- Est-ce que tu souhaites m’accompagner ?

Je fronce les sourcils devant ce sourire trop large. Que lui passe-t-il donc dans la tête ?
- Maintenant ?
- Oh non ! Je pensais à dans un jour ou deux et par prévenance je tenais à te mettre au courant. Evidemment maintenant ! Depuis quand ai-je l’habitude d’attendre ?
Je me redresse avec précaution et constate que l’on a cessé de marteler ma pauvre cervelle.
- Si tu crains que Neorvrim nous cherche laisse lui donc un mot. Ou abstiens toi. Je sais déjà ce qu’il va dire. Je prends l’air digne et compatissant de l’autre dragon. Tu n’aurais pas dû réagir si vivement Urdred. Mais comme je suis un diplomate hors pair, je vais réparer tes erreurs comme de coutume. Oh au fait, navré que celle dont tu es épris préfère largement mon meilleur ami à toi. Même s’il est facile de comprendre pourquoi. Vous ai-je dis à quel point mon humain était formidable ?

J’ai une grimace drolatique en concluant mon imitation.

- Fin de l’entretien.
- Si tu te sens assez d'aplomb, je suis ta femme... La perplexité se lit certainement sur mon visage. Euh.... Enfin, je te suis... Tu m'as comprise...
- Pas tellement. Quelle drôle d’expression !
- Debout, monsieur le futur forgeron, il faut que j'aille chercher de quoi nous éclairer et quelques outils.
- J’ai déjà fait la moitié du chemin. Je suis assis. Note l'exploit. Des outils pour quoi ? Tu as des mains et tous tes muscles non ?
- Tu réunis tes plans, que je puisse y jeter un oeil ?
Nouvelle moue ennuyée. Je ne manque clairement pas d'idée mais de méthode et de canalisation.
- Pourquoi faire ? Sincèrement c’est du charabia même pour moi alors que c’est moi qui les ai dessinés. Mais ils sont dans un coin si tu tiens absolument à les voir.

Pendant qu’elle prépare je ne sais quoi, j’ai enfilé des vêtements confortables pour la tâche qui nous attend et me suis fait une torche en l’allumant avant le briquet qui ne me quitte plus depuis qu’elle me l’a donné. Mon misérable feu de poche… Mieux que rien, tâchons de rester positif. Je me souris narquoisement à moi-même. Quelle blague !
Enfin, madame la Sangsue est prête !

- Tu en as mis un temps ! En route, avant que Neorvrim ne montre le bout de ses naseaux,  je précise avec un air de mauvais dragon. Et j’ai de l’énergie à dépenser à force de ne rien faire de la journée.

L'imitation de Neorvrim est tragiquement réussi. Cassandra retient difficilement un gloussement amusé.

- T'es pas cool avec lui, mais... j'avoue que tu le rends bien. Bon... Si tu te sens assez d'aplomb, je suis ta femme... Euh.... Enfin, je te suis... Tu m'as comprise...
- Pas tellement. Quelle drôle d’expression !
- C'est un dérivé pour "Je suis ton homme", en gros c'est une formule d'accord pour une mission : "Je suis l'homme de la situation"... Breeeeeeef ! Debout, monsieur le futur forgeron, il faut que j'aille chercher de quoi nous éclairer et quelques outils.
- J’ai déjà fait la moitié du chemin. Je suis assis. Note l'exploit.
- Tu veux une gommette ? raille-t-elle.
- Des outils pour quoi ? Tu as des mains et tous tes muscles non ?
- Mais sans déconner, t'as déjà fait de la maçonnerie et du terrassement ? J'imagine que non. A minima, une pelle, une pioche et une règle à niveau. Et puis de la ficelle et des piquets pour prendre des mesures. La base, quoi. Tu réunis tes plans, que je puisse y jeter un oeil ?
- Pourquoi faire ?
- Bah... pour essayer de se projeter, vois si c'est réalisable...
- Sincèrement c’est du charabia même pour moi alors que c’est moi qui les ai dessinés. Mais ils sont dans un coin si tu tiens absolument à les voir.
- Hé bien après que tu te sois changé, tu les sortira de leur coin, tu les réuniras et tu les prendras avec toi. Je jetterais un oeil là bas, explique-t-elle avec patience.

