I was a moving thing
Before I was a human being
I was the ice before it melts
I was the tree before it fell
My dear, come near
Do you understand what is happening?

Le coeur est mort et pourtant, il bat, douce illusion d'une vie qu'il n'a plus. Il sait que ce n'est pas son tempo qui est à l'œuvre, mais le sien. Il l'entend pleurer, l'appeler et puis sa vision se noircit. La seringue que Dysderie lui a planté dans le cou devait être pleine d'essence d'aubépine. Il s'écroule entre les bras de Diana, les narines imbibées de son parfum : fleurs, épices, cyprine et sang ; La tête pleine de son visage aux joues pleines, déchiré d'une expression catastrophée.

Tout ce qui lui reste c'est la sensation de ses caresses délicates sur sa peau.
Regrets.

Hyppolite ouvre les yeux. Il papillonne des cils, éprouvant de la difficulté à garder ses paupières rétractées. Il est dans sa chambre, dans son lit. Il y a une présence indistincte à son chevet.

- Diana ... ?

Son timbre est rauque, sa langue pâteuse. Il a la gorge sèche. Il tente de redresser la tête mais une violente migraine lui vrille le crâne.

- Elle n'est pas là.

La voix de Simone.

- ... Où ?
- Au Silo. Elle y habitera désormais, avec les mandragores.

Le vampire se hisse sur les coudes avec difficulté. Grimace.

- Laisse-moi la voir...
- Non.
- Laisse-moi la voir ! s'irrite-t-il qui s'étiole très vite en détresse. J'ai besoin de la voir.
- Pas dans l'état où vous vous trouvez tous deux.
- Simone !
- Epoumone-toi, cela ne changera rien à mes décisions, déclare sa soeur-en-ténèbres. Bois, plutôt. Elle lui tend une poche de sang.
- Je n'en ai pas besoin !
- Tu préfères celui de Diana, comme c'est étonnant, réplique-t-elle sardonique. Bois, te dis-je !

Le ton est impérieux mais maternel. Il n'a jamais pu se dérober à ces intonations là. Simone a plus était une mère pour lui que celles qui portaient ce titre.

- Tu es une foutue emmerdeuse! Tu le sais ça ?
- C'est ce qui fait tout mon charme, fait-elle avec un sourire en coin en l'observant décapsuler la poche pour en aspirer le contenu. N'en laisse pas une goutte. Madame arbore une expression désolée. Je t'ai fait confiance à propos de cette empoisonneuse. Résultats, vous vous êtes intoxiqués mutuellement avec votre petite expérience.
- Je t'interdit de la déconsidérer ! C'est une brillante alchimiste.
- Une druidesse et ta maitresse, qui plus est.
- Peu importe ! Cela ne change en rien ses talents !
- Cela fait toute la différence, Hyppolite. Tu as brisé tes vœux de véganisme, tu as cessé de varier tes sources de nourriture pour ne plus t'abreuver que d'elle, à la veine, et tu couches en pus avec elle. Ton discernement est franchement remis en cause. Qui me dit qu'elle ne t'a pas ensorcelée ?

Rien.
C'est peut-être vrai.
Peut-être l'a-t-elle complétement envoûté le jour où il l'a vue danser en pleine nature sous le regard des étoiles artificielles du Silo. Il était subjugué moins par sa beauté que par la transcendance de sa foi en "Mère Nature". Son âme mise à nu était magnifique.

- Je ne te permets pas! gronde son cadet avec colère. Elle est la première à vraiment s'intéresser à cette toxine ! Imagine que nous puissions enfin éradiquer ce fléau ?
- Non! fait Simone avec un rire amère. Ne fais pas cela ! Je t'interdis d'enrober vos actes de belles et nobles intentions. Oui, ce serait merveilleux, mais ce n'était ni le moment, ni l'endroit. Et tu le sais pertinemment.
- Au diable les circonstances ! Nous allons faire progresser notre condition ! Elle et moi !
- Elle, seule. Elle aurait pu se servir d'autres vampires, mais étrangement, elle s'attaque à celui qui semble le plus solitaire et fragile psychologiquement. Un homme qui, comme par hasard, fait partie du noyau dirigeant des bunkers. Et tu la prends pour maitresse en sus ! Le brillant détective que je connais aurais déjà relié les points depuis longtemps !
- Tu ne sais rien ! Tu ne comprends rien ! ELLE A BESOIN DE MOI ! Sans moi, elle se serait faite mordre par le premier venu, elle se serait mise en danger, elle se serait offerte à...

Simone l'observe, frappé de stupeur et le coupe abruptement.

- C'est toi.... C'est toi qui a commencé. L'épiphanie est aussi brutale que la honte qui se lit sur le visage de son cadet. Tu t'es amouraché d'elle et tu as eu si peur qu'elle te quitte comme les autres...
- Tais-toi....
- ... que tu as laissé libre cour à sa curiosité en t'offrant comme cobaye ! Comme ça, tu étais certain qu'elle resterait quoi qu'il arrive....
- TAIS-TOI !

Il lui jette la poche de sang à moitié pleine à la figure. Simone l'évite et celle-ci s'éclate contre le mur l'éclaboussant de rouge sombre. Hyppolite se recroqueville sur lui même comme une bête blessée.

- Elle... Elle finira par le voir... A quel point je suis un être misérable, elle aussi, se lassera....
- Hyppolite... souffle Simone, touché par le mal-être de son petit frère-en-ténèbres. Elle s'approche et vient l'entourer de ses bras. Son cadet la repousse faiblement avant de se laisser aller contre le giron de la seule personne qui ait jamais pris soin de lui. Elle lui caresse tendrement les cheveux. Tout ira bien, tout ira bien je te le promets....

Hyppolite se laisse docilement border.  Il sait que Simone est dans le vrai. Il connait les signes mais refuse d'y mettre un mot. Son cœur s'est trop abîmé à l'exercice et sa confiance est un mur lézardé qui menace de s'effondrer.

Pourtant, le sang ne saurait mentir.

Silencieux, il n'ouvrira plus la bouche par la suite et durant les deux semaines de quarantaine imposée dans ses quartiers. Il obéira aux injonctions alimentaires dictées par Madame, se soumettra aux inspections psychologiques du Docteur Walenberg, respectera ses consignes d'enfermement. L'homme a beau avoir retrouvé un comportement ordinaire en surface, ses pensées sont envahies par la présence de Diana. Et pour cause.

Dès le lendemain, un pli est glissé sous sa porte condamnée. Il reconnait immédiatement la fragrance imprégnant le papier.

Diana...

Après le départ de Simone et d’Hyppolite, Diana a finalement craqué, s’écroulant misérablement sur le sol en petit tas plein de frustration, de peur, de chagrin et de honte. Ses sentiments sont encore terriblement confus et elle a du mal à les identifier.
Dysderie a fini par la rejoindre. Sans réellement la toucher pour la réconforter, sa simple présence tranquille à suffit à calmer les nerfs de la meiga. Une fois la crise passée, elle s’est redressée, s’est encore excusée auprès de la femme-rose puis s’est remise au travail, en essuyant ses joues.
Elle sait pertinemment que la séparation est nécessaire mais elle lui déchire néanmoins le cœur. Les symptômes de manque vont et viennent et sont au plus fort, la laissant parfois en sueur, recroquevillée de douleur, mais elle estime qu’elle n’a aucun droit de s’en plaindre. Elle attend que la souffrance s’en aille et reprend.

Diana s’est rapidement enquise de l’état d’Hyppolite et c’est la mandragore qui lui a indiqué qu’il était réveillé et « gardé en sécurité » dans sa chambre, leur chambre pendant un cours laps de temps.
Trouvant tout bonnement insupportable de n’avoir aucun contact avec lui, la meiga décide de lui écrire. Elle s’y attèle dès le lendemain, lorsqu’elle se sent un peu mieux.

Mi niño bonito,

Oui j’ai codé le message. Tu trouveras ça d’une simplicité enfantine mais c’est simplement pour occuper ton esprit, deux, trois minutes ?

Je suis… terriblement désolée de ce qui s’est passé hier. Jamais je n’aurais dû t’entrainer là-dedans. Je nous ai poussé sur un chemin que je savais glissant (et Madre ça a été la glissade la plus agréable de ma vie) mais je ne souhaitais pas en arriver là.

J’ai appris que tu étais « consigné » dans ta chambre. Comme si tu étais dangereux…c’est assez injuste. Dysderie me surveille de près. Je crois qu’ils ont tous peur que je cours te rejoindre (sache que j’ai envisagé l’idée, que j’en ai peut-être rêvé cette nuit…) mais je vais essayer de me montrer raisonnable.
Je m’occupe l’esprit sur votre toxine. Fascinante en soi. Avec une puissance pareille, il y a de quoi mettre à genou n’importe qui. J’ai plusieurs pistes pour l’éradiquer cela dit. Je ne reviendrai te voir qu’avec un antidote viable. Je crois que c’est mieux comme ça…

Mon petit doigt me dit que ta grand-sœur ne m’aime pas beaucoup et je sais pourquoi. J’imagine qu’elle doit se dire que je t’ai envoûté ou quelque chose comme ça, que je fais tout ça par intérêt.
Tout ce que je voulais, c’était te voir un peu heureux.
On dirait bien que j’ai loupé mon coup, non ?

Tu n’es pas obligé de me répondre, j’avais simplement envie…de m’excuser.
Prends soin de toi mi amor vampiro,

Bien à toi,
Diana

PS : porter les robes de Dysderie me donne l’impression d’être une gentille épouse des années 50 qui attend patiemment son mari en lui préparant à dîner. Ce soir c’est poulet rôti, petits pois croquants et pomme de terre grenaille. Je te laisserai choisir le vin.  

Elle confie sa lettre à Dysderie, lui faisant promettre de la lui transmettre.

Hyppolite déplie la missive avec fébrilité. Il ne lui faut que quelques minutes au vampire pour décrypter le message qui fait usage d'un encodage par permutation de type César. Il s'arme d'un crayon à papier et d'un des post-it coloré que Diana chérit tant et qu'il précieusement gardé. Il caresse doucement cette calligraphie penchée et ronde. Elle trace les boucles de ses "l", "h" et "e" comme ceux d'une petite fille. C'est si charmant.

Aussitôt, il s'attèle à une réponse, en utilisant le même système de cryptage.


Mi maravillosa bailarina de la luna,

Merci pour cette tentative de divertir mes petites cellules grises au repos forcé. C'est une attention fort délicate. Ce furent deux minutes parfaitement exaltantes.

Ne te fustige pas de ce qui a été commis. J'étais consentant et plus qu'heureux de glisser avec toi sur cette fameuse pente. Jamais, ô grand jamais, expérience ne fût plus dangereuse et plus belle. Nous avions tous les deux en tête cette issue, mais cela ne nous a pas fait reculé pour autant. Mettons que la passion de ce tango nous a emportés. Je crois que tant que tu me tiens la main, je pourrais danser sur n'importe quelle tonalité, au mépris de toute raison.

Dysderie a eu raison d'agir et Simone ne me punir bien que sur l'instant j'en fusse terriblement fâché. Ma peine en isolement est estimée à deux semaines. Crois-tu qu'on me laissera sortir plus tôt pour bonne conduite ? (Je t'entends rire, comme si tu étais à côté de moi. Sa musicalité manque à mes pauvres oreilles. Que le silence de cette chambre est assourdissant... Je ne m'en rends compte que maintenant.) Au moins avec cette toxine, tu peux continuer à horripiler une infime partie de moi. Je me console avec ce genre de pensée ridicule. Suis-je donc descendu si bas pour que mes pauvres cellules grises se languissent de tes effronteries ?

