J’ai toujours été un être rempli de contradictions, de sorte que je suis parfois difficile à suivre pour moi-même. Mais ma « mutation » partielle et dégradante vers l’humain a exacerbé ce trait à l’excès. Du moins, c’est ainsi que je l’explique.
J’oscille entre l’envie de dévorer ce monde, de le faire mien et de lui montrer à nouveau qui je suis et la mélancolie la plus pure et la plus stagnante qui soit. Lutter contre elle chaque jour est une bataille de chaque instant. Parfois je gagne, d’autres jours non.
L’équilibre m’échange complètement, ou alors je ne souhaite pas le trouver.

J’essaie de ne pas rester bloqué sur tout ce que j’ai perdu. Mais cela aussi reste difficile et je ne sais toujours pas pourquoi le Bosquet m’a relâché. Je considère encore cette liberté retrouvée comme une nouvelle punition.
Un cadeau empoisonné.
Souvent mon regard se perd vers le ciel et je me languis de lui avec tant de force que s’en est presque douloureux.
La plupart du temps, je ne sais plus à quoi me raccrocher tant cette existence me semble vide de tout intérêt. C’est bien pour cette raison que j’ai tenté d’y mettre fin avec panache à défaut d’intelligence. Mourir l’arme à la main me semblait plus enviable et honorable que de vivre avec cette moitié d’humanité qui a grignoté tout ce qui me rendait… moi.

Mais une vampire agaçante et un dragon qui n’est plus le dernier et qui considère soudain que je suis sa responsabilité m’en ont empêché.
M’obliger à vivre… quelle plaie ! Mais j’ai donné ma parole. Plus d’acte héroïquement stupide. Alors me voilà. Perdu, à ne plus savoir ce que je suis, comment vivre avec cette évolution dont je n’ai jamais voulu, à me battre contre moi-même et ma culpabilité d’avoir entrainer mon peuple vers la mort, à m’accrocher à de petites choses pour ne pas sombrer.
Irriter ma geôlière, servante numéro un, colocataire, élève et sangsue de compagnie en est une. La décontenancer en est une autre.
Pour être honnête, j’ai conscience des efforts qu’elle fournit pour me supporter mais comme je ne les lui ai jamais demandés, je considère qu’elle a choisi sa croix. Elle a, de toute façon, été très claire.
Je suis sa rédemption pour je ne sais quoi. Un but pour la faire avancer et enterrer ses propres problèmes sous le tapis.
Quel duo nous formons !

En attendant, elle est… distrayante. Notre relation n’a rien de simple. Tantôt nous nous blessons et n’arrivons pas à communiquer, tantôt nous parvenons à une sorte de … statu quo qui laisse montrer une sorte de complicité. Elle veut apprendre à manier l’épée, veut me voir à l’œuvre dans une forge à nouveau. Est-ce que ce la suffira à me rendre goût à l’existence ? Je n’en sais honnêtement rien. Mais je suis aussi trop fier pour ne pas tenter.

Voilà pourquoi je gribouille des schémas très mauvais, prends des notes et me suis même mis à dessiner des armes, chose pour laquelle je suis bien plus doué.
Des effluves sucrés me parviennent de la cuisine et je me demande ce que Dame Sangsue est en train de préparer…
J’en suis à songer rêveusement à de la nourriture en jouant distraitement avec le crayon lorsqu’un autre effluve me parvient. Inimitable. Chéri.
Je me redresse aussitôt, au abois, ce drôle de cœur qui n’est plus que simplement flamme battant à tout rompre.

Elle est déjà là.
Aussi belle que dans mes souvenirs.
Le regard aussi pur. Celui qui m’a séduit si facilement…
L'âme aussi honnête. Du moins je le croyais.
Quel sombre idiot j'ai été...
Machinalement je fais quelques pas vers elle mais un soupçon de fierté me retient encore, m’empêche de la serrer contre moi et de lui dire que je peux tout lui pardonner si elle m’aime encore.
Beaucoup trop fier.
J’esquisse plutôt une révérence outrageusement exagérée qui ressemble plus à une insulte qu’à une marque de respect.

- Dame Mab. Quelle surprise !
Je me redresse, un sourire provocateur aux lèvres.
- Tu es venue constater ma déchéance de tes propres yeux ? A ce propos, laisse moi te féliciter pour ton mariage.

Je plante mes yeux dans les siens, laisse s’y déverser tout ce que je ressens à cet instant.
« Je t’aime autant que je te hais, Mab. »

I hate you, I love you
I hate that I love you
Don't want to, but I can't put
Nobody else above you
I hate you, I love you
I hate that I want you
You want her, you need her
And I'll never be her

Des efforts.
Arrondir les angles.
Faire des compromis.
Chaque pas, même modeste est une victoire.

Urdred s'avère aussi infect qu'il peut être touchant. Pourtant, à sa manière, il essaie. Il essaie sincèrement. Du moins c'est ce dont se convainc Cassandra.
Au coeur de leur relation, il y a cette promesse de toujours lui revenir en vie. Petit à petit, la vampire essaie d'étoffer ce squelette de lien de nouvelles aspérités auxquelles le prince dragon pourrait s'accrocher : leur drôle de correspondance de frigo, l'art martial draconique qu'il lui enseigne, les projets de forge et maintenant ces stupides biscuits en forme de dragon... Autant de minuscules choses qu'elle amasse autour de lui, pour qu'il conserve son envie de tenir son engagement.
C'est maigre.
Elle a conscience de cela.
Elle s'en était ouverte dès le départ à Neorvrim : "Je ne possède rien qui puisse le retenir" avaient été ses mots. Pas plus pour lui que pour tout ceux qui ont traversé sa vie, du reste.

Cette Mab le pourrait.
Mais le poison de la trahison ne se dilue jamais.

Une fragrance florale vient chatouiller son odorat aiguisé. Depuis qu'elle a gouté au sang d'Urdred, elle se surprend à détecter les nuances particulières qu'exhalent le corps d'un sidhe. Le gout de la magie, sans doute.
Cassandra tourne la tête pour regarder par la fenêtre de la cuisine et fronce les sourcils. Elle s'essuie les paumes maculées de farine sur un tablier et s'approche éberluée. Son instinct lui presse les entrailles pour y graver une certitude : c'est elle.
Mab est littéralement la plus belle femme qu'elle n'ai jamais vue.

Sauf qu'elle n'est pas une femme.
C'est une Princesse.
Et une princesse ne se déplace jamais sans escorte.

- Merde !

Cassandra se précipite dehors et se fait cueillir par une lame aiguisée pointée sur son cou. Un fae à mi-chemin entre le chevalier et le frelon la tient en respect. La cabane est encerclée par une dizaine d'entre eux.

- Urdred ! fait-elle figée, dans l'attente de savoir comment vont se dérouler les choses.
- Bonsoir Prince Urdred, fait Mab d'une voix mélodieuse et terriblement agréable. (Cassandra se demande si tout chez cette créature n'est pas décidemment parfait.)
- Tu es venue constater ma déchéance de tes propres yeux ?
- J'ai appris que l'on t'avait relâché du Bosquet des Murmures. Je suis simplement venue constater si la rumeur est vraie.
- A ce propos, laisse moi te féliciter pour ton mariage.

Le masque composé de la fée ne laisse entrevoir aucun trouble, cependant, c'est avec plus de lenteur qu'elle le remercie :

- Je t'en suis gré. Je suis une épouse comblée.

Cassandra jette un regard en biais à l'amant éconduit en se demandant s'il ne va pas littéralement exploser. Aussi décide-t-elle d'intervenir.

- Dites... Si le but de la visite c'est de juste se taper la discute, on peut peut-être le faire sans avoir le couteau sous la gorge ? Hein , Comme des gens civilisés qui respectent les accords du Concile des Deux monde, par exemple...

Mad ne semble pas daigner lui accorder le moindre regard. Elle n'a d'yeux que pour Urdred. Elle aussi doit penser qu'elle n'est qu'une sangsue.

- La rumeur disait également que tu avais acquis un animal de compagnie humain.
- Hey, je ne suis la propriété de personne ! proteste Cassandra, avant de se faire chatouiller la glotte par la pointe d'une épée. Vous êtes clairement en train de m'agresser, là, je pourrais en référer à un de nos ambassadeurs !
- Elle ne manque pas de suite dans les idées mais sa naïveté est touchante. Je suppose que c'est ce qui t'amuse.

Parfait.
Elle est entourée de gugus qui ont décidé de faire comme si elle n'était pas vraiment là. Quel charmant début de soirée !

- Je t'en suis gré. Je suis une épouse comblée.

Je sers les mâchoires à les briser tant ses mots me font mal. A-t-elle vraiment tout effacé aussi facilement ? A-t-elle vraiment tout balayé comme si rien de ce que nous avons partagé, rien de ce que nous nous sommes promis ne comptait ?

- Vraiment ? Moi qui croyais que passer après ta sœur ne t’avais jamais convenu… Mes yeux se plissent méchamment. Ton cher époux a-t-il cesser de soupirer après elle pour te donner toute l’attention que tu mérites ?

J’en doute. Pauvre idiote ! Je t’aurais donné la Lune si tu me l’avais demandé…

- Dites... Si le but de la visite c'est de juste se taper la discute, on peut peut-être le faire sans avoir le couteau sous la gorge ? Hein… Comme des gens civilisés qui respectent les accords du Concile des Deux monde, par exemple...

L’intervention de la vampire me fait enfin détourner le regard vers elle et je réalise bien trop tard que Mab n’est pas venue seule… Je souris alors. Craignait-elle ce tête à tête ?

