Assis sur un gros rocher non loin du cimetière millénaire, Marcus joue avec Chien, lui lançant un bâton qu’il s’amuse à lui ramener comme si c’était la plus précieuse des offrandes pour qu’il la renvoie, clamant au passage combien il est content, ce qui ne manque pas de faire rire Corbeau.
« Chien vraiment content pour rien… »
Le geste répétitif l’apaise, comme le bruit proche du ressac qui s’écrase contre les falaises en contrebas.

Sa rencontre avec Ohanzee l’a fortement ébranlé.

Il y réfléchit depuis qu’il a quitté Salomée. Pendant les quelques minutes de leurs retrouvailles, il a eu l’impression de devenir à nouveau cet adolescent qu’il a laissé de côté il y a longtemps.
Il n’aime pas ce jeune garçon qu’il a été. Trop haineux, trop perdu, trop plein de jalousie et de ressentiment à l’égard du monde entier.

Tellement, tellement imparfait et rabaissé par cette imperfection.

Il pensait avoir fait le deuil de cette vie, il pensait avoir réussi à changer, à dompter les humeurs de cet adolescent. Mais il est à nouveau face à ses erreurs, à lui…à sa colère !
Pendant quelques secondes, il a ressenti la même haine pour le métisse qu’à l’époque. Insensée, irraisonnée, injuste, il le sait. Mais pourtant bien là. Comme si les année s’étaient figées soudain.
En être conscient ne rend pas les choses plus évidentes à contrer, ni à comprendre.
Il devrait avoir acquis une certaine maturité ou du moins une paix par rapport à ce passé qu'il ne peut plus changer.
A moins qu’il ne se soit leurré pendant tout ce temps, qu’il soit condamné à rester ce jeune homme et qu’il ne s’est jamais vraiment échappé de l’ICV.

Chien s’arrête et se redresse, les oreilles tendues vers le ciel.
« Humain approche »
« Humain gentil ! Dire bonjour ? »

Que Chien se sente obligé de demander lui indique sans qu’il est besoin de se retourner qui vient dans sa direction.
« Tu es libre de faire ce que tu veux Chien. Je ne suis pas ton Maître. »
« Non. Compagnon. »
Il lui lèche la main avant de courir joyeusement à la rencontre d’Ohanzee. Marcus sent déjà son cœur qui se serre, sans comprendre pourquoi. Il se tend mais ne se retourne pas. Avec un peu de chance, il va simplement passer son chemin.

As we are floating in the blue
I am softly watching you
Oh boy, your eyes betray what burns inside you
Whatever I feel for you
You only seem to care about you
Is there any chance you could see me, too?

“L'ami aime en tout temps,
Et dans le malheur il se montre un frère.l”
[Proverbes 17]

Bruyères et callunes se froissent sous ses pas. Les embruns soufflent dans sa chevelure brune sels et pensées diverses. Si Dieu n'existe pas, Ohanzee n'a guère perdu l'habitude de prier ou de vagabonder, un carnet à la main. Ses promenades méditatives l'emmènent souvent jusqu'aux falaises où, quelques mois plus tôt, il avait songé à s'offrir aux vagues éternelles. Le cimetière de Lubdan et ses menhirs gravés dans un calcaire antédiluvien l'ont toujours attiré. Il y enterra un oiseau privé de vie, y fit la plus belle rencontre de sa vie, découvrit les horreurs d'Unseelie dans le ventre de la terre et accomplit un miracle en compagnie d'être "choisis".

Ce lieu païen est sacré à bien des égards.
Il y a ouvert son coeur, son esprit et son art.
Il y a frôlé la Mort en retrouvant la vie métamorphosé, par deux fois.

A présent c'est un "petit frère" qu'il retrouve.

