Cela fait deux jours que Marcus sillonne la forêt, les sens tellement aux aguets qu’il se sent en tension constante. Il n’y a qu’au Nid qu’il arrive à se détendre un tout petit peu. Mais l’atmosphère de la forêt pèse lourd sur ses épaules, la lumière semble avoir beaucoup de mal à percer l’épais feuillage. Ce qui n’a pas de sens… toutes ses feuilles n’ont aucune raison d’être là en plein hiver.
A chaque recoin, derrière chaque arbre, il a l’impression de voir « quelque chose » bouger…
Son enquête auprès des animaux s’avère bien plus complexe que prévu. C’est soit une cacophonie incompréhensible, soit un silence étrange. Un silence auquel il n’est pas habitué. Il a envoyé Rat plus loin au cœur de la forêt en lui demandant d’être prudent. C’est un animal peut-être moins malin que Corbeau mais à l’instinct de survie surdéveloppé.

Il reviendra.
J'en suis sûr.

En parallèle de la forêt, Marcus garde un œil sur le lieu principal qui sert de refuge aux Humains. Il a besoin de savoir ce qu’ils font, comment ils s’organisent. Il sait que Salomée est là. Selon Corbeau, elle est très souvent entourée de beaucoup de monde, régulièrement. Marcus en a donc déduit qu’elle devait occuper un poste haut placé dans ce nouvel agencement de la civilisation. Aujourd’hui encore, il y a envoyé le corvidé en reconnaissance, sans se douter que celui-ci ne fait rien pour être discret au milieu du ranch, croassant pour attirer l’attention de celle qu’il semble suivre.

Marcus s’est assis sur une pierre pour manger une pomme, Chien allongé à ses pieds. Tendu, son regard parcourt les environs.
« Intru ! »
Les oreilles de Chien se dressent et il se relève soudain en se tournant vers l’endroit qui intéresse le canidé. Il attrape son couteau papillon et ses doigts dansent pour en libérer la lame.
Surpris mais soulagé, il range son arme.

~- Salut…

L'aiguille plonge dans l'épais tissus émeraude puis refait surface, pointue et sans égard pour ce qu'elle serine. Chair ou coton, quelle différence ? Elle n'a d'empathie que pour son fil. Salomée suce son doigt troué sans une plainte. Le corbeau perché sur la barrière comble le silence qu'elle a laissé d'un croassement qui pourrait passer pour un rire.

- Tu te moques ? fait la jeune femme au corvidé, en haussant un sourcil. Ne ris pas trop fort ou tu vas finir par rencontrer un autre caillou.

Il avait failli se faire caillasser, plus tôt dans l'après-midi, à force de brailler comme un sauvage et de fatiguer la patience de certains locataires de chez Gaff. Figtree s'y était formellement opposé, entonnant un laïus sur la maltraitance animal. Les Dragons l'écoutaient avec une déférence qui générait un profond sentiment d'inconfort chez leur Lieutenant-Colonel. Elle n'aimait pas son assurance tranquille et fervente, mais ne pouvait pas nier sa participation au Miracle.
De là, il tenait son influence grandissante.
De là, elle perdait du terrain sur leur obéissance.

Que vaut notre sinistre réputation face à un Saint, Edgar ?
Pas grand chose...

Quoi qu'il en soit le Corbeau avait été épargné. Curieuse, elle s'était demandé s'il s'agissait du compagnon de Marcus. Peut-être qu'il nous espionne ? Peut-être qu'il veille sur moi ? Une idée saugrenue et stupide, cela allait de soit. Dans le doute, cependant, elle avait demandé de quoi le nourrir auprès du fermier et de sa petite-fille. Depuis, il la suivait partout.

Salomée s'apprête à reprendre son ouvrage de couture quand elle voit soudain l'oiseau prendre son envol. Elle fronce les sourcils, et se plait brusquement à croire que c'est pour rejoindre son partenaire humain. Sans réfléchir, la voilà déjà debout, marchant à sa suite, courant même pour ne pas le perdre. Lorsqu'elle le voit descendre en tournoyant, elle ralentie ses enjambées et remarque la silhouette familière du Charmeur de Bête, flanqué de son éternel cabot.

Marcus l'accueille avec une pomme à la main et un couteau dans l'autre.
Salomée a une sensation de déjà vu qui fait fleurir un sourire discret sur son visage.

- Hey.
~- Salut…
- Tu me surveilles ?

Elle désigne de son index le ciel chargé qui couve un orage ainsi que le corbeau goguenard qui y vole. Son sourire ne semble pas vouloir la quitter. Il a l'air bien, là, épinglé sous son nez.

Salomée semble reposée, moins à cran que la dernière fois. Plus mariale aussi et maitresse d’elle-même. Elle a l’air d’aller mieux, pour le peu qu’il puisse en juger. Elle a même un petit sourire et par mimétisme un coin de la bouche de Marcus se soulève légèrement. Est-ce qu’elle est heureuse de le revoir ? L’est-il ? Difficile à dire. Et puis ce sont des considérations qui ne s’attardent pas trop dans son esprit. En tout cas il n’est pas mécontent. Ça c’est une certitude.  
Chien est plus exubérant et remue la queue pour l’accueillir en aboyant.

« Humaine bonne odeur ! Chien content. »
Le sorcier jette un coup d’œil appuyé à son Compagnon à quatre pattes. Chien est toujours content.

- Hey.
~- Salut…
- Tu me surveilles ?

Marcus fronce le nez mais n’a pas besoin de le lever pour savoir que Corbeau est là. Il croque le dernier morceau de sa pomme et balance le trognon.

« C’est toi qui l’as ramenée ? »
« Cadeau ! Humain qui parle me remercier ! »
« Dans tes rêves ! T’es qu’un sale piaf… »

~- Corbeau est sensé avoir l’œil sur tout le monde. J’essaie d’avoir des yeux partout. Désolé s’il t’a embêtée. Il est plutôt… Il marque une pause, cherche ses mots en esquissant des gestes flous…espiègle. Il se croit hilarant.

« Suis hilarant ! »

~- Tu l’as reconnu ? C’est pour ça que tu l’as suivi ?
Ou pour me voir ?

D’où lui vient donc cette réflexion soudaine ? C’est parfaitement stupide. Il n'intéresse personne.
Il danse d’un pied sur l’autre, gêné soudain. Qu’est-il sensé dire ? Qu’est-il sensé faire ? Pourquoi est-elle là d’ailleurs ?
Finalement, il laisse pour une fois s’exprimer sa curiosité.
~- Comment ça se passe là-bas ? Corbeau m’a dit qu’il y avait beaucoup d’agitation. Il vous a comparé à une fourmilière qu’on vient de piétiner.  

~- Corbeau est sensé avoir l’œil sur tout le monde. J’essaie d’avoir des yeux partout.
- Hum.. hum.. fait Salomée dubitative. Un pincement de lèvres l'empêche de sourire davantage.
~-Désolé s’il t’a embêtée.
- Moi non, mais son chant mélodieux n'a pas été du gout de tous.
~- Il est plutôt…espiègle. Il se croit hilarant.
- C'est un chanteur d'opéra incompris...

Silence.
Salomée a un pouffement très peu protocolaire et cache le petit rire qui lui a échappé derrière sa main. Elle se reprend très vite après cette glissade humoristique dont elle n'a elle-même pas l'habitude.

- Hum...
~- Tu l’as reconnu ? C’est pour ça que tu l’as suivi ?
- Non. Je me suis simplement dit que c'était une possibilité. Je l'ai suivi pour vérifier. Un battement de cil, un regard qui fuit pudiquement vers ses chaussures. Je ne le regrette pas.

Le silence retombe à nouveau les laissant englués et empotés. Marcus se dandine sur ses pieds et Salomée tripote convulsivement les lacets du hoodies que la jeune apprentie de Gaffney lui a prêté, le temps qu'elle recouse les déchirures de son uniforme.

