Les néons déchirent l'obscurité par saccades épileptiques, accrochant les sequins de sa robe fourreau. La tenue est outrageuse et ferait certainement hurler son père. Encore faudrait-il qu'il s'inquiète de sa couenne. Elle a fait le mur, encore une fois, sans être inquiétée de quoi que ce soit. Son père s'est transformé en motte de beurre pathétique qui laisse tout couler. Aveugle crétin.

Son autorité n'est que du flan.

La preuve, Viorea se trémousse, les paillettes épousant sa silhouette nubile. Pas de chaperons ! Elle fait plus âgé avec ses paupières surchargées de fard, ses faux cils et son rouge de salope aux lèvres. Elle a envie d'être putassière ce soir. Arrogance et mépris font un coktail dangereux pour une princesse hors de son boudoir. Elle pense pouvoir échapper à la prédation des mâles qui lui tournent autour. Vilains, vilains garçons...

Elle a bu. Juste ce qu'il faut.
Un verre ou deux.
Peut-être cinq ou six.
Rien de bien méchant, allons !
Bande de vieux cons.

Elle a retrouvé son dealer de poppers habituel et sniffé son tube de colle. Elle lui a largué quelques billets et la promesse d'une option en nature si elle passait une bonne soirée. Elle s'esquivera au dernier moment, elle s'esquive toujours.
Doigts dans le nez !
Pour l'heure, elle explose la piste en déhanchés sulfureux. Elle aime qu'on la remarque, que les oeillades lubriques glissent avec gourmandise sur sa peau de poupée. Elle se sent gonfler l'égo qu'elle a en berne depuis des semaines.

Elle n’est pas là par hasard.

L'Eden's Rest est le fief de Ciulin. Enfin, de son mec. Elle se demande comment sa "soeur" avec sa gueule de corbac et ses manières de camionneur a pu séduire un homme aussi prisé et raffiné que Baltazar Hallsonar. Bon sang, il suffit de jeter un oeil sur ses costard pour comprendre que le gus nage dans le haut du panier. Sans doute qu'il la paie.

La grosse Pute.

Et se faisant, elle accentue les mouvements lascifs de sa danse.
"Regardez-moi !" hurle son regard peinturluré et ses lippes entrouvertes.
"Regardez-moi !" ponctue ses doigts jouant dangereusement avec les cols de chemise et frôlant chaque pantalon.
"C'est moi la meilleure !"

Une provocation vaine : Ciulin n'est pas là.

Je bug. C'est pas que je bug, c'est que je sais pas quoi faire.
Bon ok. Je bug.
J'ai finis mon show à l'Eden y a pas très longtemps et je bois un verre derrière le comptoir avec Jesse, le barman. On discutait.
Jusqu'à ce que Vioréa débarque. Et putain, faut voir comment elle débarque! Aucune chance qu'elle soit là avec l'autorisation de Kaelig. Je le connais assez pour savoir qu'il laisserait pas Vioréa vagabonder comme ça en ville pour aller faire la teuf.
J'observe son manège. Dealer, drague, drogue, alcool.

JE.BUG.

J'ai dit à Kaelig que j'assumerais mon rôle à ses cotés. Super. Mais concrètement, ça veut dire quoi dans cette situation? Je la laisse faire en surveillant de loin? J'appelle Kaelig? J'interviens, parce que la miss calculera bientôt que dalle. Elle a l'air d'être habituée de ce genre de frasques. Je vois comment le dealer la reluque. Je sais reconnaitre la dalle dans les yeux d'un prédateur. Et là, c'est un prédateur frustré. Les petites frappes dans son genre ont du mal avec la notion de respect. Et il a la dalle et pour une raison que j'ignore son espoir brule d'un feu malsain.
Il est connu. Il est dirigé vers la gamine de mon mec.
Ca pourrait mal finir.
Vioréa commande un verre à Jesse, qu'elle ne calcule pas. Elle me calcule encore moins. C'en serait presque drôle si seulement ses pupilles surdilatées et son air dans le vague malgré les allures sexy qu'elle se donne. Son maquillage la vieillit. Ca me fout une boule au ventre.

Elle joue avec un feu qu'elle croit maitriser. Elle s'imagine sans doute qu'elle s'en sortira toujours. Peut-être même qu'elle espère que ça dérape? Pourquoi qui que ce soit aimerait que ça en arrive là? Elle est loin d'être débile, elle ne peut pas être aveugle à ce point-là. Elle retourne sur la piste, sans prendre son verre, et j'en profite pour dire à Jesse que l'alcool ça suffit. Il lui fait des mocktails et basta. De toute façon, vu l'état de la demoiselle, elle verra pas la différence. Elle serpente et caresse, flatte et aguiche. Je vois des yeux se tourner vers elle.

C'est dangereux.
C'est tellement dangereux.

Je retourne dans la foule, je me fraie un chemin jusqu'au dealer qui a disparu. Je recommence le chemin inverse, capte une silhouette qui ressemble à Vioréa. Je suis.
Et, ça s'éloigne de la foule... Elle a décidé de rentrer? Etrange.
Asmo n'est pas là, je crois. Pas de trace de Ciulin à qui refourguer le bébé. Je continue et j'attends l'espace qui mene au bureau d'asmo, juste avant l'escalier. L'endroit où ça se pelotte généralement. Je sens que cette soirée va être d'un compliqué soudainement. Où est Enzo quand on a besoin de lui, sérieux?

y a une voix de mec qui déclare.

-C'était de la bonne, pas vrai? J'te donne toujours la meilleure.

J'entends difficilement la réponse, j'entends juste qu'on est pas super contente d'être là. La voix, c'est Vioréa.

-Tu m'as promis. Tu vas pas encore me planter, bébé. Tu peux pas me faire languir comme ça, tu sais. Ca s'fait pas. Tu peux pas faire attendre Mickey.


... Je. Elle. Ok. Bon. J'ai une question fondamentalement importante. C'est lui, Mickey... Ou c'est ça teub?

-Hey Mickey.

il se retourne. Bordel de bordel. C'était pas sa teub, j'suis soulagée. Bon dieu.
Plus important, il a le fameux écusson des Heksens.

-Tu veux que j'explique à Cathair que t'essaies de violer tes meilleures clientes? hmm?

Je hausse un sourcil. L'évocation du nom semble avoir un début d'effet de panique. il s'écarte un peu avant de réaliser que je suis probablement qu'une Avalon girl et que je me mèle de ses affaires.
Il s'approche un peu en lançant un agacé.

-Bouge pas. Tu vas t'nir ta promesse.

A Vioréa. Je ris un peu.

-J'ui parlerais pas comme ça si j'étais toi, Mickey.


C'est une gamine, certes. Mais elle tient des Taurs et je suis pas sûre qu'elle apprécie qu'on lui donne des ordres. Putain, je sais pas dans quoi je m'embarque encore...

Mickey est le plus empressé de ses soupirants. Un mauvais garçon avec un cuir sexy, des jean troués, une tignasse de paille. Un coquetterie vintage qui rappelle Kurt Coben. Elle n'a pas connu Kurt Coben, simplement ce qu'en dit la page wikipedia et les quelques morceaux qu'il a laissé trainer chez les tubes indémodables. Elle aussi elle sent bon l'âge de rébellion.
Mickey, c'était marrant au début, mais c’est vite devenu chiant. Avant il se contentait de sa thune, de quelques pelles biens roulées en sus, mais il est devenu collant. Toujours la bite au bord du slip. Elle a pas envie de chopper des mycoses rien qu'en le regardant.
Vioréa se laisse pourtant entrainer, histoire de le contenter. Elle va le faire bander, le tripoter sans doute un peu et le laisser dégorger. Il lui foutra ensuite la paix. La stratégie des "deux ventres".

- C'était de la bonne, pas vrai? J'te donne toujours la meilleure.
- J'voulais encore danser, qu'elle minaude, boudeuse, certaine de son charme.
- Tu m'as promis.
- OOoh chéri, mon chou, tu peux pas sauter au dessert sans avoir attendu tout le reste du menu...
- Tu vas pas encore me planter, bébé. Tu peux pas me faire languir comme ça, tu sais. Ca s'fait pas.
- Commence pas à devenir chiant...
- Tu peux pas faire attendre Mickey.
- Hey Mickey.

Viorea écarquille les yeux devant l'apparition. Petite, porcine, rose-cochon.
Elle.
La conasse. La putain. La chienne qui a valu à sa mère d'être foutue au placard.
Elle.
Qui après avoir joué de la crédulité de son vieux, se balade en reine maquerelle au royaume des connards. Viorea se sent dévorée par une flambée de colère.

-Tu veux que j'explique à Cathair que t'essaies de violer tes meilleures clientes? hmm?

Qui est Cathair ?
Vu l'effet produit par ce nom, il lui faut le savoir au plus vite. Quel intérêt de se taper des grouillots si on peut se chopper le roi des mauvais garçons. L'adolescente se dégage de l'emprise de Mickey avec un dédain manifeste.

- Déso, mais je refuse de passer après l'autre suceuse. Ma chatte est trop précieuse. Je vous laisse entre vous.

Elle est violemment rattrapée par le poignet. Mickey est rougeaud de colère.

- Bouge pas. Tu vas t'nir ta promesse.
- J'ui parlerais pas comme ça si j'étais toi, Mickey.

Viorea lance un regard mauvais à Elehiel qui irradie de "J'ai pas besoin de toi". Comme pour lui prouver le contraire, elle tire sur le col de Mickey et fourre sa langue dans sa bouche, laissant une trainée de rouge sur les lèvres du biker.
Il n'a pas le temps d'en profiter.
La gamine plante ses ongles dans l'entre-jambe du mauvais-garçon et vrille ses couilles d'un mouvement sec. Mickey couine en se tenant les valseuses.

- Merci pour le poppers, Mick' et adieu ! Petit mouvement de main gracieux pour dire au-revoir façon Miss-Monde et elle s'éloigne. En passant à côté d'Elie elle susurre : Rose ça te va pas. on dirait une fraise tagada qu'à trop trempé dans son verre de vodka.

