Selen se sent bien, ici.
La demeure d’Earl, entourée de tombes, a cette chaleur que son appartement n’a pas. Un je-ne-sais-quoi qui pousse le corbeau à venir, et revenir encore, incessamment. Toujours avec un prétexte bien trouvé : une raison de le voir, de passer dans le coin, de fermer son salon plus tôt pour, pourquoi pas, partager un film ? Des DVDs ? Des livres ? Ou du temps. N’importe quoi pour justifier sa présence sur le pas de la porte, pour y trouver un sorcier tout étonné. A chaque fois. Et à chaque fois, les heures filent trop vite.
Depuis leur rencontre quelques semaines en arrière, c’est une évidence qui se joue, à peine dévoilée, même entre eux. Des sentiments sans mots, sans étiquette. Des émotions silencieuses que le chef de clan ressent, quand il n’y a bien qu’entre ses bras qu’il dort sans peur. Pas besoin d’en dire plus ; quand ils savent déjà.
Avec Earl, tout est d’une douceur certaine, d’un entrain commun : tout lui procure une forme de sécurité, que Selen n’a jamais ressenti avec personne d’autre.

Ce drôle de télépathe, cet homme bien trop gentil, est devenu important. Bien plus que Selen ne l’aurait jamais pensé. Bien plus qu’il ne se le serait jamais accordé…
Peut-être qu’au fond, il est prêt à se pardonner.
Peut-être.

Il inspire, dans le salon. Loki dort et Earl lui a confié la petite maison. « Le temps d’une course », qu’il a promis. Un coup d’oeil à sa montre, ça ne devrait plus être très long. L’homme compulse un catalogue de noël, laissé négligemment par Lua le matin-même comme un message à peine caché. Il l’a glissé dans son sac, faisant mine de rien auprès de sa fille, mais se sachant déjà investi de la lourde tâche des cadeaux à faire. Craciun approche. Il va falloir s’y mettre…

« Papa tu es là ? »

Ses sourcils se froncent alors que la jeune femme est déjà entrée. Elle lui fait face, tandis qu’il a à peine le temps de se lever. Visiblement, elle est aussi un peu chez elle.

« Qui. Êtes. Vous? »

Il reste silencieux, la considérant d’un regard calme. Il à peu près certain qu’il ne l’a jamais vue en personne, mais compte tenu de son entrée, elle ne peut-être que...

« Ah. Bonjour. » Sa fille. Ou tout du moins, la personne qui s’en rapproche le plus. Mais c’est la même chose.
Sa première envie est de la rassurer : non, ce n’est ni un cambrioleur, ni un tueur, juste un chasseur tout ce qu’il y a de plus ordinaire - plus ou moins. Et non, il n’a pas fait disparaître son père dans d’atroces souffrances. « Earl n’est pas là, il va bientôt rentrer. Il est sorti acheter des trucs. »

Il ne sait pas vraiment si ça marchera. Mais compte tenu du regard qu’elle lui lance, il semblerait que non.

« Je suis Selen... un ami. » C’est bien ça, non ? Hm... « Il m’a demandé de rester ici pour l’attendre. Si vous ne me croyez pas, demandez au chat. »

Une déformation entre son propre pouvoir et la capacité de parole de l’animal, mais qui le prête à sourire un peu. Son regard revient vers elle, encore proche de l’entrée. La tension est presque palpable dans le froid hivernal. Une pression que le corbeau délaisse de ses épaules affaissées, retournant s’asseoir sur le canapé.

« … Il reste du thé, si vous voulez.  »