Rory regarde les arbres défiler, pensif. Ses doigts nerveux jouent avec son portable alors qu’ils approchent de la ferme de Gaffney.
Il essaie de ne pas mettre trop d’espoir dans cette première tentative, essaie de ne pas songer à une réussite tout de suite ou à ce qui pourrait se passer si jamais les choses ne tournaient pas comme prévu.
« Penser à l’instant présent ».
C’est donc ce qu’il s’efforce de faire.

Retrouver ses jambes… toutes les fonctionnalités de son corps… ça parait si impossible.
Et pourtant, Viorea y croit. Et il croit en Viorea.
Il est conscient des regards que lui jettent son frère qui déclare soudain d’une voix nonchalante.
- C’est une belle journée pour retrouver ses jambes, non ?
Rory pivote la tête et lui sourit.
- Il pleut depuis des heures.
Caleb fronce les sourcils et tend le cou pour voir au-delà du pare-brise.
- Merde t’es sûr ? Je vois un grand soleil moi.
- Retire deux secondes tes œillères pleines de bonheur dégoulinant et tu verras.
- Nope, déclare son frère, les yeux pétillants, la banane aux lèvres, je les aime bien mes œillères.
Rory rit mais Caleb doit percevoir sa nervosité parce qu’il pose sa main sur la sienne.
- Ca se passera bien. Pour tout le monde.
Depuis quelques temps son ainé fait preuve d’une intuition déconcertante et le jeune homme le regarde avec perplexité.
- Comment tu sais que… ?
- Que t’as peur pour Vio et des conséquences de l’effort qu’elle va devoir fournir pour te réparer ? Parce que je sais comment fonctionne ta tête trop pleine, frangin. On laissera pas les choses déraper, ok ?

Les derniers kilomètres se déroulent en silence, un silence où se tapit une expectative impatiente et fébrile à mesure qu’ils avalent les mètres qui les séparent de la ferme.
Finalement Caleb se gare et ils constatent que la pluie s’est finalement arrêtée. Rory choisit de croire qu’il s’agit d’un bon présage. Son frère se tourne à moitié vers lui et lui demande.

- Prêt ?
Rory esquisse un sourire peu assuré.
- J’en… j’en sais trop rien en fait.
- Sache que quoi qu’il arrive aujourd’hui, je serais là…je serais toujours là, j’te le promets.
- Je sais.
- Bien.
Caleb se penche et prend son petit frère dans ses bras. Celui-ci l’étreint en retour avec force.
- Si tu savais comme j’suis fier de toi !
Rory recule et lui dédie cette fois l’une de ses sourires solaires.
- Tu sais quoi ? Moi aussi.
Son ainé lui ébouriffe affectueusement la tignasse.
- Bon, j’te propose de sortir de la voiture avant qu’on se mette à chialer tous les deux !
- Bonne idée.

Installé sur son fauteuil, Rory se laisse pousser (peut-être pour la dernière fois ?) jusqu’à la grange qui sert d’hôpital et de dispensaire pour les réfugiés du coin. Alexia les y attend, jolie et pimpante comme à son habitude. Elle embrasse Rory et sourit à Caleb.
- On attendait plus que vous ! Venez, on a aménagé un petit coin à l’abri des regards.
Elle les guide effectivement vers une partie de la grange, au fond, isolée à l’aide de draps tendus. Rory cherche aussi Viorea du regard.
- Salut..., lance-t-il d’une voix plus tendue qu’il ne l’aurait voulu. Aussitôt, il sent la main chaude de Caleb se poser sur son épaule et la serrer.

Non il n’est pas seul. Il a même la chance d’être excessivement bien entouré.
Quoi qu’il arrive, qu’il puisse ou non à se désolidariser de ce fauteuil de malheur, ça ne changera pas.

-Tu es prête ?

Viorea ouvre doucement les yeux. Une détermination sans faille se lit dans ses prunelles bleues.

- Oui.

Salomée observe la jeune femme et hoche la tête d'approbation.

