- Tu ne gâches rien.

Marcus se saisit soudainement de son menton pour tourner son visage vers lui. Ses joue s'empourpre mais pas de honte cette fois-ci. Son palpitant a manqué un battement. Elle non plus n'est pas habituée à la proximité des contacts.

~- Désolé. J’ai pas pu lire tes lèvres.

Elle se répète, doucement, comme pour ralentir son propre rythme cardiaque.

~- Vraiment ? Tant mieux. Je te laisse juge.
- On s'apprivoise, c'est tout.
~- Comme deux animaux, tu veux dire ?

Oui, exactement.
Comme deux animaux sauvages et inadaptés aux humains.
D'ancien taulards, parqués par les humains.
Toi dans un laboratoire, moi  sous mon propre crâne.
À leurs yeux, juste des objets, des étapes d'un plus vaste projet...

- Je ne suis pas plus "normale" que toi. Du coup... Tu es certainement l'interlocuteur qui m'est le plus adapté...
~- Si tu le penses, c’est que t’es vraiment pas normale. Cela dit, ça me va bien. J’aime bien que tu sois pas comme les autres.

Elle se contente de sourire avec davantage de franchise. J'aime aussi ta différence, Marcus. Elle me repose, elle me donne l'impression de ne pas être seule au monde et de pouvoir être celle que personne ne voit... Mais cela, elle n'ose réellement l'exprimer à voix haute, par une inexplicable pudeur.

~- Je suppose qu’aucun homme du nom de Malone ne fait partie des réfugiés ?
- Non, pas que je sache.
~- Il est coincé en ville donc… Vous allez y retourner ? Dans le Brouillard ?
- Oui, c'est notre objectif, mais nous devons nous préparer et rassembler nos forces au préalable, apprendre à travailler ensemble.... Malone....Ce nom m'est familier ... Est-ce le même Malone qui travaille comme palefrenier pour Mr. Gaffney ? Tu as donc approché un autre être humain avant moi ? ajoute-t-elle avec un sourire taquin.

~- Je suppose qu’aucun homme du nom de Malone ne fait partie des réfugiés ?
- Non, pas que je sache.
~- Il est coincé en ville donc…
Il s’en doutait très fortement mais l’apprendre lui cause néanmoins un pincement douloureux dans le poitrail. Il ne lui reste plus qu’à lui faire confiance pour survivre là-dedans.
~- Vous allez y retourner ? Dans le Brouillard ?
- Oui, c'est notre objectif, mais nous devons nous préparer et rassembler nos forces au préalable, apprendre à travailler ensemble....
Il a un petit rire moqueur.
~- Bonne chance… J’ai comme l’impression que la tâche va pas être facile.
Il scrute la forêt derrière eux avec attention.
~- Surtout si la Forêt devient à son tour un problème. J’ai envoyé Rat en éclaireur, en fouiller le cœur. Ca fait trois jours et il n’est pas encore revenu.
Et ça l’inquiète. Il n’aimerait pas être responsable de la mort d’un Compagnon. Même s’il sait le rongeur parfaitement capable de savoir jauger le danger.
- Malone....Ce nom m'est familier ... Est-ce le même Malone qui travaille comme palefrenier pour Mr. Gaffney ?
~- Si c’est lui.
- Tu as donc approché un autre être humain avant moi ?
Marcus répond à son sourire par l’un des siens, amusé.
~- Jalouse ? demande-t-il sans réfléchir. C’est pas…pareil avec lui. Déjà parce qu’il ne l’a jamais fait rougir comme Salomée, mais ça il ne l’avouera pas. C’est un Loup-Garou. D’ordinaire il n’aurait sans doute pas trahi le secret de son ami, mais les choses changent si vite autour d’eux. Les secrets d’hier pourront être des informations utiles pour la suite. Il est à moitié Animal. Du coup je peux communiquer avec lui comme avec Corbeau ou Chien. Il tapote sa tempe pour lui faire bien comprendre. C’est lui qui m’a trouvé après ma fuite. J’avais passé…un certain temps dans les égouts, avec les rats. J’avais peur de sortir, qu’on me retrouve et m’enferme à nouveau. Il m’a aidé sans rien demander, m’a appris à vivre dans le monde extérieur. Enfin un peu. Il m’a trouvé un travail, un toit. Bref. Je lui dois beaucoup.