- Tu as entendu Mab ? Tu n'as aucun droit ici.
- La rumeur disait également que tu avais acquis un animal de compagnie humain.
- La rumeur est on ne peut plus fausse. Cassandra, j’insiste sur son prénom, n’est plus vraiment humaine et s’il y a un animal dans cette histoire c’est moi. Je n’ai jamais considéré qu’il s’agissait d’une insulte. Cesse de la menacer, immédiatement.  
- Hey, je ne suis la propriété de personne ! Vous êtes clairement en train de m'agresser, là, je pourrais en référer à un de nos ambassadeurs !
- Elle ne manque pas de suite dans les idées mais sa naïveté est touchante. Je suppose que c'est ce qui t'amuse.
Sans savoir pourquoi, cela m’enrage qu’elle fasse si peu de cas de la vampire. Il n’y a que moi qui aies le droit de me montrer irrespectueux et odieux avec elle.
- Tu n’as aucune idée de ce qui m’amuse à présent.

Je fais les quelques pas qui me séparent encore de Mab. Lentement, délicatement, le dos de mes phalanges caresse la peau de sa joue aussi douce que de la soie et je me déteste de m’être autant langui de ce contact. Mes doigts retrouvent le soyeux de ses cheveux et mon regard planté dans le sien lui raconte certainement trop de choses. Mais peu importe.
Pendant un bref instant, j’ai peur de craquer et de me mettre à genoux devant elle pour la supplier.
Mais à nouveau, ma fierté et ma colère m’arrêtent heureusement avant.

- Je n’aime pas me répéter, Mab.
Je me penche un peu, mon front à quelques centimètres du sien puis je projette ma main libre vers le garde qui menace Sangsue. Lancée comme une arme de jet, ma lame empale le garde et l’éloigne de la vampire. Et je me fiche royalement d'avoir enfreint une règle.

Je recule alors et le manque d’elle, de sa proximité, me fait physiquement mal.

- Rappelle ta garde. Tu n’as jamais eu besoin de personne pour te défendre, sauf si le mariage t’as ramollie. A présent que tu as pu constater par toi-même que je suis bien là, tu peux t’en retourner comme le bon petit soldat que tu es auprès de Titania.

Peut-être que je vois quelque chose dans son regard ou alors est-ce ma propre faiblesse du cœur qui parle.
- N’as-tu donc aucun regret Mab ?

Cassandra se demande à quoi joue la princesse. Quel est l'objet de sa venue ? Savoir qui a libéré Urdred ? Vérifier son état et ses dispositions pour la vengeance ? Simplement le provoquer ? Auquel cas, la vampire constitue un faible levier. Elle peut bien continuer de l'humilier en l'ignorant, Prince Trouduc ne se laissera jamais berner par pareilles tentatives.
Cassandra se fige en l'entendant corriger son prénom. Une onde de satisfaction stupide la chatouille, bientôt supplantée par l'inquiétude. Cet idiot plonge tête baissée dans l'ornière !
La vampire contracte la mâchoire en le voyant s'approcher de la fée.
Ne la touche pas, crétin !
Il lui caresse amoureusement la joue, et aussitôt les gardes-frelons restant pointent leurs lances vers lui, près à le massacrer. Ils ne sont retenus que par le geste impérieux, presque désinvolte, de Mab.
Arrête de la menacer, bon sang ! Recule !
Il n'y a pas que cela. La tension entre les deux ex-amants est douloureuse à voir. En être témoin froisse les intestins de la morte-vivante.
Elle te ballade et toi tu cours... Pitié arrête.
Cassandra détourne momentanément les yeux, incapable d'en supporter davantage. Urdred est indéniablement un sale con, mais son amour est toujours là, vibrant et désespéré. Mab y semble insensible ou, du moins, parvient à bien le camoufler. Le voir s'avilir de cette façon est insupportable.

Le chuintement de l'air qui siffle à ses oreilles la ramène à l'instant présent. Incrédule, elle fixe le garde-frelon empalé avec des yeux ronds. Oh, le con ! Mab abaisse lentement son bras, sonnant l'Alalie. L'escorte de la princesse a désormais une justification pour l'attaquer.

- Rappelle ta garde.
- Tu viens de te rendre coupable de meurtre, pourquoi le ferais-je ?
- Tu n’as jamais eu besoin de personne pour te défendre, sauf si le mariage t’as ramollie. Son regard se fait plus dur. Une ombre de colère ardente y passe, fugace. A présent que tu as pu constater par toi-même que je suis bien là, tu peux t’en retourner comme le bon petit soldat que tu es auprès de Titania.
- Je vais même faire mieux, je vais te ramener dans ta geôle.
- N’as-tu donc aucun regret Mab ?
- Ca suffit ! Stop les conneries ! S'interpose Cassandra. Elle se poste entre la fae et le draconien. Vous ne pouvez pas l'emmener.
- C'est un dragon. Il s'agit donc d'une affaire entre faes. J'ai tous les droits, rétorque Mab en posant pour la première fois les yeux sur la suceuse de sang.
- Faux ! Il tombe à moitié sous cette juridiction. Demandez à votre ambassadeur leshi si je me trompe ! déclare la vampire avec un aplomb qu'elle espère aussi royal que celui de son interlocutrice. De plus, en tant que derniersdragon, il est sous protection humaine, à l'instar de Neorvrim.

Cassandra laisse filer un silence.

- Je ne sais pas à quoi rime cette petite démonstration de force. Vous auriez pu aller à la pêche aux infos sans venir nous faire chier directement chez nous. Et elle insiste bien sur le possessif au pluriel. Urgèle, c'est votre frangine, non ? Elle aurait pu vous dire que le Bosquet a libéré Urdred de sa propre initiative. C'est la volonté de la Magie elle-même, si je suis vos préceptes. Et pour le reste, vous avez déjà un paquet d'espions dans cette forêt. Vous croyez que je ne les sens pas rôder ? Et sans ça, vos ambassadeurs ont déjà du faire un rapport. Alors, je repose ma question... Pourquoi êtes-vous ici ?
- Ton insolence n'a pas de limite, femelle.claque Mab avec un mépris souverain.

Cassandra a un petit ricanement et se tourne vers Urdred.

- Tu vois, elle, elle me trouve féminine ! fait-elle avec humour. En attendant, vous n'avez rien à foutre ici, "majesté. Cassez-vous.
- Il a tué mon garde.
- ... Qui m'a menacée. Simple légitime défense sur notre territoire. Vous voulez que j'en réfère à un des ambassadeurs humains pour qu'il vous mette le nez dans la merde ? ou j'appelle Sauvage ! Elle est sympa Sauvage. C'est votre nièce non ?

Mab pince les lèvres en signe de profonde irritation puis décide de passer outre la vampire pour taper là où elle sait qu'elle touchera.

- Tu dis que je me suis ramollie, mais regarde toi, fier prince dragon... Défendue par une manante de race inférieure car incapable de le faire seul.

- Je vais même faire mieux, je vais te ramener dans ta geôle.
J’ai un petit rire que j’aurais souhaité sardonique mais qui sort bien trop blessé même à mes oreilles.
- Plutôt mourir que de retourner là-dedans ! N’as-tu donc aucun regret Mab ?
- Ca suffit ! Stop les conneries ! Je contemple Sangsue avec surprise. Pourquoi se mêle-t-elle donc de cela ? Vous ne pouvez pas l'emmener.

Ah oui. Sa sainte mission que je suis devenu, malgré moi. Néanmoins ses efforts pour faire entendre raison à Mab restent admirables. Mon regard alterne entre Mab et la vampire. Moi aussi je me demande bien à quoi rime tout cela. Cette démonstration inutile de force, cette mise en scène étrange. Mab aurait eu mille occasions de me voir seul à seul, mais ça n’est pas ce qu’elle a choisi.

- Ton insolence n'a pas de limite, femelle.
Cette fois, mon rire est véritablement amusé.
- C’est exactement cela qui m’amuse. La question n’en reste pas moins pertinente. Tu n’as aucun droit ici et certainement pas de m’enfermer à nouveau pour un crime que ni toi ni moi n’avons commis.
- Tu vois, elle, elle me trouve féminine !
- Cela sera notre prochain sujet de dispute, je te le promets.
- En attendant, vous n'avez rien à foutre ici, "majesté. Cassez-vous.
- Il a tué mon garde.
- ... Qui m'a menacée.
- Je suis là, Mab. Tu peux me parler. Et il se trouve que ton garde était sur le point de bafoué nos accords. Je ne pouvais décemment pas le laisser faire.
- Simple légitime défense sur notre territoire. Vous voulez que j'en réfère à un des ambassadeurs humains pour qu'il vous mette le nez dans la merde ? ou j'appelle Sauvage ! Elle est sympa Sauvage. C'est votre nièce non ?

Enfin ! Enfin Mab réagit. Je connais se plissement de lèvre par cœur et mon stupide cœur s’en exalte.

- Tu dis que je me suis ramollie, mais regarde-toi, fier prince dragon... Défendue par une manante de race inférieure car incapable de le faire seul.
Le coup porte, inutile de le nier. Il porte même avec une précision redoutable et comme à chaque fois que je suis blessé, ma colère répond aussitôt. Mais un rien de raison me dicte de ne pas entrer dans ce jeu-là. Petit à petit, je détends mes muscles, décrispe ma mâchoire.
- C’est une attaque très peu subtile, Dame Mab. Te sens-tu acculée à ce point ? J’ai un sourire torve en posant ma main sur l’épaule de Sangsue. Cette… race inférieure a malgré tout conclut des accords d’égal à égal avec nos races, avec ta Reine. Que faut-il donc en conclure ma chère ?

Imperceptiblement je carre les épaules et lui jette un coup d’œil peu amène.
- Tu souhaites enterrer tout ce que nous avons vécu et vivre dans le déni ? Grand bien te fasse ! Mais tu ne peux nier que Cassandra a raison. La Magie, une force bien supérieure à Titania m’a libéré. Les dragons ne sont pas morts et pendant que vous vous refermez sur vous-même en chérissant les miettes de pouvoir qu’il vous reste, nous nous élèverons à nouveau, nous évoluerons pour survire ! Plus forts que nous ne l’avons jamais été. Je rebâtirais tout ce que vous avez détruit pierre par pierre et plus jamais nous ne servirons d’exemple de l’implacabilité de votre Reine. J’accomplirai ce que tu n’as jamais su faire : je sortirai de l’ombre de ma sœur. Alors oui… regarde-moi bien Mab.

