qu’ils auraient probablement créer un tsunami quelque part. Ca me tire un sourire de petit con qui n’est pas du tout destiné à Kaelig.
Je me demande si Léviathan s’amuse toujours avec Zelan ou si c’est bien sur lui que Kaelig tombera… Dans les deux cas, j’aimerais être une petite souris pour voir ça. J’imagine mal Kaelig face aux discours décousus de l’un ou de l’autre. Enfin si, je l’imagine… Mais pas calme. Ca pourrait me faire marrer mais l’image d’Elie s’impose et je pousse un long soupire.

-.... Si jamais en allant le trouver, tu tombes sur une gamine aux yeux vairons parfaitement incohérente… Garde ton calme.

C’est le mieux que je puisse faire pour lui empecher un voyage au pays de Léviathan. La gamine en elle-même est inoffensive, il faut juste ne pas la vexer.
Je refléchis un peu à tout ça en lui disant que ça n’est pas la peine de sortir son fils fou d’ordi. On est civilisés ici. La réponse ne se fait pas attendre.

-Je ne me rappelle pas avoir jamais mis “démon” et “civilisé” dans la même phrase.

Rire amusé pour démon épuisé.

-Bah y a des premières à tout. Va peut être falloir t’y mettre, qui sait?

Il a l’air épuisé, tellement que j’arrive à en avoir quelque chose à faire. Alors qu’il bute mes protégés depuis des semaines. En fait, je pense surtout à Ciulin, parce que je me doute que si cette lettre existe alors la connexion entre Elie et Ciulin est plus profonde que je ne le pensais. Suffisamment pour que Ciulin se risque à aller voir Kaelig, en mémoire d’Elie. J’aimerais qu’iel ne fasse pas ça mais j’ai aucun doute sur le fait qu’iel le fera. Ma remarque sur son état est accueilli comme il se doit : par une rebuffade. Je n’ajoute rien.
Pas la peine de s’énerver sur un homme endeuillé.

Le silence s’étend. Il a envie d’être partout sauf ici. Partout sauf en vie dans un monde où Elie va devenir l’une de ses proies. La binarité de sa vision m’attriste et je me demande si Elie a réussi à le changer suffisamment pour pouvoir faire son nid près de lui à son retour… Je lui donne une perspective et ça aussi, c’est mal pris. Pas grave. Je sais appaté les plus retors, j’en ai fait mon fond de commerce et à ce stade, tout ce que je peux faire, c’est préparer le retour d’Elie au mieux.

-Quatre mois pour quoi, exactement ? Fourbir mes armes ? Aiguiser ma machette ? Psalmodier quelques exorcismes ?  Quatre mois pour quoi… Exactement… Asmodée ?

Il pourrait me buter avec ses yeux-là, je ne cille pas. Toujours calme.

-Ne fais rien, c’est encore ce que tu fais de mieux.

Silence de ma part, encore. Tu peux m’agresser si ça te chante. Je sais les ravage qu’un bon vieux compte à rebourt font à un homme si désespéré d’avoir une perspective d’avenir.

-T’es vraiment un connard.
-C’est mon deuxième prénom.

Le silence nous happe.

-Quelles sont ses chances? Et bien, t’arrête pas en si bon chemin, maintenant qu’tu m’as ferré avec ta dope ; Nourris la Bête....

Je le détaille un petit moment.

-Aucune. Soyons clairs, quatres mois ici, c’est infiniment plus long là où elle se trouve… Aucune chance, cela dit…

Je repense à ces moments de force absolue, ces moments où je pensais la voir s’éffondrer.

-C’était quoi les chances qu’elle danse comme elle le faisait si proche de la mort, ou bien les chances qu’elle reste si ouverte après le torrent de merde qu’elle a traversé. Elle a fait ça sans savoir quelqu’un, quelque part, un jour, serait là pour elle.

Je hausse les épaules et regarde Kaelig.