Les souvenirs de ce temps-là, où il n’était qu’un animal sauvage et méfiant, affluent. Il lui en a fallu de la patience pour qu’il lui fasse confiance… mais il y est parvenu.

~- L’ICV a façonné le Sorcier et l’Animal. Malone a essayé de faire de moi quelqu’un de plus « Humain ». Avant…je savais pas ce que c’était l’empathie ou la gentillesse.

Oui il lui doit beaucoup. Fatigué, Corbeau vient se percher sur son épaule sans qu’il ne sourcille, ils reprennent lentement leur marche. Plongé dans ses pensées, Marcus s’arrête soudain à nouveau et vient planter ses deux billes bleus brillantes de détermination.
~- Je veux aider. Pour le Brouillard. Je suis pas un soldat mais je sais que les animaux ne semblent pas l’intéresser. J’ai croisé un chat et quelques rongeurs qui venaient de l’Eastside. Ils n’étaient pas malades. Je pourrais…essayer d’en envoyer en éclaireur comme je l’ai fait pour Rat. Peut-être même trouver des survivants et où ils se cachent.
« Pas compter sur moi ! »
« Moi Compagnon ! Moi ! »  

~- Jalouse ?

La répartie la surprend mais accentue la courbe de son sourire.

- Peut-être..., répond-elle, énigmatique.
~-C’est pas…pareil avec lui.
- Pourquoi ? s'enquière-t-elle innocemment.
~-C’est un Loup-Garou. Il est à moitié Animal. Du coup je peux communiquer avec lui comme avec Corbeau ou Chien.
- Je vois. C'est plus simple... Mais peut-être moins amusant aussi. Il y a quelque chose de l'ordre du ludique à tenter de cerner l'autre.
~- C’est lui qui m’a trouvé après ma fuite. J’avais passé…un certain temps dans les égouts, avec les rats. J’avais peur de sortir, qu’on me retrouve et m’enferme à nouveau. Il m’a aidé sans rien demander, m’a appris à vivre dans le monde extérieur. Enfin un peu. Il m’a trouvé un travail, un toit. Bref. Je lui dois beaucoup. L’ICV a façonné le Sorcier et l’Animal. Malone a essayé de faire de moi quelqu’un de plus « Humain ». Avant…je savais pas ce que c’était l’empathie ou la gentillesse.

Salomée écoute sans juger. Elle aussi vient de "la lie" comme se plaisait à lui rappeler Edgard. "Sois reconnaissante que mes Mac Mahon t'aient ramassée dans le caniveau. Grâce à eux, et surtout grâce à moi, tu as reçu une éducation." Et quelle éducation, ma foi, elle excelle sur tous les plans, sauf celui d'être un être humain fonctionnel.
Elle aurait aimé croiser la route d'un Malone, compréhensif et désintéressé.

- Curieux qu'un loup-garou sache murmurer à l'oreille des chevaux. Je les auraient pensés plus craintifs de sa bête... Est-ce que la jeune Hina et Gaffney sont aussi des lycanthropes ?

Ils continuent de déambuler, promenade sereine au milieux des hautes herbes. Le parfum de la paille et des équidés embaume l'air d'hiver.

~- Je veux aider. Pour le Brouillard.

Ils font une halte et la dragonne se tourne vers lui. Elle le fixe avec intensité.

~- Je suis pas un soldat mais je sais que les animaux ne semblent pas l’intéresser. J’ai croisé un chat et quelques rongeurs qui venaient de l’Eastside. Ils n’étaient pas malades.