Cela mis de côté, je m'inquiète de ton sevrage. J'espère que tu fais attention à ta santé. C'est sans doute la phase la plus ardue à affronter et ne pas être à tes côtés pour te soutenir me rend malade. Ne tiens pas rigueur à Simone. Sous ses airs polaires c'est une femme de coeur et de compassion. Elle a seulement les idées plus claires que nous, je le crains.
Sache, Diana, que peu importe que tout cela soit le résultat d'un maléfice, du hasard, du destin, ou de notre seule inconséquence, je ne suis capable de donner un sens au qualificatif "heureux" que depuis que je te connais. Alors, même si tu ne souhaites jamais me revoir à l'issue de tout cela, même si tu en viens à préférer l'étude de cette toxine à moi, je ne regretterais jamais d'avoir été ton cobaye et ton amant. Jamais.

Avec toute mon affection,
Hyppolite.

PS : Je donnerais cher pour voir cela ! Pour cet alléchant menu j'opterais pour un Vouvray demi-sec dont l'acidité fruité donnera un coup de fouet délectable au croustillant caramélisé du poulet. J'espère que la nappe vichy sera de mise.

Il relit et porte le feuillet à sa bouche pour y déposer un baiser invisible. Reste à savoir comment le lui faire passer. Dysderie doit lui rendre visite pour vérifier s'il reste des traces d'aubépine dans son organisme. Elle lui servira donc de messagère cette fois.

Cette fois ?
Car, oui, il en espère d'autres.

Concentrée sur sa préparation et sur la préparation d’un rituel de purification, Diana entend à peine Dysderie l’appeler.
Elle se retourne vivement et découvre une missive entre ses mains. N’osant pas encore y croire, elle s’en empare, remercie la mandragore et attend qu’elle disparaisse pour l’ouvrir fébrilement, un sourire tremblant aux lèvres. L’écriture d’Hyppolite est rigoureusement droite et rien ne dépasse. Elle éclate de rire en notant qu’il a lui aussi codé son message.
Une fois décryptée, elle lit la lettre une première fois, puis une deuxième avant de la porter à son cœur.

Il ne lui en veut pas.

Le soulagement est viscéral et elle émet un petit rire libérateur et effectuant une pirouette comme une petite fille, le moral regonflé à bloc.
Evidemment, elle ne lui parlera pas des nuits horribles qu’elle passe, à se tordre de douleurs, à suer et à geindre comme une désespérée. Cet adorable idiot serait capable de s’en vouloir. Heureusement, Dysderie se montre d’une aide précieuse, épongeant son front et lui offrant sa main lorsqu’elle est ballottée par les vagues de manque.
C’est d’ailleurs d’une écriture plus hésitante qu’elle s’attèle à la réponse, utilisant le code de Vigenère cette fois, avec comme clé le mot « tango ».

Mi amor vampiro,

Nouveau code querido !
J’ai été si heureuse de ta lettre !!!!

Tonto ! Evidemment que je veux te revoir !!! Ta chambre me manque, ta voix me manque, nos moments rien que tous les deux me manquent, tes bras me manquent… C’est terrible à quel point tu me manque, tout court. Et non, tu ne te résumes pas à une toxine. D’ailleurs j’ai plutôt hâte qu’elle s’en aille pour être tout à fait franche. Elle n’est agréable qu’en ta présence.
Je mets un temps infini à écrire quelques mots, pardonne mon écriture plus… erratique. Je tremblote comme une petite vieille mais rien de méchant. Je suis plutôt soulagée que tu gardes de moi une image plus … sexy dirons-nous. Je suis entourée (et surveillée), ne t’en fais pas pour moi. Je suis plus solide que j’en ai l’air.  

N’y-a-t’il pas quelque chose de particulier d’entretenir une relation épistolaire avec un être cher ? Tu as déjà dû connaitre ça toi, mi viejo caballero. Ce côté désuet me plait.
Je crois qu’il y a en toi un incorrigible romantique contrarié mi niño bonito. Parfois je me demande à quel point notre expérience t’a affecté… j’espère que tu te nourris convenablement. Peut-être… voudrait-il mieux à l’avenir que tu ne me mordes plus et que tu reviennes à un régime qui… correspond mieux à tes principes.
Je n’en veux pas à Simone…bon peut-être un peu. J’étais encore passablement retournée lorsque j’ai eu le droit à une sorte d’entretien d’embauche couplé à une remontrance polie. Mais je sais qu’elle l’a fait en partie parce qu’elle tient à toi. Et que je n’inspire pas confiance. Ce que je conçois.

Deux semaines ? Ça me laisse peu de temps pour faire ce fichu antidote mais sache que j’avance. Le mélange que j’ai préparé réussit à grignoter la toxine sans la faire disparaitre totalement encore. Je compte sur un coup de pouce de Madre et la bénédiction de certains des ingrédients pour améliorer la formule.
Je danserai sous la lune ce soir, en imaginant que tu es là, avec moi, et que tes yeux me dévorent du regard comme ils savent si bien le faire. J’aurais alors une bonne raison de me sentir faible des genoux.
J’espère que Madre répondra.
Akasha me boude, je crois que tu lui manques aussi.

A toi aujourd'hui et demain et les jours à venir,
Diana

PS : Parfait ! Je ferai du Cuajada pour le dessert, avec un peu de noix de coco râpé, c’est divin. Tu me raconteras ta journée et moi la mienne (palpitante puisque j’ai découvert un produit qui lave merveilleusement bien les vitres et pour rendre la maison encore plus rutilante !)

Diana sait qu’ils sont en train de glisser sur une autre pente, moins glissante mais tout aussi dangereuse. Pourtant, elle se trouve parfaitement incapable de se stopper maintenant.
Elle referme la missive et cette fois se déplace jusque la chambre d'Hyppolite, filant en douce sous le nez de Dysderie. Elle a le cœur palpitant en s’arrêtant devant sa porte et l’envie d’entrer ou de simplement entendre sa voix est si forte qu’elle en sert les poings. Elle réussit toutefois à se contenir. Elle se baisse pour glisser la missive sous la porte n’entendant aucun son de l’autre côté, pose le front contre le battant avant d'y dépose un baiser du bout des doigts. Diana s'enfuit avant de faire une bêtise.

Une missive glisse sous sa porte. Le papier racle le sol bétonné. Instant suspendu. Aussitôt l'odorat du vampire se trouve caressé par les effluves parfumées si caractéristiques de la meiga. Il se se lève doucement et marche jusqu'au seuil, se baissant sans bruit pour ramasser le pli. De l'autre côté de la porte, il entend une respiration régulière et un cœur qui bat fort.

Est-ce elle ?

Hyppolite colle son front contre la porte, ses doigts en caressent le battant comme s'il s'agissait des joues de son visage poupon, si délicieusement veloutées. Il aimerait lui parler, mais il est persuadé que cette seule entorse serait un manquement déchirant de sa parole envers Simone. Il doit pouvoir prouver qu'il est toujours capable de retenu quand il s'agit d'elle. Une poignée de secondes plus tard, des pas légers caracolent en s'éloignant dans le couloir.

Partie.

Il déplie le billet avec la même fébrilité que le premier. Il s'ébroue d'un rire en découvrant qu'elle a choisi un nouveau code pour l'amuser sans doute. Il s'empresse de décrypter le texte et son visage s'illumine souvent d'un sourire au détour d'une phrase ou deux. Il s'attèle à la réponse aussitôt, usant du même système.


Mi deliciosa descarada,


Vigenère cette fois ? Quelle chipie vous faite. Merci de tenir à entretenir mon intellect de la sorte, il vous en est gré. Mon coeur éteint aussi. Te lire est toujours un ravissement pour celui-ci. Il s'illusionne même de battre. Vois l'effet produit ?
Pour moi aussi le manque de toi est viscéral. J'ai trop pris l'habitude de côtoyer le chaos, je devrais me réjouir de regagner ma tranquillité de petite homme terne et gris, mais ta folie laisse des traces indélébiles. Sais-tu que je me prends à souhaiter de nouveau voir mes pauvres étagères désordonnées par ton bazar de bohémienne ? Il m'arrive -je le confesse sans plus de crainte pour ma pauvre dignité- de sortir une de tes robes de l'armoire pour capturer ton parfum dans les plis du tissu. Si Bertus me trouve ainsi, cela ne fera que renforcer sa thèse farfelue comme quoi je me travestis !

Je suis un homme désuet, tu ne l'avais pas encore compris ? Vieux, antique, pétri de vieilles manières et de valeurs dépassées, d'une galanterie surannée ... Tout ce qu'une femme moderne et libre déteste sans doute. Ajoutons à cela "incorrigible romantique", après tout. Je veux bien le concéder. Dans ta bouche, même les reproches sonnent comme des caresses.

Deux semaines me semblent une éternité plus longue que mon modeste siècle et demie. Je connais bien ta détermination mi maravillosa sacerdotisa del amor, rien ne résiste à ta terrible volonté, n'en ai-je pas fait les frais ?
Comme je voudrais être à tes côtés pour voir l'éclat de la lune dans tes yeux limpides et sur ta peau gorgée de soleil. C'est un spectacle dont je ne peux décemment me lasser. Je t'imagine déjà avec ta couronne de fleurs fraiches et ta robe de lin blanc, sautillant pieds nus au milieu des herbes folles. Une apparition féerique qui me hante chaque fois que je ferme les yeux et que je prononce ton nom. Pense à moi quand tu incanteras tes rituels païens, pense à moi comme si j'épousais ton corps palpitant et chaud de mes doigts froids, pense à moi comme je pense à toi chaque jour.
Et si ta fameuse Madre n'est pas sensible à ce genre de doléances, je déposerais une plainte en bonne et due forme au bureau des réclamations cosmiques. Crois-moi, les français ont érigé au rang de torture tout type de procédures administratives.

J'ai toujours su que j'étais son préféré.

Ton ensorcelé à tout jamais,
Hyppolite.

Ps : En ce cas, il me faudra opter pour un bon Côtes du Tarn Blanc Surmûri à moins que tu ne préfères le liquoreux d'un Muscat de Rivesaltes. J'espère que mon patron fictif m'aura donné une promotion, afin que nous puissions justifier ce repas de fête !

Comment procéder cette fois-ci pour le lui faire parvenir ?
Il songe au Docteur Walenberg, avec qui il doit débuter sa psychanalyse dans l'après-midi. Il peut la soudoyer avec l'une des bouteilles qu'il garde précieusement avec lui dans cette pièce. Chacun sait qu'elle a un penchant prononcé pour l'alcool. Si le plan parait franchement hasardeux, il est étonnamment facile à mettre en place. Ariane semble beaucoup s'amuser à l'idée de jouer les "mules" entre les deux amants.

Et c'est donc à la fin de sa séance avec Diana -également imposée- par Simone qu'elle lui remet le message encrypté.

Diana guette les allers et venues de Dysderie, espérant que la mandragore finira par être porteuse d’un message d’Hyppolite.
Mais les heures, et les jours passent, au nombre bien trop important de trois, avant qu’il n’arrive finalement par une voie des plus inattendue en la personne du Docteur Walenberg, dont les séances ont été imposée par cette empêcheuse de tourner en rond de Simone. Elle accueille pourtant le docteur avec chaleur – simplement pour qu’elle continue de servir d’intermédiaire avec Hyppolite – et lui prépare une tasse de thé pour leur entretien. Sitôt « débarrasser » d’une psy avec qui elle n’a nullement envie de perdre son temps, Diana décrypte le message, le sourire si lumineux qu’il rivalise facilement avec l’éclat du soleil du Silo. Cette fois elle lui répond en morse.