-Tu lui as donné un truc qu’on trouve pas dans les fosses, tu lui as donné un espoir indéboulonnable et j’sais pas toi, mais moi, j’ai finis par comprendre que c’est tout ce qu’il lui fallait pour se battre jusqu’à atteindre son objectif. Elle sera pas intacte, personne ne sort intact des fosses mais je doute très sincèrement qu’elle perde son humanité. Elle va s’faire un devoir de la garder, rien que parce qu’on veut lui la prendre et rien que pour toi.

Je baisse les yeux sur la lettre sur mon bureau.

-Tu es sa meilleure arme pour sortir de là, humaine.

Je relève les yeux pour le regarder tranquillement.

-La vraie question, Kaelig, c’est :  Est-ce que son humanité sera suffisante pour toi? Puisqu’apparemment, ça ne suffit pas de manière générale.

- Aucune. Soyons clairs, quatres mois ici, c’est infiniment plus long là où elle se trouve…

J'ai appris toute ma vie à encaisser des coups, à endurer la douleur qu'elle soit physique ou morale. Mais il n'y a rien de plus dégueulasse que d'allumer une lueur d’espoir pour écraser la mèche l'instant d'après. J'accuse un léger tressaillement. Un instant fugace de faiblesse.

- Aucune chance, cela dit…

La suite du discours résonne comme une diatribe de film, le genre de harangue pleine de bons sentiments, quand le héros a perdu tout espoir et qu'un "aîné" lui dispense sa bienveillante sagesse. Dans cinq minutes, je m'attends à la ronflante sur l'amour et l'amitié qui sauve le monde. Tes boniments doivent éclater ma gosse, moi j'ai passé l'âge de sucer des sucres d'orge en attendant le Père Noël.

- Tu es sa meilleure arme pour sortir de là, humaine.
- Merci, j'vais chialer... L'acidité est sous le sapin, il a dépiauté le papier cadeau et patauge dans les confettis. T'as rien de plus concret ? "Pas intacte" ça signifie quoi au juste ? Sera-t-elle un danger  pour autrui ?
- La vraie question, Kaelig, c’est :  Est-ce que son humanité sera suffisante pour toi? Puisqu’apparemment, ça ne suffit pas de manière générale.

J'ai un rire désabusé.

- Tu penses que je me balade avec un petit compteur Geiger qui mesure ta jauge d'humanité ? Et si  elle passe en dessous des 50% je m'octroie le droit d'opérer un joyeux génocide ? Me fais pas rire. Des guerres t'en a vu passer, tu sais qu'il y a toujours une zone grise où patauge les deux camps, que rien n'est jamais aussi simple que ces foutaises de gentils et de méchants.

Je le fixe droit dans les yeux.

- J'ai juste un job à remplir et je m'en acquitte au mieux. Des gens compte sur mi pour protéger leurs culs. Je ne prends pas la peine de t'expliquer... Je balaie la pièce d'un geste de la main : les dossiers, les téléphones, les ordinateurs, sa gueule de déterrée sous perfusion de caféine... Je crois que tu sais très bien ce que c’est. Est-ce que j'ai envie qu'elle revienne ? Oui. Est-ce que son humanité pèsera dans la balance...?

Je laisse filer un silence.

- Tu parles à un homme qui aimé un monstre toute sa vie durant et qui l'a protégée des autres et d'elle même. Jusqu’à ce que la situation deviennent ingérable. Jusuq'au moment où il a fallu solutionner la question. Plissement de regard. Il en sera de même avec Elie.

Parce que le pragmatisme est parfois une necessité
quand l'amour ne suffit plus.

 - Merci, j'vais chialer…
-J’ai des kleenex, si tu veux.

Sourire acide pour pic acide. Tu rates l’essentiel, petit Kaelig. Ma petite diatribe n’est pas tant pour te faire espérer que pour te faire comprendre que c’est en Elie que cet espoir vit. J’ai l’intime conviction que cet espoir n’est pas prêt à s’éteindre. Cette gamine est un feu ardent, un bengale fou qui n’en finit jamais de cracher des flammes juste pour prouver à l’univers entier qu’il a tort, qu’elle est plus forte que ça.

-T’as rien de plus concret ? “Pas intacte” ça signifie quoi au juste ? Sera-t-elle un danger pour autrui?