Moins de dix minutes plus tard, la vampire revient avec un pantalon treillis et une simple brassière de sport noire qui laisse voir sa musculature. Malgré ses muscles parfaitement dessinés, elle conserve une silhouette souple et féminine -n'en déplaise à son comparse. Elle porte également des gants de jardinage et tient une grosse lampe-torche à poignée.

- Tu en as mis un temps !
- Tu as la patience d'un môme de trois ans et de mie.... Elle jette à Urdred une oeillade surprise et un brin moqueuse. Tu fais quoi là, avec ta torche ? T'as cru qu'on était encore au moyen-âge ? Elle appuie sur le bouton de son équipement électrique qui éclabousse de lumière sur plusieurs mètres tout en toisant le dragon, le sourire en coin.
- En route, avant que Neorvrim ne montre le bout de ses naseaux.

Cassandra ricane.

- T'es infernal, tu le sais ça ?
- Et j’ai de l’énergie à dépenser à force de ne rien faire de la journée.
- C'est exactement ce que je disais, il faut te sortir comme les gamins pour te dépenser ! Son rire prend des accents tendres, inconsciemment. Allez viens, grand couillon... On va voir comment te la construire cette forge !

Ils se mettent en marche d'un bon pas. Il y a peu de kilomètres à faire et chacun d'eux connait le chemin pour se rendre aux ruines. Ils débouchent sur une petite clairière avec en son centre les reliquats d'une construction en pierre. La jeune femme pose son sac à dos par terre et en extirpe plusieurs instrument similaires à la torche d'Urdred dans la forme mais clairement électriques. Elle tend un de ces "bâtons" à son acolyte.

- Tiens, aide-moi à les disposer en cercle autour du site pour qu'on y voit plus clair.

De son côté, elle s'est déjà mise à la tâche.

- Tu en as mis un temps !
- Tu as la patience d'un môme de trois ans et de mie...
Je lève les yeux au ciel. Pour ce que j’ai à faire de son avis sur la question…
- Tu fais quoi là, avec ta torche ? T'as cru qu'on était encore au moyen-âge ?
Cette fois, je la fusille du regard et plisse les yeux devant la clarté beaucoup trop vive de son machin électrique.
- Mon feu réchauffe, n’a pas besoin de pile et n’aveugle personne. Je pense pouvoir dire qu’il gagne largement. Mais passe donc devant… avec toute ta panoplie non moyenâgeuse. En route, avant que Neorvrim ne montre le bout de ses naseaux.
- T'es infernal, tu le sais ça ?
- Absolument pas. Je n’ai rien à voir avec un démon. Et j’ai de l’énergie à dépenser à force de ne rien faire de la journée.
- C'est exactement ce que je disais, il faut te sortir comme les gamins pour te dépenser !
- Navré de ne pas me contenter de rester les fesses assises sur un canapé à lire, je réplique avec le sourire.
- Allez viens, grand couillon... On va voir comment te la construire cette forge !

A vrai dire, je ne suis absolument pas certain que cela soit la raison qui me pousse à y aller mais si cela lui fait plaisir de le penser… Notre marche se fait en silence et je préfère la laisser bien devant. Je n’aime pas la lumière de sa lampe qui éclabousse presque agressivement la nature autour de nous.  

Le bâtiment ne paie clairement pas de mine. A vrai dire il tombe clairement en ruine et j’en viens à me demander s’il ne vaut pas mieux tout raser pour recommencer.
Belle métaphore de la vie, tiens…
Je me retrouve bientôt avec un machin dans la main dont je ne sais que faire.  