- Tu l'es, affirme-t-elle. Rappelle-toi les préceptes.
- La magie est instinct. Ne pas l'étouffer. La concentration est la clé. Ne jamais dévier de l'objectif. La persévérance paie. Si une porte se ferme, ouvre en une autre, répète-t-elle avec conviction.
- Et n'oublie pas de respirer, hein. L'effort sera autant mental que physique. La dragonne lui donne une tape dans le dos.
- Ouais.... La jeune sorcière a un petit rire qui pue le trac.
- Détends-toi meuf.. T'as l'air d'une belette coincée dans un piège à loup.
- Les métaphore de chassous bas du front , y'a qu'ça que tu connais le redneck ?
- Rappelle-moi qui descend d'une lignée de "Chassous" célèbres ?
- Rappelle-moi c'que tu fous ici ?
- Chuis là pour l'soutien moral ! Ryan embrasse Alexia à pleine bouche, alors qu'elle était occupée aux préparatifs avec Salomon.
- Tu parles...
- Jeune gens, un tantinet de retenu serait de bon ton, objecte Salomon d'un ton docte. Ah... J'ois un véhicule au dehors. Notre patient, fort probablement.

Viorea sent une violente montée acide lui pétrir les tripes. L'angoisse est là, chatouillant son bide. Tandis qu'Alexia s'empresse d'aller au devant de Rory et son grand frère, Ryan s'approche de son amie et lui masse les épaules.

- Desserre les freins, Princesse. Tout va bien s'passer.
- Comment tu peux en être sûr ? Hein ? commence-t-elle à paniquer. Et si j'me merde dans le reconstitution ? Et si...
- Vio .. ? coupe Ryan.
- Quoi ?!
- Envoie chier ton cerveau. Il joue au con. C'est pas lui qui commande, c'est toi, Queen Bitch.
- Sassy Queen Bitch... sale gueux.
- Là je retrouve ma conasse préférée!

La jeune femme ricane mais ne se laisse pas aller à l'élan de gratitude qu'elle ressent envers son camarade. Elle a une réputation à tenir. De toute manière, Rory fait son apparition et son coeur se met à battre plus vite de son propre chef. En toisant ses grand yeux limpides, inquiets et plein d'espoir en même temps, elle se souvient de la promesse qu'elle lui a fait.

Je vais la tenir.
Rory.
Aujourd'hui, c'est le Grand Jour.

La fille Taur déglutit, fait gonfler un sourire sur son visage et s'avance vers son petit ami. Elle lui prend la main.

- Salut Pui... Alors, prêt à c'que j'chamboule ta vie ?


Malgré le léger tremblement d'anxiété et d'excitation mêlées, elle irradie d'une certaine assurance. Elle va lui rendre sa motricité, son appétit, sa libido...

Et je te donnerais ton premier orgasme.
Il sera sidérale!
Promisuine.

L'idée la fait rire intérieurement et chasse les ombres au tableau. Salomon explique ensuite qu'il va devoir se déshabiller et s'allonger sur la table qu'ils ont aménagé. Salomée fait signe à Ryan et Caleb de s'écarter et la rejoindre contre le mur. Ils ne sont que simples spectateurs et ne devront en aucun cas intervenir. Elle y veillera. Les trois acteurs de la guérison de Rory se placent chacun à une arrête de la table. Viorea au niveau de la tête de Rory, Alexia à sa gauche, Salomon à sa droite.

L'adolescente se penche vers la bouche de son amoureux et y dépose un doux baiser.

- Tout va bien se passer... dit-elle, empruntant le ton apaisant de Ryan. Je suis là, avec toi. Tu nous dis quand tu te sens prêt...

Viorea lui sourit mais Rory descelle son angoisse sous-jacente. Il exerce une légère pression sur ses doigts délicats qui tremblote très légèrement contre les siens et lui rend son sourire.

- Salut Pui... Alors, prêt à c'que j'chamboule ta vie ?
Rory rit, embrasse le dos de sa main et relève les yeux jusqu’à croiser les siens, callant sa paume contre sa joue.  
- Tu l’as déjà fait.

Il la trouve absolument magnifique, auréolée d’une confiance et d’une certaine maitrise de soi qu’il lui envie. Il dévisage ensuite chaque personne présente. Il ne s’attendait pas à tant de monde mais si Viorea est en accord avec leur présence, il se voit mal dire quelque chose. Et puis il s’agit de têtes connues.
Une certaine tension le prend à nouveau en observant la table d’opération qui ressemble à toute celles sur lesquelles il a passé déjà trop de temps.

Sauf que cette fois c’est peut-être la dernière.