Je hausse les sourcils. Je sais ce que tu es en train de me demander, Kaelig. Est-ce qu’il faudra que tu la tues pour l’empecher d’être ce qu’elle n’est pas? Long soupire, je penche la tête.

-Les fosses, c’est différent pour tout le monde. Elie, elle, elle va se battre. Et y a pas grand monde qui se bat contre les bourreaux. Mais elle, elle tient plus de la guerrière que de la simple survivante. Elle va prendre cher. Et tu te méprends, je ne te joue pas une sérénade filmique. Kaelig, Elie pense comme ça. C’est une boule d’espoir concentrée. C’est comme ça qu’elle marche. Elle a qu’une idée fixe :  te revoir. Quoiqu’il lui en coute.

J’ai un léger rire en y réfléchissant.

-Elle serait bien capable de soulever les fosses juste pour ça. C’est pas qu’elle t’aime, c’est qu’elle t’a dans la peau. Ca, au moins, on en est tous certains.

Pause.

-Pour ce qui est du danger qu’elle sera… Je ne pense pas qu’elle se laisse le choix. Il y aura des ratés, probablement. Ne serait-ce que parce que les dons sont d’abord liés aux émotions. Mais bon, la vrai question, Kaelig, c’est : Est-ce que son humanité sera suffisante pour toi? Puisqu’apparemment, ça ne suffit pas de manière générale.

Le rire qu’il me sert me fait comprendre une chose fondamentale : il sait parfaitement qu’il tue de manière exagérée. Ca m’exaspère plus que ça m’énerve. Je me dis que Elie s’est encore trouvé un winner, c’est parfait. Il faudra composer avec ça. Décidément, à part Ciulin, chez les Roumains, on est quand même pas bien fini.

-Tu penses que je me balade avec un compteur Geiger qui mesure ta jauge d’humanité? Et si elle passe en dessous des 50% je m’octroie le droit d’opérer un joyeux génocide? Me fais pas rire. Des guerres t’en a vu passer, tu sais qu’il y  a toujours une zone grise où patauge les deux camps, que rien n’est jamais aussi simple que ces foutaises de gentils et de méchants.

Il me fixe et je ne dévies pas. Je me penche en avant.

-Tu vas faire un excellent démon, dis moi…
-J’ai juste un job à remplir et je m’en acquitte au mieux.
-Hmm hmm… C’est vrai que buter des gens pour zéro résultat, ça fait partie du “au mieux”.

Ton calme, il continue.

-Des gens compte sur moi pour protéger leurs culs. Je ne prends pas la peine de t’expliquer.

Pas la peine, effectivement. Tu as juste décidé d’user d’une violence brute pour régler une situation qui demande du doigté. Pourquoi pas. Tu n’avanceras pas à grand chose comme ça.

-Je crois que tu sais très bien ce que c’est.
-Mieux que toi, à priori.

C’est dit sans malice. Le fait est qu’il s’y prend comme un manche et que sa folie sanguinaire ne va pas faire grand chose de plus que de galvaniser les créatures contre les humains. On murmure déjà un nom : les Hurlants. Ils s’organisent vite et bien, ils sont un problème de plus à régler. Tu ajoutes à ma charge de travail et ça aussi, ça m’exaspère. Le pire dans l’histoire, c’est qu’il va falloir que je te garde en vie sous peine de me faire botter le cul par une naine à cheveux bleus.

-Est-ce que j’ai envie qu’elle revienne ? Oui. Est-ce que son humanité pèsera dans la balance… ?

Le silence à nouveau. Je sens que la réponse va être longue. Je ne dis rien. Trop fatigué pour parader et faire ce que je fais habituellement.

- Tu parles à un homme qui aimé un monstre toute sa vie durant et qui l'a protégée des autres et d'elle même. Jusqu’à ce que la situation deviennent ingérable. Jusqu'au moment où il a fallu solutionner la question. Il en sera de même avec Elie.

Je penche la tête un instant et la redresse en soupirant.

-J’avais oublié comme c’était intense, tout les deux…

Je me passe la main sur le visage.

-Donc tu as solutionner la question comment exactement? Ca m’intéresse.

Ne serait-ce que parce que je connais l’attachement de Ciulin à sa mère malgré tous ses défauts.

