Je suis là depuis longtemps. Depuis peu. Depuis  un certain temps.
Je suis morte.
Je crois.

Alors….

Grande respiration douloureuse - tiens, les âmes respirent… -
Je suis en Enfer. Ca y est. L’air est lourd, pesant. Où en Enfer….
Qu’est-ce que m’a dit Asmodée, déjà? Qu’est-ce qu’il m’a dit putain.

Les fosses.

Mon esprit me fait l’effet d’être encore plus fragmenté que d’habitude. Je mets plusieurs secondes à réaliser que le silence que je crois percevoir n’existe pas que c’est une persistance de cris et de gémissements.

Bourreau, suppliciés.

Les parois des fosses sont hautes, brutes, rêches. Elles ressemblent à de la terre tout en ayant cette solidité de roche volcanique. L’odeur… L’odeur me prend aux tripes, je pourrais vomir si seulement j’avais un estomac humain.

Reste concentrée.
Tu sais ce qu’il va se passer.
Pas de doute que les âmes sont suppliciées dès leur arrivées.
Ca ne va pas tarder à arriver.

Prépare-toi.

Je force mon esprit à se concentrer, à trier. Cette première fois va être violente. Il faut que je tienne. J’ai pas d’autre solution. C’est ici qu’on casse. C’est ici que je dois devenir flexible, adaptable pour ne pas me briser.
C’est ici, mon arène.
Et je sortirais en tant que moi-même, quoiqu’il en coûte.
Un bruit pas loin. Je ferme les yeux

You say
Come over baby
I think you're pretty
I'm okay
I'm not your baby
If you think I'm pretty
You should see me in a crown.

La chorégraphie me revient par à-coups, je ne bouge pas mais je visualise l’attitude. Au moins ça. J’attends.

D'où vient que ton orgueil lève si haut la crête,
oubliant que tu n'es qu'un avorton d'insecte,
un vers dont la nature a raté la façon?
[La Divine Comédie,  Dante Alighieri]

"Celle-ci te plaira."
"Pourquoi ?" répondit l'enfant en toute innocence.
La cage thoracique à nue, il nageait dans l'ondoyante chevelure de sa mère, ses os en guise de peigne.
" Elle a le cheveux bleus."
" Et cela est amusant ?"
Poisson minuscule dans un océan capillaire incertain, le petit garçon leva le regard  vers la femme gigantesque qui lisait tranquillement. Ses lorgnons faisaient miroiter la peau turquoise de son nez comme le fond d'une piscine.
" Peut-être." Répondit Kali avec une expression indéchiffrable. Il était difficile de savoir ce que pensait la Gardienne des Fosses, aussi, l'enfant avait-il simplement cessé de chercher à résoudre cette énigme.
" Sera-t-elle plus amusante que le dernier de mes jouets,  Amba ?"
L'enfant s'ébroua, prenant un soin consciencieux à démêler les nœuds des vagues d'encre qui constituaient la tignasse maternelle. Parfois, du sang en écumaient de rage et cela lui chatouillait les orteilles de plaisir.
"Allons bon !" fit Kali avec un froncement de sourcil? "Le petit suicidé ne t'a pas plu ?"
"C'était amusant, au début. Il a pleuré si fort à mesure que je lui poinçonnais une à une ses tâches de rousseurs avec la trouilloteuse !" A ce souvenir l’enfant eu un rire malicieux. Les coins des lèvres sombres de sa mère frétillèrent imperceptiblement. "Et puis son âme s'est toute détricotée et ce n'était plus drôle du tout."
"Les damnés ne sont pas tous destinés à devenir des démons, Daksha."

L'enfant aimait quand Kali le nommait ainsi. Ça n'était pas son véritable nom, mais cela n'avait guère d'importance. C'était une reconnaissance, la certitude d'être toujours son préféré. Son unique.

"Tous ne sont pas amusants !" acquiesça-t-il.

Il s'extirpa des cheveux pour retrouver  sa peau, qu'il enfila telle une barboteuse. Cette chair infantile portait la marque de sévices nombreux dont il était sorti glorieux. Lui, avait su être incroyablement distrayant et s'en félicitait du haut de ses éternels douze ans.

" Celle-ci te plaira." dit à nouveau sa diabolique protectrice.
" Pourquoi ?" questionna-t-il tout aussi ingénument que la première fois.
" Elle a connu ton papa."