Caleb le pousse jusque là et le porte pour l’installer d’abord assis. Il l’aide à se déshabiller et Rory se rend compte que le haut de son corps tremble comme une feuille sans que le froid ne soit totalement imputable au phénomène.
Une fois qu’il se trouve uniquement en sous-vêtement, Caleb adresse un coup d’œil à Salomon mais c’est Alexia qui l’arrête d’une voix douce mais ferme.

- Ca ira comme ça. Ne bouge pas.
Placée dans le dos du jeune homme, elle descend légèrement l’élastique de son boxer pour dévoiler les marques de ses opérations. La jeune fille est rouge écrevisse et Rory lève les yeux vers le plafond en se mordant la lèvre d’embarras. Caleb camouffle son rire comme il peut par un toussotement.
Alexia fixe un moment les cicatrices marmonnant des choses pour elle-même en faisant grimper le bout de ses doigts sur ses vertèbres. Rory redresse le torse. Même s’il est habitué à ce que son corps ne lui appartienne pas toujours, il a toujours une drôle de sensation lorsqu’on touche ses cicatrices. Son examen finit, la sorcière pose une main sur son épaule.

- Merci Rory. Tu peux t’allonger.
Caleb aide à étendre ses longues jambes bien trop minces et sert la main de son frère.
- Rien nous arrêtera, lance-t-il en faisant référence à ce qu’ils se répétaient dans le noir lorsqu’ils étaient enfants, après s’être avoué leurs rêves et leurs espérances.
- Rien nous arrêtera, répète Rory avec un sourire.
Il lit parfaitement l’émotion dans le regard de son frère qui se penche pour lui embrasser le front.
- J’suis pas loin.
Laissé seul sur la table froide, Rory se crispe et s’applique a desserré ses poings tout en respirant avec calme.
Salomon, Alexia et Viorea se placent autour de lui et il lève les yeux vers sa petite-amie lorsqu’elle se penche sur lui pour l’embrasser, il fait l’effort de lui sourire.

- Tout va bien se passer...
- J’ai confiance en toi, déclare-t-il sans une once d’hésitation.
- Je suis là, avec toi.
- Je sais.
- Tu nous dis quand tu te sens prêt...
Il prend une profonde inspiration et échange un regard avec Alexia qui lui sourit doucement et Salomon.
- Je le suis. Je suis prêt.

- Bien, commence Alexia. Vio, nous on est là pour toi d’accord. Je commence.
La sorcière se concentre, fronce les sourcils et fait apparaitre une image du corps de Rory au-dessus du sien. Elle fait jouer les transparences comme des filtres où elle retire la peau, les muscles pour ne laisser que les nerfs, le squelette et les organes internes. Rory observe le phénomène, fasciné.
- Voilà. Le plus gros du travail se situe ici, ici et ici. Elle montre du doigts les nerfs spinaux qui ont été endommagés par la chute et les faits apparaitre en surbrillance. Celui-ci fera fonctionner les membres inférieurs, celui-là rétablira complètement ses facultés génito-sexuels. Pour les troubles intestinaux, c’est ici. Une fois les connexions rétablies, il va falloir donner un peu d’impulsion aux nerfs et aux muscles de ses jambes pour qu’ils récupèrent un minimum de tonus. Le reste… ça sera à toi de remuscler tout cela petit à petit., indique-t-elle à Rory. Elle tourne ensuite la tête vers Salomon. Est-ce que j’ai oublié quelque chose ?

- Bien. Vio, nous on est là pour toi d’accord. Je commence.
- Ok.

La jeune femme est concentrée sur la dissertation d'Alexia appuyée par la projection imagée de ses illusions. Elle visualise l'anatomie, les zones à travailler, leur formes... Elle s'imprègne tant des mots que du visuel.

- Est-ce que j’ai oublié quelque chose ?
- Votre exposé était d'une limpidité et d'une précision exemplaire, Miss Davis. Une parfaite vulgarisation à destination d'une néophyte en médecine comme Viorea.
- Dis tout d'suite que chuis teubée, Sal.
- "Teubé"... Voilà un idiome dont je ne maitrise pas la signification.
- Chuis pas plus bête qu'une autre. Bête.....teubée... Tu piges ?
- Oh ! Du vocabulaire argotique moderne inversant les syllabes ! Il faut que je le note dans mon carnet de découvertes ! déclare le démon avec un air ravi. "Savoir s'étonner à propos est le premier pas de toute découverte." s'exclamait Pasteur ! Ce bon vieux Louis...Chaque jour est un jour d'école comme je me plais à dire. Quoi qu'il en soit, pour revenir au cœur du sujet - pardonnez mes digressions émerveillées, jeune Rory - je vais surveiller tes constantes et les réguler à mesure que tu progresses sur cette intervention, Viorea. Ne précipite pas les choses, agis avec mesure et réflexion, une zone à la fois...
- Ok.