A cet instant je ne saurais dire ce qu’il me prend mais je pense chaque mot prononcés. Je n’ai nullement conscience des écailles mordorés qui viennent de recouvrir mon front, mes pommettes et le coin de mes yeux.
Je ne le devrais sans doute pas, mais je tends la main à Mab, lui donne une dernière occasion de faire un choix.

- Il n’est pas trop tard, Mab… tu peux encore faire un choix pour toi…
... pour nous.

L'espace d'un instant, Cassandra craint qu'Urdred n'explose et que la scène dégénère en carnage. Pourtant, il se contient et -réaction parfaitement idiote- la vampire en éprouve de la fierté. Par contre, elle ne s'attendait pas du tout à cette grosse paluche sur son épaule, cette affirmation sans détour qu'elle a raison. Cela produit une drôle d'émotion qui lui chatouille l'intérieur des côtes. Elle aurait du l'enregistrer d'autant que cela fait deux fois qu'il l'appelle par son prénom complet.
Relevant le menton vers son colocataire draconique, elle aperçoit distinctement le miroitement de ses écailles sur ses pommettes hautes et son profil royal. Elle écarquille les yeux, subjuguée malgré elle.

Il est beau cet enfoiré !
C'est quoi ce festival de gens anormalement magnifiques ?!
Jamais elle ne lui avouera, cependant.
Plutôt crever une deuxième fois que de lui lustrer l'égo.

Mab non plus ne semble pas indifférente à cet éclat soudain de charisme conquérant. Son trouble est fugitif mais dragon comme vampire ont le temps de l'attraper au vol.

- Il n’est pas trop tard, Mab… tu peux encore faire un choix pour toi…

Les entrailles de Cassandra se nouent une nouvelle fois. Pas encore ça, pitié ! Où est ta fierté ? Cette main tendue, elle va te la piétiner, avec les tessons de coeur qu'il te reste. Le spectacle est insoutenable, et pourtant, la vampire ne peut détourner le regard. Celui de Mab glisse lentement de cette paume tendue à celle vissée à l'épaule de la suceuse de sang. Instinctivement, sans qu'elle n'en ait réellement conscience, Cassandra referme ses petits doigts froids sur ceux du dragon. Elle défie Mab de ses prunelles mordorées, malgré son insignifiance, malgré leurs différences... Elle défend la fae d'entraver le chemin qu'Urdred s'est fixé. Elle ne peut pas faire partie du tableau.

A moins que ce ne soit son égoïsme à elle qui s'exprime ?

Mab a une esquisse de sourire, vaguement plus chaleureux.

- J'ai choisi. J'aime mon mari.

Cassandra a alors une brutale épiphanie, tandis que la princesse et son escorte armée se retirent, emmenant le cadavre du garde-frelon avec eux : Mab a peur.
Elle a peur d'Urdred.
Elle a peur de retomber amoureuse de lui.

Pendant un bref, très bref instant, je sens son hésitation. Fut un temps, je la connaissais mieux que quiconque. Du moins, je le croyais.
M’attendais-je véritablement à ce qu’elle accepte ? Peut-être un peu, une partie de moi. Je suis surpris de sentir les doigts froids de Sangsue sur les miens. Mab sourit et ce traitre de cœur s’emballe, se dit déjà qu’il va la récupérer.
Mais cet élan d’enthousiasme est vite balayé.

- J'ai choisi. J'aime mon mari.

Je reste bêtement là, à la regarder partir, avec mes désillusions et mon cœur définitivement en miette, la main encore tendue.
Lentement, elle s’abaisse alors que je lutte en moi-même pour ne rien faire de stupide ou de déshonorant. J’aimerais me promettre solennellement qu’il s’agit de la dernière fois, la toute dernière fois que je me laisse aller à un tel sentimentalisme.
Je ferme les paupières un instant, baissant le menton en signe de défaite. Lorsque je le relève finalement, j’ai réussi à ravaler le plus gros de mon chagrin. Pour un temps. Je retire la paume qui se trouvait encore sur l’épaule de la vampire et que j’ai serré un peu plus fort comme pour y puiser du courage.

- Je crois qu’à présent, tout est très clair.
Et je suis un pur idiot.
- S’ils osent revenir pour te menacer, ça n’est pas qu’un garde qui finira embroché.
D’un geste du poignet, mon arme disparait.
- Bien ! Je crois qu’il va me falloir un verre. Ou deux. Et plusieurs dizaines d'autres ensuite.

Je n’ai aucune envie de croiser le regard de Sangsue, certain d’y découvrir une pitié dont je ne veux absolument pas. Je m’éloigne déjà à grandes enjambées vers la maison et fouille chaque placard pour y sortir toutes les bouteilles que je trouve et que j'aligne sur la table basse.
Oui, je compte bien me saouler jusqu’à ce que la douleur dans ma poitrine ne soit plus qu’un mauvais souvenir. Cela me parait un plan incroyable.

- Si tu as une cache secrète c’est le moment de me le dire !

Les doigts d'Urdred s'enfoncent dans l'épaule de Cassandra et, du haut de son petit mètre soixante-dix, elle gonfle les muscles pour de pas trembler. Elle sera l'appui indéfectible le temps du camouflet.
La pression finit par s'évaporer et son épaule demeure nue, esseulée, plus légère en apparence. Le poids s'est réparti ailleurs. La vampire observe son ami -oui, il l'est, même s'il ne se définit pas ainsi- tenter de fanfaronner, de virilement accueillir la rupture. Si la promesse de la protéger est plaisante, elle masque mal la déchirure. Elle sait combien l'espoir déçu peut foutre en miettes. Elle sait combien il est dur de faire le deuil de quelqu'un qui comptait plus que tout. Pour sa part, elle ne s'en est jamais vraiment remise, à défaut d'explications. Au moins, Urdred a eu droit à une "vraie" conclusion. Cassandra n'avait aucune opinion sur Mab avant de la rencontrer, à présent, elle la déteste.

Viscéralement.

La jeune femme contemple son colocataire qui retourne toute la maison à la recherche d'alcool. Il a déjà débusqué un pack de bières, du rhum, une bouteille de tuica entamée, et plusieurs d'hydromel berserker. La compagne du doc lui a fait don d'une bouteille de vin des cépages du haras - une exclusivité qu'elle conservait pour une quelconque occasion. Urdred ne tarde pas à mettre la main dessus et la pauvre malheureuse rejoint ses consœurs sur la table basse.

- Pas la peine de malmener tous ces pauvres placards...
- Si tu as une cache secrète c’est le moment de me le dire !
- Je suis insensible à l'alcool, tu te souviens ? Tu as mis la main sur tout ce qu'on avait en réserve...

Et qu'elle gardait pour lui.
Pour lui faire plaisir.
Pour rappeler les tavernes dont il était friand.
Cassandra lorgne sur la plaque de biscuits en forme de dragon qu'elle n'a pas eu le temps d'enfourner. Urdred ne l'a même pas remarquée.

Pourquoi je fais ça ?
A quoi ça sert, putain ?!

Il n'est pas en état de voir autre chose que sa propre douleur. L'amour rend aveugle qu'il soit présent ou perdu. Un peu de pâtisserie ne lui permettra pas d'encaisser ce nouveau coup dur. Consciencieusement, elle film la pâte et les petits dragons non-cuits pour les ranger au frigo.
Lorsqu'elle rejoint le Prince, il a déjà entamé sa beuverie. Cassandra attrape une bière qu'elle décapsule avec les dents et s'étale à ses côtés sur le canapé.

- Tu veux en parler... ? demande-t-elle avec douceur après un temps.

J’ai personnellement entamé la bouteille qui n’était descendu que d’un tiers à peu près. J’aime son goût puissant qui brûle ma gorge. Comme du feu si ce n’est que cela part dans l’autre sens d’ordinaire. Je regarde fixement devant moi et biberonne ce qui me permettra peut-être de prendre tout cela avec légèreté.

Sangsue vient s’assoir à côté de moi et je lui tends machinalement la bouteille.
- Prends plutôt de cela. Ta bière pour dragonneau ne vaut pas grand-chose.
Je déchiffre l’étiquette. Rhum. Le silence s’installe confortable. Affalé sur le canapé j’attends que l’alcool engourdisse tout.

- Tu veux en parler... ?
J’ai un gloussement bête. Ah ! Cela commence déjà un peu, certainement parce que j’appelle l’ivresse de tous mes vœux.
- Naaaan ! Pourquoi faire ? J’ai été un idiot par le passé, je suis un idiot aujourd’hui et je continuerai à être un idiot. C’est tout moi ! L’idiot de service, celui qui a propulsé les siens vers leurs chutes pour un être qui se fiche totalement de moi ! Pour une illusion … pourtant nous n’y sommes pas sensibles…

Nouvelle gorgée. Oh et puis allez ! Sa petite sœur pour qu’elle ne se sente pas seule !

- Quelle royale débâcle !
J’ai un nouveau rire en repassant la scène dans ma tête sans m’attarder sur les points sensibles.
- Tu aurais pu mettre ce garde au tapis toi-même… Je suis désolé pour… vague geste de la main… la brochette ! Cela aurait pu te causer des ennuis. A ce propos… merci de t’être interposée c’était… inattendu et … gentil.

J’avale encore de l’alcool. J’aimerai m’en imbiber. En attendant je réfléchis à voix haute.
- Je crois … que ta présence m’a aidé… à ne pas lui torde le cou.
Enfin je tourne la tête vers elle et accepte de croiser son regard.
- Toi aussi tu penses comme Mab, n’est-ce pas ? Que je suis pathétique et faible ?