Dis quelque chose...
Je ne suis pas douée pour la conversation.
Dis quelque chose !
Je l'ennui, il vaut mieux que je m'en ailles.

A son grand soulagement Marcus dégaine une interrogation qui l'empêche de se rendre compte que ses joues chauffent d'embarras.

~- Comment ça se passe là-bas ? Corbeau m’a dit qu’il y avait beaucoup d’agitation. Il vous a comparé à une fourmilière qu’on vient de piétiner.
- Corbeau est lyrique, ironise la sorcière. On tente de s'organiser et.. de s'apprivoiser. C'est compliqué.

Salomée pousse un soupir qui en dit plus long que toutes les descriptions. Les moments de solitude pour se ressourcer sont quasi inexistants. Elle ne fait pas un pas sans qu'on sollicite son avis ou sa coordination. Elle s'accroupit pour caresser le chien et lui faire une multitude de gratouilles. Elle sourit avec une certaine lassitude.

- Je t'envie.

D'être sourd.
D'être seul.
De n'avoir que des esprits faciles à contenter comme compagnons.

Marcus voit son rire et se dit qu’il aurait aimé l’entendre. Ses traits changent radicalement sous le coup de l’hilarité. Il oublie parfois à quel point le visage d'un Humain est flexible et capable d’afficher des expressions si variées. C’est assez fascinant. Les animaux n’ont pas ce genre de compétence.

~- Tu l’as reconnu ? C’est pour ça que tu l’as suivi ?
- Non. Je me suis simplement dit que c'était une possibilité. Je l'ai suivi pour vérifier. Il a du mal à déchiffrer la suite. Je ne le regrette pas.

Il n’a aucune idée de comment interpréter ça et il a beau y réfléchir ça n’a pas beaucoup de sens pour lui. Forcé de devoir l’observer, il note la même gêne qui l’étreint lui-même et se dit donc que ça n’est pas si anormal que ça d’être si embarrassé…si ? Comme le silence s’éternise, il a soudain peur qu’elle s’en aille déjà et pose la première question qui lui passe par la tête.

~- Comment ça se passe là-bas ? Corbeau m’a dit qu’il y avait beaucoup d’agitation. Il vous a comparé à une fourmilière qu’on vient de piétiner.
- Corbeau est lyrique. Elle fait... de l’humour non ? Etonnant ça aussi.
~- Il essaie. C’est distrayant.
- On tente de s'organiser et... de s'apprivoiser. C'est compliqué.

Les épaules de Salomée se soulèvent lentement, il en déduit qu’elle soupire. Fort. Très empathique, Chien s’avance vers elle et elle se met à genoux pour le câliner. Ce qui ravie le canidé, évidemment.

~- Ca te plait pas hein ? Là-bas, devine le sorcier. Il ne sait pas tellement d’où lui vient cette certitude. Parce qu’il pense, peut-être à tort, qu’ils partagent quelques points communs, notamment l’amour de la solitude et quelques inaptitudes sociales certainement. Enfin c’est ce qu’il croit avoir discerner, mais il n'est pas très bon juge. Il baisse les yeux sur elle, voit son sourire qu’il trouve différent de celui qu’elle a eu en le voyant en contre-plongée, moins lumineux.

- Je t'envie.
Il se fige, sourcils froncés, une colère certaine dans le fond des yeux. Il s’approche, s’accroupit à son tour pour lui faire face et demande sur un ton sec dont il n’a pas réellement conscience.
~- Pourquoi ? Tu sais rien de moi.

~- Ca te plait pas hein ? Là-bas...

Salomée lève le regard vers le jeune homme sans cesser de dispenser ses caresses au cabot. Elle hausse les épaules avec fatalisme.

- Ce qui me plait importe peu. J'ai un devoir et des responsabilités.

Du moins c'est ce qu'elle se plait à croire. Elle veut faire mieux qu'être le bras armé des Mac Mahon : elle souhaite protéger le Vivant. Elle n'a guère d'outils et d'alliés à sa portée pour accomplir cette prouesse. Et son chemin a été semé d'erreurs et de contre-temps.

- Je t'envie.
~- Pourquoi ? Tu sais rien de moi.

La jeune femme le contemple, surprise par la dureté du ton. Elle fronce les sourcils et soutient son regard. Elle y lit suffisamment d'âpreté pour comprendre que la vie ne l'a pas épargné. Après un silence pesant, elle répond seulement.

- Non, c'est vrai. Mais, je sais que tu es libre de disposer de toi-même. Faible sourire. C'est suffisamment précieux pour être envié.

Que dire après cela ? Toute conversation est vouée à mourir. Elle se lève avec lenteur. Elle l'a vraisemblablement offusqué et elle n'a pas besoin de collectionner les détracteurs. Elle en a suffisamment dans son escarcelle.

- Mon offre tiens toujours. Prends soin de toi, Marcus.

Elle s'apprête à tourner les talons pour ne pas l'importuner davantage.

- Ce qui me plait importe peu. J'ai un devoir et des responsabilités.

Voilà bien quelque chose que Marcus ne connait pas et ne connaitra sans doute jamais s’il a son mot à dire. Le seul « devoir » qu’il a peut-être, c’est envers ses compagnons animaux. Voilà bien tout et il sait que le sentiment est réciproque.  

- Je t'envie.
~- Pourquoi ? Tu sais rien de moi.

Elle lève ses yeux vers lui, l’expression indéchiffrable pour le jeune homme. Lui ne se rend pas compte de la dureté de ses traits, de sa voix, de son regard. Il trouve simplement son assertion étrange et un peu inconvenante, ça l’agace un peu. Elle ne voit qu’un prisme de sa vie.

- Non, c'est vrai. Mais, je sais que tu es libre de disposer de toi-même. C'est suffisamment précieux pour être envié.
~- Ca a pas été le cas pendant les quinze premières années de ma vie. Cette liberté je l’ai arrachée. Personne ne te retient prisonnière là-bas. C’est ton choix. Pourquoi tu te forces si tu veux pas ?

Un long silence s’en suit et Marcus a beau retourner la question dans tous les sens, pour lui ça n’a pas beaucoup de logique… peut-être bien que sa vie aujourd’hui est enviable. Lui en tout cas ne se forcera plus. Ses efforts n’ont jamais satisfait de toute façon, alors pourquoi tenter encore.
Elle se relève lentement et il l’imite. Ils se tiennent en silence, l’un devant l’autre, mais un silence embarrassé porteur d’une tension désagréable qui picote sa peau.  

- Mon offre tient toujours.
~- Merci. Ça me fait toujours pas envie.
- Prends soin de toi, Marcus.
~- Toi aussi.

Cette rencontre avortée le chagrine mais renforce son idée qu’il n’est absolument pas adapté à ses « congénères ».
« Idiot pas doué ! » jacte Corbeau qui vient se poser sur son épaule qu’il pétrit de ses serres avec une forme d’irritation.
« Tu m’apprends rien. »
« Même pas de plumes pour faire le beau… »

Mais que peut-il faire pour désamorcer cette situation ? Il n’en a aucune idée. Il contemple son dos, songeur, déçu et un peu frustré. Il amorce un peu pour l’arrêter mais s’arrête parce qu’il ne sait pas ce qu’il pourrait bien dire. Et puis si elle s’en va, c’est certainement qu’elle ne veut plus rester en sa présence. Il ramasse son sac et détourne à son tour les talons.

*****

Le lendemain, les pas de Marcus le guident à nouveau vers le ranch, à sa lisière, très tôt le matin. Malgré l’heure matinale, il constate pourtant de l’activité près des granges. Il observe de loin, curieux, l’échauffement d’un groupe d’hommes et de femmes. Activité presque militaire. Il grimace ça lui rappelle la discipline de l’ICV. Il n’aime pas.
Corbeau, comme s’il sentait l’inconfort de l’Humain qui parle, croasse sur son épaule et pousse son menton du haut de sa tête emplumée.  