Mi amada pareja de baile,

Est-ce que tu insinues que j’aurais le pouvoir de redonner la vie à ton pauvre cœur ? Il faudrait pousser l’expérience plus loin, non ? (pas aussi loin que la dernière fois évidemment.)
Profite donc de ta tranquillité tant qu’elle dure. Je compte bien remettre le bazar dans ta vie, ta chambre et partout où tu me laisseras aller. Je n’en ai pas fini avec toi ! (ceci est une menace, ne souris pas !)
Bertus a-t-il trouvé la petite culotte que j’ai laissé dans ton bureau ? J’imagine qu’il t’en aurait parlé. Il est venu me faire don d’un peu de toxine hier. J’ai besoin de varier mes donneurs. Il a été ravi d’être traité comme un serpent. J’ai connu des mambos noires plus docile que lui. Il a fait toute une histoire sur sa dignité bafouée ou quelque chose dans ce goût. Je lui ai rappelé que son chapeau se chargeait bien mieux de la chose qu’une ponction de toxine.

Oh oui ! Nous les femmes, nous détestons cordialement les hommes de principe, galant et respectueux ! Crois-moi, après mes précédentes expériences avec les hommes, tes manières de vieux gentleman sont un délice.

J’ai dansé sous la lune en pensant à toi, j’ai accueilli Madre alors que tu avais envahi mon esprit, je me suis caressée et j’ai joui sous les pales rayons de l’astre nocturne avec ton nom sur le bout de mes lèvres.
C’est indécent à quel point tu me manques et je n’ai rien pour y palier si ce n’est mon imagination et des souvenirs. Le temps s’est toujours autant étiré ? J’ai l’impression que les jours durent des siècles.
Je crois que tu étais derrière la porte lorsque j’ai déposé ma dernière lettre, j’ai senti ta présence. Comme j’aurais voulu juste pouvoir t’entendre ou te voir cinq minutes… J’aurais aimé au moins te parler à travers cette fichue porte mais je suppose que nous devons prouver aux autres à ta sœur, que nous sommes plus forts qu’une pauvre toxine qui pense pouvoir nous manipuler.

Je ne pensais pas que tu chargerais notre thérapeute commune comme messagère ! Heureusement pour moi, Ariane aime la tisane (avec un peu de sa flasque). Elle ronfle paisiblement la bouche ouverte, je crois qu’elle avait besoin de repos la pauvre querida ! Le surmenage ça n’est bon pour personne. Quel dommage pour notre séance ! J’ai au profité pour t’écrire je trouve cela bien plus productif. J’aimerais beaucoup être une petite souris pour savoir comment tu gères ces entretiens forcés ? Je t’imagine bien avec ton air très sérieux te plier docilement tout en en pensant pas moins.

Tu seras ravi d’apprendre que Madre m’a encore gratifiée de sa bénédiction. Je ne m’explique toujours pas comment j’arrive à l’atteindre ici alors je vais me contenter de m’en réjouir. Je t’épargne la paperasse, tu peux me remercier.
Dans quelques jours je vais pouvoir commencer des tests que j’espère concluant.

Vous n’êtes que des traitres, l’un comme l’autre ! C’est moi qui vous aie réuni et vous aller m’abandonner tous les deux !

Ta bohémienne un peu folle,
Diana

PS : Une promotion !! Oh querido, c’est formidable ! Penses-tu qu’on puisse acheter cette nouvelle machine qui lave le linge toute seule ? Es una revolución ! Dis-moi oui et je te montrerai toute l’étendue de ma reconnaissance après le dessert ou pendant…

Diana attend sagement que le médecin se réveille et l’excuse bien volontiers de s’être endormie et lui fournit même une petite poudre pour faciliter son sommeil. Elle lui recommande de se reposer et lui confie sa réponse.

A présent qu'ils ont sécurisé leur mode de communication, Hyppolite ne vit que pour les billets doux de sa partenaire de danse. Les séances avec le docteur Walenberg sont creuses et improductive mais ne se justifie que parce qu'elle lui remet les précieux courriers de Diana. Certes, elle peut alors observer toute la palette d'émotions dont il est capable à la lecture de ceux-ci, comme à la rédaction à laquelle il s'attèle toujours dans la foulée, mais cela demeure à sa discrétion. Tout juste peut-elle noter que les vampires sont aussi capables de rougir.

Mi hermosa flor silvestre,

Tu aurais le moyen de redonner vie à n'importe qui et n'importe quoi, comme d'y mettre le feu dans l'immédiateté qui suit. Je suis la preuve incandescente que mes veines frigides ont vu leur sang chauffer. Une théorie veut que le coeur des vampires est capable de battre, mais seulement à une lenteur si indolente, que ces soubresauts isolés ne sont pas identifiés comme tel. Je laisse cela à ton imagination.

Evidemment, coquine que tu es! Comme les bas que je t'ai retirés cette fameuse fois où je t'ai étreinte sans vergogne sur mon bureau. Je ne pourrais plus jamais travailler sur ce meuble sans en caresser le bois et penser à ta chevelure artistiquement éparpillée dessus. Tout me rappelle ta présence et de fait ta cruelle absence. Tu habites chaque lieu, chaque objet, chaque cellule de mon être, même les grises. Mes pauvres paumes glacées ne sauront jamais te remplacer malgré tout l'acharnement dont elle font preuve pour me satisfaire.
Je t'ai senti, derrière cette porte. J'ai écouté tes poumons soupirer et ton cœur fredonner une comptine rien que pour moi. J'ai eu envie de briser les gonds et de nous arracher à ce supplice. Cela n'aurait été bon, ni pour toi, ni pour moi. Moins que la preuve que nous pouvons encore nous tenir, c'est mon angoisse de te savoir souffrante par ma faute qui m'obsède. Tu es forte, je n'en doute point, mais la toxine vampirique et tenace et l'expurger de ton corps doit te causer milles maux. J'aimerais tant pouvoir m'assurer que ta santé va pour le mieux de mes propres yeux...

Ariane est une femme accommodante avec qui l'ont peut davantage négocier que Dysderie. Avec toute l'amitié que j'ai pour cette dernière, je sais également qu'elle est une femme de loyauté. Nous n'aurions pu tirer sur la corde sans que Simone n'en soit immédiatement informée. Je lui invite ainsi la position délicate d'agent double. Mentir n'est pas dans la nature des roses. Ariane n'éprouve aucun scrupule à cela. Une drôle de femme qui gère ses névroses avec les moyens du bord. On ne peut pas lui en vouloir : de tous les non-initiés confrontés brutalement à l'existence du surnaturel, elle fait partie de ceux qui s'en sorte le mieux.
Nos séances sont absolument stériles. Je suis passé maitre dans l'art de me dissimuler et manipule la discussion de sorte que nous ne progressons pas. Mes mensonges semblent la distraire en tous les cas.

Il nous reste moins d'une semaine avant ma libération. (Simone déteste m'entendre parler ainsi comme un prisonnier de guerre). Il me tarde de te revoir. J'anticipe déjà le contact de ta peau contre la mienne et de la pulpe de tes lèvres sur ma bouche. Si tu estimes que cela est trop tôt, car trop dangereux, je me plierais à ta volonté (ai-je seulement su résister une moindre fois ?). Je prie pour la réussite de ton entreprise mi hada bailarina.

Nous ne sommes que des bêtes à sang froid, jamais nous ne pourrions nous passer de toi.

Ton détenu préféré,
Hyppolite.

PS: Je songeais à un nouveau frigo, mais si il n'y a qu'une machine à laver pour te contenter, mon cœur, je t'exaucerais. Je me demande quel gout a le Muscat de Rivesaltes dans le creux de ton nombril...

Jamais Diana n’a attendu avec autant d’impatience ses séances de psy. Elle n’a pas pu éternellement endormir cette chère docteure et se trouve donc contrainte d’innover. Elle lui sert volontiers une tasse de sa composition à chaque séance. Ce breuvage ne l’endort plus mais embrouille suffisamment son esprit pour qu’elle arrive à lui faire croire tout et n’importe quoi sans qu’elle n’en ai aucun souvenir après. Il n’y a que ses violentes crises de manque qu’elle ne peut cacher, Dysderie doit certainement en faire part à Simone. Elle les traverse toujours aussi vaillamment que possible et si elle sert les dents pour ne laisser filtrer aucun son, son corps appelle Hyppolite de toutes ses forces, comme un phare dans la nuit. Il n’y a qu’une fois ou deux où elle était si mal qu’elle en criait son nom avec un désespoir poignant, pleurant en même temps.
Elle espère sincèrement qu’il n’aura jamais vent de tout cela.

Cette fois elle utilise simplement une technique de miroir sur l’alphabet pour encoder sa lettre.

Mi precioso vampiro romantico,

Je commence à être à court de méthode de cryptographie ! Il est temps que l’on puisse se revoir à nouveau.

Ton cœur peut vraiment battre à nouveau ? Comment ? Dans quelle circonstance ? Crois bien que je vais surveiller ça de près, tu ne t’étonneras pas si je passe beaucoup de temps, l’oreille collée à ton torse. Comme j’aimerais passer quelques jours avec toi loin de ce bunker et loin des autres… juste toi, moi et un endroit rien qu’à nous sans chaperon irritant (j’adore Dysderie mais je vais finir par craquer à force de lui répéter que je vais bien). J’estime qu’après tout ça, nous mériterions quelques jours de vacances rien qu’à nous ! Evidemment je sais que Señora ne le permettra pas, sans doute qu’elle craindrait une « rechute » de mon sortilège.

Parfait ! Ça me fait beaucoup rire de savoir que ce grand dadais pense que tu enfiles les robes de sa femme ! Mmmm…tu parles de quelle fois exactement ? Celle où tu as été obligé de me bâillonner avec ta paume pour éviter d’alerter tout ceux qui passaient ? Ou celle où j’ai envoyé valser tout ce qu’il y avait sur ton bureau pour avoir toute ton attention ? J’ai tellement de bons souvenirs de cet endroit. Y penser me donne très chaud. Si tu ne te satisfais pas du contact de ta main froide, mon corps s’en contenterait bien. Elle seule sait apaiser l’étrange fièvre qui m’habite depuis notre rencontre.
Chaque sevrage est compliqué mais je ne veux pas que tu t’inquiètes. Je savais parfaitement dans quoi je m’engageais. Ca n’est pas le premier que je traverse et ça ne sera sans doute pas le dernier. Il n’est rendu difficile que par ton absence et je ne peux qu’imaginer tes bras autour de moi lorsque cela devient plus… compliqué. Je pense avoir traversé le pire.

Mes séances avec Ariane m’amuse beaucoup ! Je fais travailler mon imagination à chaque rencontre. Je lui invente des bobards dignes de télénovela qu’elle gobe puis oublie aussitôt. Aujourd’hui je suis une sorte de veuve noire, tellement malheureuse en amour que j’ai dû en empoisonner tous mes époux. Ca m’a évidemment brisé le cœur à chaque fois, sauf pour le premier. Faire parler une meiga est une tâche bien au-delà des compétences de cette chère docteure. Peu importe, je l’attends à chaque fois avec impatience.