Viorea prend une grande inspiration et expire longuement afin de ralentir les bonds de cabri de son propre cœur. Ses doigts frais se posent de part et d'autre du visage de Rory, avec une délicatesse exquise. Ils glissent vers sa nuque pour mieux sentir ses cervicales.
Ensuite, afflue le pouvoir.
Les marques de Viorea se révèlent, décolorant ses prunelles et sa chevelure qui, mue par un mouvement propre aux algues immergées, ondoie de manière hypnotique. Sa texture, semblable à de l'argent liquide flottant dans une atmosphère sans gravité renvoie des reflets lumineux arc-en-ciel. Le spectacle est aussi saisissant que magnifique.
Rory perçoit l'onde du don lui chatouiller chaque neurones, bercer sa cervelle de picotements et de caresses. Son corps fourmille. Viorea cherche la connexion précise entre la moelle épinière et les nerfs spinaux. Lorsqu'elle les trouve, elle en remonte soigneusement les canaux, consolidant chaque racine, tissant chaque fibre de chaque faisceaux, gainant de myéline leur revêtement, irriguant les vaisseaux de sang riche et nouveau.

- Un à la fois... souffle doucement Salomon dont les iris brillent d'un vert luisant comme un morceau d'uranium en fission. Ne t'éparpille pas... lui conseille-t-il, alors qu'elle essaie à la fois de reconstituer les nerfs, le circuit sanguin et d'alimenter les muscles.
- O.. oui.

Viorea sert les dents sous l'effort, concentrée comme jamais. Son regard effectue de rapide va-et-vient entre Rory et la projection en coupe d'Alexia en apesanteur au dessus de la table. Elle est consciente du travail immense et de sa propre énergie qui décroit. Elle est gagnée par l'angoisse de ne pas pouvoir disposer d'assez de temps pour terminer son ouvrage. Elle oublie déjà que la présence de Buër doit palier à cet effet. Les rhizomes du Jardinier des Enfers sont déjà l'oeuvre, cheveux d'anges luminescents qui s'infiltrent par les pores de Viorea et rend à sa jauge d'énergie sa capacité maximum.

Le temps s'étire, se dilate, s'amenuise tout à la fois. La distorsion n'est perçue que par le public qui observe, attentif, les trois architectes de la guérison de Rory absorbés par leur tâche. Au bout de presque trois heures, les marques de sorcellerie de Viorea s'estompent doucement. La jeune femme essoufflée et luisante de sueur fixe les jambes de son patient dont elle a étoffé un peu la densité musculaire.

-.. Je... J'ai fini.... petit rire incrédule. J'l'ai fait !

Salomon, auscultant à présent le jeune Jenson opine avec un sourire de tonton gâteau.

- Je suis infiniment fier de toi ma petite Violette.

Rory connait la sensation du pouvoir de Viorea lorsqu’il agit sur son corps. Il l’a déjà expérimenté à plusieurs reprises pour des effets bien différents. Cette fois-là l’est aussi. La magie coule en lui et lui parait presque familière. Elle traverse sa colonne et s’arrête là où tout a été brisé, dans le creux de son dos. Il a l’impression confuse que quelque chose picote, agit à cet endroit en particulier.

Le temps s’étire, pour autant Rory n’éprouve aucune impatience et reste parfaitement immobile. Il est parfaitement conscient du chantier titanesque qu’il représente et garde son rôle de patient docile. Il ose à peine respirer et reste silencieux de peur de déconcentrer la sorcière. Il ne peut toutefois pas s’empêcher de lever les yeux vers elle de temps à autre pour vérifier si tout va bien.
Elle semble parfois à bout de force mais à chaque fois le démon semble palier à sa fatigue. Au bout d’un moment, il sent tous les muscles de ses jambes tressauter et il se fait violence pour ne pas sursauter ou les tester.