Marcus se détourne de ce spectacle qu’il le perturbe un peu trop et se concentre sur la recherche des marques qu’il a pratiqué il y a trois jours à l’orée des bois. Il veut mesurer son avancement. Chien est parti depuis quelques minutes et Marcus espère qu’il ne s’est pas laissé distraire par les cheveux avec qui il avait pris l’habitude de jouer quand il rendait encore visite parfois à Malone.  

When it’s hard times, When it’s long days
And the enemy is right up in your face
When your back’s against the ropes and you’re feeling all alone
Keep fighting the good fight
(Never give up, never give up)

Salomée, une tasse de café chaud entre les doigts, observe Gaffney et son apprentie s'occuper des chevaux. Dans son dos, résonnent les pas cadencés de ses hommes à l'entrainement. Elle y prend part d'ordinaire, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, elle n'a envie de rien, elle souhaite simplement que le monde l'oublie. Il devient difficile pour elle de dormir et insurmontable la perspective de se lever. Grass lui a souligné que ce pouvait être un premier symptôme comme la simple expression d'un réel surmenage. Après tout, ils sont en train de vivre l'Apocalypse.
La Dragonne se demande si cette mélancolie est liée à sa dernière rencontre avec Marcus. Rencontre avortée, frustrante, décevante, qui l'avais rendue inexplicablement triste. Sur le moment.

"Vous vous en sortez admirablement Salomée... Ayez foi en vous."

La jeune femme tourne la tête vivement et constate que le "Prophète" Ohanzee Figtree se tient à ses côtés

- Qu'avez-vous dit ?
- Que ce  spectacle était magnifique.... Les chevaux, j'entends. Ils sont beaux, n'est-ce pas ?
- Oui...

La sorcière fronce les sourcils, elle est persuadée d'avoir compris autre chose mais elle ne parvient pas se souvenir avec exactitude des mots. Bizarre.

- Vous montez à cheval ?
- Oui. Enfin, Edgar la faisait monter à cheval. Seule, elle n'est pas si sûr de pouvoir recommencer. Je crois, ajoute-t-elle prudemment.
- Essayez de reprendre, l'équitation offre une communion  très appréciable avec son compagnon de chevauche.
- Je ne crois pas qu'on ait vraiment le temps pour batifoler sur des poneys.
- Oh tiens, ne serait-ce pas un chien de traineau que l'on aperçoit là-bas ? Coupe Ohanzee d'un air enthousiaste.

Salomée plisse les yeux et tourne le regard vers le point désigné par Figtree. Ce husky sibérien roux se confond difficilement avec un autre.

- Je le connais.
- Un ami du corbeau ? demande Ohanzee avec un sourire malicieux.
Salomée le toise avec un froncement de sourcils enjambe la barrière.
- Ouais.

***

Chien était content de la voir. Il l'a reconnue immédiatement et n'a pas rechigné à le mener à Marcus. Elle reconnait la silhouette dégingandée de Marcus auscultant les troncs. Mue par une idée idiote, complétement puérile et qu'Edgar n'aurait jamais autorisée, elle met un index sur sa bouche en espérant que le husky comprenne qu'elle souhaite rester silencieuse. Elle avance à pas de loup -quand bien même il est sourd - et pose ses mains sur les yeux de Marcus pour lui occulter la vue.

- Salut, fait-elle avec un sourire, savourant sa première espièglerie consciente.

D'une certaine manière, elle aimerait conjurer leur rencontre précédente.

Marcus retrouve les marques pratiquées dans l’écorce de quelques troncs. Il est facile de constater que l’arbre qui se trouvait préalablement à la lisière de la forêt ne s’y trouve plus de quelques mètres.
Le jeune homme fronce les sourcils. Que se passe-t-il donc ? Est-ce que les arbres bougent, comme chez Tolkien – découvert chez Malone – ? Où poussent-ils à une vitesse incroyable ?
Rien ne lui parait probable, tout lui parait possible…

Chien se fait désirer…à tous les coups, il a dérivé vers le ranch, quand bien même il sait qu’il ne vaut mieux pas s’approcher trop de l’endroit surpeuplé à présent. Malone ne sera plus là pour lui donner à manger et Gaff a sans doute beaucoup trop à faire pour jouer avec lui.

Corbeau s’envole soudain pour se poser sur une branche juste au-dessus de lui et Marcus fronce les sourcils.
« Quoi je sens pas bon ? »
« Préfère observer ça de haut. »
« Observer qu… »

Quelque chose occulte soudain sa vue et il se raidit complètement alors que son cœur fait une embardée. Il pose automatiquement les mains sur celles qui bouche sa vue et les retirent rapidement de ses yeux avant de se retourner. Ses autres sens et le fait que Corbeau ne soit pas plus alarmé que cela lui indique clairement de qui il s’agit. Pourtant il ne s’attend pas vraiment à faire face au sourire malicieux de Salomée et qui fait joliment pétiller ses yeux. Pas après leur dernier « entretien », si on peut appeler ça de cette façon. Il en reste un instant bouche bée, les yeux écarquillés, l’air un peu ébloui ou ailleurs.  

- Salut.
Très lentement, un sourire amusé étire la bouche de Marcus.
- Salut, souffle-t-il bêtement par mimétisme sans même signer. Il se rend alors compte qu’il tient toujours ses mains et les lâche subitement, comme si son contact le brûlait. Chien aboie alors joyeusement, à retardement.

« Vous saviez qu’elle était là. »
« Evidemment. »
« Surprise ! Surprise ! Pas aboyer ! »
« Vous êtes des traites. »

~- C’est pas joli-joli de profiter de ma surdité. Tu voulais me tuer ?...il marque une pause et son sourire s’agrandit. Ou tu me surveilles ? Nouveau petit silence. C’est presque une vraie petite armée qu’il y a là-bas. Il indique brièvement le ranch. C’est toi qui les diriges ?

Marcus arbore une expression si surprise, que Salomée est rattrapée par le sentiment d'être puérile et ridicule. Elle rentre inconsciemment la tête dans les épaules et pince les lèvres, attendant la réprimande, mais le Charmeur de Bêtes sourit à son tour et toute son anxiété s'en trouve balayée. Il a les mains chaudes, c'est agréable.

Il est mignon avec son air benêt...
Pourquoi ça me donne envie de rire, comme ça ?
C'est idiot.

~- C’est pas joli-joli de profiter de ma surdité. Tu voulais me tuer ?
- Avec la méthode la plus efficace.
~-Ou tu me surveilles ?
- Non. Je ramène tes animaux égarés. Ou alors... Ce sont eux qui ont décidé que tu manquais de compagnie et ils viennent me chercher.

Elle rosit de sa propre audace et cache son sourire derrière le revers de ses doigts. Elle préfère de loin le sien, qui transforme ses yeux en fentes rieuses.

C'est peut-être vraiment un elfe après tout ?

Elle se tourne vers Chien par pudeur maladroite et le gratifie d'une caresse.

- Merci. Tu as été un très bon complice.
~-C’est presque une vraie petite armée qu’il y a là-bas. Marcus lui montre le haras et par là toute la réalité de sa nouvelle existence. C’est toi qui les diriges ?
- Une partie. La "petite armée". Je suis la plus haute gradée encore en vie, alors... déclare-t-elle d'un ton morne. Les autres ont été nos adversaires.

Un soupir alors qu'elle papouille toujours Chien.

- La donne a changé.

~-Ou tu me surveilles ?
- Non. Je ramène tes animaux égarés.

Marcus sourit en jetant un coup d’œil à Chien qui s’est posté entre eux deux, la langue pendante et semblant très fier d’avoir jouer un tour à son Compagnon Humain.  