Inutile de faire durer le suspense plus longtemps. J’ai réussi à mettre au point un antidote fiable ! La moins bonne nouvelle c’est qu’il ne fonctionne parfaitement que sur la toxine de Bertus. En théorie. Il va falloir que je teste à présent sur des cobayes vivants. Je commencerai par moi lorsque la tienne aurait disparu de mon organisme. J’imagine que l’âge renforce son efficacité. Cela dit, ça n’est plus qu’une question de dosage à présent. Je vais devoir me procurer des toxines plus variées. Me voilà partie à la chasse au vampire ! (Diane était une grande chasseresse après tout !) J’imagine que le grand colosse viking refusera de jouer les serpents pour moi…
Je ne sais sincèrement pas si je serais prête d’ici quelques jours. Je suis partagée entre mon envie de faire les choses bien pour toi comme pour moi et le besoin viscéral de te revoir. Saurons-nous rester sage ? (cette question s’adresse sans doute plus à moi qu’à toi. Nous savons parfaitement qui l’est le plus entre nous deux.)

Tu n'es qu’un beau parleur ! … et j’adore ça !

A jamais ton indocile,
Diana.

PS : J’en serai certainement fort contentée… pas autant que si tu pouvais m’accorder un peu d’argent pour acheter de la nouvelle lingerie. Pour ton plaisir autant que le mien. Je ne peux qu’être délicieuse voyons ! Pas autant qu’avec de la chantilly ou du chocolat cela dit… Je m’offrirai sur la table, tu feras bien de moi ce que tu voudras mi esposo apasionado.

L'attente est insupportable. Elle perturbe sa concentration. Il est autoriser à se déplacer mais uniquement jusqu'aux cellules pour gérer les interrogatoires et à son bureau pour recevoir les rapports d'observation hebdomadaire de Cristian et gérer les litiges entre habitants des bunkers. Et il y en a. Etrangement la Cantina n'est pas le lieu de frictions et de heurts auquel il s'attendait. La plupart des soucis sont  bénins : de l'ordre du voisinage (perturbations sonores, mauvais relationnel, lieux communs mal respectés...) ou du domestiques (quelques cas de violences conjugales). Le plus inquiétant reste tout de même la naissance de ce mouvement de contestation humain qui prône l'élection d'un humain "pur sang" au sein des instances dirigeantes du Shelter.

Les interruptions du Docteur Walenberg sont une bénédiction et une bouffée d'air frais.


Mi pequeña revolucionaria

Tu m'amuses, le sais-tu ?  Ecris-moi en espagnol et je te répondrais en français, à notre prochain échange.

Je crains que nous n'ayons pas droit à cette perspective paradisiaque de vacances avant longtemps. Quelle idée, aussi, de venir me séduire en plein coeur de l'Apocalypse, ma délicieuse tornade ? Tu sais choisir tes moments, assurément.
Moi aussi, je chéris les souvenirs que nous entretenons avec ce fidèle bureau, le complice discret de notre liaison secrète. Mes doigts sont en manque du velouté de pêche de ta peau. Avant toi, tenter d'explorer mon intimité par moi-même me semblait indécent et incongru. A présent, c'est tout ce qu'il me reste, et la saveur de ton prénom sucré sur ma langue quand je m'abandonne à toi en pensées. Tu as, décidément, une terrible influence sur ma personne.
Je crève de te savoir en détresse, loin de ma portée. Vas-tu mieux ? La toxine s'est-elle évacuée ?
Je crève à l'idée que tu te fasses mordre par un autre que moi. Me supplanteras-tu, une fois que d'autres canines se seront plantées dans cette gorge que je croyais mienne ?
Je sais. Ce sont là des pensées d'homme possessifs et jaloux. Des pensées égoïste eut égard de tes sacrifices pour la recherche de cet antidote. Demande à Simone de t'épauler, elle saura te faciliter la tâche en te présentant d'autres vampires de sa cour. Vois comme je tente de paraitre utile, tout en me sachant l'artisan de mon propre chagrin. Ne te préoccupe pas de mes bougonneries infantiles et fais ce qui doit être fait, je saurais tempérer ce feu dévorant qui décrète sans ambages que tu m'appartiens. Je n'ai aucun droit sur ta personne sinon celui d'être patient.

J'attendrais.
Tu as ma promesse d'homme d'honneur.

Sois douce avec cette pauvre Ariane ! Ne va pas nous l'agacer avec tes boniments de bohémienne. Nous avons encore besoin de sa pleine collaboration. Sans son rôle de messagère, je serais dévoré par ma propre mélancolie, tout cru, os et tendons compris. Tes billets doux sont ma seule lumière, ma seule respiration, moi qui n'ai pourtant ni droit au soleil ni à de véritables poumons.
Dieux, que cette punition est longue.
Je me décrépis !

Mes mots ne sont d'or que pour parer tes oreilles, ma chérie.

Ton beau-parleur attitré,
Hyppolite.

PS : Abandonnons toute vaisselle alors ! Désormais nous dînerons sur nos propres corps dénudés. Cela nous fera des économies de porcelaine et de vaisselle. Et je pourrais investir ce nouveau pécule dans de la superbe lingerie. La beauté du capitalisme sauvage.

Débarrasser de la toxine pour de bon, la capacité de travail de Diana retrouve son plein potentiel et le moins que l'on puisse dire c'est que la meiga est besogneuse. Elle a demandé à voir Simone pour lui exposer l’avancer significatif de ses recherches mais aussi son besoin d’aide. Notamment de lui trouver des vampires en qui avoir confiance pour la suite de son expérience. Il lui fallait également son accord et celui de Bertus pour commencer par tester son premier antidote. Elle ne s’accorde aucune pause, sauf pendant les visites du docteure et un peu après le temps d’écrire sa réponse.

Elle se plie à la volonté d'Hyppolite de lui écrire en espagnol.

Mon séduisant prisonnier,

Mon français est franchement rouillé, je vais devoir trouver quelqu’un de confiance pour me traduire ta prochaine lettre. Tâche de ne pas être trop…oh et puis non, sois aussi indécent que tu le veux. Je m’en contrefiche !

Comme toutes les femmes, j’aime me faire attendre mon tendre vampire. Et comme toutes les femmes, je ne suis jamais en retard, je suis parfaitement à l’heure, tout est une question de point de vue. Souhaites-tu que je te prépare un formulaire de réclamation ? Tu avais l’air d’y tenir… J’ajouterai pour ma défense que le fait que tu te caches derrière une organisation secrète n’aide pas à la rencontre.
Je ne t’ai jamais promis autre chose qu’une terrible influence et de stupides décisions dont je fais certainement partie.

Explore donc, mon beau vampire. Sais-tu à quel point je trouve sexy et charmant la dichotomie entre l’Hyppolite Poirot de Malsheem et mon Hyppolite si passionné lorsque nous ne sommes que tous les deux ? J’ai l’impression de connaitre un précieux secret, d’être la seule à savoir qui tu es vraiment. Je sais bien que c’est faux, mais il me plait de le croire.
Je suis parfaitement désintoxiquée, je me porte comme un charme, comme tu pourras bientôt le constater toi-même. La fréquence des morsures n’a sans doute pas aidé à la faire disparaitre rapidement de mon système.

PERSONNE ne me mordra à la gorge, elle n’appartient qu’à tes crocs. Enfin appartenait, il est sans doute plus prudent que tu en restes au régime vegan. Pour être franche, cette idée me sert le cœur. Si l’on met de côté la toxine et ses effets aphrodisiaques, j’aimais l’idée qu’une partie de moi te réchauffait, que je faisais un peu partie de toi… Ca aussi c’est sans doute stupide non ?
J’offrirai mes poignets en sacrifice. Et je te l’ai déjà dit Hyppolite, tu ne te résumes pas à une morsure. La toxine ne court plus dans mon sang et pourtant mon envie de te revoir n’a pas diminuée. Elle s’est simplement faite moins…désespérée. Mais crois bien que si je le pouvais, je viendrais te rejoindre dès maintenant et je chasserai ses vilaines idées noires qui aiment s’attarder dans ton esprit en t'embrassant jusqu'à ce que tu demandes grâce.

J’ai suivi ton conseil et me suis tournée vers Simone. La première expérience avec Bertus a été une réussite totale ! La toxine a disparu en quelques minutes. J’attends à présent de pouvoir expérimenter sur des sujets plus anciens. Souhaites-tu te porter volontaire ? Mmm il est peut-être trop tôt pour plaisanter de ça…

Je suis adorable avec Ariane ! Ne me fais-tu pas confiance ? J’ai l’art et la manière de me faire des amis. Elle semble très intéressée par une potion qui calmerait ses gueules de bois. Une chance que je sois une spécialiste non ? Et quand bien même elle refuserait d’être notre messagère, nous trouverions une autre solution. Je peux me déplacer comme je le veux et j’ai appris que tu étais enfin sorti de ta chambre. Ca doit te faire un bien fou !

Bientôt…très bientôt je n’aurais plus à me contenter de la très vague odeur de ton eau de Cologne qui imprègne tes lettres, je pourrais à nouveau entendre ta voix, sentir ton corps contre le mien, tes bras autour de moi… j’ai l’impression que cela fait une éternité qu’on m’a privé de toi !

Pars-en ma peau toute entière, elle ne demande que ça.
Ta liaison plus si secrète,
Diana.

PS : Quelle merveilleuse idée ! J’aime que mon homme soit plein d’initiative de ce genre. Et des économies de temps, cher époux, pour moi en tout cas ! Je suis néanmoins partagée… étant une femme très bien élevée on m’a toujours défendu de jouer avec la nourriture… J’ai pourtant terriblement envie de jouer avec toi…

Prenant compte des remarques de Diana, Hyppolite décide de rédiger sa réponse en espagnol à son tour. Son grand âge, ses voyages et ses activités d'espionnage lui ont permis de devenir polyglotte.

Ma plus-si-secrète Maitresse,
Ma vertigineuse obsession,


Je ne souhaite qu'aucun autre que toi ne lise mes mots. Ces confessions -qui me rapproche davantage du soupirant désespéré que de l'homme de bon sens - ne peuvent être décryptées que par tes yeux seulement.
Crois en ton instinct.
Cet Hyppolite intime que tu a su excaver au prix de ton acharnement décomplexé est comme les trésors cachés dans ces cryptes profondes, mystérieuses et inexplorées. Tu es la seule âme courageuse à avoir consacré du temps et des efforts à cette quête archéologique et il m'apparait normal que tu sois la seule récompensée par la vérité qu'elle recèle. Cet homme qui meurt une deuxième fois sans sa dose de chaos est pour toi, uniquement pour toi.

Je suis heureux et soulagé de te savoir en parfaite santé. Tu es faites pour respirer la vitalité et la faire rayonner autour de toi.
Si ton antidote fonctionne sur moi, je ne me priverais pas du plaisir de boire à ton calice. Ta saveur est un millésime exquis qui -fou que je suis- me semble avoir été concocté pour mes papilles seules. Laisse-moi m'illusionner, veux-tu ? Quoi qu'il en soit, à l'avenir, je serais plus prudent et moins compulsif. Je varierais mes sources.
Egoïstement, je souhaite être à nouveau ton cobaye pour être certain de planter en toi, tant mes crocs assoiffés que ma verge affamée, sans le moindre danger pour toi.

Je ne sors plus sans chaperon. Simone me fait surveiller comme le lait sur le feu, de peur que je vienne sans doute te visiter en projetant une ombre sur ton lit à la manière d'un risible Nosferatu. Heureusement pour notre messagère, comme pour nous, cette vaste tragicomédie va prendre fin sous peu. Ceci est sans doute la dernière lettre que tu reçois de moi avant que je ne sois autorisé à te revoir. J'ignore encore dans quelles conditions, mais cette simple idée m'éclaire comme un phare dans la Nuit sans fin que je traverse en ce moment. (Et qui me rend ridiculement lyrique tu en conviendras.) Tu me manques horriblement ! Bientôt ce ne seront plus que les mots qui te serviront de parure, mais mes baisers, mes caresses et mon affection. Je te sertirais tout entière, tu verras.