Le sourire de l'enfant se fit si large qu'il lui recouvrit toute la circonférence de la tête. Celle-ci chuta de son cou cliquetant d'un rire juvénile qui se répercuta en écho féroce dans tout le canyon des fosses. Kali couvrit son enfant d'un regard tendre qu'elle ne réservait qu'à lui. Elle le gâtait bien trop, mais qu'y pouvait-elle ?

Il était si amusant de le voir jouer.

***

La fosse est noire, profonde : une gorge aux parois abruptes et sans prise qui laissent entrevoir un ciel rougeoyant de flammes. Un œil unique vous fixant sans jamais vous regarder vraiment. Après tout, vous n'êtes qu'un insecte, parmi les insectes. Qui peut bien regarder sous ses pieds pour voir la fourmi qu'il vient de malencontreusement occire?
La voûte incendiaire ne laisse pas sa lumière parvenir jusqu’au fond du puits. Les ombres dansent, omniprésentes dans l'opacité des ténèbres. Le temps perd prise, il se distend, se déroule en gondolant, comme une mauvaise pelote de laine entre les pattes d'un chaton excité. Personne ne semble vouloir venir pour Elehiel Thatcher, la cambion. Il n'y a que les rumeurs lointaines qui habitent le Rien : des plaintes, des cris, des pleurs, des bruits innommables, indiscernables et étouffés. Les Fosses ne sont jamais silencieuses, jamais.

Et puis soudain, brisant l'attente infernale...

... des sanglots.
Des sanglots d'enfants.

- Q... Qui est là ? O.. Où suis-je ? M... Maman ?!

Ca fait un long moment que le silence s’étend. J’ai du mal à savoir exactement combien. Mon esprit perd le fil et il fait une chaleur diabolique. Je suis obligée de me concentrer pour me rappeler que je ne peux pas mourir de soif, ni de faim.
Parce que c’est le cas. Je n’ai pas d’enveloppe charnelle, plus de corps à entretenir. Je suis une âme damnée.

Bordel… Je suis vraiment en Enfer.
10ans que cette épée de damoclès trône au dessus de ma tête. 10 ans à savoir que tout ce que j’entreprends autant qu’humaine est voué à l’échec parce que j’ai une date de péremption.
Et maintenant… l’éternité. La notion m’est étrange. Qu’elle soit rempli de douleurs ou d’autre chose, ça me parait alien.
Je me dis qu’on tarde vraiment à venir me torturer, non pas que je vais m’en plaindre. Ca commence à m’interroger. Je n’ai pas bougé. A quoi bon, pour le moment. Il ne se passe rien, je ne sais pas à quoi m’attendre.

Et puis le silence est brisé par des pleurs d’enfant. Ils sont clairs, distincts. Faits pour que je les entende… J’en suis persuadée. Ils sont trop clairs par rapport à tout le reste, beaucoup, beaucoup trop clairs. Ils ont la même répercussion que mes hallucinations auditives, elles y ressemblent beaucoup trop.
Le gamin hurle pour demander où il est, ce qu’il fait là. Je grimace un peu. D’ordinaire, j’irais et je contiens chaque centimètre carré de mon corps de bouger.
Le fait est que sur Terre, j’aurais accouru pour aider un gamin perdu qui demande sa mère.
Et c’est justement pour ça que je ne bouge pas. Qui que soient les bourreaux, quoiqu’ils soient ils ne sont pas là par hasard. Ils doivent savoir des choses, d’une façon où d’une autre. Ils connaissent nos triggers.
Ce qu’ils attendent comme réaction importe peu. Ce qui importe c’est de survivre, quoi qu'il arrive, et de se battre pour sortir de là le plus entière possible.
Je sers les poings, assise par terre.

“T’es une guerrière, stea mea.”

Je ferme les yeux. Je sens que ça va pas tarder à faire mal, je le sens venir.
La douleur sera pas négociable, tu le sais. N’essaie pas de négocier. Quoiqu’il arrive, ça fera mal alors autant se donner à fond et leur en foutre plein la gueule. Ne négocie pas, ne supplie pas. Bats-toi. Pas pour atténuer la douleur mais parce que c’est ce que tu fais encore de mieux : te battre avec hargne pour ton humanité et parce que tu ne laisses personne te faire mal sans contre-attaquer.

Les sanglots se perpétuent, étouffé dans leur bouillons humides de désespoir. Et puis des souffles répétés.