~- Ce ne sont pas mes animaux. Ils ne m’appartiennent pas. C’est eux qui décident de rester avec moi.

« Oui. Souviens-t’en Humain qui parle. »
« Arrête, je sais que tu ne peux pas te passer de moi. »
Croassement moqueur auquel Marcus répond par un ricanement.

~- Corbeau essaie de me faire croire qu’il en a assez de moi. Mais oui ils sont souvent sur ta route en ce moment.
- Ou alors... Ce sont eux qui ont décidé que tu manquais de compagnie et ils viennent me chercher.
Le jeune homme rougit un peu et détourne le regard alors que Corbeau approuve bruyamment.  
~- C’est…possible. Ils ne me disent pas tout. Surtout pas ce sale volatile.

Il ne lui dira pas mais il soupçonne fortement le corvidé de l’avoir volontairement menée à elle le soir de leur rencontre. Il aurait très bien pu le guider pour contourner Salomée, hors là il a croisé pile sa route.
Elle cache soudain sa bouche, les joues un peu plus rose et Marcus attrape instinctivement sa main pour abaisser ses doigts avant de la lâcher.
~- Désolé. Sinon je te comprends pas.
 
Finalement, c’est Chien qui obtient toute son attention et on ne peut pas vraiment dire qu’il s’en plaigne.

- Merci. Tu as été un très bon complice.
« Bon Compagnon ! »
~- C’est presque une vraie petite armée qu’il y a là-bas. C’est toi qui les diriges ?
- Une partie. La "petite armée". Je suis la plus haute gradée encore en vie, alors...
~- J’avais deviné que t’étais gradée. Faut…que je te fasse un salut militaire ou quelque chose comme ça ? lance-t-il dans un trait d’humour qui ne lui ressemble pas.
- Les autres ont été nos adversaires.
Il reste un moment songeur.
~- Je vois. Je comprends pas grand-chose aux alliances et à la politique surnaturelle de la ville. Haussement d’épaule. Trop compliqué et pas très intéressant. Je connais juste la place de l’ICV dans ce joyeux….il cherche un moment le mot adéquat. Bordel.
- La donne a changé.
Il hoche la tête.
~- Quand il est question de survie, toujours. Ca devrait être plus facile pour rassembler tout le monde non ? demande-t-il naïvement. Enfin…pour ce que j’en sais. C’est-à-dire par grand-chose.  
Il se gratte la nuque, subitement gêné de son ignorance.
~- J’ai vu un autre de ces « golems de pierre ». De loin. Je suis presque certain que c’était pas le même que celui qu’on a croisé.
Il se tourne soudain vers l’arbre avec son coup de couteau qu’il trace de son doigt.
~- Tu vois cette marque ? Il y a quelques jours, je l’ai fait sur l’arbre le plus près de la lisière. Aujourd’hui il est là…à trois mètres à peu près ? Je suis pas certain que vous soyez si en sécurité que ça là-bas, conclut-il avec un voile d’inquiétude dans sa voix qu’il ne perçoit pas.  

Salomée n'est pas tactile. Elle n'a jamais eu de contact aussi proche outre Edgar. Sauf peut-être cette fois où le Major O'Fuaim l'a obligée à palper son ventre pour mieux sentir ses jumeaux en gestation. Un moment de malaise certain. Quoi qu'il en soit Edgar s'était toujours assurée qu'elle ne touche personne et que personne ne la touche. Elle ne devrait pas se sentir troubler de banales prises de mains, d'autant qu'elle a initié la chose.

~- Je vois. Je comprends pas grand-chose aux alliances et à la politique surnaturelle de la ville. Trop compliqué et pas très intéressant. Elle partage assez ce point de vue. Je connais juste la place de l’ICV dans ce joyeux… Bordel.

Elle a un vague sourire face à l'emploi du mot et note l'information qu'il a laissé échapper

- La donne a changé.
~- Quand il est question de survie, toujours. Ca devrait être plus facile pour rassembler tout le monde non ? Enfin…pour ce que j’en sais. C’est-à-dire par grand-chose.
- "Les ennemis de mon Ennemie sont mes amis." C'est vrai, dans la théorie. Dans la pratique c'est plus..... nuancé.

Une question la démange, mais elle ignore comment la formuler sans être abrupte ou intrusive. Alors, ils restent là, en silence, à se regarder sans mot dire. Il a les cheveux drôlement bouclés. Le simple fait de se demander quelle sensation ça ferait sur les doigts la perturbe.

Depuis que tu n'es plus là, Edgard, mon esprit ne se tient plus.
Mes pensées se désordonnent.
A cause de toi, je vais finir par le perdre.
J'espère que tu es content de ton dernier vilain tour...

~- J’ai vu un autre de ces « golems de pierre ». De loin. Je suis presque certain que c’était pas le même que celui qu’on a croisé.
- Un seul m'aurait suffit. Ce n'est pas réjouissant. Et les arbres ?
~- Tu vois cette marque ? Il y a quelques jours, je l’ai fait sur l’arbre le plus près de la lisière.
- Nous sommes le plus près de la lisière.
~- Aujourd’hui il est là…à trois mètres à peu près ?
- Il... a avancé ?, fait-elle en le regardant avec une gravité perplexe.
~- Je suis pas certain que vous soyez si en sécurité que ça là-bas.
- Tu t'inquiètes pour nous ?

Il ne distinguera ni la tonalité amusée, ni la note de gratitude dans sa voix. Tant pis.
Salomée observe la ferme qui bruisse d'activité en contrebas de leur colline. Elle ferme les yeux, soudain lasse de toutes ces mauvaises nouvelles. Ils sont cernés. Devant le Brouillard, derrière la forêt ensorcelée, au loin un océan dont on ne distingue plus l'horizon.

- Marcus... sollicite-t-elle doucement en se tournant vers lui. Tes quinze années de captivité, c'est à l'I.C.V. que tu les dois ? Un silence. Ne répond que si tu le veux. Le mutisme est une réponse en soi. Elle baisse les yeux. Je suis navrée pour la dernière fois. Je manque parfois de.. tact. Je crois que c'est ce qu'on dit.

Il n'empêche, qu'elle l'envie toujours.
Elle a passée presque trente années à être captive de son propre corps, et même à présent que sa cage est déverrouillée, elle demeure prisonnière des conséquences.

~- Je suis pas certain que vous soyez si en sécurité que ça là-bas.
- Tu t'inquiètes pour nous ?

Marcus lève les mains ouvre la bouche puis se rend alors compte que c’est plus pour elle qu’il s’inquiète. Il fronce les sourcils et avoue avec une franchise un peu maladroite et involontaire.
~- Pour toi.
Il détourne soudain le regard, lève ses orbes bleus au ciel.
~- Et Gaffney. C’est un Hum…homme gentil.
Mais le sorcier n’est pas bête non plus. Il sait bien que quoi qu’il se passe ici, il n’arrivera pas à y survivre seul. Pour la première fois, il ne se sent plus aussi en sécurité dans la forêt qu’avant, la vie qui y grouille lui parait presque menaçante.

Il observe Salomé du coin de l’œil. Elle a l’air songeuse en contemplant le ranch en contrebas, inquiète aussi…il comprend bien pourquoi. Elle se tourne soudain vers lui.
- Marcus... Tes quinze années de captivité, c'est à l'I.C.V. que tu les dois ?
Les traits du visage du sorcier se plissent légèrement. Il a beau avoir fait le deuil de toute cette période, s’en souvenir n’est jamais vraiment agréable. C’est lui rappeler des choses qui font encore mal aujourd’hui.  
- Ne répond que si tu le veux.
Il déglutit puis se décide à dire sur un ton excessivement neutre qu’il ne contrôle même pas.
~- Pendant quinze ans, j’ai été 068. Une expérience ratée de l’ICV. Ils m’ont fabriqué. Entièrement. Sans nom, sans racine, sans rien qu’un pouvoir qui ne les satisfaisaient jamais. Eduqué et façonné à leur manière tout ça pour être une déception quoique je fasse. Pourtant j'ai tout essayé. Les animaux me parlaient d'autre chose, de liberté, d'un monde vaste. Et je me suis dit que j'avais envie de le voir moi aussi. Je me suis enfui, j’ai arraché la liberté qu’on m’a toujours refusé.  