Sache que dans les fibres du papier de cette missive, il n'y a pas que mon parfum imprégné, mais également un baiser.

Ton éternel cobaye,
Hyppolite.

Bientôt, ils seront à nouveau réunis. Et à l'avenir, il se toque de l'idée de lui apprendre le français.

Diana tente de camoufler son sourire en constant qu’Hyppolite lui a finalement écrit en espagnol. Elle en frétillerait presque mais attend la fin de la séance avec la docteure pour la lire.
La réponse ne tarde pas.

Mon mystérieux trésor rien qu’à moi,

Je n’ai pas beaucoup de mérite. J’ai simplement un petit faible pour les belles choses de valeurs. Et ce que j’ai trouvé en fouillant tout au fond du froid et distingué Hyppolite Poirot valait largement l’énergie dépensée à m’esquinter sur le verrou qui l’enfermait. Tu as été si coriace ! Heureusement pour nous, je suis aussi obstinée que tu es tenace. Et je recommencerai encore s’il te prenait l’envie de te terrer à nouveau. Tu ne cesses de répéter que je suis faite pour la Vie, tu l’es tout autant que moi. Tu l’as simplement oublié.

Sache que j’ai amélioré ma formule. En théorie, puisque je ne l’ai pas testée. Crois-tu que Simone acceptera une nouvelle expérience entre toi et moi ?
En parlant de ta sœur, je crois bien qu’elle va finir par m’assassiner puisque je passe à peu près toutes les deux ou trois heures pour savoir quand je pourrais enfin te revoir. Je pense qu’à ce niveau c’est du harcèlement pur et simple mais soit elle finira par me tuer, soit par m’exaucer. C’est un risque à prendre. Je suis à deux doigts de me passer de toute autorisation mais ça serait sans doute préjudiciable, d’autant plus que nous nous sommes montrés très sages pour le moment.

Toi… l’image même de l’homme raisonnable et mesuré, suivi comme un adolescent turbulent ? Qu’ai-je fait de toi mon pauvre chéri ? Mais ne t’y trompe pas, je suis bien trop heureuse malgré tout pour être vraiment désolée.
T’imaginer au pied de mon lit me donne envie de te montrer à nouveau ce que je fais lorsque le manque de toi devient trop fort pour être tolérable.
Je n’attends que cette réunion qui tarde tant à venir. J’imagine qu’elle ne se fera pas en tête à tête. Combien de temps crois-tu qu’il nous faudra attendre avant de rependre la vie là où nous l’avons laissée ?  

Je garderai précieusement chacune de tes lettres et je les relierai encore et encore. Lorsque je serai devenue une vieille femme, elles me rappelleront alors que j’ai su, un jour, redonner un souffle de vie à un homme qui l’avait perdu. Peut-être n’ai-je été créée que pour cela… servir d’intermédiaire à Madre pour te ramener à elle…
Bientôt, bientôt, bientôt… un simple petit mot qui ne m’a jamais paru aussi précieux.  
A défaut de pouvoir t’embrasser, je presse mes lèvres contre le papier qui aura la chance de sentir le contact de tes mains.

Ton excavatrice jusqu’à mon dernier souffle,
Diana.

Will you
Wait for
Me to come home
Around
I miss you
I miss you
I miss you

Hyppolite lit et relit les lettres échangées avec Diana. Etrange comme la distance n'a rien éteint de son affection. Pire, elle l'attise rendant plus ardente encore ses braises. "Bientôt" est un mot creux auquel il s'accroche pourtant de toute la force de son esprit. Il soupire chaque jour que les Dieux tissent, confiant à Ygerne, qui l'écoute avec patience, la torture de l'attente, l'infantilisation orchestrée par Simone, son impuissance à déjouer les doutes de sa soeur-en-ténèbres. Aujourd'hui, pourtant ce "bientôt" ne sera pas un vain mirage. Il a obtenu le précieux sésame.

Il a enfin le droit de revoir Diana.

Le vampire a mis son plus beau costume trois pièces -le gris sombre assorti d'une chemise lie de vin - et s'est taillé la barbe. Il a fière allure quand Madame vient le chercher pour le conduire au Silo. Les deux nocturnes affrontent le soleil factice, le seul qui ne les brule pas, et traversent les champs où s'activent les loups. Hyppolite n'échange pas un mot avec Simone, lui battant froid, sans doute, afin de lui faire comprendre qu'il n'a guère aimé le traitement qu'il a subi. Madame ne semble pas s'en émouvoir, mais elle est passée maitresse dans l'art de dissimuler ses émotions.
Il pénètrent dans l'Arbre imposant qui abrite les laboratoires de Dysderie et désormais l'atelier de Diana.

Dans l'écrin de la serre baignée de lumière, la meiga apparait, dans une délicieuse petite robe surannée, bras nus et col claudine, dont les froufrous du jupon sont d'un jaune orangé aussi lumineux que son sourire. Si l'homme avait encore un coeur en état de marche, il en raterait un battement. Une émotion puissant l'étreint, faisant fuir les mots. Sa peau dorée, ses joues rebondies, son regard d'eau claire, sa bouche pulpeuse comme un fruit, son parfum de fleurs, d'agrumes et d'épices... Deux semaines, c'est à la fois si éphémère et si long. Diana resplendit et imprime ses rétines pour l'envahir tout entier.

Elle est là.
Il est là.
Le monde a de nouveau un sens et une raison d'être.

Faisant fi brusquement de la présence de leurs chaperons respectifs, le galant vampire s'avance vers Diana, s'empare délicatement de ses doigts et lui fait le baise-main le plus sulfureux qu'elle n'ait jamais connu, la dévorant du regard tout en déposant ses lèvres sur le plat de sa main.

Diana se regarde d’un œil critique dans le miroir, entourée de robes dans tous les sens. Dysderie a abandonné depuis longtemps la lutte, laissant la meiga seule à la merci de son jugement indécis.
La rouge est assurément plus flatteuse mais la jaune et orangé illumine son teint comme jamais.
Cornélien…
A la vérité, s’occuper un peu l’esprit sur une problématique vestimentaire calme sa fébrilité et son impatience.

Car aujourd’hui, elle va revoir Hyppolite.

Enfin.
Enfin !

Après des jours qui ont coulé avec une lenteur quasi-surnaturelle...
Elle ne peut pas s’empêcher de se demander si les choses auront changé entre eux après tout ça. Il ne la regardera sans doute pas avec cette fièvre qui enflammait aussitôt tout son être. Lui aussi s’est sevré d’elle. Jusqu’à quel point ?
Diana se secoue, relève le menton et choisit finalement la robe qui l’a fait resplendir comme un petit soleil. Les cheveux détachés mais disciplinés, quelques gouttes de parfum et un maquillage discret complète sa préparation. Elle sait qu’il la préfère au naturel, mais elle a besoin d’un peu de confiance en elle.

Après avoir rangé au mieux le bazar qu’elle a mis dans les affaires de la mandragore, elle descend enfin la rejoindre dans la serre, puisqu’il a été décidé qu’elle lui servirait de chaperon, le cœur battant si fort qu’elle est presque certaine qu’Hyppolite l’entendra avant de la voir.
La femme-rose a préparé du thé mais Diana n’arrive à rien avaler. Assise sur le canapé dans la serre qui embaume les plantes et la terre mouillée, elle attend. Encore.
Sauf que cette fois, elle est finalement récompensée par autre chose que des mots posés sur du papier.

Hyppolite est là.
Plus séduisant et élégant que jamais. Diana n’a pas un regard pour Simone alors qu’elle se lève. Ses yeux s’accrochent aussitôt à ceux du vampire et ne les lâche plus. Elle a le sourire radieux, propre à faire se tourner les fleurs vers elle. A cet instant, le monde a cessé d’exister autour d’eux.  
Hyppolite s’approche et sa respiration se fait plus rapide alors que son cœur cogne fort contre sa poitrine.
Il attrape ses doigts dans les siens et Diana a un frémissement en retrouvant leur contact froid et pourtant si délectable. Son baise-main la laisse ardente et dans une expectative douloureuse de plus. Si le visage du vampire n’exprime pas grand-chose, ses yeux bruns lui racontent une tout autre histoire. Une histoire qu’elle lit avec avidité.

- Hyppolite, chuchote-t-elle tendrement. Sa main libre se lève pour venir toucher son visage et englober sa joue. Me extrañaste mucho.

Sa main glisse vers sa nuque et comme un papillon attiré par la flamme elle se hisse vers sa bouche sans jamais la trouver.
Leur bulle éclate soudain lorsque Dysderie, en bonne hôtesse demande aux nouveaux venus s’ils désirent une tasse de thé. Les talons de Diana retrouvent le sol, ses paupières papillonnent alors qu’elle se souvient enfin qu’ils ne sont pas seuls et qu’Hyppolite détesterait certainement se donner en spectacle devant leurs deux chaperons.
Sa frustration est presque aussi grande que son bonheur de le revoir. Quand bien même elle a du mal à les détacher du vampire, Diana tourne ses yeux clairs vers Simone.

- Combien de temps allons-nous devoir jouer ce « charmant » petit jeu ? demande-t-elle avec un fond de reproche dans la voix. Je suppose que vous ne nous laisserez pas quelques minutes seul à seul même si l’on promet d’être très sage ?

Pourraient-ils vraiment l'être ?

- Hyppolite...
- Diana....
- Me extrañaste mucho.
- Moi aussi... souffle-t-il très ému.

Il ferme les yeux une poignée de secondes, se gavant de sa caresse. La jeune femme se hisse jusqu'à lui et Hyppolite peut presque boire son souffle et se donner l'illusion de posséder encore des poumons fonctionnels. Ses lèvres sont si proches d'une délicieuse collision qu'il en oblitère le monde entier. Lorsqu'elle reflue, se rappelant brusquement de la présence de spectateurs, frustration et manque tombent en éboulis dans son ventre. Il maintient Diana auprès de lui en ceinturant sa taille comme le ferait un mari possessif.
Hyppolite toise le regard de Simone et ce qu'il y lit n'est pas l'émotion qu'il s'attendait à trouver. Elle sourit comme la Joconde, le regard chaleureux et pétillant d'une certaine malice.