-Est-ce qu’il va falloir que j’annonce à Ciulin que sa pote et sa mère sont mortes…?

Ingérable… Elie risque de l’être. Elle est fragile, mentalement. C’est un coup de poker. Tout ce que j’ai, c’est de l’espoir.

L’idée germe dans ma tête. Je plisse les yeux et murmure pour moi.

-... naaaan…

Peut-être bien qu’elle ne finira pas chez Alrune. Il y a une autre hypothèse. Folle, parfaitement folle. Je regarde Kaelig et penche la tête. Je plisse les yeux à nouveau. Jamais vu ça avant. Si? Non… Faudra que je me renseigne.
Je glisse ma main vers un téléphone et envoie un rapide message direction Balaam. Je le repose et regarde Kaelig en plissant les yeux.

-Pas le genre à tuer ton épouse. Tu t’es engagé avec elle…. Alors quoi? Une retraite anticipée dans les bois?

Je sens qu’il va se passer un truc.

J'ingurgite les informations, sans mot dire. Je dompte la profonde irritation que le personnage m'inspire. Il y a chez lui ce mépris du petit millier d'années qui lui coule dans les veines pour un gus comme moi. Un humain minuscule qui l'emmerde. Ça transpire par tous les pores de sa peau et à chaque syllabe proférée.

Il me prends pour un sauvage doublé d' un con.

Je n'ai pas assez d'énergie pour démentir. Je lui donne même ce qu'il veut. Je m'en tamponne le coquillard jusqu’aux tréfonds des entrailles. Juge, démon. Tu ne sais pas qui je suis et tu n'auras sans doute jamais ce plaisir. Tu es simplement obligé de me supporter parce que d'une manière étrange, qui me révulse, nous sommes liés. J'aime ta nièce, tu aimes ma gosse. On va devoir composer avec ces deux fortes têtes qui ne nous laissent pas le choix que de cohabiter.

- J’avais oublié comme c’était intense, tout les deux…
- Il faudra t'y faire, "mon gendre". Miel de l'ironie. Je suis là pour plus longtemps que tu ne le crois.

Moi aussi j'irais en Enfers un jour, et je ne compte pas laisser ma couenne dans les Fosses.

-Donc tu as solutionner la question comment exactement? Ça m’intéresse. Est-ce qu’il va falloir que j’annonce à Ciulin que sa pote et sa mère sont mortes…?

Je le toise avec un silence polaire. Il me prend vraiment pour un boucher sans moral, ce trou du cul. Là encore, si l’offuscation est présente, l'énergie n’est pas là pour le manifester.

-... Naaaan… Pas le genre à tuer ton épouse. Tu t’es engagé avec elle…. Alors quoi? Une retraite anticipée dans les bois?
- C'est la mère de mes enfants, la première et seule femme que j'ai aimée presque la totalité de ma vie. Je ne trucide pas les gens que j'aime, même si ça ne colle pas aux étiquettes que tu aimerais me coller sur la gueule.

Je laisse filer un silence.

- Lavinia ne se contrôle plus. C’est une sorcière extrêmement puissante qui a déjà blessé son apprenti à maintes reprises. Ses humeurs changeantes filtrent désormais au sein de la cellule familiale. J'ai couvert son état aussi longtemps que j'ai pu pour en préserver nos enfants. Mais elle ne suit plus correctement ses traitements et mon... "Infidélité"... Le mot sonne sale, creux et complètement à côté de ce que je partage avec Elie... L'a faire complètement dérailler. Il faut que je trouve une clinique psychiatrique qui serait en mesure de contenir sa sorcellerie et qui puisse lui faire regagner ses esprits. Si possible avec une possibilité de droit de visite pour que nos gamins puissent la voir. Elle les aime désespérément.

Je croise les bras et je ne cesse de le fixer.

- Tu n'en connaîtrais pas une par hasard ?

La Zone Grise, Assmodée. Que tu le veuilles ou non, nous y sommes enlisés.

- Il faudra t'y faire, "mon gendre". Je suis là pour plus longtemps que tu ne le crois.