Marcus le hait.
Il a vu la haine et ses ravages. Il en a été la victime désignée toute sa vie : on a abhorré son métissage entre piété chrétienne et sauvages impies ; On a craint son pouvoir, sa résurrection et sa main tendue ; On se méfie à présent de sa nature imprécise et floue. Il a contemplé cette flamme consumer les hommes aussi puissamment que l'Espoir. La Haine tue son flambeau plus surement que sa cible.
Marcus le hait.
Le jeune ancêtre est coupable d'exister. Tout cet amour sans iniquité qu'il offre sans ambages, sans réflexion, sans crainte, n'est pas compris. Il n'en éprouve ni regret, ni frustration. Il faut accepter d'être patient avec les êtres façonnés par la peur, la défiance, la souffrance et le rejet.
Marcus le hait.
Il ignore pourquoi, mais il doit l'en sauver.

Ohanzee observe le jeune homme jouer avec ses animaux. Ses compagnons. Sa nouvelle famille. Il apprécie la beauté de cette scène pastorale et paisible avant de s'y inviter. Le husky le remarque aussitôt et lui fait la fête. Le Prophète lui rend sa joie avec un sourire gracieux et moultes caresses. Puis, il s'avance pour faire face à son cadet.

~-Bonjour Marcus. Signe-t-il sans la moindre difficulté. Rouge le lui a également enseigné. Je suis heureux de te trouver. J'aimerais que nous parlions, toi et moi à coeur ouvert et à bâtons rompus.

Marcus le hait.
Il ignore pourquoi, mais entre le haine et l'amour, il n'y a parfois qu'un pas.

Espérer était bien vain. Peut-être que Marcus est simplement puni pour ses mauvaises pensées à l’encontre de celui qu’on appelle « Le prophète » ? Sauf que Marcus ne croit à aucune entité supérieure.
Chien saute souplement sur le rocher qui lui sert de siège et se poste allongé tout contre lui, la tête et les oreilles dressées, curieux. La silhouette d’Ohanzee vient troubler la vision du jeune homme et Marcus soupire.  

~-Bonjour Marcus.
Ohanzee sait signer… Alors qu’il devrait être heureux de ne pas avoir à parler, il s’en trouve agacé. Evidemment qu’il signe. Ohanzee n’est-il pas parfait ?
- Ohanzee.

Sobre tout en restant poli. Il espère que le message est passé : il n’a aucune envie de voir du monde.
Non.
Aucune envie de le voir lui.

Mais évidemment la paix est une chose précieuse qui le fuit aujourd’hui.

~- Je suis heureux de te trouver.
Marcus passe une main dans ses boucles indisciplinées et se décide à signer aussi. Inutile de faire semblant d’être quelqu’un qu’il n’est pas de toute façon.
~ Pourquoi ?

Aucun son ne passe sa bouche cette fois, comme s’il voulait insciemment ou non, rendre cette conversation aussi pénible pour Ohanzee, qu’elle s’annonce pour lui.

~- J'aimerais que nous parlions, toi et moi à coeur ouvert et à bâtons rompus.
~ Pourquoi ? répète-t-il sans vraiment comprendre ce qu’il cherche… perplexe devant son besoin insistant d’établir un contact avec lui. Je pensais ce que j’ai dit la dernière fois. On est pas de la même famille Ohanzee. On n’a besoin de bien s’entendre.

Il ferme les yeux un instant, moyen efficace de se couper très brièvement du monde et prend sur lui. Il dénoue ses jambes, met pied à terre et s’adosse contre le rocher.

~ Je sais pas parler…à bâtons rompus… ok… de quoi tu veux discuter ?

Ohanzee observe le front butté de Marcus avec une bienveillante patience. Il est jeune. Il a toujours le même regard froncé d'enfant en colère face à un monde d'adulte qu'il ne comprend pas.

~ Pourquoi ?
~ À toi de me le révéler Petit frère.
~ Je pensais ce que j’ai dit la dernière fois. On est pas de la même famille Ohanzee. On n’a besoin de bien s’entendre.
~ Nul besoin d'avoir le même sang pour être de la même famille. Nul besoin d'être de la même famille pour apprendre à se comprendre.
~ Je sais pas parler…à bâtons rompus…
~ Rien de compliqué : dis-moi simplement ce que tu as sur le cœur en toute sincérité.
~ Ok… de quoi tu veux discuter ?
~ De toi. De toi et de moi.