- Tiens, aide-moi à les disposer en cercle autour du site pour qu'on y voit plus clair.
- Pourquoi pas à l’intérieur ? A quoi cela nous avance de bien voir autour ? Une simple inspection suffit largement.

A vrai dire je la laisse faire son bazar et fait le tour de la bâtisse, notant du coin de l’œil les endroits fragilisés, voir dangereux.

- Il faut un contrefort de ce côté, voire briser ce mur et le reconstruire carrément.

Prudemment, j’entre dans la ruine et reste interdit devant le bazar de poutres, de pierres et de restes d’anciens mobiliers qui encombrent les liens. Sans compter la nature qui a repris ses droits un peu partout.

- Tout cramé pour repartir de zéro me semble de plus en plus indiqué… Bon… eh bien il y a du travail en perspective.

Je calle la lumière portative, cette fois bien plus utile, sur un coin en sécurité et cherche du regard par où commencer.
- Lorsque tu auras fini de faire joujou avec des machins modernes n’hésite pas à venir m’aider.

Comme de bien entendu, ce cher prince ne l'aide pas. Cassandra fait pourtant ça pour lui, afin qu'il y voit quelque chose, étant donné que pour sa part, elle bénéficie de sa nyctalopie. La bâtisse - si on peut appeler ça comme ça, puisqu'il n'y a que deux murs encore debouts - est une ruine envahie de lierre, de lichens et de champignons.

- Il faut un contrefort de ce côté, voire briser ce mur et le reconstruire carrément.
- Briser l'un des deux seuls murs qui restent ? fait-elle en plantant le dernier flambeau électrique. Autant tout péter non ?

L'ouïe fine de la vampire l'entend formuler peu ou proue la même constatation de l'intérieur. Elle ricane pour elle-même.

- Lorsque tu auras fini de faire joujou avec des machins modernes n’hésite pas à venir m’aider.

Cassandra allume son installation et la clairière s'illumine comme en plein jour. Nonchalamment, elle rejoint Urdred en passant par le trou béant que sa "simple inspection" n'avait pas détectée.

- Pittoresque... commente-t-elle simplement. Alors, là comme ça, comment tu verrais les choses ? Le coeur du truc ce sera ton four, j'imagine. Tu veux utiliser ce qu'il reste du foyer de cheminée ou on dézingue tout pour repartir à neuf ?

Elle tend une main vers lui, avec un sourire encourageant.

- Montre-moi tes croquis et explique-moi... Mieux ! Fais-moi ton truc d'illusion, là ! La nuit dernière tu m'as montré la chambre que tu occupais au palais...

Elle met sincèrement des heures à arriver ! A merveilleux… la clairière est assez forte pour rendre aveugle.
- Ca y est, tu as fini ? Très discret comme dispositif.
Si l’ironie était un art, je serais passé maitre depuis fort longtemps.

- Pittoresque...
- N’est-ce pas ! Quelle charmante attention de la part de Neorvrim et toi… offrir un taudis en ruine à un prince de rien. Je trouve que vous avez un humour particulièrement acéré !
- Alors, là comme ça, comment tu verrais les choses ?
Haussement d’épaules dubitatif alors que je ramasse un bout de … quoi donc ? Une ancienne chaise peut-être.
- Je ne vois rien. J’ai besoin d’espace pour respirer un peu et visualiser quoique ce soit. C’est si étriqué et encombré qu’on y tient à peine debout, toi et tes muscles et moi et ma fierté.
- Le coeur du truc ce sera ton four, j'imagine.
- Un four ? Je ne vais pas faire de la boulangerie Sangsue. Un énorme feu qui reste à une température élevée me suffit largement.
- Tu veux utiliser ce qu'il reste du foyer de cheminée ou on dézingue tout pour repartir à neuf ?
Ça n’est même pas nécessaire que je jette un coup d’œil à cette fameuse cheminée.
- On détruit. C’est beaucoup trop bas, j’ai besoin de quelque chose à hauteur ou presque. Par contre on peut garder le conduit de la cheminée.  
- Montre-moi tes croquis et explique-moi...
Je grogne ostensiblement.
- Pourquoi tiens-tu tant à les regarder ? C’est obsessionnel chez toi. Je te l’ai dit, j’ai besoin de voir la surface. Là on ne voit rien du tout.
Je retire des feuilles largement froissées de ma poche de pantalon et les lui fourre dans la main.
- Mieux ! Fais-moi ton truc d'illusion, là ! La nuit dernière tu m'as montré la chambre que tu occupais au palais...
- J’ai fait cela ? Je m’étonne avec un haussement de sourcil. Tu vois donc à quel type d’espace je suis habitué.