- Le thé est servi, fait poliment Dysderie en prenant place à la petite table de fer forgé blanc dentelée.
- Combien de temps allons-nous devoir jouer ce « charmant » petit jeu ?
- Prendre le thé est une affaire sérieuse, rétorque Simone, d'humeur taquine, visiblement.
- Je suppose que vous ne nous laisserez pas quelques minutes seul à seul même si l’on promet d’être très sages ?
- Vous supposez bien.
- Simone, il suffit. Je pense avoir été suffisamment puni. Inutile de nous humilier davantage. Je crois que nous avons parfaitement obéi à tes directives et les avons appliquées sans rechigner, lâche Hyppolite agacé, néanmoins, cela ne l'empêche pas de conduire très galamment Diana jusqu'à la table, de tirer sa chaise pour la lui présenter avant de s'asseoir lui même, uniquement une fois toutes les femmes assises. J'estime que nous avons parfaitement le droit de retrouver notre intimité.
- Un scone au citron ? propose Dysderie en battant des cils sur son oeil unique, une pince à gâteau dans une main et un plateau débordant de pâtisserie dans l'autre.
- Volontiers, répond Madame avec une politesse exquise. Elle sirote son thé quelques interminables minutes avant de reprendre. Cette période d'abstinence avait deux visées : vous soigner l'un l'autre du mal que vous vous êtes mutuellement infligé, et vérifier l'état de vos sentiments respectifs. J'avais la crainte de te voir t'enticher de la première venue après tes déconvenues récentes concernant Ygerne; quant à Mademoiselle Linares, j'avais soupçonné une manœuvre sournoise afin de s'immiscer dans les sphères de pouvoir.
- C'est moi qui suit venu la chercher... réplique vertement Hyppolite.
- Et elle t'a séduit avec une facilité qui me déconcerte encore. Mieux, ou pire devrais-je dire, elle t'a fait renier certains de tes principes fondamentaux... Sans offense, ma chère, comprenez bien que je me devais d'être méfiante. On ne retourne pas Hyppolite avec aisance.
- Arrête de parler de moi comme si j'étais une vulgaire chaussette. Je suis dans la pièce, grince l'intéressé.
- ... Il se trouve que j'ai du réviser mon jugement. Votre attachement l'un pour l'autre est , contre toute attente, sincère, ce dont je me réjouis. Je ne souhaite que ton bonheur, après tout, Hyppolite. Un court silence. Quoi qu'il en soit je n'autoriserais un retour à la normal qu'une fois certaine que l'antidote mise au point par ta chère et tendre soit efficace sur toi. Tu vas donc subir la même batterie de tests que les quelques candidats que j'ai sélectionné pour varier l'échantillonnage. Evidemment, ceci n'est pas une proposition.

- Un scone au citron ?
- Volontiers.
- Madre…est-ce que c’est une nouvelle forme de torture ?
Assise sagement, bien trop sagement, à la table avec deux vampires et une femme-plante, Diana ronge son frein en sirotant son thé. Elle aurait dû l’empoisonner et y mettre de quoi endormir les deux femmes.
- Cette période d'abstinence avait deux visées : vous soigner l'un l'autre du mal que vous vous êtes mutuellement infligé, et vérifier l'état de vos sentiments respectifs. J'avais la crainte de te voir t'enticher de la première venue après tes déconvenues récentes concernant Ygerne ; quant à Mademoiselle Linares, j'avais soupçonné une manœuvre sournoise afin de s'immiscer dans les sphères de pouvoir.
Diana fixe la vampire, le visage fermé, les yeux légèrement plissés, la colère bouillonnante.
- Je ne sais même pas par quoi commencer tellement je trouve tout cela aberrant ! Vous aimez vraiment régenter la vie des autres ! Vous êtes au courant que ce genre de chose ne se fait pas ? Quand bien même il se serait « entiché de la première venue » - et je vous remercie beaucoup pour ce gentil qualificatif – en quoi est-ce votre problème ? Et pardonnez-moi mais que voulez-vous que je fasse de votre pouvoir ici, pendant la fin du monde ? Devenir la reine des bunkers ? Non merci je vous laisse ce titre volontiers…
- C'est moi qui suit venu la chercher...
Diana le fixe, atterrée qu’il ne trouve rien d’autres à dire à tout cela !
- Et elle t'a séduit avec une facilité qui me déconcerte encore.
Diana grince des dents, le sourire féroce.
- Oh oui ! La vilaine enchanteresse a sans doute utilisé l’un de ses filtres pour embobiner ce pauvre Hyppolite.
- Mieux, ou pire devrais-je dire, elle t'a fait renier certains de tes principes fondamentaux... Sans offense, ma chère, comprenez bien que je me devais d'être méfiante. On ne retourne pas Hyppolite avec aisance.

La meiga lève les yeux au ciel et jure tout bas en espagnol, petit à petit, les piments lui montent au nez, rougissant ses joues alors que ses yeux se sont couverts d’orage menaçant.  

- Je n’ai retourné personne !
- Arrête de parler de moi comme si j'étais une vulgaire chaussette. Je suis dans la pièce.
- ... Il se trouve que j'ai dû réviser mon jugement. Votre attachement l'un pour l'autre est, contre toute attente, sincère, ce dont je me réjouis. Je ne souhaite que ton bonheur, après tout, Hyppolite.

Cette fois Diana est parfaitement outrée et repose sa tasse sur sa soucoupe avec fracas.

- Contre toute attente....!? Vous nous avez mis à l’épreuve ? Et vous vous réjouissez… Quel genre de grande sœur êtes-vous donc ? Madre ! J’en ai pourtant connu des femmes intrusives et manipulatrices dans ma vie, mais vous décrochez largement la palme ! Avez-vous pris des notes pendant l’expérience ?
- Quoi qu'il en soit je n'autoriserais un retour à la normal qu'une fois certaine que l'antidote mise au point par ta chère et tendre soit efficace sur toi. Tu vas donc subir la même batterie de tests que les quelques candidats que j'ai sélectionnés pour varier l'échantillonnage. Evidemment, ceci n'est pas une proposition.
Cette fois, Diana voit rouge.
- Bien. Esta vez he tenido suficiente de ser bueno !

Décidée à ne pas se laisser faire et à ne pas subir cette situation parfaitement horripilante, elle repose tasse et soucoupe sur la table, se lève soudain et vient se poser gracieusement en travers des genoux d’Hyppolite en délivrant au vampire un sourire satisfait et coquin. Un bras passé autour de ses épaules comme si c'était sa juste place, Diana se penche pour souffler dans son oreille.

- No serás un niño travieso conmigo ? Puisqu’on nous prend pour des enfants, autant jouer le jeu jusqu’au bout. Être sage ne rapporte rien.
Elle se relève et dépose une fiole devant Simone.
- Voilà l’antidote. Faites-en ce que vous voulez, mais je prends un jour de congé et je le passe con mi hombre. Que ça vous plaise ou non. Je me fous royalement de votre consentement ! Vous voulez m’arrêtez ? Assommez-moi !

Elle tend la main vers Hyppolite, les yeux pleins de défis. Son sourire confiant laisse entrapercevoir un doute malgré tout. Elle sait combien ce genre de geste spontané n’est pas dans ses habitudes.

Sigue mi caos, mi niño bonito !

- Contre toute attente....!?

Dysderie a une oeillade inquiète pour la jolie petite tasse de porcelaine et le thé rependu sur la soucoupe. Madame, elle, semble parfaitement imperturbable, telle une mère stoïque face à la crise colérique de sa progéniture.

- Vous nous avez mis à l’épreuve ? Et vous vous réjouissez… Quel genre de grande sœur êtes-vous donc ? Madre ! J’en ai pourtant connu des femmes intrusives et manipulatrices dans ma vie, mais vous décrochez largement la palme ! Avez-vous pris des notes pendant l’expérience ?
- Vous auriez aimé les consulter ? demande-t-elle avec un sourire amusé. Quoi qu'il en soit je n'autoriserais un retour à la normal qu'une fois certaine que l'antidote mise au point par ta chère et tendre soit efficace sur toi. Tu vas donc subir la même batterie de tests que les quelques candidats que j'ai sélectionnés pour varier l'échantillonnage. Evidemment, ceci n'est pas une proposition.
- Bien. Esta vez he tenido suficiente de ser bueno !

Evidemment, le sang chaud ibérique de la meiga la pousse à l'esclandre. Dysderie, alarmée, a le reflexe spontané de tenir la table pour éviter de terrible secousses à son service à thé. Un scone au citron chute mollement de son assiette.

- No serás un niño travieso conmigo ? Puisqu’on nous prend pour des enfants, autant jouer le jeu jusqu’au bout. Être sage ne rapporte rien. Voilà l’antidote. Faites-en ce que vous voulez, mais je prends un jour de congé et je le passe con mi hombre. Que ça vous plaise ou non. Je me fous royalement de votre consentement ! Vous voulez m’arrêtez ? Assommez-moi !
- Ce serait on ne peut plus facile mais je suis une femme civilisée. Diana, très chère, je ne vous prends pas pour une enfant, vous êtes une enfant : jeune, bornée, tempétueuse, exaltée et .... fatigante. Je n'ai que faire de cet antidote, je suis vegan. Vous ne vous êtes lancée dans cette entreprise sur le dessein égoïste de pouvoir continuer à être mordue lors de vos ébats avec Hyppolite. Assumez la démarche jusqu'au bout.

Cette fois, le susnommé perd de son flegme. Il se lève avec raideur, saisit la main de Diana, mais toise son ainée avec une expression que Diana ne lui a jamais vue : une fureur glacée. Une ire capable du pire.

- Simone ! Tu te montres odieuse et inutilement condescendante. Cesse immédiatement.
- Des menaces ? s'enquiert-elle avec un haussement de sourcil tout en sirotant son thé. Je crois êtres toujours meilleure en escrime que toi.
- Tu manques de pratique du terrain à force de rester assise sur ton trône à donner des ordres sans t'échiner. Si j'avais un gant je te le jetterais dès à présent pour défendre l'honneur de Diana. Je t'assure d'une défaite cuisante.

Simone s'ébroue d'un brusque éclat de rire.

- Vous êtes adorables.... Sincèrement. Sans doute un tantinet trop romanesque, cependant.
- Je ne plaisante pas Simone.
- Tu oses me défier ? Vraiment ? Elle l'observe avec une incrédulité moqueuse. Hyppolite...
- Non ! Pas ce ton là avec moi. Quand tu te conduis de cette manière tu lui ressembles et ça m'est absolument insupportable ! Mais après tout, en quoi devrais-je m'en étonner ?! Tu étais sa préférée. L'élève a su parfaitement dépasser le maitre.

Le rictus rouge de Madame fond, son expression, bien que fugace, exprime une blessure intime profonde. La colère d'Hyppolite se fissure et s'effrite aussitôt. Il est lui même choqué de son propre propos. Madame se recompose un masque de tranquillité avec un art éprouvé par les siècles.

- Bien. Faites comme bon vous semble. Mais sachez qu'au moindre faux pas, au moindre égarement, à la moindre inconséquence de vôtre part, qui pourrait mettre en danger vos santé respectives, je serais contrainte d'agir avec bien plus de fermeté que je n'en ai fait preuve. Vous êtes maitre de vos destins.

Madame se lève, salue Dysderie, complétement dépassée par cette dispute et prend congé sans un regard en arrière.

Elle ne s'autorisera à exprimer sa tristesse et son amertume
que dans la securité des bras de Bertus.

- Je me fous royalement de votre consentement ! Vous voulez m’arrêtez ? Assommez-moi !
- Ce serait on ne peut plus facile mais je suis une femme civilisée. Diana, très chère, je ne vous prends pas pour une enfant, vous êtes une enfant : jeune, bornée, tempétueuse, exaltée et .... fatigante.
- Exactamente. Viviente… ciertamente no me disculparé.
- Je n'ai que faire de cet antidote, je suis vegan.
- Et bien gardez-le en souvenir
- Vous ne vous êtes lancée dans cette entreprise sur le dessein égoïste de pouvoir continuer à être mordue lors de vos ébats avec Hyppolite. Assumez la démarche jusqu'au bout.

Diana recule comme si le coup était physique. Elle en a passablement assez de se faire constamment insulter par cette femme. Encore et encore. Elle s’en sent inexplicablement heurtée.  
- Croyez bien ce que vous voulez, Majestad. Si vous ne voulez pas de mon aide, grand bien vous fasse.

Elle récupère prestement sa fiole au moment où Hyppolite réagit enfin, le visage barré d’une colère froide. Madre la préserve de n’être jamais la cible de cette expression-là.
S’en suit un échange cordialement polaire qui hérisse le poil de Diana. Dans son monde on crie un bon coup, on s’échauffe, on expurge la colère et on se prend dans les bras une fois la tempête passée.
Hyppolite et sa sœur ne font que s’envoyer des piques à la tête et c’est à celui ou celle qui visera le plus juste, qui fera le plus mal. Elle manque lever à nouveau les yeux eu ciel lorsqu’Hyppolite parle de défendre son honneur. Elle trouve ça aussi charmant que pénible.  