- Respire... respire... Tu dois pas avoir peur. T'es grand. T'es grand.... Respire profondément, tremble la petite voix dans le noire.

Après de profonde prise d'un oxygène imaginaire, la voix reprend.

- Rappelle-toi. Rappelle-toi de ce que dit papa.

Il y a un raclement dans le noir. Quelque chose a bougé dans la poussière des replis obscure.

- Debout... toujours debout... Affirme la voix au timbre pourtant bien peu assuré.

Il y a un crissement de silice, puis deux, trois. Des pas.

- Je.. Je sais qu'il y a quelqu'un ! Je sens votre présence !!! Répondez-moi ! Il y a une rage soudaine dans le fond de cette gorge de petit garçon. Vous êtes lâche ! J'ai pas peur de vous ! Montrez-vous ! MONTREZ-VOUS!

De la pénombre s’extirpe le corps frêle et nu d'un gamin de douze ans. Il a la peau sur les os et une affreuse cicatrice au niveau du cou, comme si un requin sauvage lui avait dévoré la gorge au point que la tête ne tienne plus qu'à un fil. Macabre bilboquet. Il a une chevelure d'un châtain chaud, boucles sales et emmêlées, poisseuses de sueur sur le pic imposant de son nez.

- Je... Chuis un guerrier ! UN GUERRIER ! Allumez-donc que j'vous vois et qu'on en finisse.

L'enfant balaie le fond de la petite Fosse, poings serrés, mobilisant toute la hargne dont il est capable.

Ses yeux sont crevés.

J’écoute la petite voix et ce toujours debout reveille quelque chose dans ma mémoire sans que je parvienne à mettre le doigt dessus avec précision. La petite voix est clair comme de l’eau de roche, beaucoup trop pour que je sois dupe.
Il hurle, il braille. Il sent ma présence, apparemment. C’est super. Franchement génial. Mon bourreau aime les mises en scène. Ca va être la super éclate. Long soupire.
Le gamin apparait, famélique, une cicatrice immonde au coup.

Et soudain, je vois sa gueule.

-C’est pas vrai putain…

Il a le pif de Kaelig. Bordel de merde. Je pouffe d’un rire léger malgré moi.

-Sans déconné…

Je ne bouge pas, je regarde le gamin évolué avec ses yeux fermés. Je creuse ma mémoire à la recherche d’un prénom. C’était quoi, le nom des deux ainés qui sont morts?
Ca met un long moment à me revenir.

-Est-ce que le monde est secrètement fait que de Roumains? Faut m’dire sérieux, ça devient évident.

Je plisse les yeux.

-J’veux dire, mon mec est roumain, la meuf qui me déteste est roumaine et maintenant mon bourreau? C’est une blague?

J’aurais probablement mieux fait de fermer ma gueule et j’avoue que j’arrive pas. Probablement le stress.

-Bon… Nelu ou Iulan, du coup…?

-C’est pas vrai putain…Sans déconner…

L'adolescent se tourne brusquement vers l'endroit d'où fuse la voix et le petit ricanement désabusé.

- Qui êtes-vous ?
- Est-ce que le monde est secrètement fait que de Roumains? Faut m’dire sérieux, ça devient évident.
- Arrêtez de vous moquer ! MONTREZ-VOUS !
- J’veux dire, mon mec est roumain, la meuf qui me déteste est roumaine et maintenant mon bourreau? C’est une blague?
- ARRÊTEZ DE RIRE ! beugle-t-il d'une voix fêlée, au bord de rompre. Merde à la fin...Pourquoi tout est si noir.....

Il semble désespéré et parfaitement terrifié en dépit de sa hargne. Il s'avance malgré tout, en crabe, vers Elehiel, sans oser quitter le toucher réconfortant de la paroi.

- Bon… Nelu ou Iulan, du coup…?
- ... Vous.... Vous me connaissez ? Il tapote de la paume sur sa poitrine, sale et creuse. Je... Je suis Nelu. Est-ce mon père qui vous envoie ? L'espoir qui résonne dans son timbre est déchirant. Si crédible. Est-ce que vous êtes venue pour me sortir de là ?

Le jeune garçon tend le bras vers Elehiel. Ses doigts moulinent dans le vide, jusqu'à entrer en contact avec son épaule. Sa main est réelle, moite, chaude, tremblante. Il pétrie avidement cette chair qui témoigne d'une présence concrète. Sa lippe trémule d'un début de joie. Fétu de paille qui prend feu. Il palpe le visage de cette "autre" avec un rire proche de la démence.