Elle médite ses paroles. Les rumeurs sont donc fondées.

~- Je pourrais…essayer d’en envoyer en éclaireur comme je l’ai fait pour Rat. Peut-être même trouver des survivants et où ils se cachent.

Le regard de la sorcière s'éclaire et elle pose inconsciemment la main sur son avant-bras.

- C'est une excellente idée, Marcus ! Nous aurions des éclaireurs qui ne s'exposeront pas au danger ! Il faut que j'expose cette idée à mes alliés. Avant cela, néanmoins, il va nous falloir comprendre ce qu'il se passe avec les bois. Nous ne pouvons nous permettre d'être en pris en étau par deux menaces en même temps.

- Curieux qu'un loup-garou sache murmurer à l'oreille des chevaux. Je les aurais pensés plus craintifs de sa bête...
~- Je sais. Mais ils lui font une confiance totale, aveugle même. Ils n’arrêtent pas de le réclamer ou de l’appeler, ajoute-t-il en se tournant vers les écuries. Ça a mis du temps mais Malone est quelqu’un de patient.
- Est-ce que la jeune Hina et Gaffney sont aussi des lycanthropes ?
Il rit franchement à l’idée que le vieillard soit un Loup-Garou, lui qui ne ferait pas de mal à une mouche.
~- Non…non Gaffney est…cent pour cent humain. Hina oui, je crois. Je ne me suis jamais approché assez près d’elle pour savoir.

Il a détesté voir la jeune fille fréquenter puis s’installer au ranch, le privant d’un endroit où il se sentait bien et en sécurité, entouré d’animaux et de l’Homme-Bête. Mais il en a vite pris son parti, comprenant que Malone avait pris sous son aile une nouvelle âme dans le besoin.
En tout cas, il a une dette envers Malone, une dette qu’il ne pourra jamais entièrement remboursée mais il veut au moins aider à retrouver le Loup-Garou, il le lui doit bien. Il exprime très clairement son envie et les yeux de la sorcière pétillent soudain. A nouveau, il pose sa main sur son lui, son avant-bras très exactement, qu’il abaisse tout doucement pour échapper à ce contact.
Il se rend compte que c’est bien plus un réflexe bien ancré en lui qu’un inconfort réel. Sa peau contre la sienne provoque des sensations corporelles très fortes qu’il n’explique pas mais qui le font se sentir très, très humain.

- … excellente idée, Marcus !
Il se reconcentre très vite sur les lèvres de Salomée qui s’agitent.
~- Euh oui…si tu le dis.
- Nous aurions des éclaireurs qui ne s'exposeront pas au danger ! Il faut que j'expose cette idée à mes alliés.
Il hoche la tête mais précise.
~- J’ai quelques conditions. Je veux pas avoir affaire aux autres, ni me mêler à eux. Juste toi. Il insiste fermement sur le « toi ». Et je ne veux pas être votre « outil ». Je suivrai vos indications mais c’est moi qui poserais mes limites. Ca te semble faisable ?
- Avant cela, néanmoins, il va nous falloir comprendre ce qu'il se passe avec les bois. Nous ne pouvons nous permettre d'être pris en étau par deux menaces en même temps.
Le regard de Marcus balaie cette forêt étrange.
~- Je sais. J’y travaille, mais c’est plus compliqué que ce qui parait. Ce qui est à l’œuvre… c’est quelque chose de gros. Je ne pense pas qu’une créature ou qu’un sorcier soit capable de ça.

Ses yeux reviennent vers elle.
~- Si Rat revient avec des informations, je te le ferai savoir, promis.
Ils continuent à faire un large tour en périphérie du ranch pour constater à chaque fois la même chose. Les arbres gagnent du terrain.
~- Si elle avance au même rythme tous les jours, le ranch ne va pas tarder a être avalé par la verdure.
Il se tourne vers elle, la mine franchement inquiète.
~- Je vais peut-être partir enquêter moi-même. Si jamais je trouve quelque chose, je t’enverrai un message, un pigeon ou quelque chose, précise-t-il avec un petit sourire en coin. Je vais laisser quelques jours à Rat pour faire son rapport.