Je suis au café théatre. Je comprends rien de ce qui se passe. Vioréa se comporte comme une parfaite basic bitch de lycée et elle a aucune idée d'avec quoi elle fricotte. Elle s'imagine que les bads boys sont gentils au fond, qu'elle peut frayer avec des poissons pareils sans jamais rendre de compte. J'imagine que c'est le soucis quand on a vécu dans une cage dorée. On a des problèmes qui n'ont rien à voir avec la réalité. Non pas qu'ils ne l'affectent pas, simplement, elle n'est pas prête pour la violence et la laideur du monde. Pour elle, Kaelig quittant Lavinia est la plus moche et vil chose qui soit jamais arrivé. une tache de merde sur un tableau si blanc.
On joue absolument pas le même jeu. Elle joue à la princesse Disney alors que ça fait bien longtemps qu'on glisse dans Mad Max.

-Déso, mais je refuse de passer après l'autre suceuse. Ma chatte est trop précieuse.
-Ah bah oké...

Au bal masqué, ohé ohé!
Je peux pas m'empecher de hausser les sourcils en souriant. Je lance un regard équivoque à Mickey, comme pour m'assurer que la scène est réelle. Putain, depuis quand on est dans High School Musical...?

-Je vous laisse entre vous.

Elle se dégage et Mickey réagit tout de suite. il l'attrape. Elle l'embrasse par pur défi pour moi et sans déconné, si c'est ça être belle mère, j'rends ma carte. C'est un délire absolu. Quelques secondes après, la petite frappe se tient les couilles et couine un peu.

-Merci pour le poppers, Mick' et adieu !

Elle s'éloigne en saluant comme une princesse. Elle s'imagine que ça n'aura aucune conséquence. Comme si les dealers ne se parlaient pas. Comme si le prochain dealer où elle voudra choper sa dope aurait pas eu vent qu'il faut lui apprendre les bonnes manières. Comme si le monde était parfaitement et complètement à ses pieds.
C'est dangereux, putain.
Elle s'arrête à mon niveau pour me lancer que ma couleur me va pas. Je.
Je sais pas quoi faire de cette information. Il y a un gouffre entre Vioréa et moi.
Je sens une multitude de chose bruler en elle, le tout bien planqué derrière une couche de fond de teint et de manières connasses.
Mickey se relève à peine qu'il veut déjà la rattraper. Je m'interpose et me contente d'un coup de boule. Etre un démon à ces avantages. Je lance à Vioréa.

-A quoi tu joues exactement? A part à très mal te prostituer, j'veux dire?

Pendant ce temps un message file vers Ciulin. "OSKOUR! C'est nul d'être belle-mère! Viens m'aider à gérer la reine du Lycée! J'viens de me prendre l'insulte la plus nulle du monde, j'ai envie de rire! J'suis pas crédiiiiiible". Je reste calme de toute façon, je vois pas comment m'énerver, elle est si... à coté de la plaque.

Le coup de boule surprend Vioréa. D'où un si petit bout de femme peut déployer autant de force. La stupeur est véritable avant d'être chassé par le déni. Après tout, n'avait-elle pas déjà prémâché le boulot ?

Elle entend trottiner le petit porcelet à sa suite qui tente de la rattraper.

-A quoi tu joues exactement? A part à très mal te prostituer, j'veux dire?

Vioréa se retourne très lentement en battant des cils comme on considère une tâche sur une jolie nappe brodée.

- Oh, pardon chérie, tu veux me faire la leçon ? J'imagine que tu connais bien les arcanes du métier. Après tout t'as baisé mon père dans les grandes lignes jusqu’à lui faire croire que t'avais un cancer pour le faire craquer...
Fait-elle avec la plus parfaite condescendance.

Elle passe une main dans ses longs cheveux noirs, à la manière d'une pub de shampoing.

- C'est plutôt moi qui devrait me demander à quoi tu joues : Tu t'es pris pour ma mère ?

Dans la poche d'Elie, un portable vibre laissant sur l'écran, le message suivant : "Toi t'es en train de te frotter à mon adorable frangine... J'arrive dès que j'ai pelé le cul à l'enculé qui cherche des noises à Vesper..."

- Oh, pardon chérie, tu veux me faire la leçon ? J'imagine que tu connais bien les arcanes du métier. Après tout t'as baisé mon père dans les grandes lignes jusqu’à lui faire croire que t'avais un cancer pour le faire craquer...
-Tu t'imagines que c'est une insulte, Vioréa mais c'est pas le cas. Echanger de l'argent, des objets ou quoique ce soit contre des faveurs sexuels, c'est de la prostitution. Et tu te plantes légèrement sur ton père mais passons. En attendant.

Elle fait la maline mais plus je la regarde plus je réalise qu'elle n'a que les attitudes de Lavinia, une poupée creuse. Elle ne sait pas la réalité du monde. Ok. Changement de tactiques.

-C'est plutôt moi qui devrait me demander à quoi tu joues : tu t'es pris pour ma mère?
-C'est ton meilleur comeback?

Je refléchis tout en parlant et en la suivant. Je pourrais monter un coup fourré avec Enzo pour qu'elle gravite autour de lui. il ferait ça pour moi, sans aucun soucis. Sauf que je serais une grosse connasse manipulatrice et c'est pas mon genre. Je pourrais aussi appeler Kaelig pour que ses actes aient des conséquences réelles mais je vois pas ce qu'une engueulade avec Kaelig changerait à sa vision du monde. Probablement pas grand chose.
Alors quoi? C'est quoi la solution? C'est quoi le piège ici?
C'est qu'elle pense ce que tout les conducteurs dangereux sur la route se disent avant un accident "ça arrive toujours aux autres".
Et non, ça n'arrive pas qu'aux autres. C'est même dramatiquement l'inverse quand tu es une femme dans une société patriarcale.

-tu joues à un jeu dangereux, que t'es pas prête à assumer. Joue la basic bitch autant que tu veux, mais je te parie ce que tu veux que Mickey, ça fait des mois que tu le chauffes et que tu t'esquives dès qu'il veut ce que tu lui as soit-disant promis. Me réponds pas, c'est pas la peine. T'as raison de te défiler mais tu te rends pas compte, Vioréa. T'es pas dans ton lycée. T'est pas chez toi. Y a des mecs ici qu'ont aucun scrupules et qui te prendront que tu veuilles ou pas.

Je finis par dire.

-Ca m'arrivera pas à moi, hein? On fait un deal. Je t'emmene faire un tour. On va aller voir des femmes, pas très loin. On va discuter. Soit tu viens, soit tu viens pas mais si tu viens pas, j'te colle au train toute la soirée et crois moi, j'vais pas te lâcher. Deal?

Je hausse les épaules.

-C'est pas pour te faire chier, quoique t'en pense. Mais t'es à ça de te mettre dans la merde, t'es à rien du tout de te retrouver dans des histoires crados. Et j'ai été une pute, je sais de quoi je parle. On y va ou tu veux qu'on aille danser?

-C'est ton meilleur comeback?
- Laisse-moi le temps de me chauffer... réponse du tac au tac, avec un soupçon de fiel. Tu comptes me coller le train toute la soirée ? Tu tues mon glam, la suceuse....

Elle a beau essayer de distancer la naine à grande enjambées, la punaise est tenace. Elle se retourne finalement, profondément agacée.

- Tu veux quoi, à la fin ?!

Le sermon débute et Viorea lève déjà les yeux au ciel d'ennui.

- ....Joue la basic bitch autant que tu veux, mais je te parie ce que tu veux que Mickey, ça fait des mois que tu le chauffes et que tu t'esquives dès qu'il veut ce que tu lui as soit-disant promis...

L'adolescente crispe le visage, grimace involontaire qui la trahit. La Suceuse tombe juste et cela l'emmerde sauvagement.

- Me réponds pas, c'est pas la peine. T'as raison de te défiler mais tu te rends pas compte, Vioréa. T'es pas dans ton lycée. T'est pas chez toi. Y a des mecs ici qu'ont aucun scrupules et qui te prendront que tu veuilles ou pas.
- Tu crois que je suis une grosse naïve ? Que je ne sais pas me défendre ?! Tu l'as dit toi même : Je.suis.une.Taur. Le premier qui me touche se prendra une horde roumains sur le coin de la gueule.
- Ça m'arrivera pas à moi, hein? On fait un deal.
- Pourquoi je m'emmerderais à dealer avec toi ?
- Je t’emmène faire un tour. On va aller voir des femmes, pas très loin. On va discuter.
- Chérie, tu tiens à me présenter ta famille dès le premier soir ? Garde ta ribambelle de potes clodos pour toi. J'ai pas envie d'avoir le nez bouché.
- Soit tu viens, soit tu viens pas mais si tu viens pas, j'te colle au train toute la soirée et crois moi, j'vais pas te lâcher. Deal?
- ....
- C'est pas pour te faire chier, quoique t'en pense.
- Ça y ressemble vachement quand même...
- Mais t'es à ça de te mettre dans la merde, t'es à rien du tout de te retrouver dans des histoires crados. Et j'ai été une pute, je sais de quoi je parle.
- Blablablabla..... J'v'ais t'apprendre la vie... Blabla VDM de salope... Deviens pas comme moi... blaaaaa... crache Viorea en singeant son interlocutrice en finissant par mimer une belle gerbe avec deux doigts dans la bouche.
- On y va ou tu veux qu'on aille danser?
- Putain, tu fais vraiment chier ! On fait ton truc et après tu me fous la paix pour la nuit. Ça c’est mon deal !

- Tu crois que je suis une grosse naïve ? Que je ne sais pas me défendre ?! Tu l'as dit toi même : Je.suis.une.Taur. Le premier qui me touche se prendra une horde roumains sur le coin de la gueule.

How to : me prouver en une seule phrase que t'es exactement une grosse naïve. Elle a pas la moindre petite idée de la facilité avec laquelle on peut faire disparaitre quelqu'un. Je me contente d'hausser un sourcil.

-Tu réalises que si j'avais pas foutu Mickey à terre il t'aurait rattraper parce que c'est pas un petit pressage de burnes qui va foutre qui que ce soit à terre? Et il se serait passer quoi à ton avis?