J’essaie de me concentrer mais soit je n’arrive pas à canaliser ma magie – à ce stade plus rien ne m’étonne -, soit je ne suis définitivement pas inspiré.
- Bon cela suffit… je n’ai assez de me perdre en conjecture. Action.

Méthodiquement et avec énergie, je commence à déblayer les lieux, prenant garde à ne rien laisser s’effondrer. Je largue tous les déchets en faisant un tas non loin de la forge.
Me décrasser les muscles autrement qu’à l’escrime me fait du bien.

- On détruit. C’est beaucoup trop bas, j’ai besoin de quelque chose à hauteur ou presque.
- Pas faux.. Toi et tes deux mètres cinquante de carcasse vous n'allez jamais tenir là dedans....
- Par contre on peut garder le conduit de la cheminée.
- Ca marche ! Montre-moi tes croquis et explique-moi...

Cassandra constate que le prince est de nouveau tout grognon, ce qui est à la fois mignon et insupportable.

- Fais pas ton timide, aller...
- Pourquoi tiens-tu tant à les regarder ?
- Pour me faire une idée de ce que tu as dans la tête.
- C’est obsessionnel chez toi.
- Mais oui, Trouduc, tu m'obsèèèèdes... rétorque-t-elle sur un ton faussement suave et un haussement de sourcil moqueur.
- Je te l’ai dit, j’ai besoin de voir la surface. Là on ne voit rien du tout.

Malgré ses réticences, il lui fournit malgré tout les précieux dessins. Cassandra les déplie avec délicatesse et tente de les décrypter. C'est effectivement plutôt confus et annoté de rune draconiques partout, qu'elle ne sait pas lire. Il va falloir qu'elle se penche au calme sur l'ensemble afin de mieux saisir. Elle tente nénamoins une autre approche, plus ludique.

- Mieux ! Fais-moi ton truc d'illusion, là ! La nuit dernière tu m'as montré la chambre que tu occupais au palais...
- J'ai fait cela ?

Instant de flottement. Ce n'était peut-être pas une chose à lui rappeler.

- Oui... Tu étais nostalgique.
- Tu vois donc à quel type d’espace je suis habitué.
- Certes...

A sa grande surprise, il se plie malgré tout à l'exercice, tentant de créer une illusion qui leur permettrait de visualiser ses besoins et envies. Malheureusement, le Prince manque quelque peu de conviction pour donner corps aux images.

- Bon cela suffit… je n’ai assez de me perdre en conjecture. Action.

Cassandra lui sourit et replie les feuillets pour les glisser dans une des poches de son treillis.

- Ok !

Les deux comparses se mettent à l'ouvrage. Leur déblayage progresse vite. La jeune femme déplace meubles, charpente et gravas sans le moindre effort apparent, ses muscles jouant sous sa peau pâle. En revanche, Urdred ne tarde pas à suer à grandes eaux, trempant son t-shirt, le visage rougit par la charge de travail.
C'est une vision beaucoup trop affriolante pour que Cassandra n'y mette pas immédiatement un terme.
Elle finit par s'interrompre pour sortir une gourde d'eau de son sac à dos et se glisse auprès du dragon. Posant une main fraiche sur sa joue, elle lui tend la bouteille de l'autre.

- Hey... Pense à t'hydrater. Je n'ai pas envie que tu nous tournes de l'oeil en portant une poutre...