« No necesito que nadie defienda mi honor ! »

Elle préfère garder le silence, ne souhaitant pas entrer dans un jeu qui n’est pas le sien et se sentant excessivement mal à l’aise. Elle n'a qu'un envie : s'enfuir dans son atelier. Puis vient l’estocade finale d’Hyppolite et Diana en note toute sa portée sur Simone. Pire, elle ressent un fond de pitié pour la vampire qui semble quelques secondes profondément secouée par l’attaque de son frère.

- Basta, lâche Diana avec lassitude. Vous venez de prouver que vous êtes l’un et l’autre capable de faire très mal avec des mots.
Elle est peut-être une enfant à leurs yeux, mais elle savait depuis le début de cette conversation où elle allait mener exactement.
- Bien. Faites comme bon vous semble. Mais sachez qu'au moindre faux pas, au moindre égarement, à la moindre inconséquence de votre part, qui pourrait mettre en danger vos santé respectives, je serais contrainte d'agir avec bien plus de fermeté que je n'en ai fait preuve. Vous êtes maitre de vos destins.

Diana échange un regard un peu désespéré vers Dysderie qui semble tout aussi étonnée, puis observe Hyppolite sous un autre jour : un homme capable de heurter en toute connaissance de cause ceux qu’il aime. L’incompréhension et un soupçon d’horreur peuvent se lire dans le fond des yeux clairs de Diana. Celle-ci s’écroule sur la chaise en se massant les tempes.

- Por que todo es tan complicado ? … chuchote-t-elle. Vous êtes si …froids… si mesquins !

Si loin de ce qu’elle est…
Le monde des vampires, ces vampires, n’est clairement pas fait pour elle.  
Cette réunion est un fiasco qu’elle prend en pleine poitrine : Simone qui l’a traite quasiment de pute accro, la déconsidère à chaque fois qu’elle le peut, la menace… Hyppolite qui reste d'abord très en retrait avant de réagir avec une violence qu’elle ne lui a jamais vu et le pire c’est que Diana n’est même pas certaine qu’il ait agit pour venger son honneur comme il le prétend.

- J’en ai assez d’être jugée et surveillée, assez d’être considérée como tu puta…

Est-ce que c’est trop demandé de leur foutre la paix pour le temps qu’il leur reste à vivre ? Qu'est-ce donc qu'une inconséquence pour Señora ?
Diana est un esprit libre pas essence. Si elle arrive à s’accommoder d’être enfermée dans ces bunkers grâce au Silo et à la présence de quelques compagnons d’infortunes, elle vit beaucoup moins bien cette espèce d’épée de Damoclès qui pèse sur sa tête. Cette sensation est bien trop horriblement familière.

Les paroles de Diana et de Simone ne sont qu'un vague brouhaha bourdonnant à ses oreilles. Hyppolite n'entend plus. Il est happé par sa propre violence, par ce poison qui l'habite et qui se révèle parfois avec une brusquerie terrifiante. Il a bousculé Ygerne, blessé Simone, et avec la même implacabilité, la même précision que lorsqu'il torturait ces pauvres âmes damnées pour obtenir d'eux ceux qu'il désirait d'information. A présent, il n'a plus ce prétexte pour laisser exprimer cette vérité qui coupe, taille et tue : aucune justice à défendre, aucune guerre à mener... Son intelligence n'est plus qu'une arme sans fourreau.
Le vampire se laisse tomber mollement sur sa chaise. Il se hait jusqu'à l'os.

- J’en ai assez d’être jugée et surveillée, assez d’être considérée como tu puta…
- Ma chère amie, je ne crois pas que le problème tourne autour de toi, en l'occurrence, déclare soudain Dysderie en resservant du thé à tout le monde. Je pense même que tu n'es pas le sujet. Mange un gâteau, le sucre t'apaisera. La mandragore poursuit avec douceur. Les relations entre frère et sœur sont souvent paradoxales, conflictuelles et fusionnelle à la fois. C'est un lien tendu sur lequel chacun évolue en funambule. souvent, c'est le premier égal que l'on se trouve, le premier élément de comparaison à la fois complice et adversaire dans la quête d'affection et de reconnaissance face au monde.

Elle défait lentement son cache-oeil. Un rose s'échappe de son orbite vide et déploie sa corolle d'un rouge vibrant. Elle pose une main sur sa poitrine, avec recueillement.

- Je porte en moi l'âme de Morgan Grass, le frère de mon maitre. Notre bien aimé Jardinier des Enfers a choisi le corps du jeune frère de Morgan, Salomon, répondant à son invocation pour le faire sortir du coma. Il aimait Morgan de tout son coeur mais Morgan, lui, a toujours oscillé entre méfiance, crainte, hostilité et cette complicité tendre, amicale, naturelle qu'il éprouvait pour Salomon. Je porte en moi cette ambiguïté et ses profonds regrets. Avant de mourir, il jeta au visage de Salomon qu'il n'était pas son frère, mais juste le monstre qu'il avait créé. Mon maitre en fût si profondément heurté que de chagrin, il le tua. Il vit depuis avec sa peine et l'obsession d'être le frère que Morgan aurait voulu.

Elle leur décerne un sourire mélancolique.

- Je suis la seule à savoir combien Morgan aimait son frère et ô combien il a regretté ces paroles.
- Je regrette déjà les miennes... souffle Hyppolite, les larmes aux yeux. J'ignore pourquoi, je suis si  laid au fond de moi... J'ignore pourquoi je suis incapable de m'arrêter alors même que je sais que je vais faire souffrir....
- Tu n'es pas le seul à blâmer pour ce dérapage. Simone s'est montrée -à mon, humble avis- excessive. Mon hypothèse est la suivante : Elle a fait exprès de vous acculer en espérant une explosion, du moins un faux-pas, une fissure de la part l'un ou l'autre. Ce qui, excuse moi Diana par avance, n'est pas difficile avec ton caractère.

Hyppolite a un ricanement sinistre.

- La fissure vient finalement de moi et me révèle tel que je suis. Il regarde le fond de sa tasse avec une tristesse infinie.

Dysderie soupire en grignotant un scones.

- Madame n'est pas taillée dans la glace comme on se plait à le croire, c'est la personne la plus douce, compréhensive et humaine que je connaisse. Simplement, elle n'est pas exempt de défauts. Tu as remarqué qu'elle a exactement le même comportement envers Diana que toi envers Bertus ? Amusant, non ? Tout de même vous les vampires, avez une fâcheuse tendance à l'auto-flagellation. Sans offense, je trouve cet automatisme assez horripilant. Mais ce n'est pas une opinion scientifiquement étayée, j'en conviens.

Elle sirote son thé avec une tranquillité exquise.

Diana ne mange rien, ni dit rien, dos droit, mâchoires crispées.

Elle se sent plus agacée, blessée et humiliée que jamais. Par la mesquinerie de Simone, par l’autoflagellation et l’incapacité d’Hyppolite à faire quelque chose plutôt que de contempler sa misère et s’enfoncer dans son apitoiement et plus globalement par toute cette histoire. Car comme l'a déclaré sans aucun tact la femme plante, elle n'en est pas le sujet mais en paie toutefois les pots cassés.

- Horripilant et détestable. Je refuse catégoriquement d'être le prétexte de vos chamailleries infantiles et la cible d'attaque injuste pour t'atteindre. Pour votre information à tous les deux, j'ai plusieurs sœurs et jamais nous ne nous sommes entretuées ou blessées à ce point. Parce que nous communiquons, parce que quand quelque chose ne va pas, on se le dit, on se crie dessus parfois, on s'excuse et on oublie.

Elle se lève, lisse délicatement sa robe et se tourne vers la femme-rose.
- Merci pour le thé mi Rosa. Navrée d’avoir piller ta garde-robe pour rien. J’ai bêtement cru que j’allais avoir le droit à des retrouvailles mais à la place j'ai été ballottée comme un sac dans un crêpage de chignon en règle pour un problème qui gangrène certainement depuis des années et que vous refusez d’affronter comme des adultes responsables.

Elle a les larmes aux yeux mais manifestement personne ne prête attention aux sentiments des autres dans cette pièce. Les siens encore moins puisque ça ne semble gêner personne que non seulement on l’a insultée, infantilisée, privée d’une réunion tant attendue mais qu'en plus elle n'a été qu'un outil. Et il n'y a rien de pire. Elle ne sait même pas pourquoi elle se trouve là.

- Hyppolite, je te suggère d'arrêter de regarder le fond de ton spleen dans cette tasse et d'agir. Si tu en es capable évidemment.

Elle a inexplicablement le cœur serré. Mais Diana n'est ni un substitut de mère ni celui d'une grande sœur.
Elle mérite mieux que ça.

- Si vous le permettez j'ai du travail qui m'attend.

Diana rassemble le peu de dignité que les trois êtres surnaturels lui ont laissé et sort de la serre au moment où les larmes dévalent ses joues. Elle les essuie rageusement en remontant vers son atelier.
Elle continuera sans doute à y passer les nuits à venir.

- Hyppolite, je te suggère d'arrêter de regarder le fond de ton spleen dans cette tasse et d'agir. Si tu en es capable évidemment.

Coi, le vampire encaisse ce dernier carreau en plein cœur. Bien que mort celui souffre tout autant.

- Si vous le permettez j'ai du travail qui m'attend.

Il peut l'entendre, à son rythme cardiaque précipité, à ses reniflements discrets et aqueux, que Diana pleure. Il a donc réussi à blesser deux femmes précieuses en l'espace d'une gorgée de thé. Son estime de lui tombe encore plus bas, martelée par les coups de talons rageux de la meiga.
Dysderie le fixe avec un battement de cils et lui tend un scone au citron avec sa pince à gâteaux. Le geste, hors de propos, a le mérite de faire sortir Hyppolite de sa torpeur. Il lorgne la mandragore avec un froncement de sourcils de pure incompréhension. Dysderie interprète la mimique comme un refus et porte la pâtisserie à bout de pinces jusqu'à sa bouche. Elle la croque goulument avec une expression de gourmandise qui n'est pas sans rappeler sa fille.

- Veux-tu bien m'excuser, Dysderie ? Je dois présenter mes excuses à plus d'une femme aujourd'hui. Autant m'y atteler dès à présent.
- Fais donc, fait-elle entre deux bouchées. Tu es tout excusé.

Hyppolite se lève, s'incline poliment et gravit les escaliers. L'appréhension monte à chaque degré franchi. Devant la porte close, il hésite. Il ne sait pas franchement comment organiser sa plaidoirie de défense. Il toque malgré la peur au ventre d'être mal aimé, d'être tout bonnement rejeté. Il entre, résolu à batailler pour, cette fois-ci, retenir la femme qu'il aime auprès de lui.
Parce qu'il l'aime, c'est ainsi.

- Diana... J'avais espéré que ces retrouvailles aient une autre saveur. Malheureusement, Simone m'a révélé sous un bien piètre jour. Je ne la blâme pas, c'est moi le seul fautif. Je suis cet homme au verbe implacable, aux colères froides, à l'aigreur caché. Je suis aussi ce lâche qui se cache derrière la réflexion pour maquiller son inaction. Je suis une âme piètre et je ne te mérite pas... Cependant...

Il vient prendre ses mains pour les baiser à genoux.