Vioréa répond, elle n'écoute absolument pas. C'est donc ça la véritable adolescence comme dans les films. Eh beh. J'vais finir par avoir besoin d'un verre de flotte. Pour lui foutre sur la tronche, ça la refera descendre, peut être? J'avoue la situation me parait de plus en plus rocambolesque. Elle s'offusque, discute et s'agace toute seule. Quand j'essaie de lui expliquer je me prends finalement.

-Blablablabla... J'v'ais t'apprendre la vie... Blabla VDM de salope... Deviens pas comme moi... blaaaaa

Je la regarde faire semblant de vomir et je peux pas cacher mon sourire et mon envie de rire.

-Haha! Mais alors pas du tout. J'vais juste te montrer à quoi ça ressemble vraiment, princesse. C'est pas "deviens pas comme moi", c'est "fais des choix éclairés au lieu de foncer avec des œillères en te croyant intouchable" Spoiler : personne est intouchable, des gens disparaissent tout les jours. Des filles se font avoir tout les jours. Sois consciente de ça et arrête de jouer les abruties alors que t'es loin d'être conne. Bon, on y va ou tu veux qu'on aille danser?
-Putain, tu fais vraiment chier !
-Une de mes nombreuses qualités.
-on fait ton truc et après tu me fous la paix pour la nuit. Ca c'est mon deal !
-No way, Vioréa. T'as cru que t'étais en position de force, ici, mais c'est pas le cas. Ils savent ici que t'as pas l'age requis pour être à l'Eden? Oh et dis moi, il va se passer quoi, à ton avis si j'vais voir Jesse, là-bas, pour lui dire que t'es sous la limite d'âge, complètement torchée et que tu t'es shootée? T'es une Taur. Ca va se savoir et personne aime les héritières au nez poudré. T'as quoi sur moi exactement? A part des comeback moisis.

Sourire tranquille.

-Tu viens avec moi ou je t'emmerde jusqu'à ce que tu sortes. Allez, on y va.

Je l'invite d'un mouvement de la main vers la sortie. La réalité, c'est qu'on fait juste le tour du batiment, on entre par la porte des artistes. Asmodée a toujours une pièce pour les filles qui travaillent. Un endroit safe, il ne demande pas grand chose en contre-partie, si ce n'est des infos quand les filles en ont. Ce soir, il y a quelques filles et dans ses filles, il y a Barb'. La vingtaine fluette, elle a presque pas l'âge d'être là. une petite brune qui avait tout et qui a tout perdu sur une glissade malheureuse de la vie. Y a aussi Jenny qui se prostitue par choix depuis un moment, parce qu'elle veut donner une chance à ses enfants. Et Sitra qu'est au moins dans le business depuis aussi longtemps que moi. Les filles rigolent en sortant des douches, elles sont sur des canapés de bonnes factures mais usés. Elles se grillent une clope avant de retourner au taf. Bref, elles vivent.
Quand j'ouvre la porte, la plupart me salue de loin, d'autre m'embrasse et m'enlace. C'est étrange, cet univers.

-Qui tu nous amène, lehi? me lance Barbara avec son accent russe.
-Une petite nouvelle?
-Pas vraiment une nouvelle.
-teuteuteu, lance Jenny en rigolant à moitié, laisse la décider, vilaine fille!

Je souris un peu.

-Les filles, je vous présente Vioréa. Elle voulait vous rencontrer et discuter un peu avec vous. Connaitre vos histoires, si ça vous dérange pas.

Jenny hausse un sourcils et me regarde un petit moment avant de prendre Vioréa par l'épaule pour la faire asseoir sur un fauteuil. Elle a tout d'une maman ordinaire, le regard pétillant.

-Bon, dis moi pour de vrai, gamine? Pourquoi elle te traine là?

Barbara s'assied sur l'accoudoir. Ses longs cheveux noirs cascadent sur son corps de ballerine. Il n'y a que son claudiquement qui laisse à penser qu'elle n'est plus une athlète émérite. Sitra, elle s'approche de moi, plus en retrait.

L'adolescente observe, en retrait ce tout nouvel environnement. Ces filles - ces femmes- ne sortent pas de l'ordinaire et baignent dans une ambiance qui lui rappelle le vestiaire des pom pom girls du lycée. Certaines sont jolies, d'autres plus quelconques, toutes sont dépourvu de l'aura de vulgarité et de dépravation que Vioréa leur associe mentalement. Les échanges dénotent d'une camaraderie bonhomme qui les rend presque d'emblée sympathiques.

Elles ont l'air comme tout le monde.
Normales.


Le malaise croit insidieusement dans la poitrine de la petite princesse roumaine, alors qu'on la présente. Pourquoi est-elle là ? C'est ridicule, elle n'a rien à voir avec ces demoiselles. Le contact avec la plus agée d'entre elles, à l'aura maternelle, la prend au dépourvu. Elle se crispe et jette à Elehiel un regard de biche paralysée par les phares d'une voiture.

- Bon, dis moi pour de vrai, gamine? Pourquoi elle te traîne là?
- Parce qu'elle s'prend pour ma daronne, grince la jeune fille entre ses dents, l'air renfrogné. Comme si trois cocktails et du poppers allait me transformer en pute.

La sale gosse laisse filer un silence.

- Sans offense, hein. C'est pas une critique sur vous ou votre boulot... Juste... J'vois pas comment j'pourrais devenir comme elle là... Elle désigne Elehiel d'un coup de menton mauvais... A escroquer des mecs pour foutre leur mariage en l'air !

Et elle ajoute avec une mine fermée.

- J'ai juste besoin de me vider la tête, ok ?! C'est pas un crime, merde ! Ça t'suffisait pas de faire exploser ma famille, faut aussi qu'tu m'empêches d'm'amuser ?

Plus elle bougonne, plus son accent roumain revient au galop sur un anglais jusque là sans défaut.

Vioréa découvre que le monde n’est pas aussi simple qu’il y parait. Ca se voit sur sa tête. Elle s’attendait à des filles vulgaires prêtes à tout pour tailler une pipe et elle découvre que ce sont de femmes comme les autres. Son trouble est visible et Jenny tente de la mettre à l’aise. C’est ce que Jenny fait toujours. C’est un peu la maman de toutes les filles, c’est celle qui panse les petits bobos et qui écoute les malheurs.

-Parce qu’elle s’prend pour ma daronne.
-Hmm, je vois.

Jenny hausse un sourcil et me lance un coup d’oeil. J’y répond par un haussement d’épaule. Libre à elle de penser ça, ce n’est pas le cas.

-Comme si trois cocktails et du poppers allait me transformer en pute.

Sitra  penche la tête, elle a la question au bord des lèvres mais respecte le silence perdu et enervé de la jeune femme. Elle attend. En fait, elles attendent toutes et moi aussi.

-Sans offense, hein. C’est pas une critique sur vous ou votre boulot… Juste… J’vois pas comment j’pourrais devenir comme elle là…

Tout les regards se tournent sur moi. Barbara ouvre la bouche mais Vioréa continue.

-A escroquer des mecs pour foutre leur mariage en l’air !
-ooooh!

Jenny vient de comprendre qui elle est, Sitra aussi. Barbara médite probablement toujours ce que Vioréa a dit.

-Je n’ai escroqué personne, Vioréa.
-J’ai juste besoin de me vider la tête, ok?! C’est pas un crime, merde ! Ca t’suffisait pas de faire exploser ma famille, faut aussi qu’tu m’empêches d’m’amuser?

Je ne dévie pas le regard de Vioréa. Barbara finit par ouvrir la bouche.

-...Tu sais… Ca peut aller vite. Ca peut aller si vite.
-Barb’...

Sitra s’est approchée et se tient près d’elle. Barbara essuie une larme et a un sourire piteux.

-Ca va, ca va. Si ça peut être utile…

Elle regarde Vioréa avec la gentillesse fragile qui la caractérise.

-C’est allé si vite, pour moi. J’étais en Russie, j’étais prête à devenir une étoile à Moscou. J’étais sûre de mon avenir. Mon père et ma mère… Ils n’étaient pas parfaits mais ils étaient riches, j’étais tranquille. Rien d’autre à faire que de faire de mon mieux pour atteindre mon objectif et faire la fierté de mes parents. Et puis, j’ai eu un accident. Impossible de reprendre la danse. Pas à mon niveau.

Elle tripote ses doigts. Sitra l’embrasse sur le front.

-Quand je suis sortie de l’hopitale, j’étais… En colère. Contre l’univers entier, contre le chauffeur, contre mes parents… J’ai fait la fête jusqu’à plus soif, j’ai voulu tout essayé et je suis tombé sur ce gars. Beau, mauvais genre et il m’a donné toute l’attention que je voulais. On est venu en Angleterre, pas si longtemps après. Et…

Sa voix se brise un peu.

-Et il s’est mis à… m’obliger à aller faire le trottoire, à exiger des choses. Il m’a tout pris à commencer par mon passeport et tout mes papiers.. Et il continue à tout me prendre mais maintenant, j’ai mes études. Je peux mettre de coté pour les payer. Je ne peux pas partir, pas encore mais… C’est mieux que rien.

Sitra la serre contre elle, Jenny lui presse la main alors que je dépose un baiser sur ses cheveux.
Je regarde Vioréa avant d’aller m’asseoir sur une chaise en face d’elle.

-Haïs moi autant que tu veux, Vioréa, et si tu veux qu’on parle de tout ça, on en parlera. Simplement, t’es pas en train de t’amuser. T’es en train de te détruire parce que t’es furieuse et que t’as mal. Mais j’ai - on - a une expérience que tu n’as pas. Tu es à ça de te mettre dans des situations inextricables. Et je sais qu’elles peuvent être séduisantes à première vue et que tu te dis que toute ta famille va débarquer en un claquement de doigt. Mais demande à toutes ces filles, c’est pas le cas. Si tu commences à suggérer à des mecs de la pègre locale que t’es capable de les titiller pour du poppers. Que tu joues avec eux. Ca se passera mal, Vioréa. Sache-le et agis en conséquence. T’es vraiment en train de marcher sur une corde raide.
-Oh, non, non, non princesse. Faut pas faire ça! Très très mauvaise idée! Y a une différence entre être travailleuse du sexe et jouer avec le feu.
-Y a beaucoup de filles qui disparaissent pour moins que ça, gamine...