Le spectacle de Marcus qui rit est incroyablement relaxant : il a l'air plus juvénile, plus pétillant, plus "lutin" trop grand en somme.

Mignon.

~- Non…non Gaffney est…cent pour cent humain. Hina oui, je crois. Je ne me suis jamais approché assez près d’elle pour savoir.
- Pour quelles raisons ? Faut-il que je m'en méfie ? Elle apprécie peu qu'on ait envahi son espace et nous le fait sentir, mais je ne peux pas lui en vouloir. Certaines de ses nouvelles colocataires forcées, dont moi, ont puisé dans son armoire pour avoir du change. Ce ne doit pas être agréable pour une adolescente, qui plus est louve, de cohabiter avec d'autres surnaturels dont certains l'ont peut-être déjà chassée...

Marcus expose ensuite sa proposition pour laquelle Salomée s'enthousiasme. Il recadre très vite son engouement.

~- J’ai quelques conditions. Je veux pas avoir affaire aux autres, ni me mêler à eux. Juste toi. La sorcière a un sourire involontaire, une sensation bizarre de satisfaction. Il semblerait que l'exclusivité de leur relation lui plaise. Et je ne veux pas être votre « outil ». Je suivrai vos indications mais c’est moi qui poserais mes limites. Ca te semble faisable ?
- Bien entendu. Nous collaborons les uns avec les autres. Même si les Dragons demeurent un ordre militaires, ce n'est pas le cas de nos alliés. Mes soldats obéissent à une chaine de commandement hiérarchique. Tu n'es pas mon soldat. Je n'ai aucune raison de te donner d'ordres, je ne peux qu'échanger des propositions avec toi dont tu disposeras. Avant cela, néanmoins, il va nous falloir comprendre ce qu'il se passe avec les bois. Nous ne pouvons nous permettre d'être pris en étau par deux menaces en même temps.
~- Je sais. J’y travaille, mais c’est plus compliqué que ce qui parait. Ce qui est à l’œuvre… c’est quelque chose de gros. Je ne pense pas qu’une créature ou qu’un sorcier soit capable de ça.
- Un illusionniste, peut-être un djinn puissant... Mais je ne suis pas plus convaincue que toi. Ce rocher que j'ai fondu, irradiait d'une magie que je n'ai encore jamais rencontrée, comme... comme si elle était à l'état brut, primale... Tu vois ce que je veux dire ?
~- Si Rat revient avec des informations, je te le ferai savoir, promis.

Leur promenade sur le périmètre amène sans cesse les même conclusions : toutes les repères de Marcus ont avancé de plusieurs mètres.

~- Si elle avance au même rythme tous les jours, le ranch ne va pas tarder a être avalé par la verdure. Je vais peut-être partir enquêter moi-même.
- Non ! s'entend-elle dire. Elle l'a presque crié.
~- Si jamais je trouve quelque chose, je t’enverrai un message, un pigeon ou quelque chose.
Il s'en amuse mais Salomée n'a pas envie de rire.
- Et si ton rat ne revient jamais ? Il y a d'encore plus grandes chances que tu disparaisses, toi aussi.
~- Je vais laisser quelques jours à Rat pour faire son rapport.

La sorcière pince les lèvres.

- Ce n'est plus "ta" forêt Marcus. C'est celle de ceux qui font avancer les arbres et bouger les rochers, désormais. Tant qu'on ne peut pas statuer sur leurs desseins, je ne veux faire courir de risque à personne. Silence. Elle ajoute dans un murmure emprunt de dignité: J'ai déjà perdu beaucoup trop d'hommes.

Elle laisse filer une poignée de secondes avant de lever les yeux vers lui, une étincelle égayant ses prunelles froides.