- Vous êtes là ... Vous êtes vraiment là .... Son expression se fissure doucement. Je ne vous vois pas... pourquoi je ne vous vois pas.... ?

Et puis après un silence fiévreux.

- Qui êtes-vous ?

Le gamin approche avec ses yeux crevés. Je le sens pas, il a beau hurler et avoir l’air terrifié, y a un truc au fond de moi qui m’intime que c’est pas logique. Je saurais pas dire pourquoi, j’arrive pas à mettre le doigt dessus. Pourtant ses réactions ont l’air parfaitement sincères. C’est peut-être ça qui me chagrine.
Ciulin a 25ans, Nelu et Iulan sont morts quand iel était jeune. Ca fait donc plus de 10ans que ce gamin est là.
Qu’est-ce que m’a dit Asmodée sur les fosses? C’est un endroit où tout se passe plus vite. Le temps ne s’écoule pas pareil. Quelques mois correspond à des années, il m’a dit. Il n’a pas été plus précis mais même sans l’être, ça veut dire que ce gamin arpente les fosses depuis très, très longtemps. Déjà, je comprends pas ce qu’un gamin comme lui fait ici. Vu qui est son père et vu le passif familiale, je le vois mal à douze balais, pactisé avec un démon…
Enfin bref… toujours est-il que je le trouve très bruyant pour un gamin qui a passé autant de temps ici.
J’ai l’impression de regarder dans un genre de miroir, la sensation que c’est une projection de mon état d’ici quelques temps. Y a un truc qui me parait étrange, je vous dis. J’arriverais pas à l’expliquer.

-...Vous…. Vous me connaissez?
-Oui.
-Je… Je suis Nelu.
-Salut Nelu.
-Est-ce mon père qui vous envoie ?
-Non.
-Est-ce que vous êtes vene pour me sortir de là ?
-Non.

Qu’il soit sincère ou non, je n’ai pas l’intention de mentir. A quoi bon? Je ne mentais pas avant, je ne vais certainement pas mentir maintenant. Ca fait partie de ce qui me définit, c’est une chose que je ne peux pas me permettre d’abandonner. J’ai fait une promesse avant de mourir à la personne qui compte le plus pour moi et j’ai l’intention de la tenir.

I said, "I will rise and shine, even in the coldest night"
'Cause I'm gonna get it right.

J’observe le gamin tendre la main vers moi sans bouger. Il m’attrappe, éclate d’un rire que j’ai entendu mille fois en HP. Y a une part de moi qui plaint ce gamin même si je ne le sens absolument pas, même si je sais au fond de moi que c’est lui qui va s’occuper de moi. Y a rien qui me dit que c’est le cas, je le sens juste au plus profond de moi, y a personnes d’autres à part lui et y a que lui que j’ai entendu. C’est trop étrange pour que ça me sorte du crâne.

-Vous êtes là… Vous êtes vraiment là…
-Ouais, moi aussi j’ai du mal à y croire…

Je le vois s’éffondrer en réalisant qu’il ne me voit pas. Je peux pas empecher un drôle de frisson de me parcourir.

-Je ne vous vois pas… Pourquoi je ne vous vois pas…?
-Tes yeux sont crevés.

Pas la peine d’y aller par quinze chemins.

-Qui êtes-vous?
-Elehiel. Tu peux m’appeler Elie.

Ca non plus, pas la peine de le cacher, j’imagine qu’ils savent tous les noms des âmes qui arrivent ici.

-Tes yeux sont crevés.

Les mots fouettent l'enfant en plein visage. Son soulagement éphémère se délite. Sans rompre le contact avec celle qui dit s'appeler Elie -de peur qu'elle ne s'évapore sans doute- il palpe son visage, hésitant, découvrant avec horreur les orbites creuses, encroûtées de sang.

- Je suis aveugle... murmure-t-il d'une voix faible, transfigurée par la fatalité. Pourquoi ? Où suis-je ?! Je ne comprends pas !!!