- Prends plutôt de cela. Ta bière pour dragonneau ne vaut pas grand-chose.

Est-ce qu'elle lui dit que quelque soit le pourcentage d'alcool de la boisson elle ne peut pas être ivre ? Certes, elle sentira sans doute plus le gout que cette "eau pétillante" qui mousse. Alors, Cassandra se résigne à poser sa bière et accepte de boire au même goulot que son comparse.
Elle lui rend aussitôt.

- Tu veux en parler... ?

Ce rire dépité la peine. Il lui touille le ventre avec des aiguilles à tricoter.

- Naaaan ! Pourquoi faire ? J’ai été un idiot par le passé, je suis un idiot aujourd’hui et je continuerai à être un idiot. C’est tout moi ! L’idiot de service, celui qui a propulsé les siens vers leurs chutes pour un être qui se fiche totalement de moi ! Pour une illusion … pourtant nous n’y sommes pas sensibles…
- Tu n'es pas idiot... Bon, si ça t'arrive d'être un petit con, mais ce que je veux dire c'est que... Tu l'aimais et, vu ce dont j'ai été témoin aujourd'hui, je peux dire qu'elle aussi. Beaucoup. Il n'y a que les amoureux intenses qui savent se faire autant de mal.

Et les amis qui vous trahissent et vous tournent le dos...

- Quelle royale débâcle !

Cassandra ne trouve rien à ajouter à ce constat même si le terme "gâchis" serait plus juste. De son point de vue Urdred a été honnête, droit dans ses bottes et entier. Il s'est ouvert la poitrine et a mis son coeur sur la table, en dépit de son statut, en dépit de sa soeur, en dépit de l'univers entier et du bon sens qui va avec. On ne peut qu'admirer les êtres capables d'aimer avec autant de force et de sincérité. Cassandra n'a jamais été aimée de cette manière.

Ai-je seulement été aimée un jour ?

Mais ce n'est pas elle le sujet, ce soir, et sa souffrance est depuis longtemps un bruit de fond dont elle s'accommode.

- Tu aurais pu mettre ce garde au tapis toi-même…
- J'aurais pu, ouais. Je voulais juste pas que ça te retombe dessus.
- Je suis désolé pour… la brochette !

La vampire ponctue sa tirade d'un petit ricanement.

- Faut pas, ça m'a fait étrangement plaisir que tu veuilles me défendre. Et puis.... c'était marrant.

Elle boit une gorgée de rhum. Nouvel échange de bouteille.

- Cela aurait pu te causer des ennuis.
- Plus que moi exhortant une princesse à foutre le camp de mon jardin ?
- A ce propos… merci de t’être interposée c’était… inattendu et … gentil.
- Mais je suis une nana gentille ! T'avais pas remarqué ? fait-elle avec un sourire en coin.
- Je crois … que ta présence m’a aidé… à ne pas lui tordre le cou.
- Là on aurait eu de sacrés ennuis ! Mais on sait tous les deux que tu ne l'aurais pas fait. Tu voulais juste... essayer de la toucher.

Ca l'avait atteint elle, en ricochet.

- Toi aussi tu penses comme Mab, n’est-ce pas ? Que je suis pathétique et faible ?

Urdred accepte de soutenir son regard pour la première fois depuis que la délégation de fées est partie.

- Non ! claque-t-elle fermement. Jamais je n'ai pensé ça, pas une seule seconde. Elle prend son visage entre ses paumes pour l'empêcher de se dérober. Tu m'entends, Urdred ? Tu n'es ni faible, ni pathétique. Tu es simplement blessé, déçu et triste... Et c'est tout à fait normal. Tu l'aimes toujours et tu espérais qu'elle aussi. Il n'y a aucune honte à aimer avec autant d'acharnement ! C'est même... Impressionnant, je dirais. Mais tu lui as tenu tête, tu es resté digne et j'estime qu'il faut beaucoup de force pour y parvenir sans s'effondrer.... Et puis...

Ses pouces caressent tendrement ses pommettes saillantes. Sous ses airs de grand guerrier au visage taillé dans le marbre, il semble aussi perdu qu'un enfant. Un enfant dont on a flingué l'innocence.

- J'ai vu tes écailles briller sur ta peau... De vraies écailles de dragon! Tu étais habité par le discours que tu lui as tenu. Je sais que c'est Mab que tu as pris à témoin, et tu voudrais qu'elle parvienne à te voir, mais il n'y a pas qu'elle qui te regarde ! Un silence. Pour ce que ça vaut, moi je te vois. Sourire encourageant. Ok ?

- Je crois … que ta présence m’a aidé… à ne pas lui tordre le cou.
- Là on aurait eu de sacrés ennuis !
- Oh si peu !
- Mais on sait tous les deux que tu ne l'aurais pas fait. Tu voulais juste... essayer de la toucher.
Je me perds dans la contemplation de la bouteille.
- J’ai essayé oui… elle n’était pas ainsi, jadis. Elle… souriait. Elle avait de l’humeur. J’aimais son rire…

Je grimace. Me revoilà en train de m’appesantir sur le passé. Sangsue pense qu’elle m’a aimé ? Je n’en suis même plus certain à présent. J’aurais très bien pu être le dindon d’une farce particulièrement savoureuse. Je n’aurais rien vu. Je n’ai pas ce genre de méfiance là lorsque mes sentiments parlent.
Finalement, je pose la question qui tourne et tourne inlassablement dans ma tête.

- Toi aussi tu penses comme Mab, n’est-ce pas ? Que je suis pathétique et faible ?
- Non ! Jamais je n'ai pensé ça, pas une seule seconde.
- Ca n’est pas beau de mentir…
Ses mains encerclent mon visage et me voilà contrait de fixer son regard étrangement changeant avec la lumière.
- Tu m'entends, Urdred ?
Je hoche simplement la tête.
- Tu n'es ni faible, ni pathétique. Tu es simplement blessé, déçu et triste... Et c'est tout à fait normal. Tu l'aimes toujours et tu espérais qu'elle aussi. Mon front se plisse soudain et je contracte mes mâchoires. Il n'y a aucune honte à aimer avec autant d'acharnement !
- Pas lorsque l’on est le seul à s’acharner.
- C'est même... Impressionnant, je dirais. Mais tu lui as tenu tête, tu es resté digne et j'estime qu'il faut beaucoup de force pour y parvenir sans s'effondrer....
J’ai un faible sourire.
- Je ne me suis pas senti très… digne. J’étais à deux doigts de la supplier à genoux, j’avoue dans un souffle.
- Et puis...

Elle a une drôle d’expression alors et je reste suspendu à ses lèvres. Je me fais la réflexion étrange que cela me plait de me dire que Mab n’aura pas eu mon premier baiser. Et qu’elle passe très clairement à côté de quelque chose avec sa perfection de mari.

- J'ai vu tes écailles briller sur ta peau...
- Des écailles ? je répète, éberlué.
- De vraies écailles de dragon ! Tu étais habité par le discours que tu lui as tenu. Je sais que c'est Mab que tu as pris à témoin, et tu voudrais qu'elle parvienne à te voir, mais il n'y a pas qu'elle qui te regarde !
J’ai un sourire plus large. Des écailles ! Mes écailles !!!
- Qui d’autres alors ? je demande pour la taquiner.
- Pour ce que ça vaut, moi je te vois. Ok ?
Je recouvre ses mains des miennes et les serre. Ce peut-il que la solution soit là ? Quelle était là depuis le début ?
- Alors regarde-moi, toi aussi. Parce que je vais récupérer tout ce qu’on m’a retiré. Ça n’était pas des paroles en l’air. Et au passage je vais rafler une couronne !

Une bouffée incongrue de gratitude me prend soudain – l’alcool, c’est sans doute lui le responsable – mais comme je ne suis jamais très doué pour l’exprimer je tente autre chose.

- Ne dis rien.
J’avance mon visage et pose mon front contre le sien. Quelques secondes pas plus. Sans doute ne comprendra-t-elle pas mais peu importe.
- Demain je conquiers le monde…  mais ce soir je bois !
Je recule et reprends cette fois plusieurs gorgées de mon breuvage magique.
- C’est vraiment bon, ce rhu-rhum ! Elles étaient de quelle couleur ? Les écailles que tu as vu ? Je m’affale royalement dans le canapé et touche ma peau, dans l'espoir de les sentir. Je lâche un nouveau gloussement. Dommage pour Mab, elle aurait pu avoir un roi, mais elle va se contenter du valet qui ne l’aime même pas ! Etes-vous aussi foutrement dramatique dans vos relations ? Je suis certain que oui, si j’en crois toutes les émotions foutraques que je me récupère depuis mon réveil.

L'alcool débloque chez le Prince Trouduc des réactions déconcertantes. Cassandra se demande s'il faut s'inquiéter de cette soudaine propension à la gentillesse. Elle ne doit pas s'y habituer, mais c'est tout de même plaisant.

- Alors regarde-moi, toi aussi. Parce que je vais récupérer tout ce qu’on m’a retiré. Ça n’était pas des paroles en l’air. Et au passage je vais rafler une couronne !
- Ha bah.. ok ! Banco ! Je ne te lâche pas des yeux.

Elle glousse à son tour. Il est mignon quand il est imbibé comme un baba... au rhum.
Urdred approche dangereusement son visage du sien. Si le coeur de la vampire pouvait encore battre, il aurait sans doute raté une mesure.

- Qu.... Qu'est-ce que tu fais ?
- Ne dis rien.

Il ne va pas l'embrasser tout de même... ? Pas que cela lui déplaise, mais elle a peur de déraper comme la première fois. Et il savent tous deux quels effets ont son sang a sur elle. Elle ne bouge pas, un peu troublée, perplexe, louchant sur l'arrête du nez du dragon alors que son front épouse le sien. C'est la première fois qu'il initie un geste aussi tendre envers elle.
N'est ce pas celui qu'il a esquissé envers Mab tout à l'heure ?
Cela signifie forcément quelque chose d'important.