Le jeune ancêtre sourit avec douceur. Il reprend en langue des signes, avec la même manière compassée et le vocabulaire suranné de Rouge Flemming.

~ Je connais la haine et la colère. Ce sont des sentiments que j'ai croisé nombre de fois sur ma route. Je suscite ces sentiments chez les autres. Autrefois, c'était à cause de mon sang indigène, de la souillure que je pouvais représenter, pour ma bonhomie placide, jugée trop peu virile ou trop servile, pour ma piété exacerbée qui aux yeux de certains me rendait stupide, docile ou naïf. Souvent les trois à la fois. A présent, on me hait pour mes pouvoirs, pour l'anomalie temporelle que je suis, pour les miracles auxquels je participe.

Le Prophète marque un temps, il hume l'air marin chargé d'algue et de sel.

~ J'ai appris à vivre avec cette haine dans mon sillage : je suis par essence, un étranger, un Autre. Etranger à cette époque, étranger à mon sang, à ma caste... À la vie. On a toujours peur de l'Autre. La haine n'est qu'une expression de cette peur.

Il pose de nouveau son regard profond, à la fois si jeune et si vieux, sur Marcus.

~ Mais toi, petit frère...Quelle est la raison de ta détestation ?

Ohanzee parle et parle et parle encore.
Sur lui. Toujours sur lui.
L’Humain est si égocentrique et passe tellement de temps à réfléchir. Lui aussi. Sauf qu’il ne dérange personne avec ses propres pensées et ne voit pas l’intérêt de s’ouvrir autant à quelqu’un.

Les vertus de la paroles…ça ne veut pas dire grand-chose pour lui.
Si peut-être avec Salomée…il partage avec elle un fragment de ce qu’il ressent. Pour l’aider et lui montrer qu’elle n’est pas seule sur cette voie… Tout semble plus facile avec elle.

~ J'ai appris à vivre avec cette haine dans mon sillage : je suis par essence, un étranger, un Autre. Etranger à cette époque, étranger à mon sang, à ma caste... À la vie.
~ Je suis un étranger à ma propre espère. Mais ça m’a jamais empêcher de vivre.
~ On a toujours peur de l'Autre. La haine n'est qu'une expression de cette peur.
Il fixe l’homme dans les yeux.
~ Je n’ai pas peur de toi, Ohanzee.
~ Mais toi, petit frère...
Marcus fronce les sourcils et signe rapidement.
~ Ohanzee, arrête avec ça ! Je suis pas ta famille ! Son expression se fait plus irritée pour appuyer un ton agacé qu’il ne peut exprimer mais il prend une profonde inspiration pour retrouver son calme plus coutumier. Une famille ça se soutient les uns les autres…enfin de ce que j’en ai lu…

Comment peut-il savoir après tout ? Il n’en a jamais eu et n’en n’aura jamais. Mais le traiter de frère implique un lien qui n’a jamais été présent. Il n’a jamais rien fait qui prouverait qu’il ressent un quelconque amour fraternel pour lui. Et clamer à tort et à travers qu’il est son « frère » ne rendra pas la chose plus réelle.

~ T’as jamais rien fait pour moi qui mérite d’établir un lien familial entre nous et moi non plus.  
~ Quelle est la raison de ta détestation ?

Enfin il pose la vraie question.
La seule question qui le démange autant que lui certainement. Marcus passe une main sur son visage déjà las de cette conversation, l’envie de tout laisser en plan et de ne jamais s’approcher des hommes et leurs atermoiements complexes qui lui donne la migraine. Chien vient pose sa truffe humide contre son autre main.
« Compagnon malade ? »
« Non…oui un peu… »
« Autre humain blesser Compagnon ? »
Si seulement c’était si simple dans un sens…
« Non pas vraiment. Ne t’inquiète pas pour moi, Chien. »
Il caresse sa tête poilue et y trouve un réconfort certain.

~ Tu te contentera pas d’un « Je sais pas », hein ?

Il garde encore le silence. Dialoguer avec Marcus nécessite de la patience, beaucoup. Mais le métisse semble en avoir en réserve et le sorcier n’a aucun scrupule à lui en siphonner une partie.

