Here it ends
No one's gonna shed a tear
No need to shout
Just to stand the silence

Matinée hivernale. L'homme se tient droit, planté au milieu d'une place quasi déserte et se gratte un menton qu'il a fort dru. Ebène Maintenon sort un petit calepin au cuir fatigué et note sous la date du jour : "/!\ se raser." juste à côté "Ne pas oublier de manger (et pas juste des pommes)". Ce genre de banalités quotidiennes l'intéressent si peu qu'il a une fâcheuse tendance à les oublier. (Une fois, il est décédé de déshydratation parce que boire lui était tout bonnement sorti de la tête. Un épisode assez gênant de sa non-vie.). Depuis l'irruption de "Theo" dans son existence, il fait néanmoins plus attention. Elle a sur lui le même genre d'influence que le clan Murtagh en son temps : elle lui rappelle qu'il est également vivant (bien que mort en même temps)

Quoi qu'il en soit, le bon Docteur est matinal. Il consulte sa montre. Il est 10h. L'heure pour les rideaux de fer des enseignes qui n'ont pas mis la clé sous la porte de se lever. La Plaza Agency est de celles-ci. Que voulez-vous, l'immobilier ne connait pas la crise.
Il pénètre les locaux de l'agence, le manteau de tweed gris relevé au col, la tignasse aussi noire que ses yeux et se dirige vers la standardiste.

- Bonjour. j'ai rendez-vous avec Mrs Powell.
- Vous êtes ?
- Son seul rendez-vous de 10h je présume.
- Je.. oui je me doute. Mais il me faut votre nom.
- Il n'est pas écrit sur votre agenda virtuel ?
- Je.. mais si.. mais... s'empourpre la jeune femme. Je cherche ça tout de suite.
- Je vous en prie. Faites votre travail.

Cette fois, elle n'est plus rose d'embarras mais cramoisie de fureur.

- Mr Ebène Maintenon, donc.
- Selon toute vraisemblance.
- Je vais la prévenir, déclare-t-elle d'un ton cassant en attrapant son téléphone de service.
- Merci, répond Ebène d'un ton qui, lui, n'a pas varié de la neutralité désintéressée.

La femme qui se fait appeler Powell est de taille moyenne, de type quelconque et de chevelure châtain délavé. Ebène se fait la réflexion qu'il va devoir faire beaucoup d'effort pour arriver à se souvenir d'elle, alors il choisit de focaliser l'entièreté de son attention sur son drôle de nez, seule partie de son anatomie qui ne soit pas anodine. (Plus tard il notera sur son carnet : "Powell commence par "p" comme "Pif")
Malgré son sourire commercial, elle ne lui sert pas la main, ce qui est un bon point notable en sa faveur. Ce siècle charrie bon nombre de gens bien trop familiers. Le brave docteur déteste devoir retenir tous les codes sociaux que cela implique. "Être Sympa" semble être devenu une norme obligatoire. Il ne l'est pas. (Ce qui pose parfois problème dans son contact avec les patients. Mais là n'est pas le sujet.)

Il la salue d'un hochement de tête dépourvu de sourire ( Il s'est déjà entrainé devant le miroir. Josie lui a conseillé d'arrêter. "T'as l'air d'un psychopathe !". Les morts-vivants ont des problèmes bien à eux.) et s'exempt de toute conversation. Il ne sait pas faire la conversation. Cela l'ennuie en plus de le fatiguer. Il se contente d'imposer son mutisme et son aura particulière d'homme blasé dans l'habitacle rectangulaire de l'ascenseur.
Il la suit de son pas nonchalant, l'air particulièrement désintéressé de ce qui l'entoure. Il accepte le siège qu'on ne manque pas de lui offrir et expose sans préambule (il n'aime pas les préambules, les préliminaires, les ronds de jambes et les rondes autour des pots. Il ouvre les pots directement. Pourquoi tergiverser ?)

- J'aimerais acheter un grand espace avec une bonne isolation, doté d'un bon système d'aération, accessible du Mab's Crown Hospital, donc dans le Westside. Si il y a une pièce déjà réfrigérée, ce serait parfait. C'est pour entasser des cadavres, les disséquer et les congeler.

Il a débité son petit laïus sur un ton monocorde et égal de répondeur téléphonique, visiblement peu ému qu'on le soupçonne d'être un possible tueur en série ("Même quand tu souris pas t'as l'air d'un psychopathe de toute façon." Pourquoi se forcer, alors ? Merci Josie.)

- Dans votre prise de rendez-vous, il est écrit que vous cherchiez un appartement. Ce n’est donc plus d’actualité ?

Ebène a un haussement de sourcil, à peine perceptible.

- Vous m'auriez pris en rendez-vous si je vous avez annoncé d'emblée que je cherchais un espace de stockage pour entreposer des cadavres de contaminés du Brouillard afin de les étudier en toute tranquillité en marge des instances légales ?

Silence.

- Je ne suis pas très doué pour décrypter les signes, mais si je me fie à votre expression faciale, la réponse est certainement non.

Il la regarde de ses grands yeux noirs, fixes, à croire qu'il ne bat jamais des paupières. Confusément, il sent la présence de spectres dans la pièce. Quand on est à demi-mort, on a un pied dans la tombe et un orteil derrière le Voile. On flirte avec l'au-delà, c'est un fait.
Ceci étant, que Powell ( aka "Pif") soit médium est le cadet de ses préoccupations ( Plus près du "Z" que du "A" dans son classement, si vous préférez.)

- Bon. Je vais vous épargner les questions inutiles et les expressions de poisson frit en vous faisant un topo clair et précis : je passe par vous parce que l'affaire est urgente et que vous êtes la dernière agence immobilière de la ville encore en activité avec la quarantaine. Je paie grassement, en liquide et contant. Oui, j'ai besoin de discrétion. Oui, c'est illégal : je n'ai pas l'accord de la mairie, de l'I.C.V et de fait, des militaires puisque les recherches sur la fameuse maladie susmentionnée ont été déclarées comme illicites. Vous avez deux options : où vous m'aidez à trouver un "appartement" répondant à mes critères et je vous enrichie. Où vous refusez et là, libre à vous de me dénoncer. Légère pause dans le flot continu proféré sur la même tonalité ("encéphalogramme plat", pour ceux qui demandent). Je reviendrais vous hanter.

Plaisanterie ?
Menace ?
Impossible à dire, l'homme n'a aucune expression faciale pour l'aider à choisir.