Arrête d'imaginer que tu peux l'être, Cass...

L'interlude est déjà terminée. Il a cessé de la toucher et même de lui retenir les mains. La vampire récupère ses doigts sans trop savoir qu'en faire.

- Demain je conquiers le monde…  mais ce soir je bois !
- C'est ça, murge-toi !
- C’est vraiment bon, ce rhu-rhum !

S'il commence à trébucher sur certaines syllabes, ils vont être vite rendus !

- On va rigoler demain au réveille ! S'amuse-t-elle. Tu devais être un sacré client pour les tavernes de ton époque ...
- Elles étaient de quelle couleur ?
- De quoi ?
- Les écailles que tu as vu ?
- Dorées, répond la vampire. Plusieurs nuances de dorés en fait, selon la lumière...Un peu comme ses propres prunelles, d'une certaine manière, maintenant qu'elle y réfléchit. C'était les couleurs de tes écailles à l'origine ?
- Dommage pour Mab, elle aurait pu avoir un roi, mais elle va se contenter du valet qui ne l’aime même pas !

Terrain glissant.
Cassandra ne se hasarde pas à lui préciser qu'elle l'aime peut-être vraiment, cet Obéron. Plusieurs siècles se sont écoulés et Urdred ignore ce qui a pu cimenter cette union. Parfois, deux cœurs brisés soignent mutuellement leurs plaies au point de finir par réellement s'affectionner. Elle ne présume plus de rien. L'amour revêt plusieurs formes et parfois le plus passionné ne s'avère pas le plus solide.

- Etes-vous aussi foutrement dramatique dans vos relations ?

Cassandra éclate de rire pour toute réponse. Un rire solaire et franc qui dénoue toutes les tensions accumulées.

- Je suis certain que oui, si j’en crois toutes les émotions foutraques que je me récupère depuis mon réveil.
- Tu n'a pas idée ! soupire-t-elle en se rencognant dans le canapé, remontant ses genoux contre elle. On en fait des poèmes ! Des romans, des films, des chansons... C'est LE truc qui nous anime, la manière dont on se lie aux autres. Toutes les histoires se ressemblent et pourtant aucune n'est racontées de la même façon. Il y a autant d'alchimies possibles que de combinaisons entre les gens. Parfois ça marche, et parfois pas. Parfois l'amour fait tout, et d'autre il ne suffit pas...Mais ça fait aussi la beauté du truc : on se questionne, on cherche, on lutte, on se séduit, on se perd de vue, on se rattrape, on merde salement, on se déchire, on se bat, on se résigne, on souffre, on est heureux si on a de la chance...... Un sacré bordel.

Cassandra boit une gorgée de rhum, le regard perdu au loin.

- L'amour romantique, passionnel, interdit... comme tu l'as vécu, c'est rare, tu sais ? Même si ça te parait insupportable d'y penser positivement aujourd'hui, un jour, tu y songera avec nostalgie, comme une expérience que tu as eu la chance d'avoir. Tout le monde ne l'a pas...

- On va rigoler demain au réveil !
- J’en doute, mais je rigole maintenant, ça… ça compense ! Et puis tu en paieras les frais avec moi, ma serviable petite Sangsue !
- Tu devais être un sacré client pour les tavernes de ton époque ...
- Tu n’as pas idée ! Les patrons m’adoraient ! Mais l’alcool a de drôles d’effets sur les dragons. Une toux après et c’était l’incendie garanti… mais cela faisait partie du jeu ! Je passe soudain du coq à l’âne. Elles étaient de quelle couleur ?
- De quoi ?
- Les écailles que tu as vu ?
- Dorées. Plusieurs nuances de dorés en fait, selon la lumière... C'était les couleurs de tes écailles à l'origine ?
J’aime beaucoup cette réponse et elle me fait sourire jusqu’aux oreilles. Un sourire conquérant. Elles sont toujours là. C’est simplement que je ne comprends pas encore vraiment ce qui les retient de sortir.
- Oui… je suis doré. Enfin brun-doré, tout dépend de la lumière effectivement. C’étaient les miennes… mes écailles. Et mon feu est bleu. C’est un truc de famille…. Dommage pour Mab, elle aurait pu avoir un roi, mais elle va se contenter du valet qui ne l’aime même pas ! Etes-vous aussi foutrement dramatique dans vos relations ?

Je ris avec elle sans savoir exactement pourquoi. Elle a un rire communicatif. Je porte la bouteille à ma bouche et … oh non… elle est déjà finie ! Ma moue de désespoir est poignante. Je me console entre le verre d’une autre. Tui-machin chose.

- Je suis certain que oui, si j’en crois toutes les émotions foutraques que je me récupère depuis mon réveil.
- Tu n'as pas idée ! On en fait des poèmes ! Des romans, des films, des chansons... C'est LE truc qui nous anime, la manière dont on se lie aux autres.
Je l’écoute parler de tout cela, profondément horrifié. Quelle perte d’énergie et de temps !
- L’amour qui ne suffit pas … moui je crois en savoir quelque chose. Lourd soupir. Je n’ai jamais vu cela de mes propres yeux. Je veux dire… le bonheur total entre deux êtres. L’amour n’était pas une donnée que les dragons prenaient en compte. Cela devait arriver, mais l’important c’était la procréation. Et je comprends pourquoi c’était préférable de se concentrer là-dessus. Cela fait… horriblement mal. A rendre fou…
- L'amour romantique, passionnel, interdit... comme tu l'as vécu, c'est rare, tu sais ?
- Je ne sais même pas si cela en était Cass…
- Même si ça te parait insupportable d'y penser positivement aujourd'hui, un jour, tu y songeras avec nostalgie, comme une expérience que tu as eu la chance d'avoir. Tout le monde ne l'a pas...
- De la chance… je répète avec un peu d’amertume que je fais passer avec de la Tuitui. Je la laisse volontiers aux autres. Il semblerait qu’un autre destin m’attende. Sans compter les nombreux dragons que je dois engendrer ! je conclue avec un sourire moqueur.

Je me tourne soudain vers la vampire… beaucoup trop vite. J’ai aussi bu bien trop vite. Je lui tends la bouteille avant de lui demander.
- Bon… et ton histoire tragique à toi ? Je ne parle pas de ta sœur et ta mère… allllllleeeeeez ne me laisse pas patauger seul dans mes sentiments morts !

- ... Je n’ai jamais vu cela de mes propres yeux. Je veux dire… le bonheur total entre deux êtres.
- Pourtant tu as Neo et Gi-Ja  sous les yeux tous les jours ! se marre Cassandra.
- L’amour n’était pas une donnée que les dragons prenaient en compte. Cela devait arriver, mais l’important c’était la procréation. Et je comprends pourquoi c’était préférable de se concentrer là-dessus. Cela fait… horriblement mal. A rendre fou…
- Je sais.... Mais ça recèle aussi une part de beauté et d'exaltation inégalable. L'amour romantique, passionnel, interdit... comme tu l'as vécu, c'est rare, tu sais ?
- Je ne sais même pas si cela en était Cass…
- Bien sûr que si ! Même si ça te parait insupportable d'y penser positivement aujourd'hui, un jour, tu y songeras avec nostalgie, comme une expérience que tu as eu la chance d'avoir. Tout le monde ne l'a pas...
- De la chance… Je la laisse volontiers aux autres. Il semblerait qu’un autre destin m’attende. Sans compter les nombreux dragons que je dois engendrer !
- Le destin d'une nation repose sur tes couilles ! ... Et puis on tombe plusieurs fois amoureux dans une vie. Ca t'arrivera surement, je ne m'angoisse pas sur le sujet.

Cassandra manque de sursauter et lui prend la bouteille des mains, porte un toast et boit une gorgée.

- Bon… et ton histoire tragique à toi ? Je ne parle pas de ta sœur et ta mère… allllllleeeeeez ne me laisse pas patauger seul dans mes sentiments morts !
- Ah...

La vampire se passe une main dans les cheveux, mal à l'aise. Rien que d'y penser c'est encore douloureux, alors en parler...

- Je te préviens, c'est minable comme histoire... Comme elle, du reste. Je t'ai dit, j'ai été en couple plusieurs fois, mais... Elle marque une pause, indécise sur la manière d'aborder son récit... J'ai la fâcheuse habitude de choisir des gens qui sont non seulement pas disponibles mais également mauvais pour moi. Elle lui adresse un faible sourire, malheureux. Je ne sais pas voir quand quelqu'un tient à moi sincèrement et sainement...

Nouveau silence.

- Si j'ai basculé du côté des gens pas recommandables, c'est en grande partie parce que je voulais qu'il me voit. Et il m'a vue. Il ne s'est jamais rien passé de romantique ou sexuel... Seulement c'est le seul gars qui me donnait l'impression d'être une personne à part entière, et pas une pâle "copie de". Je l'ai aidé à bâtir son empire criminel. J'ai appris à concocter de la drogue pour lui, j'ai menacé pour lui, j'ai même tué... Sans état d'âme. Parce qu'il me subjuguait à un point que s' il me commandait d'aller m'ouvrir les veines, je l'aurais fait sans la moindre hésitation. Il était toute ma vie. Toute mes relations amoureuses me paraissaient fades en comparaison au sentiment d'être exceptionnelle à ses yeux... Je suis passée à côté de gens biens comme ça. Ma dernière copine avant que je fasse de la prison, c'était une nana géniale. Elle s'appelait Imany : canon, intelligente, une artiste... J'étais bien avec elle. Je sentais que ça pouvait durer... Elle m'acceptait comme j'étais. On a même parlé d'avoir un enfant ensemble. Mais petit à petit l'influence de... De Jim... Le prénom a eu du mal à franchir ses lèvres... a finit par grignoter notre couple. J'étais tellement endoctrinée que je ne parvenais pas à comprendre à quel point je la faisais souffrir. Et puis j'ai fait de la taule. Je ne sais toujours pas qui m'a balancée, mais il y a de grande chance que ce soit lui qui ait voulu se débarrasser de moi. J'étais devenue encombrante... Silence douloureux. J'ai tenue le temps de mon incarcération en me disant qu'en sortant, je retrouverais Imany pour m'excuser et, peut-être, si elle le voulait, reprendre à zéro avec elle.