Sa voix s’est faite de plus en plus rauque, peu habituée à fournir autant d’effort d’un seul coup, marquée par des souvenirs douloureux. Ses yeux se braquent dans les siens pour attendre les répercussions de ce qu’il vient de lui révéler. La dernière et unique fois qu’il en a parlé, c’est à Malone. Va-t-elle être dégoutée ? Déçue ? Va-t-elle avoir pitié de lui ? Il n’espère rien de tout ça mais n’arrive absolument pas à anticiper sa réaction.
Il ne sait pas exactement pourquoi il se confie à elle de cette façon. La fin du monde lui fait faire de drôle de chose...ou bien se sent-il simplement en confiance avec elle, suivant l'instinct de ses Compagnons à poils et à plumes qui semblent supporter sa présence et même...la chercher.

- Je suis navrée pour la dernière fois. Je manque parfois de… tact. Je crois que c'est ce qu'on dit.
Il hausse des épaules nonchalantes et a une sorte de rictus.
~- T’en fais pas pour moi. On a jamais fait attention à ce que je ressens. Mais si tu n’aimes pas ta vie comme elle est. Change là. Personne ne le fera pour toi.
Il marque une pause, épuisé d’avoir tant parlé d’un coup mais poursuit toutefois parce qu’il ressent lui aussi le besoin de s’excuser.
~- Désolé si…j’ai été brusque. Envier…ça sert pas à grand-chose. Plus jeune, j’ai envié les entendants, les métamorphes, les autres sorciers. C’est juste épuisant. Faire avec ce qu’on a. C’est une leçon que j’ai dû apprendre vite.
Il grimace en se grattant la tignasse.
~- Je voulais pas te faire une leçon. Juste, c’est ce que je pense.
Enfin il s'arrête de parler.

~- Pour toi.
- Oh... Elle a un sourire involontaire. Un frissonnement de lèvres.
~- Et Gaffney. C’est un Hum…homme gentil.
Elle opine.
- C'est vrai.

Après un long silence méditatif, elle lui pose la question qui la taraude. A sa grande surprise, Marcus lui offre une réponse. Elle se rend compte qu'ils ont bien plus en commun qu'elle ne l'aurait cru. Elle dévisage le jeune homme avec une expression invisible pour elle : une émotion sur laquelle elle ne saurait poser de nom. Une forme de compréhension et de soulagement.

~- T’en fais pas pour moi. On a jamais fait attention à ce que je ressens.
- Moi, ça m'importe.
~- Mais si tu n’aimes pas ta vie comme elle est. Change là. Personne ne le fera pour toi. Désolé si…j’ai été brusque. Envier…ça sert pas à grand-chose. Plus jeune, j’ai envié les entendants, les métamorphes, les autres sorciers. C’est juste épuisant. Faire avec ce qu’on a. C’est une leçon que j’ai dû apprendre vite.

Salomée a un sourire un peu mélancolique.

- Tu ne sais rien de moi, Marcus, dit-elle en reprenant ses mots. Elle pose fugacement une main sur son avant bras pour en adoucir les retombées et le contemple : lui, sa gaucherie, sa pensée individualiste et libre.
~- Je voulais pas te faire une leçon. Juste, c’est ce que je pense.

Elle pince les lèvres dans un mutisme qu'elle décide finalement de briser.

- Il existe différentes formes de prisons. On m'a asservie quand je n'étais qu'une petite fille. J'ai été offerte au fils unique d'une grande famille de sorciers d'Emeraude à son septième anniversaire, afin qu'il puisse exercer son don de manipulation psychique. Il m'a façonnée pour être l'instrument de son ascension : une arme servile et sans état d'âme. Il est mort il y a quelque jours... Sa voix s'étrangle bizarrement. Sa gorge lui pique. Sa bouche se tord.... Je suis toute seule dans ma tête pour la première fois de ma vie.... Les larmes lui montent aux yeux mais ne lui font pas l'affront de couler... C'est terrifiant.....

Salomée déglutit et détourne le regard. Des années de discipline lui font refouler toute démonstration d'émotivité. Elle reprend rapidement le contrôle d'elle-même.

- Maintenant, je paie les conséquences. A tous les niveaux. Je ne serais jamais libre.

- Tu ne sais rien de moi, Marcus.
Il fixe cette main posée sur son bras et le retire lentement, sans brusquerie.    
~- Je sais... Je voulais pas te faire une leçon. Juste, c’est ce que je pense.

Elle semble tergiverser puis parle à son tour.
- Il existe différentes formes de prisons. On m'a asservie quand je n'étais qu'une petite fille. J'ai été offerte au fils unique d'une grande famille de sorciers d'Emeraude à son septième anniversaire, afin qu'il puisse exercer son don de manipulation psychique. Il m'a façonnée pour être l'instrument de son ascension : une arme servile et sans état d'âme.

A mesure de son récit, Marcus fronce les sourcils, dégoûté par cette espèce humaine qui ne respecte rien et considère les autres comme de simples objets.
~- Toi non plus tu n’étais pas libre alors…
Le sentiment qu’il ressent alors est très confus et inédit. Une forme de compréhension et de lien étrange qui semble le lier à cette jeune femme au passé aussi noir que le sien.
- Il est mort il y a quelques jours...

L’attention de Marcus est entièrement focalisée sur la jeune femme, si bien qu’il lit sans mal son langage corporel : le rictus, le léger plissement des yeux, la déglutition difficile. C’est donc ça la tristesse qui suit Salomée comme une ombre. Un deuil. Mais un deuil étrange, celui de son marionnettiste ou de son tortionnaire…au choix. En résulte une incompréhension totale.

Pourquoi être malheureuse dans ce cas ?

~- Je pourrais dire que je suis désolé. Mais c’est faux. Pourquoi ça te rend triste … d’être débarrassée de ta laisse ?
- Je suis toute seule dans ma tête pour la première fois de ma vie.
Le regard de Marcus navigue de ses lèvres à ses yeux qui brillent de façon étrange.

Elle va pleurer…

~- Et ça n’est pas…une bonne chose ?
- C'est terrifiant...

Il réfléchit un instant. Si lui aussi était soudain privé de la voix des animaux, il en serait profondément chamboulé, dévasté même.

~- Je vois… il faisait…parti de toi c’est ça ? Et sa perte laisse un vide ? J’imagine que c’est brutal. Mais ce qu’il te faisait, c’était pas normal, Salomée. Mieux veut une liberté terrifiante qu’une prison confortable. T'as l'air d'une fille...femme, il se corrige rapidement, courageuse.
- Maintenant, je paie les conséquences. A tous les niveaux. Je ne serais jamais libre.
Il secoue doucement la tête, perplexe.
~- Pourquoi ? Quelles conséquences ? Pardon. T’es pas obligée de me répondre non plus.

~- Je vois… il faisait…parti de toi c’est ça ?

Salomée hoche doucement la tête.

~-Et sa perte laisse un vide ?  Bien pire que cela en vérité : une gangrène. J’imagine que c’est brutal. Mais ce qu’il te faisait, c’était pas normal, Salomée.
- Je sais.
~-Mieux veut une liberté terrifiante qu’une prison confortable.

Si seulement c'était si simple. Marcus a une logique presque enfantine. C'est touchant , reposant même mais, malheureusement, parfaitement inapplicable.

~-T'as l'air d'une fille...femme courageuse.

La sorcière tourne la tête vers le jeune homme... Garçon ? avec un sourire délicat, aussi fragile que du cristal.