Toute la sensibilité de ses membres lui revient petit à petit, étrangère et pourtant familière. C’est la sensation la plus merveilleuse qu’il ait jamais connue.
Il ne bouge toujours pas mais en pleure silencieusement et ses larmes dévalent ses pommettes pour finir sur ses tempes sans qu’il ne les arrête. Il y a des larmes bonnes à prendre, celles-ci marquent sa renaissance alors il en savoure chaque goutte.
Soudain tout s’arrête.

-… Je... J'ai fini… J'l'ai fait !
Alexia s’empresse de venir serrer son amie dans ses bras, se fichant parfaitement de son état.
- Tu l’as fait…on savait tous que tu en étais capable !
- Je suis infiniment fier de toi ma petite Violette.
Rory s’inquiète aussitôt.  
- Comment tu te sens ?
- Rory ???
Caleb, qui a sens doute ronger son frein pendant toute l’intervention, a fait un pas vers lui et le regarde avec des yeux humides et éberlués. Sans s’en rendre compte, le jeune homme s’est redressé sur la table et a décalé ses jambes sans même qu’il n’en prenne conscience.

Il a bougé ses jambes !!!
IL A BOUGE SES JAMBES !!!!

Il les regarde à présent comme de vieilles amies qu’on a perdu de vue depuis longtemps. Il approche ses doigts tremblants de sa cuisse, pince la peau qui rougit. Le muscle tressaille.
- J’ai senti…souffle-t-il avant d’éclater de rire. Un rire plein d’émerveillement et d’une chaleur à vous griller les tympans.
Lentement, il passe ses jambes sur le côté de la table, pose les pieds au sol, fait jouer ses orteils en souriant comme un dément.  
Caleb est tout près, mais ne fait mine de venir l’aider que lorsqu’il tente de se redresser. Rory lève une main pour l’arrêter.
Soudain, il est debout, haut sur ses longues jambes pas encore tout à fait sûres d’elles, une main en appui sur le métal froid. Il relève la tête et croise le regard de son frère qui se contient pour ne pas pleurer et affiche un sourire qui fend son visage d’une oreille à une autre. Le monde lui apparait tellement différent vu de cette hauteur.

- T’es grand, p’tit frère.

Rory hoche la tête puis cherche un autre regard plus bleu. Déterminé, il fait un premier pas, s’appuyant toujours contre la table. Il manque de tomber au deuxième mais se rattrape bien vite, aidé de Caleb. Finalement il arrive devant celle qui vient de devenir bien plus que sa petite-amie.

Alexia s’est décalée pour trouver refuge dans les bras de Ryan, pleurant elle aussi en silence en observant la scène. Le visage peint d’une émotion palpable, Rory finit par lâcher la table et par faire un pas seul.
Il finit par craquer, pleurant et riant tout à la fois alors qu’il la prend dans ses bras, la sert contre lui à l’étouffer, embrassant ses tempes salées. Il se fiche de leurs états, il se fiche du froid. Son âme est réchauffée de bonheur, d’une joie si intense qu’elle en est presque douloureuse.

- Tu l’as fait… Merci…merci…merci, murmure-t-il inlassablement, incapable de dire quoique ce soit d’autres.

Il finit par prendre son visage entre ses paumes en vrillant ses yeux pétillants dans les siens. Beaucoup de choses passent dans ce simple regard ; une gratitude sans borne, un émerveillement sans limite et une promesse à lui-même de tout faire pour rendre Viorea aussi heureuse qu’il est à cet instant précis. Son front chute contre le sien alors qu’il savoure l’instant.

- Mon petit miracle… chuchote-t-il d’une voix pleine de vénération.

Viorea observe, ébahie, son œuvre. Rory est grand, davantage que son frère ainé. Il apparait rayonnant même ployé et tremblant. Son premier pas fait naitre chez la jeune femme un rire étranglé d'émotion. Fascinée, elle le contemple évoluer maladroitement jusqu'à elle. Elle retient sa respiration à chaque fois qu'il vacille et son cœur exulte en bonds furieux quand il se rétablit.

C'est moi...
C'est moi qui l'ai permis !
Ma magie est bénéfique ! Je peux faire le bien avec !
Je ne suis pas ma mère...