Long silence.
Cassandra tourne son visage vers Urdred. Son expression est poignante. Le hérisson dans sa gorge rend son élocution difficile, malheureusement, elle n'a plus de larmes à pleurer.

- Elle avait refait sa vie et était devenue maman comme elle l'avait toujours voulu. Quand à Jim, il n'est jamais venu me voir en prison, ni me retrouver à la sortie. Il m'a abandonnée sans la moindre justification. Et je sais... Je sais que s'il reparaissait demain devant ma face, je serais capable de lui pardonner en oubliant tout....Voilà. Ricanement dissonant, mélancolique. C'est le genre d'amoureuse que je suis. Tu vois, c'est ça être vraiment faible et pathétique.

Elle détourne le regard, se penche vers une des bouteilles d'hydromel et la débouche. Elle en boit une rasade et lui tend.

- A la tienne.

Je la contemple avec une incompréhension totale.

Je ne sais pas trop ce qu’il m’a pris de lui poser la question. Parce que je ne sais pas absolument pas comment réagir à ce genre de confession.
Je n’ai aucune compétence requise pour remonter le moral de qui que ce soit, encore moi pour compatir à une histoire que je ne comprends pas. D’autant moins lorsque je suis éméché comme je commence à l’être bien gentiment.

Je garde un instant le silence puis résume :
- Donc… tu as fichu par terre une possibilité de vie heureuse et satisfaisante pour toi contre… l’estime d’un homme qui n’a fait que t’utiliser ?

Cela me parait… parfaitement aberrant. Je pointe un doigt vers elle.
- Vous, dame Sangsue, vous avez effectivement un GROS problème. De plus, tu ne sembles pas apprendre de tes erreurs ! Regarde toi ! Regarde moi !

J’attrape la bouteille exceptionnellement lestement et en bois rapidement une gorgée.

- Tu penses ne pas t’accrocher aux bonnes personnes et je ne peux qu’approuver. Plutôt que de te mêler à des gens normaux, des gens capables de … d’être humain, tu restes boire avec moi ! Je secoue la tête et décide que finalement ça n’était pas une très bonne idée de l'agiter de cette façon. Tu es… quelqu’un de bien. Oui je sais blablabla, tu as fais des choses horribles… j’ai une grimace pour appuyer à quel point tout cela est d’un ennui mortel. Je te parle de celle que tu es aujourd’hui. Tu vas devoir apprendre à être moins regardante sur ton passé, tu sais. Avec une vie comme la tienne qui risque de durer, c’est même primordial. Bref, tu mérites une autre… je claque des doigts, le nom de sa femelle m’échappe… I-je-ne-sais-plus-quoi, pas d’autres Jim . J’ai un petit sourire. Et on sait tous les deux vers quel profil je me situe. Exception faite que je ne te trahirai certainement pas pour te mettre en cage. Pas avant d’avoir goûté les gâteaux que tu as préparé. Et s’ils sont approuvés, jamais en fait.

Le silence qui accueille son déballage intime a quelque chose de mortifiant. Cassandra n'a même pas envie de jeter un oeil aux réactions du dragon qui doivent osciller entre ennui profond et mépris.

- Donc… tu as fichu par terre une possibilité de vie heureuse et satisfaisante pour toi contre… l’estime d’un homme qui n’a fait que t’utiliser ?

Grimace.
Fidèle à lui-même, Urdred ne s'embarrasse pas de rondeur et de ménagement. Je n'aurais jamais du lui répondre.

- Ouep. C'est bien résumé.
- Vous, dame Sangsue, vous avez effectivement un GROS problème. De plus, tu ne sembles pas apprendre de tes erreurs ! Regarde toi ! Regarde moi !

Cassandra louche sur son index avec des yeux ronds et se sent déraper sans prévenir ver un incontrôlable fou-rire. Urdred, patinant toujours sur ses mots entre vérités brutales et tentatives maladroites de considération, continue son baragouinage aviné. La  vampire se laisse choir, front contre son épaule, parfaitement hilare.

- T'es trop nul comme ami... Elle redresse la tête, menton sur son épaule, avec un large sourire...mais j'apprécie que t'essaies. J'aime bien quand tu t'inquiètes pour moi.

Elle se hisse jusqu'à sa joue et y dépose un baiser léger. Elle lui chippe la bouteille et y boit une gorgée au goulot.

- Bref, tu mérites une autre… I-je-ne-sais-plus-quoi...
- Imany.
- Pas d’autres Jim.
- Non... Non, personne n'en a besoin.
- Et on sait tous les deux vers quel profil je me situe.

Cassandra pose sur lui un regard intense.
Il est insupportable, puérile, capricieux et mufle. Pourtant, il ne lui a jamais menti. Il ne l'a jamais trahie non plus. Il ne l'utilise pas plus, c'est plutôt elle qui lui impose son aide. En vérité, il a été parfaitement honnête de bout en bout. A sa manière, pétrie de mauvaise fois et d'actes détournés, il s'intéresse à son bien être tant physique que mental.

- Exception faite que je ne te trahirai certainement pas pour te mettre en cage. Pas avant d’avoir goûté les gâteaux que tu as préparé. Et s’ils sont approuvés, jamais en fait.
- Oh.. Tu les as remarqués ? Je pensais que tu n'avais pas fait attention. Tu étais bien trop occupé à défoncer les placards pour trouver de la tise ! Elle le toise avec un sourire en coin et un haussement de sourcil provocateur. Si tu es gentil, je consens à aller cuir la première fournée... Parce que contrairement à ce que tu veux faire croire à l'univers, tu n'es pas réellement un connard, Urdred. Toi aussi tu es quelqu'un de bien...

Tu n'as rien en commun avec Jim.

- T'es trop nul comme ami...
- Exactement ! Je plussoie sans comprendre en quoi la chose est drôle et prête à sourire. C’est bien ce que je me tue à te dire.
Je la dévisage, l’air scrutateur puis enfonce malhabilement mon doigt à la commissure de ses lèvres retroussées.
- Alors pourquoi souris-tu ? Plus je bois et moins ce que tu fais a de sens…
- … mais j'apprécie que t'essaies. J'aime bien quand tu t'inquiètes pour moi.
- Je…

Perds mes mots, l’air renfrogné alors qu’elle… presse ses lèvres contre ma joue. Je crois que je vais définitivement arrêter de trouver un sens aux actions des femelles de façon plus globale. Que cela soit Mab ou bien Sangsue. Pendant un bref instant, je comprends le choix de Neorvrim… avant de me rappeler que non et de re-grimacer.  

- Bref, tu mérites une autre… I-je-ne-sais-plus-quoi...
- Imany.
- Quel nom bizarre ! … Oui donc elle, pas d’autres Jim.
- Non... Non, personne n'en a besoin.
J’ai un ricanement.
- J’ai personnellement un ou deux noms en tête. Et on sait tous les deux vers quel profil je me situe.

On se regarde dans le blanc des yeux un moment et je me demande ce qu’elle cherche exactement. La réponse est évidente. Je me dois tout de même de faire une précision qui me semble tout à fait cruciale alors que reprend une goulée.

- Exception faite que je ne te trahirai certainement pas pour te mettre en cage. Pas avant d’avoir goûté les gâteaux que tu as préparé. Et s’ils sont approuvés, jamais en fait.
- Oh.. Tu les as remarqués ?
- Evidemment. Tes lézards ont une drôle de têtes cela dit.
- Je pensais que tu n'avais pas fait attention. Tu étais bien trop occupé à défoncer les placards pour trouver de la tise !
- Je l’étais oui. Ca n’est pas parce que je ne relève pas tout que je ne vois rien. Je plisse les yeux et tapote ma pommette en-dessous. Les yeux d’un cha… chasseur !
- Si tu es gentil, je consens à aller cuir la première fournée... Parce que contrairement à ce que tu veux faire croire à l'univers, tu n'es pas réellement un connard, Urdred.
Parfaitement indigné je croise le bras.
- Comment cela ? Je te prie de ne pas m’insulter !
Ou alors est-ce l’inverse… ? Mmmm… à méditer.
- Toi aussi tu es quelqu'un de bien...
Je ne dis rien pendant un instant puis lui fait un clin d’œil en posant mon index contre mes lèvres.
- Tu as le droit d’y croire. C’est juste l’alcool qui te rend gentil ! Non pardon… qui me rend gentil… mais on sait bien que je préfère faire mal si je le peux.
J’attrape la bouteille et décide de me lever sur un coup de tête. Je tangue un peu mais avec une certaine grâce et glousse bêtement.
- C’est très différent avec ce corps ! Bon puisque tu ne veux pas me faire mes gâteaux, c’est moi qui vais les cuire ! Je me déresponsabilise de tout incident… je lance par-dessus mon épaule en « marchant » vers la cuisine.

Cassandra l'observe s'insurger contre cette affreuse assertion : lui un gentil dragon ? Que nenni ! C'est un scandale ! Définitivement, l'alcool fait de lui un pitre. Elle espère simplement que le vague à l'âme ne reviendra pas trop vite.