Les filles sont immédiatement alarmées. Jenny me regarde.

-Mais il s’est passé quoi?
-Elle a fait miroiter des trucs à un dealer de Heksens et quand il a voulu avoir son paiement. Elle lui a broyé les couilles. Bon j’avoue, c’était plutôt marrant à regarder mais c’était surtout dangereux. Mais le mec est furieux, va falloir que j'aille voir les Heksens après ça, j'pense.

Jenny se tourne vers Vioréa.

-Tu as quel âge? 17, 18ans? Et tu viens de la famille Taur, c’est ça? Tu n’es pas protégée, princesse. Les choses arrivent vite, très vite. Le dealer fait parti d’un réseau et si c’est un Heksens, ça veut dire qu’ils ont aussi un réseau de prostitution, chérie. Il va parler à ses potes qui en parleront à ses potes et ça peut très très mal finir.

Elle est sincèrement inquiète. Elle soupire un peu.

-J’imagine que t’en as plein la tête mais tu sais, les hommes de ces milieux sont loins d’être aussi éduqués et le consentement, tout ça, c’est plutôt une option pour apparaitre grand seigneur qu’autre chose. Tu peux obtenir ta dose sans forcément t’y prendre comme tu t’y prends…

Barbara s’approche d’elle de son pas chaloupé. Elle pose un genoux par terre en grimaçant. Elle prend ses mains et dit simplement.

-Je suis désolée que ça soit dur chez toi. Vraiment désolée pour toi.

Elle lui sourit gentiment.

On l’inonde de témoignages qu'elle ne veut pas entendre, de conseils d'une bienveillance dégoulinante, d'une attention dont elle n'a rien à foutre. Elle aimerait hurler des "Taca-ti fleanca !" à toutes cette tripotée de gonzesses qui ont raté leur vie.  Leur présence, étroite, rapprochée, compatissante lui touille la rage en mayonnaise.

Elle étouffe.

Ces curvele la regardent de haut, la prennent pour une minable incapable de se défendre. Une étourdie, une princesse candide. Elles ne pigent que dalle... Sales căţelele !
Il n'y a pas si longtemps, elle épongeait le sang des blessures de son frère.
Il n'y a pas si longtemps, elle était témoin des éclats de colère magiques de sa mère.
Il n'y a pas si longtemps, elle assistait aux confessions de sa cousine, en pleurs, avant qu'elle ne disparaisse dans la Nuit.
Il n'y a pas si longtemps, elle découvrait ce qu'était vraiment Leviathan en l'espionnant avec son père.
Alors un pauvre mec comme Mickey et son gang de Bikers, c'est vraiment d'une rassurante banalité.

Elle suffoque

Les Sang-coureurs n'en feront qu'une bouchée qu'elle soit réellement violée ou non. Elle n'est, de toute manière, pas autre chose qu'un prétexte à instrumentaliser. Quand on naît femme dans la famille Taur, on ne peut pas être autre chose qu'un utérus en éclosion. On la mariera, de toute façon, pour la pérennité du sang que l'enfant ait été le fruit d'un rapt ou d'une véritable union.
Faire la pute, ce serait presque plus reposant, que d'enfanter à répétition. Elles n’ont pas idée.
Vioréa est figée dans une ouate glacée qui l'empêche tout bonnement d'exploser.
Sa vie, aucune d'entre elles ne mesure ce qu'il en est.
Aucune.
Qu'elles ailles toutes crever! TOUTES !

-Je suis désolée que ça soit dur chez toi. Vraiment désolée pour toi.

Le contact avec la peau diaphane de Barbara sort brutalement l'adolescente de sa torpeur. Son regard croise celui de l'ancienne ballerine et toute cette commisération sincère -cette foutue pitié- la fait vriller. Son esprit se crispe et se focalise sur la malheureuse. Ses ongles s'enfoncent dans la chair de la prostituée. Sa bouche se tord sur un rictus haineux. Son maquillage charbonneux coule sous la décharge lacrymale.

- Dracului curvele! De ce nu muriți toți ca să fiu lăsat în pace!

Sa cervelle pétille et se macule de néant.
Ses prunelles se délavent brutalement, ne laissant qu'un blanc laiteux et impavide.
La douce Barbara se met à hurler alors que les os de sa cheville produisent de détestables craquements.
Une onde de pouvoir secoue le corps des deux femmes liées.

Et puis le silence.
Le vide.
Le rien.

Hébétée, Vioréa rompt le contact. Elle recule dans le fond du fauteuil, effrayée, déboussolée.
En état de choc.

Elle ignore que Barbara ne boitera jamais plus, désormais.

L’explosion est violente et je peux pas m’empecher d’être un peu soulagée. Je crois que Barbara a compris ce qu’a dit Vioréa mais elle ne dit rien, elle est en sueur et ébranlée. Sitra l’écarte délicatement. Toutes les filles sont sur le qui-vive et si elles n’en montre rien parce que Vioréa est aussi choquée. Pas étonnant que la fille de Lavinia soit capable de ce genre de chose. Après tout, les dons de sorciers sont héréditaires, selon Asmo. Je ne sais pas bien ce qu’elle a fait à Barbara mais quand elle s’est levée, je ne l’ai pas vu boiter du tout. Pourtant, je suis sûre que les séquelles étaient irréversibles… Si elle l’a guérie, alors Vioréa est une guérisseuse puissante.
Enfin, je crois. Il faudrait que j’en parle à Asmo, savoir si des dons peuvent être aussi spécialisés. J’y connais encore pas assez de choses pour être sûre de moi. Jenny s’approche de moi et on échange quelques mots rapides. Elle me demande si la petite est au courant, si elle va aller bien. Elle ne demande pas de précisions, comme elle n’en a pas demandé en me voyant revenir, il y a quelques mois. Elle m’a simplement demandé si j’avais besoin d’aide pour cacher les cicatrices.
Elle est comme ça, Jenny.

Je m’approche de Vioréa et lui dit calmement.

-Allez, je te ramène chez toi...

Parce que j’imagine qu’avec ce qu’il vient de se passer, Lavinia est sans doute la mieux placée, je commence à me poser la question : est-ce que ça serait une bonne idée d’aller faire un tour par l’hospice où séjourne Lavinia... Elle est de toute manière inoffensive, en terme de pouvoir et je ne doute pas un seul instant qu’elle aime sa fille, malgré les dégâts.
Je ne peux pas remplacer sa présence, rassurante pour Vioréa, et je n’en ai pas envie.
Je ne sais franchement pas si c’est une bonne idée. Dans tout les cas, elle est épuisée et choquée. Ce qui vient de se passer n’est pas anodin du tout. Entre ça et tout ce qu’elle a vu et subit depuis l’effondrement du mariage de Kaelig et ma présence, sans compter tout ce que Kaelig et Lavinia pensaient tenir secret sans se rendre compte qu’ils avaient été vus… Sorin a vu, Vioréa est aussi intelligente et sensible que son frère, aussi proche de sa mère. Elle aussi, elle a dû voir.
Les dégats de cette famille sont incroyablement profonds. Ca me rend triste. Sitra aide Vioréa à se lever sans rien dire. Elle l’aide à aller jusqu’à la porte avant de dire simplement.

-Tu peux marcher jusqu’à sa voiture?

Pendant ce temps, l’idée de l’emmener me trotte dans la tête alors j’envoie un message à Ciulin. Je réponds enfin “ Ciu’, il s’est passé un truc un peu trauma, là. Genre reveillage de pouvoir chelou… J’hésite à emmener la petite voir votre mère. T’en penses quoi…?” et dans second message “comment ça, qu’en veut à Vespichou?”.

Déjà, faire monter Vioréa dans la voiture et se mettre en route. Je ne dis pas grand chose pendant le trajet jusqu’à la voiture.

-Allez, je te ramène chez toi...

Choquée, secouée, Viorea se laisse faire mollement, encore sous le coup de son propre déferlement magique. Elle ignore ce qu'était ce "truc" mais il ne lui ai pas nouveau. Ça c’est déjà produit, une paire de fois. Jamais aussi puissamment, toutefois. Là, elle en a la tête qui tourne et les jambes cotonneuses.

-Tu peux marcher jusqu’à sa voiture?

Elle hoche la tête sans un mot. Ils se refusent à elle. Sa bouche est sèche. La migraine n’est pas loin. Elle se surprend à saigner du nez. D'un revers de main, comme le ferait une cocaïnomane, elle étanche son pif rougi et fuit le regard des putes qui la laisse filer.

Elle a honte.
Terriblement.

Une fois dehors, elle fait quelques pas puis vomit tout ce qu'elle a dans le caniveau, une main appuyée sur la caisse de sa belle-mère à touffe rose. Le sentiment d'humiliation s’accroît et une fébrilité inconnue s'invite. Elle sue et tremble en s'asseyant à la place du mort.

- T'as de la flotte ? Qu'elle demande d'une voix rocailleuse avant qu'Elie ne démarre. Celle-ci lui tend une bouteille d'eau minérale dans la boite à gants et Viorea la vide sans se faire prier.

Le trajet est silencieux. Ciulin ne répond plus à Elehiel et Viorea n'a pas la force de garder les yeux sur un écran sans avoir la gerbe. Elle s'est remise à saigner du nez sans le remarquer et sa robe la gratte horriblement dans le dos.

- J'veux pas rentrer chez moi, qu'elle finit pas avouer d'une voix fragile. M'emmène pas là bas.....

Des larmes coulent sur son visage, traçant des sillons noir, un chagrin mutique de petite fille brisée.

L'exercice de magie auquel s'est subitement adonnée Vioréa l'a drainé. L'excès d'angoisse et de confusion l'a juste foutu à terre. Elle est mal. Je vois sa petite trogne de gamine devenir livide. J'ai à peine le temps de faire un pas de coté que je la vois dégueuler. Elle a le pif qui saigne méchamment. Elle tremble et elle est détrempée de sueur. Elle a tout les signes du stress intense et je peine à croire que ça soit uniquement dû à ce qu'il vient de se passer.
Vioréa est à bout. J'imagine pas le nombre de choses qui doit être en train de lui passer par la tête. Elle s'écrase sur la place passager.