~ Parce que le jour où tu es apparu à l’Institut, ça a signé la fin de mon monde. Parce que le jour où tu as montré des aptitudes qui collait à leur espérance, tous mes efforts ont été balayé comme ça. Il claque des doigts pour illustrer son propos. Et que j’ai compris ce jour là que je serai jamais assez. Jamais. Et toi tu souriais, heureux comme une icône alors que j’allais passer le reste de mon existence dans une décharge de l’ICV.

Voilà c’est dit. Après ça, il y a sincèrement peu de choses à rajouter. Un dernier constat peut-être.  

~ Je sais que tu n’y es pas pour grand-chose et si je pouvais je me passerai de ce que je ressens pour toi, parce que ça m’use une énergie que j’ai pas envie de dépenser. Maintenant tu sais et tu peux passer à autre chose.

« Est-ce que tu vas me laisser tranquille maintenant ? … Pitié laisse-moi tranquille… »

~ Ohanzee, arrête avec ça ! Je suis pas ta famille ! Une famille ça se soutient les uns les autres…enfin de ce que j’en ai lu…T’as jamais rien fait pour moi qui mérite d’établir un lien familial entre nous et moi non plus.

Il aurait aimé, pourtant.
Il aurait dû, sans doute.
Comment ?

~ Quelle est la raison de ta détestation ?
~ Tu te contentera pas d’un « Je sais pas », hein ?

Le jeune ancêtre se contente d'un simple sourire, pétrie de mélancolie. Patiemment, il attend que les mots s'esquissent avec les doigts. La patience a toujours été sa vertu cardinale. Néanmoins, bien peu de choses le préparait à ce récit.
Ce n'est guère la violence des mots à son encontre qui le touche que l'histoire de Marcus. On a créé cette vie dans un but précis, dont on l'a dépossédé ensuite. On a réduit le principe de la vie elle même à l'état d'outil, oubliant toute la matière humaine dans l'équation. On a négligé l'âme et le coeur de cet enfant. Le prophète éprouve une compassion profonde pour le sorcier et son chagrin immense ne tarde pas à se révéler. Ses larmes roulent sur ses joues tachetés et s'abandonnent aux embruns.

~ Je sais que tu n’y es pas pour grand-chose et si je pouvais je me passerai de ce que je ressens pour toi, parce que ça m’use une énergie que j’ai pas envie de dépenser. Maintenant tu sais et tu peux passer à autre chose.
~ Pourquoi ? fait-il avec des geste plus vifs, plus passionnés que sa retenue ordinaire. Il s'anime comme lorsqu'il peint, avec cette ferveur incandescente qui peut consumer. Pourquoi le devrais-je, surtout maintenant que je sais ? Tu penses que je suis ici, pour soulager mon égo avec une quelconque explication ? Je ne suis pas venu à ta rencontre pour me satisfaire : je suis venu pour toi.

Un silence, peuplé de hoquets où se mêle eau et sel.

~Je ne savais pas. Je ne savais rien. Je sortais d'une boite après des siècles de sommeil. Ce monde m'était effrayant, terrible et inconnu. L'Institut a fait en sorte que je n'en sache que le stricte nécessaire. Si je te souriais, lorsque je te croisais, c'est parce que je découvrais que je n'étais pas seul à être cloitré dans ce monastère. Cette idée me réconfortait. Je pensais pouvoir me faire un ami. J'espérais te recroiser aussi souvent que possible. Je ne me doutais pas que je te condamnais par ma simple présence. Tu as disparu ensuite et je n'ai jamais eu cesse de te compter dans mes prières.

Un petit rire, d'une grande tristesse.

~ Tu vas me répondre sans doute que je ne te devais rien et que tu n'as jamais rien demandé. C'est vrai. Mais parfois, on offre sans exiger de réciprocité, et on reçoit sans en avoir formulé la requête. Peut-être que je ne suis pas un frère pour toi en cet instant, mais je pourrais le devenir. Laisse-moi être un soutien pour toi. Laisse-nous la possibilité d'apprendre à mieux nous connaitre. J'aimerais sincèrement que tu acceptes ma main tendue.