Je pouffe de rire. Bon, ok, ça me fait franchement marrer. Le sourire est sincère, j’envie d’en rajouter, présente. Allez savoir pourquoi, ça me détend.
Tu m’agaces pour tout un tas de raisons, mais t’es marrant quand tu veux. J’inspire un grand coup, je me calme. La fatigue n’aide pas, j’attends le moment où Simone va venir me piquer le cul avec un somnifère puissant mais j’ai pas le temps de dormir. J’ai pas le temps parce que si je ne solutionne pas toutes ces histoires, c’est tout Malsheem qui est en danger. Ils commencent déjà à taper à l’aveugle et ça fait à peine un mois que le brouillard est apparu. Ils ne risquent pas de s’arrêter de sitôt.
Je le détaille un moment.

-Oh, tu sais. Tu sens la malédiction d’ici…

Sourire de fin connaisseur. J’en suis passé par là, la malédiction. Je ne sais pas ce qu’elle est ou par qui mais elle est là. Les démons de mon âge sentent ça, les plus jeunes ont une intuition. La raison est toute bête : on bosse pour rien si on cherche à récupérer l’âme d’un gus qui l’a déjà vendu. Ha. Evident, pas vrai.

On dévie sur sa femme. Je picote, je cherche et j’anticipe. Ciulin sera affecté.e et s’iel est affecté.e, je le serais aussi. On parle de sa mère, même s’il se trouve que la dame est parfaitement timbrée, Ciulin éprouve un attachement étrange à cette femme. Je ne le comprends pas complètement mais je l’accepte. Je suppose que c’est une bizarrerie de plus, le même genre qui m’a fait ramené Elie pour calmer les ardeurs de Zelan. Je ne sais pas comment il a su qu’il avait une fille mais le fait est qu’il s’amusait un peu trop à la retrouver parmi les nourrissons et les enfants en bas-âge. Delirium tremens quand on est nourrisson ou petit enfant, ça a tendance à tuer. Je suis moyen pour le meurtre d’enfant, encore moins quande ça gravite dans ma ville et très autour de moi. J’aime Zelan parce qu’il est mon frère et je me voyais mal le tuer, alors j’ai trouvé un moyen : ramener Elie, retrouver sa fille.
C’était dégueulasse pour Elie, probablement mais il a bien fallu y faire quelque chose. Je ne m’attendais pas à ce que Zelan la rejette à ce point. J’aurais dû ne pas insister autant.

- C'est la mère de mes enfants, la première et seule femme que j'ai aimée presque la totalité de ma vie. Je ne trucide pas les gens que j'aime, même si ça ne colle pas aux étiquettes que tu aimerais me coller sur la gueule.

-Oh, c’est bien parce que tu ne colles pas à ces étiquettes que ça me casse les couilles.

Que je lui répond avec un sourire crispé. C’est tout le problème. Ta fameuse zone grise, tu la crées tout seul. Certes, elle existe. Je joue les convoyeurs d’âmes pour ne pas éveiller les soupçons de mes confrères afin de protéger Malsheem. Mais tu tues des familles entières pour aucun résultats et ça me chiffonne forcément. Ca serait les tiens, tu réagirais pareil, voir avec plus de violence que moi. Je suis trop fatigué pour ça, j’ai trop à faire et  maintenant s’ajoute à tout ça, la préparation du retour d’Elie.

Le silence s’étire longuement.

-Lavinia ne se contrôle plus. C’est une sorcière extrêmement puissante qui a déjà blessé son apprenti à maintes reprises.

J’avais peu de doute sur les capacités de la mère de Ciulin, j’ai vu ce qu’iel était capable de faire sans avoir d’éducation, sans jamais avoir approcher un Coven alors si Lavinia est éduquée, elle doit être redoutable et si elle blesse son apprenti….

-Ses humeurs changeantes filtrent désormais au sein de la cellule familiale. J’ai couvert son état aussi longtemps que j’ai pu pour préserver nos enfants.