Rory s'élance sans appui, se jetant presque dans sa direction. Viorea le rattrape avec un gloussement ravi qu'elle aurait qualifié d'idiot en d'autre circonstance. Rory pleure, rit, s'extasie... Son beau visage est un bordel humide sans nom, mais un bordel lumineux, comme le soleil qui dore les flaques de pluie après l'orage.

- Tu l’as fait…
- Ouais.. j'crois bien qu'ouais...
- Merci…
- J't'avais promis...
- Merci… merci…merci...merci…merci....

Toute cette joie, tout cette gratitude, lui colle une envie de chialer terrifiante. Le vertige la prend.

- Tu m'dois rien... Rory, j'ai juste corrigé une vilaine erreur de destinée, s'tout...
- Mon petit miracle…
- Taci, prost...

Front contre le sien, dégoulinante de son affection et de sa reconnaissance, de toute la radiance d'un sentiment sur lequel elle a du mal à mettre des mots sincères et sans dérision, le vertige la prend et il n'a rien de métaphorique. Ses prunelles pleines des sourires de Rory pétillent d'étincelles blanches qui lui brouillent la vue. Tempête de neige de télévision. Ses tympans bourdonnent et couvrent les voix qui s'affolent autour. Elle perd peu à peu le son aussi vite que l'image.

Ecran Noir.

Viorea s'est brutalement effondrée, tournant subitement de l'oeil. Salomon est le plus prompt à réagir, suivi de près par son homonyme féminin. Le démon rattrape Viorea et la porte dans ses bras comme si elle ne pesait rien. Salomée écarte gentiment Rory pour qu'il lui laisse de l'air.

- On se détend, c'est normal.
- Le lieutenant-Colonel a raison, abonde le Jardinier. Mon action a prolongé artificiellement ses capacités physiques mais sa source de magie propre a une jauge de dépense limitée. Elle l'a outrepassé.
- Rien de grave. Elle va dormir, manger, et s'hydrater. Elle doit juste récupérer. Salomée se tourne vers Alexia. Toi aussi, d'ailleurs. Tu n'as jamais tenu une illusion aussi longtemps. Sieste pour tout le monde et je ne veux aucun "mais".
- Jhaelynra a préparé des lits au dispensaire à cet effet.
- Major, je vous laisse gérer votre frère. Silence. Regard en coin. Je vais essayer de lui dégoter un fauteuil qui fasse moins mal au cul qu'une chaise. Une ombre de sourire trahit la Dragonne au visage de marbre.

Salomée tire le rideau pour laisser passer le démon et Viorea évanouie. Cette dernière et Alexia sont installées bien vite dans un coin de "l'hôpital" de la grange, dans deux lits simples côte à côte. Des perfusions  leur sont faites avec une solution vitaminée et elles sont laissées seules avec Ryan à leur chevet.

Viorea s’effondre soudain dans ses bras et Rory la maintient comme il peut contre lui sans chuter.  
Sa joie sauvage laisse la place à une angoisse sourde.
- Vio ? souffle-t-il, profondément inquiet. Les mains prises, il ne peut même pas vérifier si elle respire encore et il maudit sa faiblesse, se promettant de devenir rapidement plus fort.
Salomon s’approche rapidement et le déleste du corps de sa petite-amie. Rory en profite pour se rappuyer contre la table, bientôt soutenu par Caleb qui passe un bras solide autour de sa taille.

- Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’elle a ?
- On se détend, c'est normal.
- Le lieutenant-Colonel a raison. Mon action a prolongé artificiellement ses capacités physiques mais sa source de magie propre a une jauge de dépense limitée. Elle l'a outrepassé.
- Elle va bien ?
- Rien de grave. Elle va dormir, manger, et s'hydrater. Elle doit juste récupérer. Toi aussi, d'ailleurs.
Alexia balaie son injonction d’un geste de la main.
- Oh ça va aller. J’ai juste un peu mal à la tête, ça passera.
- Tu n'as jamais tenu une illusion aussi longtemps. Sieste pour tout le monde et je ne veux aucun "mais".
Alexia referme aussitôt la bouche et n’ose pas protester.
- Jhaelynra a préparé des lits au dispensaire à cet effet.
- Major, je vous laisse gérer votre frère.
- Evidemment, pas de soucis.
- Je vais essayer de lui dégoter un fauteuil qui fasse moins mal au cul qu'une chaise.
Caleb secoue la tête en riant.
- Trop aimable…
- Vous pouvez détruire celui-là, fait distraitement Rory en pointant du doigt son ancien fauteuil. Il suit du regard le démon s’éloigner avec Viorea suivi d’Alexia et Ryan.
- T’inquiète, lui souffle Caleb. Elle est entre de bonnes mains, tu l’sais.
- Ouais…ouais c’est juste que…
- Que tu voudrais être avec elle...je comprends. Mais tu vas d’abord te rhabiller avant de choper la mort et après tu pourras aller la veiller ok ?