Cette main, il la lui tend d'ailleurs, avec détermination.

~ Je ne veux pas que les sentiments qui t'animent à mon égard te rongent. C'est à moi de t'aider à passer à autre chose si tu le veux bien. Je ne te forcerais en rien néanmoins. Chasse-moi dès à présent et je ne reviendrais jamais t'importuner.

~ Maintenant tu sais et tu peux passer à autre chose.
~ Pourquoi ?

Marcus redresse la tête et remarque enfin les larmes qui dévalent les joues du métisse. Il note pour la première fois qu’il a le visage constellé de taches de rousseur comme le sien. Sans doute le seul trait qu’ils ont en commun.

~ Pourquoi le devrais-je, surtout maintenant que je sais ? Tu penses que je suis ici, pour soulager mon égo avec une quelconque explication ?
Marcus hausse les épaules.
~ Je saisis pas grand-chose à la nature Humaine, donc oui.
~ Je ne suis pas venu à ta rencontre pour me satisfaire : je suis venu pour toi.

Marcus l’observe lutter contre des sanglots qu’il ne comprend pas avec une certaine fascination. Lui n’a jamais pleuré et personne ne l’a jamais fait pour lui. Si c’est bien de cela qu’il s’agit. Difficile d’être certain. Il a encore du mal à savoir si Ohanzee est vraiment l’être foncièrement bienveillant et pacifiste qu’il prétend être ou s’il est simplement un excellent manipulateur. Après tout, il a été à l’ICV pendant un long moment sans y être enfermé lui. Mais au fond de lui Marcus le pense sincère.

Ohanzee parle ensuite avec une frénésie certaine et lui expose son point de vue, l’autre côté de la barrière. Il l’écoute avec attention mais savait déjà plus ou moins qu’il n’a jamais sciemment chercher à lui nuire. C’est d’ailleurs ce qui rend toute cette situation plus complexe encore.

~ Tu as disparu ensuite et je n'ai jamais eu cesse de te compter dans mes prières.

Marcus arque un sourcil, alors que le visage d’Ohanzee se tord dans une sorte de rictus. Rit-il ? Pourquoi ? Des prières…Marcus n’a jamais cru à un Dieu. Comment le pourrait-il lui qui a été créé artificiellement ? Il est la preuve vivante que l’Homme a égalé le pouvoir divin.

~ Tu vas me répondre sans doute que je ne te devais rien et que tu n'as jamais rien demandé. C'est vrai. Mais parfois, on offre sans exiger de réciprocité, et on reçoit sans en avoir formulé la requête.
~ Non…et je suis pas croyant. On m’a rarement offert quoique ce soit sans me demander quelque chose en retour.
~ Peut-être que je ne suis pas un frère pour toi en cet instant, mais je pourrais le devenir. Laisse-moi être un soutien pour toi. Laisse-nous la possibilité d'apprendre à mieux nous connaitre. J'aimerais sincèrement que tu acceptes ma main tendue.

Le sorcier baisse les yeux sur cette main donnée puis revient aux yeux d’Ohanzee.

~ Je comprends pas ce que tu attends de moi… Est-ce que tu fais ça parce que t’as besoin de mon pouvoir ? Ou… Il hausse à nouveau des épaules, perplexe. Qu’il est compliqué et harassant de côtoyer des humains… Il se sent si perd. Et si avec Salomée il déploie de gros efforts pour paraitre moins inadapté, il n’en a présentement plus la force.
~ Je ne veux pas que les sentiments qui t'animent à mon égard te rongent.
~ C’est pas ton problème ça …
~ C'est à moi de t'aider à passer à autre chose si tu le veux bien. Je ne te forcerais en rien néanmoins. Chasse-moi dès à présent et je ne reviendrais jamais t'importuner.

Marcus secoue la tête.
~ Je suis désolé mais je capte pas. Quand j’avais besoin d’aide, vraiment besoin d’aide, y’a jamais eu personne pour moi et aujourd’hui, alors que le monde s’écroule autour de nous, t’as décidé que tu voulais venir à mon secours parce que ta conscience te travaille ? Je veux dire…pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?