Je ne dis rien. C’est facile de remarquer l’absurde de cette phrase de l’extérieur, en regardant les dégats causés par les décisions. Le fait est qu’être parent, c’est jamais aussi simple et des fois, on fait beaucoup de dégats en pensant bien faire. C’est juste triste que cette famille soit aussi dysfonctionnelle. Comme quoi, les traditions millénaires, des fois, ça pue la chiasse.

-Mais elle ne suit plus correctement ses traitements et mon… “infidélité”... l’a faite complètement dérailler.

Pas étonnant. Pas étonnant du tout. Je ne vous ai vu qu’à une soirée et votre lien est si exclusif que s’en ai presque gênant. On avait parfois l’impression que le monde était en trop et pourtant, elle était ivre et tu étais parfaitement soulé. Entre deux tripotages d’Enzo, j’ai réussi à le voir, c’est dire. Alors si ta femme est un tant soit peu possessive… J’imagine que ça ai pu lui faire péter une durite.

-Il faut que je trouve une clinique psychiatrique qui serait en mesure de contenir sa sorcellerie et qui puisse lui faire regagner ses esprits. Si possible avec une possibilité de droit de visite pour que nos gamins puissent la voir. Elle les aime désespérément.

Tu croises les bras et tu me fixes. Je te vois venir à mille kilomètres.

-Tu n’en connaîtrais pas une par hasard ?

Je me mordille la lèvre, au bord de l’hilarité. Tu défonces du Malsheeméen depuis des semaines et tu viens me demander de mettre ta femme sous la protection d’un institut psychiatrique de Malsheem… Ta fameuse zone grise.

-Bien sur que je connais un endroit qui pourrait accueillir ta sorcière de femme. La question, c’est : qu’est-ce que j’obtiens en échange…? Tu veux patauger dans la zone grise, Kaelig, on va patauger.

Je me redresse et m’étire un peu.

-Tu veux protéger les tiens, je veux protéger les miens. Je m’occupe de placer Lavinia dans le meilleur institut de la région, avec tout le confort et les soins dont elle a besoin et avec la possibilité de voir ses enfants. Elle ne sera un danger pour personne, ses dons seront maîtrisés et pris en charge. Toi, tu t’occupes d’éviter soigneusement les protégés de Malsheem. Et oui, je sais que tu n’auras pas moyen de savoir sans me parler avant de tes futures missions génocides.

Sourire tranquille. Je suis direct. C’est peut-être pas totalement ce qui transparait mais j’ai un certain respect pour Kaelig. Sans doute qu’il vient d’Elie et de sa confiance aveugle en son humanité. Peut-être aussi que c’est une question de chefs de clans, car c’est à ça que ça ressemble.

-A prendre ou à laisser, beau-papa. C’est pas moi qui ai le plus à perdre dans l’histoire.

Eh oui, tu tues déjà mes protégés mais ta femme n’a pas encore tué qui que ce soit de ta famille. Ca pourrait arriver. Peut-être pas. Je doute que tu prennes le risque.

- Bien sur que je connais un endroit qui pourrait accueillir ta sorcière de femme. La question, c’est : qu’est-ce que j’obtiens en échange…? Tu veux patauger dans la zone grise, Kaelig, on va patauger.

Je réprime un sourire. Je sais d'avance ce qu'il va réclamer.

-Tu veux protéger les tiens, je veux protéger les miens. Je m’occupe de placer Lavinia dans le meilleur institut de la région, avec tout le confort et les soins dont elle a besoin et avec la possibilité de voir ses enfants. Elle ne sera un danger pour personne, ses dons seront maîtrisés et pris en charge. Toi, tu t’occupes d’éviter soigneusement les protégés de Malsheem. Et oui, je sais que tu n’auras pas moyen de savoir sans me parler avant de tes futures missions génocides.

Je laisse flotter un silence, faisant mine de réfléchir, de peser là une décision compliquée, de faire là une concession à laquelle je ne m'étais pas déjà préparé.

- A prendre ou à laisser, beau-papa. C’est pas moi qui ai le plus à perdre dans l’histoire.
- Tu m'assures qu'elle sera protégée de toute atteinte comme tous membres de Malsheem ? Lavinia reste un moyen de m'atteindre. Et si je suis atteint, ce petit marché ne risque pas de faire long feu. Je serais destitué de mes prérogatives de chef suprême et tu te coltineras sans doute Magdalena Sarpe, beaucoup moins tendre que moi et bien plus sournoise. Je suis un homme de parole, c'est une langue de serpent.