- Merci. Elle regarde l'horizon à nouveau, le vent soulevant sa queue de cheval par intervalles régulières, telle un ruban de soie blond. Maintenant, je paie les conséquences. A tous les niveaux. Je ne serais jamais libre.
~- Pourquoi ? Quelles conséquences ?

La dragonne pose sur lui un regard intense et pénétrant. Que soupèse-t-elle au juste ? Que voit-elle dans son regard franc souligné d'éclaboussures rousses ?

~- Pardon.  T’es pas obligée de me répondre non plus.
- J'ai commis bons nombres d'horreurs et de crimes. Que ce soit sous le joug d'un autre ne change rien aux résultats : je dois assumer la responsabilité de ces actes. Je côtoie tous les jours des êtres que j'ai enlevés, tabassés, torturés... Mon pouvoir effraie mes semblables et mon uniforme crée la défiance parmi les autres.

Salomée laisse filer un silence, elle a une expression songeuse, presque soucieuse mais poursuit néanmoins.

- Apparemment mon cerveau a été sérieusement endommagé par toutes ces années de manipulation magique. Ce sevrage forcé risque de déboucher sur des séquelles psychiques importantes.

Un rire sans joie, teinté d'ironie.

- En un mot, je vais finir par dérailler. Elle grimace. Pas cool, hein ?

- J'ai commis bons nombres d'horreurs et de crimes. Que ce soit sous le joug d'un autre ne change rien aux résultats : je dois assumer la responsabilité de ces actes. Je côtoie tous les jours des êtres que j'ai enlevés, tabassés, torturés...

Marcus reste silencieux parce qu’à nouveau il se sent un peu perdu. Pourquoi se blâme-t-elle pour quelque chose qu’elle n’a jamais voulu. Elle n’a été qu’un instrument. C’est la mine profondément songeuse qu’il la contemple. Le sorcier comprend à quel point vivre avec les réfugiés doit être pesant pour elle.

~- C’est un peu bête non ? Si on me poignarde, je ne vais pas en vouloir au couteau mais à celui qui le tient… Il penche la tête de côté, un demi sourire plein de compassion sur les lèvres. Ça serait à moi de te dire de quitter le ranch pour habiter ailleurs… Mais j’imagine qu’avec un pouvoir comme le tien, ils ne vont rien tenter contre toi.
- Mon pouvoir effraie mes semblables et mon uniforme crée la défiance parmi les autres.
~- Tes semblables… ? Tu veux dire les sorciers ? Il ne m’effraie pas moi…je le trouve…plutôt cool. Tu devrais pas passer autant de temps à t’inquiéter de ce que pense les autres. L’essentiel c’est d’être celui ou celle qu’on souhaite être. Si ça plait pas aux autres…il lève les paumes vers le ciel et hausse les épaules. Tant pis.  

Son regard reste fixé sur ses lèvres et en saisit petit à petit tous les reliefs et les formes. La supérieure est très fine, celle d’en-dessous plus charnue. Il trouve ce contraste plutôt joli.  

- Apparemment mon cerveau a été sérieusement endommagé par toutes ces années de manipulation magique. Ce sevrage forcé risque de déboucher sur des séquelles psychiques importantes.
Le front de Marcus se plisse.
~- Des…séquelles ?
Il voit le haut de son corps très légèrement secoué. Elle…rit ? Pourquoi ?
- En un mot, je vais finir par dérailler. La bouche de Salomée se plisse dans un rictus. Pas cool, hein ?
Le jeune sorcier est surpris de ressentir une réelle tristesse pour elle. Ca le perturbe beaucoup, il n'a jamais vraiment ressenti quoique ce soit pour un autre Humain en-dehors du respect et la crainte dictés par sa condition d'expérience et de prisonnier. Comme souvent très à l’écoute des émotions humaines, Chien vient se caler contre elle.
« Pas triste, humaine qui sent bon. »
~ Pas cool du tout. Il en oublie de parler et se reprend. ~- Quel type…de séquelles ? Ca ne peut pas être soigné ?

Il remonte un instant son regard dans le sien tout en se disant qu’un jour il n’y verra peut-être plus la même lueur vive et pleine d’intelligence. Pourquoi les pouvoirs des sorciers rendent-ils les gens aussi dingues ? Il s’autorise un pas vers elle et pose une main chaude et amicale sur son épaule qu’il presse doucement avant de la retirer. C’est la première fois qu’il la touche volontairement et sans réelle raison que son envie de le faire.

~- Je suis désolé, Salomé…même si notre futur à tous semble compromis. Du coup…il s’arrête, lui offre un sourire doux et serein…c’est une raison supplémentaire de vivre comme t’en as envie. Et pas comme tu devrais le faire. Tu vois… faire et dire ce qu’il te plait en te fichant royalement du reste. Vivre au jour le jour. C’est comme ça que font les animaux. L’Humain en est un aussi. Même s’il essaie de tout faire pour l’oublier.

~- C’est un peu bête non ? Si on me poignarde, je ne vais pas en vouloir au couteau mais à celui qui le tient…
- À ma place tu ne te sentirais pas coupable ?

Il ne répond pas immédiatement, faisant preuve d'une commisération à son égard qui la touche et l'irrite à la fois.

~- Ça serait à moi de te dire de quitter le ranch pour habiter ailleurs… Mais j’imagine qu’avec un pouvoir comme le tien, ils ne vont rien tenter contre toi.
- Mon pouvoir effraie mes semblables et mon uniforme crée la défiance parmi les autres.
~- Tes semblables… ? Tu veux dire les sorciers ? Il ne m’effraie pas moi…je le trouve…plutôt cool.

D'une caresse je pourrais te faire imploser, Marcus.
Adieux, tâches de rousseur.
Adieux, Tignasse bouclée.
Adieux, sourire tout doux.

~-Tu devrais pas passer autant de temps à t’inquiéter de ce que pense les autres. L’essentiel c’est d’être celui ou celle qu’on souhaite être. Si ça plait pas aux autres… Tant pis.
- Et si on ne sait pas ? Ce qu'on est, ce qu'on veut devenir...

Salomée expose avec une certaine distance pudique les conséquences physiologiques de ses années de servitude. Le husky vient se frotter à elle gentiment et lui gratouille le sommet du crâne, distraite. Marcus effectue une série de geste bref qu'il oublie de vocaliser. Nul besoin, la jeune femme traduit le sens de son expression ennuyée.

~- Ca ne peut pas être soigné ?
- Apparemment pas. Je ne peux que tenter de me stabiliser par une prise de médicament à vie. Reste à diagnostiquer exactement ce qu'il va résulter de tout ça.
~- Je suis désolé, Salomé…même si notre futur à tous semble compromis. c’est une raison supplémentaire de vivre comme t’en as envie. Et pas comme tu devrais le faire. Tu vois… faire et dire ce qu’il te plait en te fichant royalement du reste. Vivre au jour le jour. C’est comme ça que font les animaux. L’Humain en est un aussi. Même s’il essaie de tout faire pour l’oublier.

Elle aimerait beaucoup obéir à cette idée, être désengagée de tout et de tout le monde, se retrouver seule pour s'explorer elle-même. Pour de vrai. Malheureusement, elle ne peut pas. Elle ne veut pas. Elle comprend en cet instant précis que le sens du devoir, celui des responsabilités est une notion qui lui est propre.
Une épiphanie qu'elle lui doit à lui.
Avec un lenteur hésitante, elle lève la main vers le visage du charmeur de bête et lui effleure la joue.

- J'aime beaucoup ton sourire, Marcus. Il est très beau.