Il n’y a aucune animosité ou ironie derrière tout ça, simplement de la curiosité forgée dans sa propre logique. Il scrute encore la main tendue.

~ Je la rejette pas… Mais il ne la prend pas non plus. Comment tu veux m’aider ou me soutenir ?

~ Je comprends pas ce que tu attends de moi… Est-ce que tu fais ça parce que t’as besoin de mon pouvoir ? Ou…
~ Ton pouvoir... ?

Ohanzee est abasourdi par cette supputation. Marcus n'a-t-il donc eu jamais d'autre types d'interactions avec autrui ? C'est si triste, si horrible...

~ Bien sûr que non ! Je ne suis pas là pour ça ! Je ne veux pas que les sentiments qui t'animent à mon égard te rongent.
~ C’est pas ton problème ça …
~ Tu te trompes. Cela me touche et me concerne. C'est à moi de t'aider à passer à autre chose si tu le veux bien. Je ne te forcerais en rien néanmoins. Chasse-moi dès à présent et je ne reviendrais jamais t'importuner.
~ Je suis désolé mais je capte pas. Quand j’avais besoin d’aide, vraiment besoin d’aide, y’a jamais eu personne pour moi et aujourd’hui, alors que le monde s’écroule autour de nous, t’as décidé que tu voulais venir à mon secours parce que ta conscience te travaille ?
~ Il n'y a jamais eu personne pour moi non plus. rétorque le Prophète attristé. Penses-tu donc que les autres ne sont motivés que par la cupidité ou la culpabilité ? N'as-tu donc pas foi en quoi que ce soit ?
~ Je veux dire…pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
~ Parce que j'ai été prisonnier toute ma vie - de l'autorité de mon père, d'un cercueil, d'une cellule et d'un camp d'endoctrinement sorcier - et qu'il n'y a que maintenant que je peux faire des choix en homme libre, déclare Ohanzee avec douceur et franchise. Sa sincérité est aussi pure qu'un diamant. Parce que je ne te retrouve que maintenant et que j'aimerais que l'on apprenne à se connaitre, que l'on soit ami, que l'on puisse compter l'un sur l'autre à l'avenir,... Le jeune ancêtre hausse les épaules. Ce que font les gens qui ont vécu une expérience commune : sympathiser.

La main toujours tendue, Ohanzee attend, avec sa patience d'être hors du temps.

~ Je la rejette pas…. Comment tu veux m’aider ou me soutenir ?
~ De la manière que tu le souhaiteras. Ce n'est pas à moi de décider ces choses, c'est à toi de les vouloir. Quoi qu'il advienne, et quelque soit la place, j'aimerais faire partie de ta vie et que tu fasses partie de la mienne. Voilà tout.

~ Il n'y a jamais eu personne pour moi non plus.

Cette affirmation le laisse profondément troublé et un peu agacé. Ohanzee n’a jamais été seul à l’ICV et encore aujourd’hui, il est constamment entouré, il a une compagne et il a même entendu qu’il allait être père. Comment peut-il affirmer sans trembler des genoux qu’il n’a jamais eu personne ?