Je plisse les yeux à nouveau.

- Si tu peux me l'assurer avec certitude, alors je peux faire en sorte que tu sois prévenu dès que nous approchons de cibles sensibles. Cela implique que je sache quelles sont ces cibles  au préalable afin de, soit détourner l'attention de mes hommes vers d'autres proies, soit te prévenir suffisamment en amont pour que tu ais le temps de faire évacuer tes ouailles. Je pense que c’est un compromis honnête. Nous tenons suffisamment tous les deux à Ciulin pour ne pas me forcer à choisir une solution plus radicale pour sa mère...

Je tend une main par dessus le bureau jonché de bordel.

- Avons-nous un deal, "mon gendre" ?

Je vois que tu te retiens de sourire. Cette discussion est terrible. Je pense qu’on sait tous les deux que c’est un petit ballet bien huilé qui se déroule depuis tout à l’heure. Je te laisse réfléchir. Pourquoi pas après tout. Les apparences sont sacrées et il y a trop d’amour en jeu. Il y a ton enfant et ma nièce et aucun des deux ne nous laissera tranquille. Il faudra bien qu’on trouver des compromis, autant commencer  maintenant.

Et un jour, toi aussi, tu viendras rejoindre les rangs de Malsheem. Pas par conviction, peut-être, mais parce qu’une klub kid a cheveux bleus en sera et que tu iras partout où elle voudra aller.
Comme moi avec Ciulin.

-Tu m’assures qu’elle sera protégée de toute atteinte comme tous les membres de Malsheem? Lavinia reste un moyen de m’atteindre. Et si je suis atteint, ce petit marché ne risque pas de faire long feu. Je serais destitué de mes prérogatives de chef suprême et tu te coltineras sans doute Magdalena Sarpe, beaucoup moins tendre que moi et bien plus sournoise.

Comme dire… Tu ne serais pas le mec de ma nièce, je serais probablement en train de planifier ton meurtre… L’un dans l’autre, il y a une solution à chaque problème.

-Je suis un homme de parole, c’est une langue de serpent. Si tu peux me l’assurer avec certitude, alors je peux faire en sorte que tu sois prévenu dès que nous approchons de cibles sensibles. Cela implique que je sache quelles sont ces cibles au préalable afin de, soit détourner l’attention de mes hommes vers d’autres proies, soit de te prévenir suffisamment en amont pour que tu ais le temps de faire évacuer tes ouailles. Je pense que c’est un compromis honnête. Nous tenons suffisamment tous les deux à Ciulin pour ne pas me forcer à choisir une solution plus radicale pour sa mère…

J’ai un sourire amusé. Si tu crois que je ne vois pas aussi que tu t’évites des combats futurs contre ta bien-aimée… Cela dit, c’est à peu près le mieux que nous puissions faire pour le moment. Je regarde sa main tendue.

-Avons-nous un deal, “mon gendre”?
-T’as pas idée à quel point ce surnom est accurate, beau papa.

Sourire amusé de nouveau, spécial, petit con. Je redeviens un minimum sérieux. Même si j’entends parfaitement que ses petits questionnement sont purement rhétoriques, autant jouer le jeu du dupe également. Je prends mon air sérieux, celui de vieux démon qui honore toujours ses contrats, qui a une parole et pas une langue de serpent (tain, ce qu’j’suis drôle).

-Mais oui, je peux te garantir sa sécurité. Elle bénéficiera de nouveaux papiers, son identité sera masqués dans les registres - tu n’auras qu’à demander à Cristian de vérifier - et oui, j’accorde la même protection à tout le monde. Qu’elle soit la femme d’un Sang-Coureur ou non.

Je me lève pour lui serrer la main.

-On a un deal, maiiiiiiiiiis… Chez moi, une poignée de main ne suffit pas.