- Tu as le droit d’y croire.
- Hein hein...
- C’est juste l’alcool qui te rend gentil !
- Vouivouivoui... fait-elle en hochant la tête, et en se retenant de rire.
- Non pardon… qui me rend gentil… mais on sait bien que je préfère faire mal si je le peux.
- Non, c'est faux. C'est le seul moyen que tu avais de te démarquer. C'est devenu ton reflexe de survie au point que tu arrives à te persuader d'avoir une mauvaise nature. Mais c'est pas vrai. Enfin je ne vois pas pourquoi j'en débats alors que t'es complétement pochtronné... Qu'est-ce que tu fais là, au juste ? demande-t-elle en le regardant se lever en vacillant.
- C’est très différent avec ce corps !
- C'est juste parce que tu t'es enfilé une bouteille de rhum à toi tout seul, gros malin. Mais ça ne répond pas à ma question !
- Bon puisque tu ne veux pas me faire mes gâteaux, c’est moi qui vais les cuire !
- Hein ?! Mais tu ne sais même pas comment marche le four !
- Je me déresponsabilise de tout incident…
- Urdred !

Cassandra se lève dans la précipitation.

- Reviens ici tout de suite ! grogne-t-elle en le ceinturant. Je refuse que tu me brûles mes sablés !

Après une poignée de secondes à se débattre, l'un pour avancer, l'autre pour le retenir, leur équilibre décide de se faire la malle. Les deux compères se vautrent sans grâce sur le parquet.

- P'tain c'que t'es lourd ! gémit la vampire, écrasé sous le poids du dragon ivrogne.

- Reviens ici tout de suite ! Je regarde ces bras qui cerclent ma taille mais il en faut plus pour arrêter ma détermination à manger et je continue d’avancer.
- Je refuse que tu me brûles mes sablés !
- Je ne peux plus brûler ! Je ne suis plus un vrai dragon, je rétorque comme si c’était parfaitement logique.

Brusquement je ne sais pas vraiment ce qui se passe. A un moment je suis encore sur mes pieds. L’autre non. Et dire que j’avais réussi à rester debout jusque-là… quel gâchis !

- P'tain c'que t'es lourd !
- Merci ! Par contre toi tu es dure de partout ! Je crois que je me suis fais mal en atterrissant sur toi…  Je tâte pour retrouver le sol de mes mains et trouve autre chose. Ah non, autant pour moi, y’a des zones plus molles… à peine !
Elle s’agite encore plus après cela et moi et ma race évitons de justesse la catastrophe.
- Doucement avec ton genou ! Tu as failli éradiquer des générations et des générations de dragons là !

Avec un exceptionnel non sens de coordination, nous arrivons à nous empêcher de bouger mutuellement et je sens quelque chose me chatouiller vaguement le colonne.

- Stop ! Arrête de gigoter ! Cela ressemble un peu trop à une proie qui se débat et crois-moi tu n’as absolument pas envie d’éveiller ce genre de… de stimulation…

Enfin, je parviens à me décaler et retombe lourdement sur le dos avec un soupir.
- Pourquoi ne vas-tu jamais dans mon sens ? Ca n’était pas plus simple de me proposer de les cuire… ou de m’apprendre à le faire ?

J’observe le plafond, si proche. Toute cette maison est si petite, si minuscule.

- Je ne pouvais pas supporter le palais du temps où il existait et aujourd’hui il me manque.

Je ne sais pas si c’est mon cerveau embrumé qui me fait soudain voir ma suite ou si c’est mon pouvoir qui s’est activé sans que je ne le veuille mais j’observe soudain une fresque de la cité des dragons, allongé sur un lit immense, la pièce illuminée de soleil par les gigantesques fenêtres. Là, le bureau où j’ai écrit tant et tant de lettres, la plupart pour Mab.
- Je lui ai composé des poèmes,  je lâche soudain, parfaitement hors contexte. Très mauvais. Juste parce que je savais que cela la ferait rire. J’ai essayé… d’être digne d’elle. Et j’ai échoué.

Je déglutis puis tourne lentement la tête vers Sangsue.
- La prochaine fois que tu trouves ta I...  froncement de sourcils... ta princesse au nom bizarre, ne la laisse plus partir. Je peux avoir tes gâteaux, maintenant ? S’il te plait.

- Merci ! Par contre toi tu es dure de partout ! Je crois que je me suis fais mal en atterrissant sur toi…
- Va chier, Trouduc !
- Ah non, autant pour moi, y’a des zones plus molles… à peine !
- Mais tu vas arrêter de me peloter les nibards, là !

Cassandra déteste l'effet que cela produit chez elle : le frisson qui frétille dans son bas ventre, les prémisses d'excitation... Elle essaie de se dépêtrer de lui mais il a décidé, comme d'habitude, de lui compliquer la tâche. Son genoux a le malheur de frôler son entrejambe et ses yeux s'écarquillent de stupeur.

- Doucement avec ton genou ! Tu as failli éradiquer des générations et des générations de dragons là !
- Je rêve où t'as la trique !?
- Stop ! Arrête de gigoter ! Cela ressemble un peu trop à une proie qui se débat et crois-moi tu n’as absolument pas envie d’éveiller ce genre de… de stimulation…
- C'est ça ! N'importe quelle excuse plutôt que d'assumer que tu bandes pour la sangsue trop musclée...

Elle lui bourrade les côtes pour qu'il se motive enfin à rouler sur le côté. Ils sont là, allongés sur le dos, comme deux épaves échouées.

- Pourquoi ne vas-tu jamais dans mon sens ?
- C'est toi qui ne va jamais dans le mien !
- Ca n’était pas plus simple de me proposer de les cuire… ou de m’apprendre à le faire ?
- Tu te fous de moi ? Elle ricane. Faut toujours que tu me la joues à l'envers... Tu ne m'a jamais demandé de t'apprendre quoi que ce ça ! Sinon je me serais faite un plaisir de te montrer. Tu aurais pu tout simplement commencer par être gentil au lieu de vouloir brusquement te mettre à la pâtisserie tout seul !
- Je ne pouvais pas supporter le palais du temps où il existait et aujourd’hui il me manque, lâche-t-il de but en blanc.

Cassandra s'apprête à rétorquer qu'elle ne voit pas le rapport quand le mobilier semble devenir flou et changer d'apparence.

- Urdred... ? s'enquiert-elle avec une note d'anxiété qui s'étiole face à la magnificence du décor.
- Je lui ai composé des poèmes....

La vampire met quelques secondes à retrouver le contexte d'une telle tirade. Mab, évidement. Le grand amour de ce couillon.

- Très mauvais. Juste parce que je savais que cela la ferait rire. J’ai essayé… d’être digne d’elle. Et j’ai échoué.

Silence. La suceuse de sang fixe les volutes d'illusion qui se dissipent déjà.

- Tu ne t'es jamais dit que, peut-être, c'était elle qui n'était pas digne de toi ? fait-elle en tournant la tête vers lui.
- La prochaine fois que tu trouves ta I...... ta princesse au nom bizarre, ne la laisse plus partir.
- Qui te dit que ce ne sera pas un prince... lui souffle-t-elle sans le quitter des yeux.
- Je peux avoir tes gâteaux, maintenant ? S’il te plait.

La vampire s'ébroue d'un petit rire et se redresse d'un bond souple. Elle lui tend une main secourable pour l'aider à se relever.

- Allez, viens... Je vais plutôt te montrer comment marche le four, ça pourra toujours te servir.

Dans la cuisine, après avoir défilmé la seule plaque de biscuits qu'elle ait eu le temps de composer avant le débarquement de Mab, elle lui montre les mécanismes du four. Elle n'est pas certaine qu'il en retienne quoi que ce soit, imbibé qu'il est, mais c'est toujours ça pour l'occuper. S'armant d'un rouleau à pâtisserie et d'un pot de farine, elle investit la table.

- Tu sais qu'il ne vont pas être prêts tout de suite, hein ? dit-elle en étalant la pâte au rouleau. Il va falloir que je les moule et que je les cuise avant que tu les bouffes...

Elle lui poke le nez avec de la farine en souriant.

- Tu veux essayer ? fait-elle en agitant l'emporte-pièce devant lui.

Elle me montre des machins, des bidules sur lesquels appuyer… honnêtement, je ne suis pas certain que mon cerveau aviné ait retenu quoique ce soit, mais je hoche la tête consciencieusement comme si c’était le cas. Et puis je ne fais plus aucun effort et me contente d’afficher un sourire qui indique clairement qu’elle pourrait me parler de sa « chimie » que cela serait pareil pour moi.
Ce qui m’intéresse c’est ce qui se trouve dans le fort. Fourme. FOUR !

Je fais le pied de grue devant la vitre me sentant très à l’aise devant cette chaleur réconfortante.
- Tes lézards ont la tête qui gonfle, c’est normal ? Qu'y a-t-il dedans ? Du chocolat ? Non mieux de la cannelle ?

La pâtisserie met à rude épreuve ma patience.

- Tu sais qu'ils ne vont pas être prêts tout de suite, hein ! Il va falloir que je les moule et que je les cuise avant que tu les bouffes...
Je balaie son doigt comme si c’était une mouche agaçante. C’est bel et bien agaçant d’ailleurs. Je frotte le bout de mon nez en l’observant étaler sa pâte.
- Je vais décéder avant d’avoir pu y gouter. C’est horriblement long !
J’ai affalé le haut de mon corps sur la table, assis, jouant avec la bouteille qui se trouve souvent dans un équilibre bien précaire.
- Tu ne peux pas aller plus vite ?
- Tu veux essayer ?
Je contemple son instrument avec un dédain évident.
- Excuse-moi ? Je suis certes éméché mais je ne me suis pas soudain transformé en servi…able personnage. Moi j’ouvre la bouche et on me glisse la nourriture dans la gueule ! Sauf lorsque je chasse… mais ça n’a rien à voir. Il n’est pas question de chasser tes biscuits…

L'idée me fait beaucoup rire tout seul. Je prends malgré tout son ustensile et fait semblant de très mal l’utiliser avec une théâtralité renforcée par l’alcool.

- Tu vois ? Je n’ai clairement pas les… capacités pour cela. Et la nourriture faite avec toute l’affection que tu me portes sera fatalement bien meilleure ! je déclame, main sur le cœur.