-T'as de la flotte ?
-Ouais, tiens.

J'ouvre la boite à gant et lui sort une bouteille de flotte. Je reste vigilante. Le manque de réponse de Ciulin m'inquiète aussi. Il va falloir que je parle de tout ça à Kaelig et il va falloir que je le fasse de telle manière à ce qu'il ne rue pas dans les brancards. Personne n'a besoin de ça. Je démarre et je refléchis à la suite. Sa mère, pas sa mère. Je jette des coup d'oeils à Vioréa. Son nez saigne à nouveau, il va falloir que j'y fasse quelque chose... Avant qu'en plus de tout le reste, elle me tape une anémie.  Je suis concentrée sur tout ça quand sa voix souffle dans l'habitat et serre mon coeur à l'extrème.

-J'veux pas rentrer chez moi.

Je ralentis et je m'arrête sur le bas-coté. A quel point elle doit se sentir mal pour ne pas vouloir rentrer chez elle... Je la regarde en conservant mon calme et ma posture rassurante, mais j'en mene pas large. Cette gamine va si mal que s'en est douloureux.

-M'emmène pas là-bas...
-Ok. ok. On y va pas.

Elle pleure et je me sens con parce que j'ai la sensation que la toucher lui ferait plus de mal que de bien, si ça vient de moi.
Je farfouille dans mes boites à gants pour finalement tirer une boite de mouchoir du vide poche arrière. Je lui tends.
Je n'en dis pas plus puis je pars à la recherche de la boite de premier soin, j'ai de la gaze là-dedans. toujours prête à être blessée ou à me reveiller d'une crise blessée. Je la retrouve sous mon siège et l'ouvre pour en sortir deux petites pochettes de gaze. Je les ouvre, je les roule et me tourne vers elle, doucement. Assez doucement pour qu'elle m'arrête en fait, je m'approche pour lui glisser le tout dans le nez, délicatement.
Je m'écarte et finis par dire doucement.

-Petit un, t'as besoin de mettre de la bouffe dans ton organisme. Je sais pas exactement ce que t'as fait mais c'était puissant et t'es vidée. Donc... on va te choper un truc à bouffer. Ensuite... J'ai besoin de savoir si tu as mal quelque part. Et encore ensuite...

Je plisse un peu les yeux.

-Ensuite, je sais pas bien quoi faire donc tu décides. Soit je prends la direction du patelin où se trouve l'Hopital de ta mère et on y sera probablement aux heures d'ouverture et quand bien même... j'te ferais rentrer.  Soit, tu veux aller dormir chez une copine avec qui tu te sens bien et safe. Soit, je continue à conduire comme ça, au p'tit bonheur.

Je hausse les épaules et reprends la route tranquillement.

-Prend ton temps pour décider, rien ne presse. On va chercher à manger, déjà.

Je mets la radio en marche, juste assez fort pour qu'elle puisse sangloter à son aise en se disant que j'entends pas.

Elehiel lui explique une nouvelle fois la vie : genre faut bouffer et bien s'hydrater. Super. Cependant, cette fois elle ne se rebiffe pas contre l'argumentaire de la belle-maman en devenir. Elle a raison, ce serait con de ne pas se rendre à l'évidence. De plus, elle est trop fatiguée pour se rebeller.

-Ensuite, je sais pas bien quoi faire donc tu décides. Soit je prends la direction du patelin où se trouve l'Hopital de ta mère et on y sera probablement aux heures d'ouverture et quand bien même... j'te ferais rentrer. Soit, tu veux aller dormir chez une copine avec qui tu te sens bien et safe. Soit, je continue à conduire comme ça, au p'tit bonheur. Prend ton temps pour décider, rien ne presse. On va chercher à manger, déjà.

L'idée brutale de voir sa mère maintenant la terrifie. Elle ignore pourquoi. Elle a l'impression qu'elle ne serait qu'une déception de plus pour cette femme que tout le monde a abandonnée, qu'elle ne serait pas la fille qu'elle aurait espérée. Avoir Lavinia Taur comme mère est d'une pression sans nom : être parfaite, dominer en permanence, ne jamais laisser voir aux autres de quoi leur donner prise, cajoler les hommes mais les mépriser, sourire aux femmes mais s'en méfier.... Elle a toujours appliqué les lois maternelles à la lettre depuis l'enfance.
Que dirait-elle de cette vision pathétique d'une gamine au maquillage même pas waterproof, qui a crisé devant une poignée de parfaites inconnues ?

Viorea redoute de le savoir.
Viorea ne veut pas décevoir.

La musique grésille depuis plusieurs bonnes minutes dans son poste radio bon marché. De nouveau le nez de l'adolescente ce met à couler. Robinet sanglant mal verrouillé.

- Rahat ! Grogne-t-elle en essayant de s'éponger le pif avec ce qu'elle trouve à porté. Fais chier, ça m'arrive tout le temps en ce moment !

Un long silence s'ensuit, uniquement bercé par le solo nasillard d'une chanteuse pop.

- Mama supportera pas de savoir que t'es dans les parages. Même si je ne lui dis pas, elle le saura.. M'demande pas comment elle fait... J'ai jamais su.

Un reniflement.
Un constat.

- J'ai pas d'amis. Pas qui me fasse m'sentir bien.

Étrangement, son accent roumain bien que parfaitement gommé chuinte légèrement dans ces dernières paroles, comme si elle n'avait plus la force de maintenir les apparences.

-..... Tu vis où, toi ? Demande-t-elle soudain.

La terreur de Vioréa est à peine dissimulée quand je lui parle d'aller voir sa mère. Ca me rend triste. C'est un beau gachis. Je ne doute pas de l'amour de Lavinia pour ses enfants, je ne doute pas qu'elle les a traumatisés, tous, en pensant bien faire et être une bonne mère. Le fait est que son entêtement à poursuivre sur une route destructrice a causé des séquelles particulièrement vivaces et donné à Vioréa, qui m'a l'air d'être une fille au moins aussi sensible que son frère, un modèle de féminité particulièrement toxique et invasif qui empoisonne cette petite à petit feu.
Je n'arrive pas à me détacher du parallèle avec la mienne et je me demande souvent si elle aurait été comme ça avec moi, sans l'assassinat. J'évacue la question de mon cerveau. Elle n'est pas utile, pour le moment, mon attention doit être dédiée à Vioréa dont le nez s'est remis à saigner... Encore.
Je fronce les sourcils, ces saignements successifs me semblent étranges. Est-ce que c'est un résultat de l'utilisation de son don? J'ai du mal à voir ce que ça pourrait être d'autre mais dans le doute, je le note mentalement pour en parler à Kaelig et aux autres membres de la famille. Si je dois jouer les intermédiaires pour assurer une vie décente à Sorin et Vioréa, ça ne me pose aucune problème.

...
Bon par contre, j'aurais aimé qu'elle éponge pas son nez avec mon pull préféré...
Cette tache partira jamais, rip petit pull.

-Fais chier, ça m'arrive tout le temps en ce moment !
-Tout le temps? Quand tu t'sers de ton don? Ou tout le temps tout le temps?

Elle répond pas tout de suite. Le silence s'étend entre mes propositions et la réponse. C'est pas un problème, ça me fait juste chier de la voir calculer à ce point ses actions. C'est une gamine, elle devrait avoir le bénéfice d'un peu d'insouciance. Le droit à la plantade.

-Mama supportera pas de savoir que t'es dans les parages.

Ca non plus, tu devrais pas t'en soucier, chatonne.

-Même si je ne lui dis pas, elle le saura... M'demande pas comment elle fait... J'ai jamais su.

Je hausse les épaules pour signifier que c'est pas important.

-OK.

Je discute pas plus. J'ai aucune raison de la forcer à quoique ce soit.

-J'ai pas d'amis. Pas qui me fasse m'sentir bien.

Je lance un coup d'oeil à Vioréa et je peux pas m’empêcher d'avoir le petit discours dégueulasse de Lavinia dans le crâne. "Tout le monde veut quelque choses." J'peux pas m’empêcher d'imaginer Vioréa se forcer à être calculatrice, manipulatrice, à s'isoler encore et encore parce qu'on lui a expliqué, depuis toute petite, que c'est comme ça qu'il faut faire pour vivre et réussir. S'isoler et se blinder au point d'en crever de solitude mais tenir debout, toujours, parce que l’entièreté des humains et des humaines n'attend que ta chute.

-D'acc.

Personne n'a dit à cette gamine que la plupart des gens s'en foutront. Personne ne lui a appris le secret : on est tous insignifiants à la majorité de notre race. Très peu de gens, relativement à la taille de notre population, en ont quelque chose à foutre. Le monde n'est pas bon mais il ne nous cherche pas intrinsèquement du mal.
Alors Vioréa a construit des amitiés fantoches. Des liens qu'elle a tenté de tisser comme une araignée alors qu'elle et son frère tiennent plus du papillons que de l'arachnide.
Ce que j'aimerais pouvoir déconstruire tout ça d'un coup de baguette magique... Ca me rend triste. Ca me donne envie de protéger ces gamins jusqu'à ma mort et au-delà.
Je ne peux pas empecher ma voix interne de hurler "plus jamais ça".
Plus jamais.
Il faut que la vie s'améliore pour eux. Ils ont mérité le répit et la vie d'ado presque normale... Autant qu'une vie de famille d'ex chasseurs nouveau alliés de créatures puisse offrir.
Je refuse de regarder Vioréa s'abimer dans la drogue et les fêtes juste pour oublier qu'elle est seule et que ça ne changera jamais.
Je refuse de voir Sorin s'esquinter à tenir le lien familiale à se faire tout petit pour remplir les attentes désuètes d'une famille qu'il n'a jamais comprises et qui ne l'a pas compris.
C'est ça, mon rôle de belle-mère. M'assurer que cette famille, ma famille, devienne plus fonctionnelle. Mettre un peu de ce qui rend la relation entre moi, Even et Enzo si forte malgré les moments houleux. Accompagner Kaelig sur ce chemin là et travailler dans l'ombre, souvent, et dans la lumière, parfois, pour que cette famille et surtout, les enfants de cette famille ne se sentent plus isolés les uns des autres. Qu'ils se rendent compte, autant que faire ce peut, qu'ils sont ensemble. Qu'ils ont des choses à partager et qu'aucun d'eux n'a quoique ce soit à prouver.