-... Je refuse de te laisser partir. Et je te supplie d'accepter l'homme que je suis, avec sa part d'ombres et de faiblesse, ainsi que les humbles excuses qu'il a à te présenter. Tu es le plus beau cadeau que la vie m'ait faite et je compte bien le faire savoir au monde entier. Mais par pitié, pardonne-moi, s'il te plait.

Une fois de retour dans son petit coin à elle, Diana vérifie que rien n’a coulé de son maquillage – béni soit le waterproof – sourit bravement à son miroir puis se remet aussitôt au travail. Cela lui donne l’illusion de contrôler au moins quelque chose aujourd’hui. Pilonner de pauvres racines semble un bon commencement. Elle se trouve ridicule d’avoir espéré quoi que ce soit de cette journée.
Elle serre les dents pour ne pas s’abandonner à la tristesse qui a enveloppé son cœur et son esprit. La meiga essaie de se convaincre qu’elle est au-dessus de tout ça qu’elle n’est blessée que dans son ego.
Mais elle sait bien que c’est faux.

Diana sursaute violemment lorsqu’on frappe à la porte. Elle renifle et papillonne des cils pour chasser cette volonté tenace de pleurer stupidement. Dysderie est-elle déjà remontée ?

- Entre !
Voir Hyppolite sur le seuil de son atelier la surprend tellement qu’elle en abandonne son mortier sur le plan de travail et bois. Elle le croyait encore en train d’examiner son désespoir sous toutes ses coutures.

- Diana...
- Hyppolite ? Qu’est-ce que…
Mais elle n’arrive pas vraiment à finir sa phrase et il enchaine aussitôt.
- J'avais espéré que ces retrouvailles aient une autre saveur. A cela, elle ne peut qu’émettre un petit rire triste. Il n’est certainement pas le seul. Malheureusement, Simone m'a révélé sous un bien piètre jour. Je ne la blâme pas, c'est moi le seul fautif. Je suis cet homme au verbe implacable, aux colères froides, à l'aigreur caché. Je suis aussi ce lâche qui se cache derrière la réflexion pour maquiller son inaction. Je suis une âme piètre et je ne te mérite pas...

Encore cette propension à la dramatisation et au rabaissement systématique de ce qu’il est. Néanmoins, elle ne le coupe pas, voulant voir exactement ce qu’il a à lui dire.
- Cependant...
Estomaquée, elle le voit se mettre à genoux et attraper ses mains pour les embrasser tour à tour. Le contact froid de ses lèvres lui a terriblement manqué et elle ferme un instant les yeux.
- ... Je refuse de te laisser partir. Et je te supplie d'accepter l'homme que je suis, avec sa part d'ombre et de faiblesse, ainsi que les humbles excuses qu'il a à te présenter. Tu es le plus beau cadeau que la vie m'ait fait et je compte bien le faire savoir au monde entier. Mais par pitié, pardonne-moi, s'il te plait.

Diana prend une profonde inspiration, touchée par ses mots et cet élan qui l’a finalement guidé d’abord jusqu’à elle. Attendrie, elle libère l’une de ses mains et passe ses doigts dans les cheveux bruns du vampire. Puis, lentement mais fermement, elle l’oblige à se remettre debout devant elle. Là, Diana le fixe droit dans les yeux et caresse sa joue barbue du bout des doigts.

- Comment comptes-tu le faire savoir au monde entier exactement, mmh ? Tu serais prêt à te battre pour me garder auprès de toi ? demande-t-elle avec un petit sourire en coin. Même si la demande parait ironique et amusée, elle revêt une importance bien plus profonde pour la jeune femme. Il le lui a dit. Il n’est pas homme à se battre pour quoique ce soit.
- Oui tu as été horrible, comme Simone l’a été. Vous êtes terribles tous les deux quand vous vous y mettez. Nouveau soupir. Je ne te demande pas d’être parfait Hyppolite, loin de là. Madre sait à quel point je ne le suis pas ! Tes défauts font aussi ton charme… souvent. Et je les accepte, même s’ils m’agacent parfois. Accepte-les toi aussi et s’ils te font horreur, essaie d’aller à leur encontre.

Elle passe délicatement ses bras autour de son cou.
- Elle me plait à moi ton âme imparfaite. Alors arrête de la déprécier comme ça à chaque fois que tu en as l’occasion. Ses lèvres se posent doucement sur sa joue alors qu’elle poursuit.
- Je te pardonne, mi amor vampiro. Mais je ne veux plus jamais être ton cheval de bataille face à ta sœur. Tout cela c’est entre vous et je ne veux pas en être mêlée. J’ai simplement eu l’impression que ce qu’il y avait entre nous était… sale dans sa bouche, que je l’étais.
Ses paumes ont glissé sur son torse et elle a dévié son regard vers sa chemise alors qu’elle a un petit rire de dérision.
- Les mots de ta sœur font aussi mal que les tiens, tu sais. Rarement je me suis sentie aussi…insignifiante. Bueno ! Tu…ferais mieux d’aller la voir. Elle relève ses yeux vers ses orbes chocolat. Pero primero bésame…    

Cela plus de deux semaines qu'elle n'attend que ça...

Comme sa caresse est douce, comme ses lèvres sont chaudes ! Hyppolite en savoure le contact avec une expression de ravissement qui lui fait fermer les yeux une poignée de secondes.

- Comment comptes-tu le faire savoir au monde entier exactement, mmh ? Tu serais prêt à te battre pour me garder auprès de toi ?
- Je ferais n'importe quoi... déclare-t-il les yeux noyés dans les siens.

Une sincérité poignante fait vibrer ses prunelles. Il est trop tard pour nier qu'il est clairement fou de cette jeune et délicieuse danseuse aux pieds nus. Les mots de Diana insufflent un profond soulagement dans sa vieille carcasse du vampire. Il colle son front contre le sien avec recueillement.

- Mon ensorceleuse adorée... Je te promets d'essayer avec toute mon énergie. Parfois, celle-ci sera ridicule, voire négative, promets-moi de me supporter malgré tout dans ces moments là.
- Je te pardonne, mi amor vampiro. Mais je ne veux plus jamais être ton cheval de bataille face à ta sœur. Tout cela c’est entre vous et je ne veux pas en être mêlée.
- Je t'en fais le serment.  
- J’ai simplement eu l’impression que ce qu’il y avait entre nous était… sale dans sa bouche, que je l’étais.
- Diana, tu n'es pas "ma" prostituée... Il ne peut se résoudre à utiliser cet autre mot si vulgaire. Tu es un morceau de vie pure, un rayon de soleil, un souffle d'été dans ma vie morne. Vraiment. Alors oui, tu bouscules, tu brûles et tu tempêtes mais c'est ce qui fait toute ta force et ton attrait. Je ne t'ai jamais considérée comme une croqueuse de diamants. Tu es telle que ta Mère-Nature t'as créée.
- Les mots de ta sœur font aussi mal que les tiens, tu sais. Rarement je me suis sentie aussi…insignifiante.
- Si les mots de Simone te souillent, pense à tous  ceux que je t'ai écrits, à tout ceux que j'aimerais te susurrer à l'avenir dans le creux de l'oreille.

Hyppolite l'enlace doucement, la tenant tout contre lui.

- Bueno ! Tu…ferais mieux d’aller la voir. Pero primero bésame…  

En gentleman consommé, le vampire s'exécute. Il l'embrasse avec ferveur et passion car ce sont là les feux qu'elle attise en lui.

- J'irais m'excuser auprès d'elle, mais pour l'heure Simone peut attendre...

Il la renverse presque en s'emparant à nouveau de ses lèvres.

Finalement, leurs retrouvailles ont bien eu lieu, loin des regards des autres, à l’abri de l’atelier de la meiga. Ils ont passé de longues, très longues minutes à se bécoter comme des adolescents en manque. Ce qu’ils sont plus ou moins.

Diana a retrouvé avec une délicieuse satisfaction le goût de ses lèvres, leur contact tendre et glacé qu’elle s’est plu à réchauffer des siennes avec langueur tout en lui murmurant combien il lui a manqué, combien elle est heureuse de le retrouver.  
Serrée contre lui, ses bras fermement ancrés à ses épaules, elle oublie un instant les évènements précédents, Simone et son jugement sans appel sur elle, la toxine et même les bunkers. Elle a retrouvé sa bulle de bonheur simple et évident. Même son python sort de sa torpeur digestive pour venir saluer Hyppolite.

C’est à contre-cœur qu’elle le pousse finalement hors de son atelier, les paumes englobant amoureusement son visage allongé.

- Tu dois…baiser sur sa pommette... aller demander pardon ,baiser sur le coin de ses lèvres…à Simone…baiser sur sa bouche… c’est important pour te pardonner aussi.

Le dernier baiser qu’elle lui donne pourrait facilement lui voler son souffle, s’il en avait encore un alors qu’elle se presse contre lui avec force.

- Tu reviendras me voir ensuite. Tu as bien dit que tu voulais rester mon cobaye, verdad ? J’ai des tests à te faire passer et un antidote à mettre à l’épreuve. Même si ça n’intéresse personne, je veux le tester et pouvoir dire que j’ai réussi. Qu’on a fait quelque chose de bien tous les deux et que tout ce qu’on s’est infligé a servi.

Quand bien même elle est complètement sevrée de la toxine du vampire, à l’idée de sentir ses crocs sur sa peau, elle en frissonne d’envie. Les yeux dans les siens, elle lui sourit avec tendresse.
- Reviens-moi après…mi amor…vampiro.
Elle a bien failli oublier d’ajouter ce dernier petit mot.

Hyppolite est soudain congédié, bien que ce soit de la plus agréable des façons. Diana le met à la porte sous une pluie de baisers chauds et doux.

- Tu dois…aller demander pardon…à Simone…
- Pas maintenant... Implore-t-il en lui rendant chaque goutte de tendresse de cette drôle d'averse.
-… C’est important pour te pardonner aussi.
- Je sais... Je le ferais... Mais pas maintenant... Pas alors que je te retrouve....

Elle le fait terre en lui dévorant la bouche. Hyppolite s'offre en festin bien volontiers et la retient étroitement prisonnière contre lui.

- Tu reviendras me voir ensuite.
- Ensuite, c'est déjà trop loin...
- Tu as bien dit que tu voulais rester mon cobaye, verdad ?
- Absolument.
- J’ai des tests à te faire passer et un antidote à mettre à l’épreuve. Même si ça n’intéresse personne, je veux le tester et pouvoir dire que j’ai réussi. Qu’on a fait quelque chose de bien tous les deux et que tout ce qu’on s’est infligé a servi.
- Moi je le sais. Je sais à quel point tu n'es pas cette croqueuse d'homme intéressée dépeinte par ma sœur. Au contraire : tu es sincère et honnête. Tu as donné de ta personne pour nous mais pour toute la cause vampirique. Je me soumets à ta science maintenant si tu en as besoin.
- Reviens-moi après…mi amor… Un bref instant, Hyppolite ressent la douleur d'un battement sourd, tel un gong dans sa poitrine. Son coeur ! Son coeur a vibré en entendant ce petit mot....vampiro.
- Je ne partirais pas d'ici, décrète-t-il les yeux dans les siens. Ne t'inquiète pas de ma soeur. Simone ne sera pas prête à m'entendre tout de suite. Elle a accusé trop durement le coup, je le sais. Il me faut patienter avant d'avoir de nouveau une conversation apaisée avec elle. Il tourne le loquet de verrouillage de la porte.  Et je compte bien employer ce temps à te chérir corps et âme...

Il l'embrasse fougueusement et la soulève de terre comme une jeune mariée.

Dysderie n'est pas prête de récupérer l'usage de son laboratoire.