Rory hoche la tête et ne peut pas s’empêcher de sourire bêtement en enfilant bien plus rapidement ses vêtements. Tout lui parait soudain plus facile et il a l’impression d’avoir une nouvelle perspective des choses. Caleb a la face aussi réjouie que lui et sans un mot, ils échangent beaucoup de choses par de longs regards complices.

- Il va falloir que j’entraine ses nouvelles jambes. J’ai pas tellement envie de rester aussi fragile qu’un faon.
- On va muscler ces guiboles, cadet ! Faut que je rentre à la base. Je suppose que tu veux rester là ?
- Tu supposes bien.
Caleb l’étreint avec effusion et Rory referme ses bras autour des épaules de son frère, s’étonnant encore d’être presque aussi grand que lui.
- Tu sais comment me joindre si t’as besoin ok ? Fais pas de folies de ton corps ce soir. Demain c’est entrainement à 8h00 précise. Pigé ?
Avant de partir, Caleb lui confie une canne qu’il a emmené discrètement « juste au cas où ». Rory lui sourit et essaie de se familiariser avec cette nouvelle façon de se déplacer. Il est lent mais il s’en fout, il est autonome. Timidement, il tire le rideau et entre dans l’espace où les deux sorcières se reposent. Alexia toujours réveillée, le teint plus frais, l’accueille d’un sourire.
- Comment tu te sens ? demande-t-elle avec sollicitude.
- Bien ! Excessivement bien même. Ça serait à moi de te poser la question.
- Tout va bien. Mon mal de tête se dissipe et je n’ai pas dû brûler autant d’énergie que Vio.

Toujours aussi lentement, Rory se déplace vers le fauteuil à côté du lit de Viorea, s’y assoit et cale sa cane contre l’accoudoir. Il ne la lâche pas du regard et attendra là autant de temps qu’il faudra. Il ne relèvera les yeux qu’au moment où Alexia a l’autorisation de rentrer chez elle. Libération qu’elle accueille avec soulagement. Avant de partir, elle vient embrasser le front de son amie et glisse un « Tu nous tiens au courant ? » auquel Rory répond par un simple hochement de tête.
Restés seuls, il rapproche un peu plus le fauteuil du lit – l’effort le laisse à moitié essoufflé – et prend la main de sa sorcière bien aimée, caressant la peau de son pouce, attendant qu’elle reprenne connaissance.

Réveil en sursaut.
La bouche pâteuse, et la langue sèche, Viorea éprouve le besoin de boire. Elle a l'impression d'avoir salement bavé sur l'oreiller pendant un coma sans rêve. Un sommeil de pierre. Elle peine à reconnaitre l'environnement, elle est simplement certaine de ne pas être chez elle. Lentement, difficilement elle enfile ses derniers souvenirs comme des perles d'un collier dont le fil a rompu.

Les Jambes de Rory.
Leur reconstruction.
Son beau visage ému.
Sa promesse tenue.

Et un putain de trou noir !

L'adolescente a encore du mal à émerger du sommeil. Sa carcasse est percluse de courbatures douloureuses comme après une journée intensive de développés-couchés sans la moindre pause. Elle en déduit que malgré les soins de Salomon, elle a dépassé, et de loin, ses capacités énergétiques. Après un tel acte magique, elle ne va pas pouvoir pratiquer son don quelques temps sous peine de s'essouffler trop vite.

Elle remarque alors qu'on lui tient mollement la main.

Elle tourne la tête au prix d'un terrible effort. En plissant les yeux, elle discerne dans l'obscurité le profil familier de Rory. Son coeur rate un battement et se vautre quelque part dans son estomac. Elle ignore depuis combien de temps elle roupille mais cet idiot est resté probablement là à la veiller depuis sa perte de conscience.

- Prost... souffle-t-elle avec un tendre sourire en resserrant sa prise sur les doigts de Rory.