Diable... Je suis vraiment un bulldozer alors...

-Tu vis où, toi?

L'accent roumain et la question me font hausser les sourcils bien hauts.

-Hein?

Je m'arrête au drive d'un fast food et laisse Vioréa commander ce qu'elle veut, j'en profite pour me prendre à bouffer également. Je nous remets en route.

-Ben... Chez Enzo ou dans un chalet en forêt... Mais j'pense qu'on va aller chez Enzo. Il est pas là. J'crois qu'il tourne dans chaipu quel pays... Fin bref, ça sera calme.

Je prends la route de chez Enzo et quelques minutes de silence plus tard ainsi qu'une odeur délicieuse de bouffes dégueulasses. J'ouvre la portière à Vioréa - parce que la sécurité enfant de ma poubelle est bien évidemment pétée - et la guide jusqu'à la maison ultra moderne de Enzo.
Elle a beaucoup changé depuis que je suis revenue. Enzo m'a demandé de dessiner et coloré les murs, donc c'est un fabuleux mélange de graffiti colorés et de murs blancs et de meubles industrialo modernes. Un énorme canapé confortable d'un gris antracite entourre une table basse en béton ciré parsemée d'une multitude de photos, certaines sont barrés d'autre non. Enzo s'est sérieusement mis à la photo, je pense qu'il va transitionner doucement de modèle à photographe. Je le trouve très doué. Dans le tas, il y a des photos de célébrité et certaines de moi, aussi. Je désigne le canapé.

-Installe toi. J'vais chercher des serviettes et de l'eau.

Je file en cuisine après avoir déposer le sac sur la table. Je reviens quelques minutes après avec tout ce qu'il faut. Vioréa a l'air épuisée, je ne sais pas si c'est la fatigue ou le froid, mais j'ai l'impression qu'elle tremble. J'ouvre un vieux coffre et en sors une couverture lestée que je pose à coté d'elle.

-Tiens, si t'as envie. Elle est un peu lourde mais c'est justement assez cool, parait que ça a des vertus apaisantes. Allez, mange un peu, t'es toute pâle, manquerait plus qu'un malaise pour finir cette soirée, pas vrai?

Je lui souris gentiment et sors ce qu'elle a commandé du sac puis récupère ma propre commande. Je commence à grignoter avant de lancer.

-Ok google, mets de la musique tranquille.
-Très bien, je lance la playlist chill bill.

Je manque de m'étouffer en riant sur mon burger. Je lance un coup d'oeil au Chromecast puis à Vioréa.

-L'une des fierté d'Enzo... Trouver des jeux de mots pourris pour ses playlists. On s'y fait pas.

-Tout le temps? Quand tu t'sers de ton don? Ou tout le temps tout le temps?
- Mon quoi ?

Viorea lorgne Elie avec un haussement de sourcil. Fraise Tagada aurait pu lui dire que ses saignements de nez étaient dus à une pluie de grenouilles danseuses de claquettes que ça ne lui aurait pas paru plus incongru. Heureusement -ou pas- la conversation enchaîne vite sur sa mère. Les arguments apportés par la jeune femme semble convaincre Elehiel. Ou bien a-t-elle trop la flemme de batailler. Possible aussi.

- Tu vis où, toi?
- Hein?
- Elle est pourtant simple ma question.... tu sais pas où tu vis ? Viorea arbore sa moue désagréable par réflexe. Une forme de mécanique de survie élémentaire.
- Ben... Chez Enzo ou dans un chalet en forêt... Mais j'pense qu'on va aller chez Enzo. Il est pas là. J'crois qu'il tourne dans chaipu quel pays... Fin bref, ça sera calme.
- Enzo c'est le mannequin avec qui tu tapisses tout instagram ? fait-elle d'un air savamment détaché en faisant mine d'ignorer qui il est. C'est mon vieux qui doit être ravi....

L'adolescente commande un menu complet par défaut. Elle n'a aucun appétit mais elle se force à commander le sacro-saint burger-frittes-coca local. Elle se laisse conduire ensuite chez le fameux Enzo : un loft chic et branché. Dans de meilleures circonstances, elle aurait dégainé son appareil photo pour se prendre en selfie et publier sur les réseaux sociaux. Au lieu de cela, Viorea grelotte sur le canapé en cuir, affaissée sur elle-même. La couverture tendue est d'un réconfort qu'elle n'osera jamais admettre. Elle n'a pas assez d'énergie pour alimenter sa verve ce soir. Tout juste peut-elle jeter un coup d'oeil alentour et contempler les clichés d'art et de mode qui tapissent les murs. Une photo attire soudain son attention : elle est d'une dimension ridiculement petite en comparaison des autres et orne un coin de meuble. Il s'agit d'un portrait d'Elehiel en compagnie de son père. Kaelig et sa "maîtresse" n'ont d'yeux que l'un pour l'autre dans une atmosphère baignée de lumière naturelle. Le photographe a capturé quelque chose d'incroyable et d'intime dans son objectif : un visage qu'elle n'a jamais vu de son père.

Un homme tendre et heureux.
Épanoui.

Viorea s'est levée pour mieux détailler cet improbable tableau. La musique la fait presque sursauter. Elle retourne s'asseoir sans un mot. Le déballage de bouffe soulève brutalement une vague de nausées. L'odeur de viande grillée, en particulier des steaks hachés, lui colle des haut le coeur. Elle détourne la tête, main sur la bouche pour bloquer tout débordement. Elle inspire bruyamment.

- Dé.. désolée.. Chais.. pas.. c'est c'que j'bouffe d'habitude.. mais.. là ça me fout la gerbe...

La jeune fille a l'air déroutée par les réactions de son propre corps alors que son nez se remet à goutter rouge. Ses prunelles reflètent une détresse terrible et muette. La seule personne qui peut l'aider et l'épauler est présentement la personne qu'elle se doit de haïr le plus. Un ressentiment qui sonne de plus en plus creux au sein de sa cage thoracique.

-Enzo c'est le mannequin avec qui tu tapisses tout instagram ?
-Ouip. C'est mon frangin.
-C'est mon vieux qui doit être ravi....
-En vrai, ouais parce que comme ça, j'le traine pas dans mes plans foireux de soirée branchées.

Je répond en souriant. On commande et ni une ni deux on est chez Enzo. Je reviens sur une Vioréa qui détaille le portrait de son père et moi - j'adore cette photo parce que Kaelig rayonne dessus - comme si c'était une curiosité étrange. Parfois, je me demande à quoi ressemblait réellement les années "bonheurs" de Kaelig et Lavinia pour que leurs enfants - tous sans exception- soient si perdus de voir ce genre de scènes. Je ne commente pas : Vioréa s'ouvre un peu à moi, à contre coeur et lui faire une remarque sur une photo si alien pour elle me semble très malvenue. Je préfère installer la table mais je la vois devenir parfaitement blanche, presque translucide.

-Ca... Va?
-Dé.. désolée...
-T'excuse pas.
-Chais pas.. c'est c'que j'bouffe d'habitude.. mais.. là ça me fout la gerbe...

Je hausse les sourcils et remballe la nourriture alors que soudainement le nez de Vioréa se remet à saigner. Cette soirée ne s'arrête plus de rebondir... Je balance la bouffe dans le sac, le ferme et le fait glisser au sol très loin d'elle avant de me lever pour m'asseoir à coté d'elle. J'attrappe la boite de mouchoir spécial telenovela et lui plaque ça sous le nez.

-Tout va bien... Ca fait peur, je comprends mais ça va s'arrêter. Faut juste être patiente et pas paniquer.
Ca va se calmer.

J'ajuste la couverture autour d'elle et lui fait doucement reposer la tête sur le dossier du canapé. Elle est au bord de la crise d'angoisse. Si ça s'arrête pas dans les 5 prochaines minutes, j'appelle Salomon.

-Ca va aller, je reste avec toi.

J'ai l'intime conviction que même en soignant une jambe comme ça, on saigne pas trois fois du pif comme ça. Y a un truc qui cloche. Je sais pas quoi mais je l'impression tenace qu'un truc chelou se passe.

Je regarde Vioréa.

-Essaie de respirer calmement. Inspire et expire en comptant trois secondes entre chaque mouvements. ok? Concentre-toi là dessus. Si tu veux, j'le fais avec toi.

Elehiel est étonnamment maternelle. Lavinia l'était également, mais d'une manière quelque peu hystérique, telle une mère poule couvant ses petits au risque de les étouffer complétement. Elie est tactile sans envahir son espace. Elle a de nets souvenirs de sa mère s'invitant dans son lit pour dormir avec elle alors même qu'elle embrassait le début de son adolescence et son besoin d'intimité. Viorea se surprend à penser qu'avoir Elie en belle-mère ne serait pas aussi abominable qu'escompté.
Elle s'en veut presque immédiatement.

La jeune femme arrache le mouchoir des mains de "Fraise Tagada" et s'écarte avec une brusquerie juvénile.

- C'est bon ! J'ai pas besoin de tes trucs new age, là ! C’est juste un foutu saignement de nez !

Qui revient, encore et encore.
Fontaine d'hémoglobine
qui lui coagule les narines.
Murmures et pépiements...

"Tu es à nous, à nous, à nous..."

Viorea secoue la tête. A l'orée de sa vision, elle voit des ombres bouger.
Là.
Sur le bras du canapé.
Un papillon noir.

L'adolescente recule, poussant un cri de terreur.

Un. Puis deux...

La respiration saccadée, Viorea est en proie à une panique abominable. Elle se réfugie tout contre Elie.

Puis Trois, Puis quatre...

"Tu es comme nous, comme nous, comme nous..."

- T.. Tu les vois ?!!!! Dis-moi qu'tu les vois !!!!!!