Marcus voit cette main se lever et pense bêtement qu’elle va essayer de signer quelque chose. Cette idée amène un petit frémissement de ses lèvres, chose qui arrive bien régulièrement depuis qu’il la côtoie. Enfin qu’il lui parle de temps en temps.
Il ne s’attendait pas à ce que cette main vienne frôler sa joue et il s’immobilise comme si son toucher avait le pouvoir de le transformer en pierre.
Sauf qu’il sent malgré la fugacité du geste la chaleur de ses doigts, leurs aspects un peu caleux contre sa peau. Son cœur tambourine fort dans sa poitrine.

- J'aime beaucoup ton sourire, Marcus. Il est très beau.

Il doit avoir manqué quelque chose dans sa phrase. Elle ne peut pas avoir dit ce qu’il pense avoir lu ! Ca n’aurait aucun sens…pourquoi dire une chose pareille ?
Il se recule soudain et se cogne contre le tronc derrière lui à moins d’un mètre.

« Parade Nuptiale Humaine vraiment bizarre ! »
La réflexion de Corbeau le plonge encore plus dans la perplexité. Il ne saisit absolument pas et la regarde avec cette incompréhension collée sur le visage.
Que doit-il dire après ça ? Lui dire merci ? Que lui apprécie non seulement ses sourires mais l’arc de sa bouche qu’il a eu tout le loisir d’observer ? Sans doute pas. Ça ne ressemble pas à ce qu’un humain normal dirait.

Finalement il arrive à se rassembler un peu et décide d’avouer son ignorance crasse des convenances et usages dans ce genre de situation.
~- Merci mais…je…j’ai aucune idée de comment…réagir à ça. J’ai pas…l’habitude qu’on me touche, enfin pas comme ça. Ni qu’on me dise…ce genre de chose.

Il passe une main impuissante dans ses boucles rebelles.

~- C’est pas…désagréable… C’est juste… Désolé… j’me sens vraiment stupide… Et je trouve moi aussi que tes sourires sont…beaux.

Incapable de la regarder, il fixe ses chaussures, les joues rubicondes alors que Corbeau croasse comme s’il se moquait. Et c’est sans doute ce qu’il fait.

Marcus recule vivement, se cogne le crâne et fait sursauter Salomée qui, les joues rougies d'embarras ne sait plus comment agir. La spontanéité ne fait que créer la confusion et le malaise. Elle aurait du se garder d'agir selon "son envie". C'est pire, en quelque sorte, que la manière dont est accueillie sa froideur composée.

Je voulais juste essayer.
Je ne recommencerais pas.
Edgard avait peut-être raison, tout compte fait.
Je ne dois pas m'écouter sous peine de blesser quelqu'un.

- Est-ce que....Est-ce ça va ? Tu t'es fait mal ? Elle esquisse un pas vers lui mais se retracte pour finalement ne rien faire.
~- Merci mais…je…j’ai aucune idée de comment…réagir à ça. J’ai pas…l’habitude qu’on me touche, enfin pas comme ça.
- Je suis désolée.
~- Ni qu’on me dise…ce genre de chose.
- Je suis vraiment désolée. Je... Je voulais juste... Elle a un froncement de sourcil en se triturant les doigts. Aucune importance.
~- C’est pas…désagréable… C’est juste… Désolé…
- C'est moi, sincèrement.
~-J’me sens vraiment stupide…

Il fixe ses chaussures, elle s'absorbe dans la contemplation des poils du chien.

~- Et je trouve moi aussi que tes sourires sont…beaux.

Salomée redresse la tête pour l'observer avec un profond étonnement.

- Je.. Je souris, moi ?

Brusquement, une sensation étrange lui chatouille la gorge, fait saccader ses poumons et trembloter ses épaules. Elle s'entend pouffer puis s'esclaffer, comme si c'était la première fois qu'elle entendait les éclats de sa propre voix. Et c'est le cas.

Quel son bizarre et défragmenté !
Et ce sentiment de plénitude légère, d'ivresse même...

Regarder Marcus semble alimenter ce rire de plus belle, comme si il était la source d'une félicité sans borne. Elle se reprend néanmoins en toussotant.

- Hum....On est un peu stupide tous les deux, je crois...

Effectivement, elle sait sourire et lorsqu'on les libère, les siens sont éblouissants.

Marcus fait l’effort de relever le menton. Il se sent vraiment, profondément stupide. Les relations humaines sont si complexes…si pleines de règles et de subtilités à saisir. Bien loin de tout ce qu’on lui a appris, bien loin de tout ce qu’il connait. Il a l’impression d’avoir réagi à l’inverse de ce qu’elle attendait de lui. Normalement, ce genre de considération ne l’atteindrait même pas et c’est sans doute la première fois qu’il regrette d’être si… inadapté.

- Je.. Je souris, moi ?
~- Euh…oui… je suis sourd. Pas aveugle.

Elle se met soudain à sourire plus largement, puis ses épaules tressautent un peu, puis beaucoup. Sa bouche s’ouvre, ses yeux se plissent très joliment. Pas de doute. Elle rit. Encore un son qu’il n’entendra jamais. Il ne peut qu’observer les changements fascinants sur son visage et s’imaginer à quoi pourrait ressembler le rire de Salomée.
Rit-elle à cause de ce qu’il a dit ? Parce qu’elle le trouve sans doute parfaitement ridicule lui aussi…Il se gratte l’arrière de la tête et jette un œil vers le ranch. Plus elle le regarde, plus elle semble retomber dans l’hilarité la plus totale.

~- Te moque pas de moi... s’il te plait.
Etrangement, ça le heurte de se dire que qu’elle rit de lui. Ça fait pourtant bien longtemps qu’il se fiche de tout ça.  
- Hum....On est un peu stupide tous les deux, je crois...
~- Tu t’inclues dans le lot ? Ou c’est juste moi ?

Evidemment il ne peut pas bougonner mais c’est tout comme. A court de mot, il se tait et glisse ses mains dans ses poches. Il laisse planer un silence sans pouvoir s’empêcher d’observer en douce ses yeux bleus qui pétillent encore, ses traits plus détendus.
Sans doute qu’il n’y a pas que ses sourires qu’ils trouvent beaux et c’est profondément perturbant… Lui se sent plus embarrassé et encore moins à sa place.

~- Ce que je voulais dire, c’est que j’ai pas l’impression que tu sois le genre de personne à te laisser arrêter par les obstacles.

~- Te moque pas de moi... s’il te plait.
- Non ! Non pas du tout! s'empresse-t-elle de répondre, alarmée par son expression blessée. Hum....On est un peu stupide tous les deux, je crois...
~- Tu t’inclues dans le lot ? Ou c’est juste moi ?

Elle contemple son air buté de petit garçon grandi trop vite. Il a subi le regard des autres et peut-être des moqueries quotidienne. Elle s'est permise de rire, spontanément. Inconséquemment. Elle reprend d'un timbre plus posé qui balaie peu à peu sa joie frivole et irrespectueuse.

- Tu te méprends....Je me moquais surtout de moi, Marcus... Elle hausse les épaules. J'essayais simplement... de suivre ton conseil et de me laisser guider par mes envies, sans réfléchir. Elle grimace. Mais je ne suis pas très douée pour ça, il faut croire. J'ai juste réussi à te mettre mal à l'aise et à te heurter. Elle pince les lèvres et ouvre la bouche comme pour ajouter quelque chose, mais sa bouche ne forme pas la moindre syllabe.

Salomée a honte et cette émotion lui cuit le visage.

- Mes excuses pour le malentendu.
~- Ce que je voulais dire, c’est que j’ai pas l’impression que tu sois le genre de personne à te laisser arrêter par les obstacles.
- Si tu le dis., répond-elle suivi d'un silence qui ressemble fort à une clôture du sujet.

Doit-je relancer la conversation ?
Doit-je rester là alors que ma présence te dérange manifestement ?
Faut-il que je prenne l'initiative de rentrer ?
Faut-il que je me force à partir alors qu'une part de moi s'en attriste ?
Puis-je fuir cette situation comme me le suggère l'autre part ?