~ Penses-tu donc que les autres ne sont motivés que par la cupidité ou la culpabilité ?
Marcus hausse les épaules nonchalamment. Evidemment que c’est ce qu’il pense. Ne se rappelle-t-il donc pas là d’où il vient.
~ J’ai été créé et élevé par ambition et cupidité. L’Humanité n’est capable de grands et beaux sentiment que quand ça l’arrange. Je veux bien admettre qu’il existe des exceptions – Malone et Salomée –mais elles sont bien trop rares.
~ N'as-tu donc pas foi en quoi que ce soit ?
Marcus l’observe, le visage toujours aussi imperturbable. Il a beau ne pas être doué en lecture des émotions humaines, Ohanzee lui apparait comme un livre ouvert.
~ Ca serait si grave à tes yeux ? Tu me jugerais pour ça ? En quoi tu veux que j’ai foi exactement ? Je n’ai rien connu de ce qui t’anime. La religion, la compassion, l’amour ou je ne sais quoi d’autres. Je crois en Chien. Je crois en Rat. Et en Corbeau.
Celui-ci croasse soudain, mais impossible de deviner s’il approuve ou s’il se moque de son compagnon bipède.
~ Eux ne me décevront pas et ils ne me mentiront jamais parce que ce sont des concepts qu’ils ne connaissent même pas. L’Humain est bien plus fourbe. Je ne crois pas en Lui. Et puis ça rime à quoi tout ça ? Je veux dire…pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
~ Parce que j'ai été prisonnier toute ma vie - de l'autorité de mon père, d'un cercueil, d'une cellule et d'un camp d'endoctrinement sorcier - et qu'il n'y a que maintenant que je peux faire des choix en homme libre.
Marcus écoute. Oui ça il peut le comprendre et le concevoir.
~ Parce que je ne te retrouve que maintenant et que j'aimerais que l'on apprenne à se connaitre, que l'on soit ami, que l'on puisse compter l'un sur l'autre à l'avenir…
Ça, ça le dépasse. Cette volonté de se lier à l’autre, cette nécessité de se faire « des amis ».
~ Je ne sais pas comment me faire des amis, comment compter sur quelqu’un et je n’ai rien qu’il ne soit intéressant de connaitre. Je suis. C’est tout.
~ Ce que font les gens qui ont vécu une expérience commune : sympathiser.
Marcus fronce les sourcils.
~ Tu penses que nous avons des choses en commun en dehors d’une prison ? Je ne comprends pas les Hommes… et je ne suis pas certain d’en être vraiment un. Je n’ai ni mère ni père pour me l’affirmer en tout cas.

Tout cela lui parait trop complexe, trop difficile. Pourquoi faire des efforts ? L’amitié est-elle une récompense satisfaisante en soi ? Ça lui semble difficile à croire. Il arrivera à passer outre ses sentiments de jalousie crasse avec le temps et en s’éloignant de lui. L’inverse de ce que souhaite Ohanzee. Il observe encore cette main tendue, il hésite et il ne sait pas pourquoi.
Et puis soudain ça lui saute aux yeux.

~ Je la rejette pas…. Comment tu veux m’aider ou me soutenir ?
~ De la manière que tu le souhaiteras. Ce n'est pas à moi de décider ces choses, c'est à toi de les vouloir. Quoi qu'il advienne, et quelle que soit la place, j'aimerais faire partie de ta vie et que tu fasses partie de la mienne. Voilà tout.

Il ne fait que confirmer ce qu’il vient de comprendre. Il penche la tête sur le côté et plante son regard dans le sien, chose rare chez lui.
~ Tu sais ce que je crois Ohanzee. Je crois qu’en fait, tu as besoin de moi. D’un ami, de quelqu’un qui essaie de te comprendre. Tu fais ça autant pour toi que pour moi. Tu n’es pas là que pour moi. Et à vrai dire, j’aime mieux ça. C’est plus sain et honnête. Plus facile à comprendre.

Lui se passerait bien de tout ça à vrai dire mais la situation a quelque chose de satisfaisant, comme si l’équilibre venait d’être rétabli.  
Les mains dans les poches, il y trouve tout au fond un gland qu’il pose finalement dans la main tendue d’Ohanzee avec un petit sourire en coin.
~ Tu n’as qu’à le planter. Tu verras bien si quelque chose pousse. Métaphore de leur relation. Il faut que je rentre, il va bientôt faire nuit et j'ai de la marche à faire. Il siffle Chien qui joue à courser Rat dans l’herbe haute. Aussitôt, ils le rejoignent. Si tu veux me parler, j’habite une cabane non loin d’ici. Je l'appelle le Nid.

Il ne lui fermera donc pas la porte mais ne le guidera pas non plus. Il laisse ça au hasard, à la force de sa volonté. Il ne sait pas encore exactement pourquoi, mais il suit son instinct. Et alors qu’il s’éloigne il se retourne soudain.

~ J’aime bien les pommes ! balance-t-il soudain avec un sourire plus large.