Vioréa s'écarte et crache du venin, un mécanisme de défense vieux comme le monde, je la laisse faire en souriant tranquillement. Aucune raison de m'énerver. Quelque chose d'étrange est en train de lui arriver et elle a parfaitement le droit de réagir comme ça.
Soudain, elle se fige. Son regard fixe le bras du canapé avec une panique grandissante. Elle est terrifiée et s'expulse de sa place pour venir se blottir contre moi. Je cligne des yeux et la récéptionne. Je la presse contre moi par réflexe. Je sais pas de quoi je suis sensée te protéger, baby girl, mais j'suis là...
Le bras du canapé est désespérément vide.
Là, ça fait beaucoup... Vraiment, vraiment beaucoup.

-T.. Tu les vois ?!!!

Je penche la tête pour la regarder, ses yeux ne se détournent pas du bras de canapé. Je secoue la tête doucement

-Dis-moi qu'tu les vois !!!!!

Je pose la main sur le front de Vioréa. brulant.

-Non. Tu... es en train d'halluciner. Ca va aller, j'te promets.

J'attrappe son visage aussi fermement que la délicatesse que je veux transmettre me le permet. Je la fais se retourner vers moi.

-Vioréa, il faut calmer ta respiration. Plus tu ventiles plus mal ça va aller, d'accord? Ferme les yeux, concentre toi. Essaies mon truc New age, j'te promet, ça va t'aider. J'ai un ami médecin, qui va venir. Il va t'examiner. Tout ira bien, j'serais avec toi tout le long, j'te laisserais pas toute seule, d'acc? Mais on doit comprendre ce qui se passe. Allez, inspire : 1,2,3. expire.

et je comptes et je lui donne les instructions. Je la ramène contre moi, son dos contre mon ventre et je respire en même temps qu'elle. J'ai posé une main sur ses yeux parce que je sais à quel point quand on hallucine, regarder est tentant, presque vitale. De ma main libre, j'envoie un message à Salomon :" Sal', urgence chez Enzo, viens vite s'il te plait. Il se passe un truc étrange".

Viorea tremble. Cette soirée est un cauchemar sans nom. Si seulement Elehiel n'était pas venu fourrer son nez dans ses affaires. La pensée fuse et aussitôt la jeune femme la sait injuste. Si sa future belle-mère n'était pas intervenue, elle serait sans doute  en train de sucer une queue de motard dans les toilettes du Eden. Les saignements de nez et les hallucinations auraient sans doute été moins bien prise en considération.

Elehiel est chiante à être si serviable, putain !

Plantant ses ongles dans cette idée, agrippée à sa rage comme un roquet, Viorea s'accroche à sa lucidité. Elle bataille rudement tout en appliquant les conseils de "Fraise Tagada". Sa main est fraiche sur ses yeux brûlants. C'en est presque agréable.
Elle inspire.
Elle expire.
Elle se concentre sur la voix étonnamment maîtrisée de la pseudo-daronne.

Ils sont toujours là !

- C'est.. C'est pas des hallucinations! Je les entends !  Il continue de blablater... Rahat ! Qu'est-ce qui m'arrive?! Son timbre a vrillé en trémolos. Elle a le menton plissé comme une gosse sur le point d'éclater en sanglot.

Brusquement, un drôle de chuintement se fait entendre dans l'air suivi du bruit caractéristique de bouchon de champagne qui saute. Viorea écarte les doigts d'Elie pour mieux voir. Un homme vient d’apparaître sur la table basse : blond, élancé, dans un pyjama en soie bleu canard  à imprimé végétal. Il porte, par dessus, un peignoir rouge élégant bariolé d'un autre motif, plus tropical. Dans le coin de son coude pèse une bible et dans l'autre, il a... un téléphone portable.
Salomon Grass est pieds nus comme de bien entendu.

- Elehiel.. Y'a un mec qui vient d’apparaître dans ton salon....... C’est aussi une hallu ?
- Point du tout, cher enfant ! Je suis on ne peut plus réel. Il descend avec une prestance princière de son promontoire. Bien le bonsoir, quoi qu'il en retourne. J'étais en pleine lecture de cette anthologie au moment où tu m'as instamment sommé de venir, mon adorable Bleuet. Elle a beau avoir changé de couleur de cheveux, Buër ne semble pas prêt à abandonner le sobriquet. J'y cherchais quelques citations à placer ça et là afin d'enrichir ma prose quand je fais la cour à Jhaelynra. Mais ce livre est aussi pénible à compulser que l'annuaire. Le style est affreusement ostentatoire et clairement inégal d'un auteur à l'autre. Il est bourré d'inepties par ailleurs. Un peu de jugeote permet d'expliquer la combustion spontanée d'un buisson en plein désert par une pleine canicule. Et si ce dernier vous tiens conversation c'est que vous êtes clairement déshydraté et que le malaise vagale vous guette ! Fin du miracle ! Il s'interrompt et observe soudain les deux jeunes femmes comme si il se souvenait de leur présence.... Pourquoi m'as-tu appelé au juste ?

Salomon fronce le nez et hume l'air qui les entoure.

- Il y a dans cette pièce le parfum âcre d'une infection.....
- Mais vous êtes qui putain ?!
- T-t-t-t-t-t-t, il y a bien des mots pour qualifier le plus vieux métier du monde -avec celui de fossoyeur, sans doute, la chose est à vérifier...- que celui-ci, ne croyez-vous point ?  Nous avons prostituée, courtisane, hétaïre -j'aime beaucoup ce terme, il nous vient de la Grèce antique- péripatéticienne, galante...

Viorea, ahurie et bouchée bée, observe l'inconnu continuer de lui lister des synonymes pour "curva".

-C'est... C'est pas des hallucinations! Je les entends ! Il continue de blablater...
-Ok... Essaie juste de concentrer sur ta respiration, repousse ce qu'ils disent au second blanc. Essaie de gonf-
-Rahat! Qu'est-ce qui m'arrive?!

Le timbre de Vioréa me fait mal au bide. Je la serre un peu contre moi. J'aimerais pouvoir arrêter ces voix, sincèrement. Je sais trop ce que c'est d'entendre et de voir des choses qui ne veulent ni se taire, ni s'en aller. Que ce qu'entend Vioréa soit réel ou non, ça la fout au supplice et pour le moment, ce n'est pas la question.

-J'en sais rien, kiddo... Mais, on va trouver. Personne te laissera comme ça, j'te promets.

Mon texto est envoyé depuis à peu près 15secondes que Salomon débarque. J'avoue, je suis incroyablement soulagée de le voir. Il représente à peu près le seul médecin -enfin, un genre de médecin - qui peut réagir aussi vite. Bien entendu, il parle... BEAUCOUP.

-Elehiel.. Y'a un mec qui vient d'apparaître dans ton salon...... C'est aussi une hallu ?

Je remets une meche poisseuse de sueur derrière l'oreille de Vioréa en secouant la tête. J'ai pas le temps d'en placer une. Le monologue tient sur l'absurdité de la religion et son envie de trouver de quoi charmer sa belle. Ca me fait sourire un peu même si j'ai beaucoup plus urgent sur le feu.

-Pourquoi m'as-tu appelé au juste ?

Je le vois froncé le nez avant que j'arrive à en placer une.

-Il y a dans cette pièce le parfum âcre d'une infection......

Je plisse les yeux et jette un coup d'oeil à Vioréa qui ne comprend rien à ce qu'il se passe. Je ne peux pas la blamer pour ça. Salomon est... un sacré morceau quand tout va bien mais quand c'est la panique, c'est... un sacré gus.

-Péripatéticienne, galante...


Y en a deux ou trois qui passent pendant lesquels je murmure à Vioréa.


-Il a un peu du mal à jauger l'ambiance d'une salle... Mais t'inquiète pas. C'est Salomon, il est spécialisé dans les maladies et tout ça. Donc, on saura vite - je pense - ce qui t'arrive... J'veux dire, ça a été très rapide avec moi. J'sais qu'il est flippant mais il te fera rien de mal, ok? Il est juste... un peu différent mais c'est un génie.

Je me racle la gorge pour attirer l'attention de Sal.

-Sal, choupi. J'ai besoin que tu te concentres. Vioréa - ici -, je désigne du doigt la gamine tremblante dans mes bras, expérience des choses étranges, là et j'suis inquiète. Elle a saigné du nez trois ou quatre fois dans la dernière heure et demi et maintenant, y a des voix qui raisonnent dans sa tête. J'ai cru que c'était un contre-coup de ses dons, parce qu'elle les a reveillé plus tôt dans la soirée mais là... ça fait des heures. Y a un truc qui cloche. T'as parlé d'infection? Ca existe les infections qui font saigner du pif, qui dégoute de la nourriture et qui font entendre des voix? J'ai pas besoin d'une liste, j'ai besoin de savoir ce qu'elle a et comment on la soigne.

- Il a un peu du mal à jauger l'ambiance d'une salle...
- Sans blague...
- Mais t'inquiète pas. C'est Salomon, il est spécialisé dans les maladies et tout ça. Donc, on saura vite - je pense - ce qui t'arrive... J'veux dire, ça a été très rapide avec moi. J'sais qu'il est flippant mais il te fera rien de mal, ok? Il est juste... un peu différent mais c'est un génie.
- Chuis absolument pas rassurée! glapit Viorea en voyant l'autre dinguo s'approcher dangereusement d'elles. Il s'est téléporté dans ton salon : c’est soit un sorcier, soit un démon !
- Sal, choupi.
- Plait-il ?

L'étrange blondinet, ploie vers les deux demoiselles de toute sa hauteur, comme si il tendait l'oreille pour écouter la confession intime d'un secret. Viorea ne peut s'empêcher de penser qu'il sent bon les fleurs fraîches et la terre mouillée.