Elle se sent lasse de toutes ces tergiversations d'un coup. Le seul bienfait d'Edgard est de l'avoir toujours préservée de ce genre de difficultés : pas d'interaction, pas de pensées propres, pas de problèmes.

- Tu te méprends....Je me moquais surtout de moi, Marcus...
Il la fixe intensément, comme s’il jugeait de sa sincérité. Il finit par hocher la tête, signe tacite qu’il la croit. Elle ne lui a jamais menti encore et il espère bien qu’elle ne commencera pas aujourd’hui.

~- Pourquoi ?
- J'essayais simplement... de suivre ton conseil et de me laisser guider par mes envies, sans réfléchir. Mais je ne suis pas très douée pour ça, il faut croire.

A lui de hausser les épaules.

~- Non. Je pense juste que tu n’as pas l’interlocuteur idéal en face. Tu devrais essayer…avec des gens plus « normaux ». Ça sera sans doute plus concluant.
- J'ai juste réussi à te mettre mal à l'aise et à te heurter.
Il n’a même pas conscience de laisser échapper un petit rire rauque. Lui non plus n’a pas l’habitude de se laisser aller à l’hilarité.
~- Tu ne m’a pas blessé enfin pas vraiment... Gêné oui mais ça c’est plutôt facile. Je voudrais juste, que tu ne me vois pas que comme un imbécile ou un sauvage des bois. Mais pour ça il faudrait que moi je sois plus doué pour…, il effectue un ample mouvement de la main qui les englobe tous les deux, interagir avec les gens.
- Mes excuses pour le malentendu.
~- T’en fais pas… c’est oublier. Et je te dois aussi des excuses. Ce que je voulais dire, c’est que j’ai pas l’impression que tu sois le genre de personne à te laisser arrêter par les obstacles.
- Si tu le dis.

Un silence soudain tombe entre eux, un silence pesant et désagréable. Marcus désespère de savoir comment le briser. Finalement il opte à nouveau pour la franchise brute.

~- J’ai l’impression d’avoir tout gâcher. Je voulais pas … tout gâcher.

En coupant ses premiers élans spontanés par sa maladresse et sa gêne, en ne sachant pas quoi dire ou faire pour désamorcer cette situation.
« Besoin d’aide. »
« Non merci, Corbeau ! »
« Pas question. Besoin d’aide ! Parle. Trouve quelque chose d'intelligent ! »

~- Je…euh…je voulais faire le tour du ranch. Tu m’accompagnes ? Impossible de transmettre la timidité dans son ton mais ses gestes se font bien moins sûrs.

«CROAAA mieux que rien !»

~- Non. Je pense juste que tu n’as pas l’interlocuteur idéal en face. Tu devrais essayer…avec des gens plus « normaux ». Ça sera sans doute plus concluant.

Qu'est-ce que la normalité, selon toi ?

Les entendants, certainement. Un terme bien mal employé. Les entendants n'écoutent pas toujours. Au cour de sa vie, Salomée a eu le temps de constater que la notion de normalité se définissait en fonction du groupe social dominant. Si elle était l'épicentre de cette "normalité", Sorin et Marcus serait les seuls à pouvoir être qualifiés de "normaux".
Le silence les emmitoufle dans sa couverture trop étouffante. Ni l'un, ni l'autre ne semblent en mesure de repousser son joug de gêne.

~- J’ai l’impression d’avoir tout gâcher. Je voulais pas … tout gâcher.
- Tout gâcher quoi ? demande-t-elle en le regardant fixement.

Après tout, ils se connaissent à peine, ils ignorent beaucoup l'un de l'autre. Ce n'est pas quelques confessions intimes , et certes inédites, qui vont faire d'eux "quelque chose" que l'on pourrait gâcher. Salomée se mordille la lèvre, consciente que c'est son défaitisme qui s'exprime.

~- Je…euh…je voulais faire le tour du ranch. Tu m’accompagnes ?

Salomée le scrute toujours et fin sourire vient flotter sur ses lèvres.

- Ok.

Quelques pas à ses côtés, dans leur bulle de mutisme tranquille, lui procure un agréable sentiment de paix. Marcus ne l'oblige à rien d'autre que d'être elle-même : faillible, maladroite mais volontaire malgré tout. C'est plaisant et rare.

- Tu ne gâches rien, dit-elle soudain, comme si la conversation n'avait pas été interrompue par de longues minutes de vide. On s'apprivoise, c'est tout. Un temps, une respiration. Je ne suis pas plus "normale" que toi. Du coup... Tu es certainement l'interlocuteur qui m'est le plus adapté... Déclare-t-elle, inconsciente de la tendresse qui émane de son expression.

~- J’ai l’impression d’avoir tout gâcher. Je voulais pas … tout gâcher.
- Tout gâcher quoi ?
Marcus a un faible sourire. La question est bonne mais il aurait beau chercher, il n’arriverait pas à mettre un mot sur ce qu’il y a entre Salomée et lui. S’il y a quelque chose d’ailleurs. Alors il hausse les épaules et englobe tout cela dans une vision plus large.  
~- Ma première interaction sociale avec une Humaine qui ne cherche pas à expérimenter quoique ce soit sur moi, j’imagine.  

Englués dans un silence qui lui déplait, Marcus fait une dernière tentative pour essayer de rétablir un semblant de communication non-embarrassante.

~- Je…euh…je voulais faire le tour du ranch. Tu m’accompagnes ?
Il n’attend pas tellement un « oui » mais au moins il pourra se dire qu’il aura essayé. C’est ce qu’il fait de mieux. Réussir… c’est une autre paire de manche.
- Ok.
Il fronce les sourcils et fixe ses lèvres un moment sans rien dire jusqu’à ce qu’il se rende compte que c’est sans doute un comportement un peu trop bizarre. Elle a accepté ! Elle a accepté ? Le coin de sa bouche se soulève un peu, petit sourire en coin dont il a à peine conscience.
~- Ok… répète-t-il.
« Chien, en route. »

Celui-ci se met en route avec joie, gambadant entre les arbres tout en s’arrêtant pour attendre les deux humains plus lents. Salomée et Marcus avalent les mètres dans un silence bien plus confortable, contournant largement le ranch. Corbeau les suit depuis le ciel.

- Tu ne gâches rien.
« Humaine parle. Tourne tête. »
Marcus pivote vers Salomée et du bout des doigts sur le menton de la jeune femme pour qu’elle le regarde, la tourne vers lui. Comme il n’est pas certain que ce genre de chose se fasse, il retire très vite sa main pour signer.  
~- Désolé. J’ai pas pu lire tes lèvres.
Elle répète, s’arrête, face à lui cette fois et Marcus affiche une expression étonnée.
~- Vraiment ? Tant mieux. Je te laisse juge.
- On s'apprivoise, c'est tout.
~- Comme deux animaux, tu veux dire ?
- Je ne suis pas plus "normale" que toi.
Il penche la tête de côté, sourire aux lèvres, une petite lueur indéchiffrable dans le regard. C’est probablement vrai. Ça expliquerait qu’il se sente globalement à l’aise avec elle.
- Du coup... Tu es certainement l'interlocuteur qui m'est le plus adapté...
La façon dont elle le regarde soudain est différente et lui donne chaud aux joues sans en comprendre la raison.
~- Si tu le penses, c’est que t’es vraiment pas normale. Cela dit, ça me va bien. J’aime bien que tu sois pas comme les autres.

Au loin, il perçoit la nervosité des chevaux, peu habitués à toute cette agitation autour d’eux et qui réclament un Humain-Bête en particulier. Quelqu’un que Marcus connait bien.  
Il plisse le front et ose poser la question qui lui brûle les lèvres depuis la venue du Brouillard.  
~- Je suppose qu’aucun homme du nom de Malone ne fait partie des réfugiés ? Il est coincé en ville donc… Vous allez y retourner ? Dans le Brouillard ?