Je sors une vieille bouteille d’hydromel, pas la pisse d’âne qu’on trouve de nos jours. Le vrai hydromel, celui qui scellait les accords entre les chefs de clans sous le regard vigilant de Tyr et Odin. Je sors deux verres en terre cuite bordés de runes, ils sont au moins aussi vieux que moi. Je remplis les verres et en tends un à Kaelig.

-Hydromel, alcool des dieux. Promis, promis, je tente pas de t’empoisonner. Pour sceller le pacte, il suffit de boire en même temps.

Allez, cul-sec, gamin.

Je ne sais pas à quel moment j'ai commencé à délayer mes propres principes. Quand j'ai compris que ça n'était pas les miens mais ceux de mon paternel, sans doute. Il ne suffit pas de tuer le père pour s'en débarrasser. Son souvenir vous pèse, vous hante et finit par vous recouvrir comme une carapace étouffante. Une seconde peau que vous finissez par oublier et qui efface celui que vous étiez. Ciulin a beau s'en défendre, je lui coule dans les veines et je l'ai marquée, dans son manque comme dans son rejet. Asmodée, Earl... Qui sont-ils sinon des pères de substitution ? Pour autant, elle - pardon "iel" - a plus de couilles que moi. Iel n'a commis aucun parricide. Iel a simplement décidé que sa voie serait différente de la mienne, ses choix et ceux de personne d'autre.
En cela, j'éprouve une profonde fierté, une poignante tristesse et une certaine envie.

Mon père était intransigeant.
J'étais un fils lâche. Plutôt que d'accepter mes actes et les endosser, j'ai laissé la dichotomie s'installer et m'écraser. Laisser la vie à Jagda ne m'a pas empêché de dormir. Trinquer avec un démon glissera sur moi avec la même indifférence. Après tout, j'ai posé la première pierre, il y a longtemps, en tuant un père pour épouser une sorcière.

Buvons au fait que je m'en fous.

J'attrape le verre, lève le coude en fier roumain et avale le breuvage cul-sec, sans niaiser. Le breuvage coule en or pur, fondu, le long de mon œsophage, diffusant son miel boisé et son écorce ancienne. Pas dégueulasse. Reniflement du taureau qui vient d'encorner une de ces danseuses toréadores en boléro.

- Sirupeux, fais-je en claquant le cul de mon godet sur le plat de son bureau. Je préfère la palincă de Salaj. Rien ne vaut la distillation transylvanienne.

Je tourne casaque sur cette déclaration. J'ai encore du courrier à distribuer. Lorsque j'atteints la porte, je pivote doucement vers mon nouvel "allié".

- La fais pas pleurer, où je trouverais le moyen de te castrer. Ce sera long, l'éternité sans queue pour un mec comme toi.

Tu sais très bien de qui je parle.
Mon connard de "beau-fils".

- Sirupeux. Je préfère la palincă de Salaj. Rien ne vaut la distillation transylvanienne.
-Pas faux, pas complètement d’accord non plus.

Mes yeux luisent de cette lumière bleutée propres à mon initiation. Boire de l’hydromel avec un initié crée un pacte. Je sais qu’il ne l’ignore pas. J’ai pris soin d’expliquer. Il s’éloigne, ce mec est en pleine mission. Je soupire un peu. Rien que de le regarder ça m’épuise.
J’ai même un pincement au coeur en me disant qu’Elie serait probablement ravagée de le voir dans cet état. Probablement qu’elle dirait que c’est de sa faute à elle, qu’elle n’aurait pas du. Mes doigts s’égarent sur l’enveloppe.
Cette gamine est trop pur pour ce monde, c’est terrible.
Kaelig se retourne vers moi à nouveau.

-La fais pas pleurer, ou je trouverais le moyen de te castrer. Ce sera long, l’éternité sans queue pour un mec comme toi.

Je hausse un sourcil sincèrement amusé.

-Sérieusement? Tu vas me jouer la sérénade du père modèle? A d’autre, Kaelig. Ici, personne n’y croit. Même pas toi.

Rire amusé avant de me rasseoir à mon bureau. Il est temps de faire bouger mes contacts pour Lavinia et pour Elie. Après, j’appelle Simone, juste pour qu’elle m’oblige à dormir. Je crois que j’en ai besoin.