- J'ai besoin que tu te concentres. Vioréa, ici...
- Boujour, miss! Déclare-t-il avec un sourire fort urbain.
-....expérimente des choses étranges, là et j'suis inquiète.
- Ah, vraiment ? S'allume dans son regard une lueur d'intérêt froide qui rappelle à la jeune roumaine le néon des plafonniers d’hôpitaux. Elle n’apprécie pas du tout.
- Elle a saigné du nez trois ou quatre fois dans la dernière heure et demi et maintenant, y a des voix qui raisonnent dans sa tête.
- Humhum....
- J'ai cru que c'était un contre-coup de ses dons, parce qu'elle les a réveillé plus tôt dans la soirée...
- MES QUOI ?! Arrête tes conneries, j'ai zéro don, chuis pas une magotte !
-...mais là... ça fait des heures. Y a un truc qui cloche. T'as parlé d'infection? Ça existe les infections qui font saigner du pif, qui dégoûte de la nourriture et qui font entendre des voix? J'ai pas besoin d'une liste, j'ai besoin de savoir ce qu'elle a et comment on la soigne.

Salomon s’est agenouillé lentement sans pour autant quitter la patiente des yeux. La fixité de son buste et de ses pupilles, donnent l'impression désagréable à Viorea d'être dans les anneaux d'un reptile dangereux.

- Chère demoiselle, déclare-t-il à la fin de l'exposé d'Elie, m'autorisez-vous à vous ausculter ?

Le premier mouvement de l'adolescente est de lui opposer un refus tout net. Elle se ravise, cependant, et hoche tout doucement la tête. Buër fait glisser ses phalanges de pianiste sur le derme brûlant de la jeune femme qui tremble autant de fièvre que d'inquiétude. Il palpe, effleure, semble dessiner certains contours de son être dissimulés sous sa peau. Elle a l'impression d'être une poupée de porcelaine qu'on manipule avec une exquise délicatesse.
La méfiance de Viorea s'engourdit.
Elle ignore que de microscopiques rhizomes prolongent les doigts du médecin et pénètrent dans son système sanguin, musculaire et nerveux, à la recherches d'indices. Elie ne peux qu'assister à l'étrange balai communiquant entre le Jardinier et la jeune violette dont il observe pétales et tige.

Après un long moment, qui lui semble interminable, Salomon pousse un soupir songeur, un expression indéchiffrable sur son visage de statue.

- Elehiel.... débute-t-il avec un timbre grave. Je suis face à un complet mystère. Il s'enflamme soudain, les prunelles pétillant d'une joie enfantine. N'est-ce pas là chose incroyable !? Moi, le maître incontesté du vivant et de ses partitions subtile me trouve pour la première fois depuis fort longtemps, pris au dépourvu ! N'est-ce pas grisant ?
- J'ai l'air grisé, connard !? éructe Vioréa hors d'elle.
- Oh, non ! répond Salomon d'un ton joyeux. Le qualificatif dans votre cas, ne peut s'appliquer : vous êtes mourante. Il sourit tranquillement ne comprenant absolument pas pourquoi le visage de sa patiente se décompose.
- Je.. je vais mourir ?
- C'est indéniable : vos tissus organiques sont en pleine nécrose. La chimie de votre cerveau a été fortement altérée tout comme les différents microbiotes de votre organisme. Vous êtes rongée par un parasite d'un genre nouveau qui s'ingénie à modifier jusqu'à votre adn. Je n'ai jamais vu chose pareil. Ce "corps" étranger n'obéit à aucune des lois "naturelle" que je connais. En un sens il est plus que surnaturel, il est "extra-naturel".
- Je vais mourir... balbutie Viorea sous le choc.
- Il y a autre chose d'étonnant, par ailleurs, c'est que votre code génétique m'est familier. N'auriez-vous pas en parentèle une Héritière du nom de Lavinia Sarbesco ?
- Je vais mourir.........
- Oui... se dandine Salomon en regardant Elehiel sans comprendre. Vous l'avez dit par trois fois déjà.

Alors.
Comment dire.
Peut-être que je croyais que cette soirée ne pouvait pas plus se barrer en sucette. Sérieusement, on est déjà à un certain niveau : Vioréa est une camée, elle est alcoolisée, elle vient d'utiliser ses pouvoirs sur mes amis travailleuses du sexe, elle a vomit, saigner du nez plusieurs fois et a demandé à ne pas voir sa mère ni à rentrer chez elle.
En terme de truc étonnant et incompréhensible, ça se pose quand même là.
Mais alors... Sal qui sort à une gamine de 17ans qu'elle va mourir parce qu'elle est infectée par un virus qui nécrose - pas la moindre idée de ce que ça peut être mais ça sent le truc nul -et qui altère le cerveau et qui EN PLUS modifie son ADN...

C'est pas à moi que ça arrive et pourtant, je reste la bouche ouverte comme une andouille parce que je suis scotchée.
-Je.. Je vais mourir ?
-Non, on va trouver une solution.
-Il y a autre chose d'étonnant, par ailleurs, c'est que votre code génétique m'est familier. N'auriez-vous pas en parentèle une Héritière du nom de Lavinia Sarbesco ?

Héritière... Comme les sorciers sorciers? Kaelig m'a déjà dit que Lavinia était une sorcière roumaine. Je ne savais pas qu'elle était une héritière. Pourquoi Sal connait-il sa mère?

-C'est sa mère. Pas maintenant, Sal. On creusera ça plus tard.

-Je vais mourir.......
-Oui... Vous l'avez dit par trois fois déjà.

J'attire Vioréa contre moi et je la serre dans mes bras. Salomon me détaille sans comprendre. Il voit bien que quelque chose cloche, il ne comprend pas.

-C'est comme si je venais de t'annoncer que tu allais perdre toutes tes connaissances petit à petit et que plus jamais tu ne pourrais les réapprendre. Tu viens de dire à une enfant qu'elle va mourir d'une maladie grave, Sal. Elle est sous le choc.

Je presse le bras de Vioréa et l'observe.

-Y a forcément une solution. Si c'est une infection, c'est forcement que d'autre gens l'ont, ça veut dire que y a plus à apprendre. Si ça infecte les héritiers, ça peut peut-être infecté n'importe qui. Si c'est le cas, Sal, on a besoin d'en savoir plus et vite. Il faut que t'aille voir Monsieur et Madame, on doit comprendre cette merde. J'laisserais pas mourir Vioréa alors on va lui trouver une solution et vite.

Je me suis furieuse contre ce monde de merde qui s'acharne contre cette gamine qui n'a rien demandé à personne, furieuse contre Unseelie.

-Est-ce que y a un moyen de ralentir le processus? Est-ce que tu penses au moins pouvoir trouver un truc...palliatif? C'est l'bon mot?

Je me retourne vers Vioréa.

-On va trouver une solution, ok. J'te laisserais pas tomber et ton père non plus.

Viorea a les pensées engourdies. Elles tournent en boucle autour de ces trois petits mots : "Je vais mourir". Le reste est un tambour de lessive vide. Livide, abasourdie, elle ne dit plus un mot, le regard perdu sur un minuscule point fixe au delà du réel.

-C'est comme si je venais de t'annoncer que tu allais perdre toutes tes connaissances petit à petit et que plus jamais tu ne pourrais les réapprendre. Tu viens de dire à une enfant qu'elle va mourir d'une maladie grave, Sal. Elle est sous le choc.
- Oh.... Fait le grand échalas sans la moindre trace de compréhension dans le timbre. Il fronce les sourcils en proie à une profonde réflexion.
-Y a forcément une solution. Si c'est une infection, c'est forcement que d'autre gens l'ont, ça veut dire que y a plus à apprendre. Si ça infecte les héritiers, ça peut peut-être infecté n'importe qui. Si c'est le cas, Sal, on a besoin d'en savoir plus et vite. Il faut que t'aille voir Monsieur et Madame, on doit comprendre cette merde.
- Hum....
- J'laisserais pas mourir Vioréa alors on va lui trouver une solution et vite. Est-ce que y a un moyen de ralentir le processus? Est-ce que tu penses au moins pouvoir trouver un truc...palliatif? C'est l'bon mot?
-Hum.........
-On va trouver une solution, ok. J'te laisserais pas tomber et ton père non plus.
- M.. mon père ? Viorea semble s'extraire de sa ouate mentale. Non.... Souffle-t-elle terrorisée... Non! J'veux pas qu'il sache !
- Par le Pandémonium !

Viorea sursaute en regardant Salomon. Les prunelles vert nucléaire de se dernier se dilatent en proie à une brusque épiphanie.

- Diable ! J'ai passé en revue mon discours précédemment déclamé et je viens de comprendre pourquoi l'annonce de votre fin précoce a pu affecter votre terrain émotionnel. J'oublie que malgré la pleine conscience de votre fugace espérance de vie, vous persistez dans le déni de cette donnée évidente. J'omets toujours cette faculté que vous autres avez de refuser la péremption de la chair et de vous en convaincre. L'esprit humain est épatant. Las, j'ai fais preuve d'un manque de tact tout à fait discourtois. L'étrange bonhomme prend la main de l'adolescente et tapote complaisamment dessus. Je suis navré, sincèrement navré... Les émotions humaines obéissent à des protocoles complexes dont je ne maitrise pas encore toutes les étapes. Pardonnez-moi de m'être montré... abrupt.
- Pourquoi? Vous n'êtes pas humain, vous ?

Elle regrette d'avoir posé la question. Sa répartie a jailli par automatisme, aussi condimentée que d'ordinaire. Le jeune homme -qui continue de lui tambouriner délicatement le plat de la pogne- bat des cils et penche la tête sur le côté.

- Une tentative d'humour ! C'est une tentative d'humour n'est-ce pas ? Vous dites cela en connaissance du fait que je suis un démon. D'où l'emploie d'un artifice ironique ! Ai-je mis dans le mille ?

Viorea retire précipitamment sa main et recule aussi loin que lui permettent Elie et le dossier du canapé.

- Vous êtes un démon?!
- Bien entendu, tout comme Elie.
- Q...QUOI?!

Cette fois s'en est trop, une panique irrationnelle s'empare de la jeune fille qui la fait se débattre et
se retrancher le plus loin possible de ces deux créatures dangereuses. Elle se recroqueville en boule, la tête dans les genoux, les doigts crispés dans ses cheveux.

-C'est un cauchemar, sanglote-t-elle. Un putain de cauchemar... C'est juste un bad trip... J'vais ouvrir les yeux et ce sera juste un badtrip... se marmonne-t-elle en boucle.