Son timbre vrille vers les aiguës. Son désespoir n'est pas feint. Il vibre d'un désarroi qui n'a rien de factice. A cet instant précis, le sol tremble. Une porte, jusque là invisible, coulisse dans la pierre volcanique faisant pleurer la roche. Se dessine alors, la masse imposante d'un être gigantesque et hideux : un visage invisible sous la calotte de bourreau; des bras musculeux, couverts de sang; un ventre bedonnant et flasque dont la peau translucide, pâle à l'excès, laisse entrevoir des corps humanoïdes, ingérés et en pleine décomposition; des pâtes de crabes caparaçonnées érigées de pics sur lesquels s’empaler. Une vision de cauchemar.
Sans s'annoncer, sans prononcer le moindre mot, la créature arrache Nelu des bras d'Elehiel et le gobe. Les bruits de mastications sont insupportables. Musique des os qui craquent et se disloquent en passant dans l’œsophage. La jeune femme peut apercevoir l'adolescent dans le bide de la bête, lutter pour trouver de l'air alors que les sucs le noient.

Et puis, plus rien.
Le silence.

Le monstre ne bouge pas n'accordant aucune importance à la femme aux cheveux bleus. Le temps semble se distendre. Et soudain, avec une brutalité crasse, il mollarde quelque chose dans l'obscurité. Son travail effectué, il repart, le pas pesant, imperturbable jusqu'à la nausée. La paroi s'ouvre et se referme, soustrayant sa présence écrasante au lieu.

Et, dans les replis ténébreux...

... des sanglots.
Des sanglots d'enfants.

- Q... Qui est là ? O.. Où suis-je ? M... Maman ?!

Désolée, mon cerveau n’accuse pas réception du colis délivré, veuillez repasser plus tard.
Je vois la créature, j’en perçois les aspérités, les veines saillantes, les milles nuances de cauchemars et aussitôt, je me sens comme à la troisième personne.
Je me vois détaille la créature, chercher presque curieusement le gamin dans le bide de la bestiole.
C’est pas que je n’ai pas peur, c’est que je suis tellement terrifiée que je suis au-delà de toute réaction.
Je me doutais ne pas être prête pour l’enfer : la preuve par monstre dégueulasse.
Je sens tout mon être qui vibre comme si j’avais un téléphone dans la poche. Je suis pleine de spasmes, de relents acides. On vomit donc toujours quand on est rien qu’une âme…
Mon cerveau et mes yeux se perdent dans la contemplation hébétée des vomissures dont je viens de me couvrir. On se pose beaucoup de questions, eux et moi, sur le comment on peut vomir sans être organique. La question noie mon cerveau et se met à hurler dans mes oreilles à tel point que j’y plaque les mains.

Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme? Comment on peut vomir, en étant une âme?

Ca vibre en moi comme mille papillons et évacue étonnement tout le reste. Ne reste que les frissons glacés, la sueur poisseuse et l’impression d’être au bord d’un gouffre que je reconnais.
Les sanglots me parviennent comme une gifle qui se nimbent de couleur ocre-orange. Je redresse la tête, me redresse toute seule comme suspendue à un filin.

Une boucle?

Alors.

Reflexe terrien : c’est pas réel alors.

Je sens mon esprit tenté d’apaiser tout le reste : ben c’est bon si c’est pas réel.

Sauf que.
Chut. Tais toi.
Ici.
ARRETE! Tu vas tout casser!
C’est déjà cassé. On est.
NE LE DIS PAS! LAISSE TA REALITE!
En Enfer.

Je tombe à nouveau en position assise. J’entends le gamin, j’attends de voir arriver ses yeux crevés.
Réel, pas réel, réel, pas réel.
Ca n’a aucune importance. Tout ce qui compte c’est : de rendre les coups, de se battre, de sortir.
Quoiqu’il en coute.
Un rire sifflant s’échappe de mes lèvres.
Les sons s’atténuent autour de moi, je sens le fantome de mon palpitant s’agacer : la peur. Encore, celle de sombrer dans un blackout au mauvais moment.
Kaelig. Qu’est-ce qu’il ferait Kaelig?

Et soudain… Mon esprit silence l’horizon alors que je m’enfonce dans un dédale de tentatives pour reprendre le contrôle.

Debout… Debout. DEBOUT!
D E B O U T
deboutdeboutdeboutdeboutdebout!

Courant electrique qui traverse mon esprit. Douleur, inimaginable. Je me redresse comme un ressort, souffle court.

Chui debout. Prête à me battre.

Contre…
Moi?
Eux?
Les voix?

Tous, j’les prends tous.