- Tes lézards ont la tête qui gonfle, c’est normal ?
- Oui, ils ont la grosse tête exactement comme leur modèle, lâche Cassandra avec un mordillement de lèvre amusé.
- Qu'y a-t-il dedans ? Du chocolat ? Non mieux de la cannelle ?
- Vanille, amande et....cannelle ! annonce-t-elle avec emphase.

Elle s'affaire à affiner la pâte sur le bois de la table fariné.

- Je vais décéder avant d’avoir pu y gouter. C’est horriblement long !
- Tout ce qui est bon, est long, mon cher, assure-t-elle.
- Tu ne peux pas aller plus vite ?
- Mais tu n'as aucune patience, ma parole ! Pire qu'un gosse ! Elle fait pirouetter un des emporte-pièce tel un hula hoop autour de son index. Tu veux essayer ?

Son nez enfariné se retrousse de mépris et la vampire ne retient plus son gloussement.

- Excuse-moi ? Je suis certes éméché mais je ne me suis pas soudain transformé en servi…able personnage. Moi j’ouvre la bouche et on me glisse la nourriture dans la gueule !
- Oh Pardonnez mmoaaaa Prince Trouduuuuc ! J'avais oublié que vous étiez manchot. Ca n'ira pas plus vite, donc...
- Sauf lorsque je chasse… mais ça n’a rien à voir. Il n’est pas question de chasser tes biscuits…

L'idée même la fait rire, autant que lui visiblement. Ils se marrent donc comme deux crétins. Merde, il est vraiment fun quand il est éméché ! Ceci étant le retour de cuite risque d'être âpre. Elle décide donc d'en profiter un maximum avant qu'il entre dans une phase exécrable.

- Oui oui, toi être grand chasseur, roi des animaux... blabla... On connait la chanson. Cass l'observe s'acharner à faire n'importe quoi. Ce massacre en règle ! s'esclaffe-t-elle.
- Tu vois ? Je n’ai clairement pas les… capacités pour cela. Et la nourriture faite avec toute l’affection que tu me portes sera fatalement bien meilleure !
- C'est ça, grand couillon, essaie de m'avoir avec tes poèmes ! On sait tous que tu ne sais pas les écrire...

On ne lui a jamais dédié de poésie, ceci étant, se fait-elle comme réflexion, tout en se glissant dans son dos. Cassandra lui attrape les mains et les guide avec patience pour qu'il parviennent enfin à ne pas décapiter ses dragons-biscuits.

- Voiiiilàààààà ! Incroyable, celui-ci a toute sa tête ! C'est fou quand même ... déclare-t-elle en le toisant du coin de l'oeil avec un rictus malicieux. A cette distance, il a tout loisir d'admirer ses tâches de rousseur si discrètes d'ordinaire... Pour peu qu'il en ait quelque chose à faire.

Un délicieux parfum de beurre fondu, de sucre et d'épice embaume peu à peu l'atmosphère.

- Je crois que la première fournée est à point... dit-elle en lui tapotant les épaules et en se dirigeant vers le four.

- C'est ça, grand couillon, essaie de m'avoir avec tes poèmes ! On sait tous que tu ne sais pas les écrire...
- De un, ça n’était pas un poème. De deux, je n’en écrirais plus jamais de ma vie et de trois ce que tu dis n’a aucune sens.

Elle se poste derrière moi et m’oblige à en faire malgré tout. J’y mets la meilleure mauvaise volonté au monde.
- Voiiiilàààààà ! Incroyable, celui-ci a toute sa tête ! C'est fou quand même ...
- Un regrettable accident. Je récupère la pleine possession de mes membres et décapite le lézard bizarre. Là ! Je suis certain qu’il s’était rendu coupable de quelques exactions… La première étant de me faire perdre mon temps. Cesson ce supplice je n’aime pas faire la cuisine. Ni la pâtisserie. Je laisse cela… aux spécialistes. Moi je goûte. Je suis très doué pour cela !

Je récupère la bouteille et me rince le gosier, claquant la langue de satisfaction. Je commence même à oublier… Mab et son parfum merveilleux, Mab et sa beauté propre à vous griller les rétines, Mab et ce rire cristallin qu’elle ne laissait pas entendre à tout le monde, Mab et son mari qui n’est pas et ne sera jamais moi, Mab et son regard détaché qui me dit qu’elle veut m’enfermer à nouveau…
J’ai l’air parfaitement ailleurs, triste sans doute et je tiens la bouteille contre moi comme si elle était soudain devenue ma meilleure amie.

- Je crois que la première fournée est à point...
- Hum hum…

Le four ouvert libère chaleur et bonnes odeurs qui embaument la pièce. Et je contemple l’alignement de biscuits cuits et ravale cette montée d’émotions soudaines.

- Je crois… que je vais en goûter quelques-uns puis allez me coucher. Ou plutôt m’isoler pour noyer la mélancolie qui s’installe. Je ne vais pas être d’excellente compagnie dans les heures à venir, je crois, j’explique avec un semblant de sourire d’excuse.  

- Un regrettable accident.

Urdred décapite avec violence la pauvre bestiole de pâte.

- Là !
- Mais enfin ?!
- Je suis certain qu’il s’était rendu coupable de quelques exactions… La première étant de me faire perdre mon temps. La vampire soupire, du moins, elle l'aurai fait si ses poumons étaient en état de marche. Cessons ce supplice je n’aime pas faire la cuisine. Ni la pâtisserie. Je laisse cela… aux spécialistes. Moi je goûte. Je suis très doué pour cela !
- Comme tu voudras. Je crois que la première fournée est à point...
- Hum hum…

L'euphorie alcoolisée dérape en douceur vers la mélancolie, telle une motte de beurre sur une poêle chaude. Cassandra aurait dû le sentir venir dès qu'elle a évoqué les poèmes. Ces mots fleuris et pétris d'amour étaient destinés à Mab, la seule capable d' éteindre l'arrogance flamboyante du dragon, la seule qu'il ait jamais placée au dessus de lui, avec sa soeur. Ce n'est pas avec ses petits bras musclés et des biscuit à l'effigie de dragon que la sangsue qu'elle est pourra lui permettre de digérer son chagrin.

Elle aimerait l'aider à oublier, pourtant.
Mieux que l'alcool.
Juste un instant.

Elle sort les biscuits du four.

- Je crois… que je vais en goûter quelques-uns puis allez me coucher. Je ne vais pas être d’excellente compagnie dans les heures à venir, je crois,...

Cassandra ne dit rien. Elle range consciencieusement la plaque de biscuit en cour, la pâte filmée, et son tablier. Après un temps d'hésitation, elle s'approche de son pauvre colocataire et lui retire délicatement la bouteille d'hydromel des mains.
Alors, elle le prend dans ses bras et le sert contre elle.

- Quand les humains sont tristes, ils se réconfortent de cette manière. Je sais que tu n'est pas complétement humain, mais, ça marchera peut-être un peu... à moitié. Elle le câline aussi tendrement que possible. Je suis désolée, Urdred. Sincèrement.

Sa bouche se tord, elle pèse ses mots une poignée de secondes avant de les lancer en l'air.

- Je ... Je ne peux pas effacer ce que tu éprouves... Je n'en ai pas le pouvoir, mais je peux t'aider à oublier, quelques heures....

Elle veut simplement l'apaiser, simplement le secourir avec le peu dont elle dispose. De toute manière, il ne s'en souviendra certainement pas. Alors, où est le mal ?

J’ai bien conscience d’avoir jeter un froid. Un comble pour un dragon, n’est-ce pas ? Je la regarde ranger plaque et pâte et me dit qu’il y aura encore des biscuits demain pour absorber le trop plein d’alcool que je regretterai d’avoir ingurgité.
Je croque dans un premier biscuit consciencieusement puis avec de plus en plus d’enthousiasme.
- C’est bon ! je lance en en avalant rapidement un second que j’arrose d’hydromel. Le goût de miel se marie parfaitement avec la saveur des petits lézards sablés.
Je me relève en empoignant le goulot de la bouteille, m’apprêtant à trouver un coin sombre où lécher mes plaies. Mais elle m’est brutalement – enfin pas tant que cela – arrachée des mains.
- Hey !
Médusé, je la vois passer ses bras autour de ma taille et se serrer contre moi.

- Qu’est-ce que… ?
- Quand les humains sont tristes, ils se réconfortent de cette manière.
- C’est… étrange.
- Je sais que tu n'es pas complétement humain, mais, ça marchera peut-être un peu... à moitié.
J’ai un petit rire aigre mais je ne la repousse pas. L’étreinte est certes inhabituelle et même si je me crispe face à cette proximité forcée et très…  humaine, elle n’en reste pas moins… agréable.
- Je suis désolée, Urdred. Sincèrement.
Je pose maladroitement mon bras autour de ses épaules en poussant un soupir.
- Je sais que tu l’es. Même si tu n’as pas à l’être. Cela n’est en rien… ta faute… c’est… la mienne. Elle m'a effacé de sa vie... voilà tout. Je n’ai pas su… pas pu…

Quoi ? Nous ne le saurons jamais. Ce qui est certain c’est que je n’étais pas suffisant. Pas assez. Le grand rôle de ma vie et malgré mes batailles perpétuelles, c’est toujours avec lui que je quitte la scène. Avec horreur, je renifle et prie la Flamme pour ne pas me ridiculiser davantage.

- Je ... Je ne peux pas effacer ce que tu éprouves...
- C’est bien dommage ! je m’exclame d’une voix trop tendue par l’émotion. A quoi me sers-tu dans ce cas ?
- Je n'en ai pas le pouvoir, mais je peux t'aider à oublier, quelques heures...
Perplexe, je recule et la tiens à bout de bras.
- Que… que veux-tu dire exactement ? Plus d’alcool et de biscuits ? je tente avec un sourire tordu.