- Et puis si tu t'en vas, qui m'apprendra à signer ?

~- Non…non Gaffney est…cent pour cent humain. Hina oui, je crois. Je ne me suis jamais approché assez près d’elle pour savoir.
- Pour quelles raisons ? Faut-il que je m'en méfie ?
Marcus lui coule un regard entendu.
~- Je me méfie de tout le monde… Malone n’aurait pas accepté que n’importe qui vienne travailler ici. S’il la jugée digne de confiance c’est qu’elle doit l’être.
- Elle apprécie peu qu'on ait envahi son espace et nous le fait sentir, mais je ne peux pas lui en vouloir. Certaines de ses nouvelles colocataires forcées, dont moi, ont puisé dans son armoire pour avoir du change. Ce ne doit pas être agréable pour une adolescente, qui plus est louve, de cohabiter avec d'autres surnaturels dont certains l'ont peut-être déjà chassée...
~- Les loups sont terriblement territoriaux, confirme-t-il avec amusement. J’imagine que sa jeunesse n’arrange pas les choses. Mais oui, il ne faut pas être trop dure avec elle. C’est une sensation terrible de constater que son refuge sécurisant n’en est plus un.

Comme la forêt….
Ils discutent ensuite des différentes possibilités d’aide qu’il pourrait apporter et ses conditions jusqu’à ce qu’il propose autre chose.

~- Si elle avance au même rythme tous les jours, le ranch ne va pas tarder à être avalé par la verdure. Je vais peut-être partir enquêter moi-même.
- Non !

Les entendants ne font pas attention à ce genre de détail mais quand on crie, les muscles du cou se contractent, la tête part rapidement vers l’avant et les sourcils se froncent. Salomée vient de crier mais il ne comprend pas pourquoi. Il fait donc comme s’il ne l’avait pas remarqué.

~- Si jamais je trouve quelque chose, je t’enverrai un message, un pigeon ou quelque chose, tente-t-il dans une piètre tentative d’humour.
- Et si ton rat ne revient jamais ? Il y a d'encore plus grandes chances que tu disparaisses, toi aussi.
~- Il reviendra, assure-t-il d’une voix tranquille. Personne ne se préoccupe jamais des animaux, encore moins des rongeurs. Je vais laisser quelques jours à Rat pour faire son rapport.

Elle semble contrariée. Pourtant sa proposition lui parait tout à fait sensé.

- Ce n'est plus "ta" forêt Marcus. C'est celle de ceux qui font avancer les arbres et bouger les rochers, désormais.
~- J’en ait jamais été le propriétaire. Je ne suis qu’une sorte de locataire ou d’ermite. Mais ça n’est pas en ne faisant que constater des évidences ou en restant les bras croisés qu’on va trouver des réponses.
- Tant qu'on ne peut pas statuer sur leurs desseins, je ne veux faire courir de risque à personne. J'ai déjà perdu beaucoup trop d'hommes.

Marcus ne comprend pas tellement si cette dernière phrase est dictée par une réelle inquiétude ou si c’est simplement une question de fierté. Inutile de se prendre la tête sur ce type de casse-tête, il n’arrivera sans doute jamais à y répondre.
Il l’observe un moment avant de déclarer avec un très mince sourire.
~- Sauf que tu l’as dit toi-même : je suis pas l’un de tes soldats Salomée. Tu n’as aucune responsabilité envers moi. Et si je décide d’y aller, j’irai, assure-t-il sur un ton très égal, presque doux. Il faut bien qu’on fasse quelque chose non ?

Un silence s’étire à nouveau entre eux et Salomée semble réfléchir.
- Et puis si tu t'en vas, qui m'apprendra à signer ?
~- Tu veux apprendre ? s’étonne Marcus. Pourquoi ? Ca ne te servira pas à grand-chose. Un sourire involontairement malicieux se glisse sur sa bouche. Suis mes mains.
Il lui montre une suite de mouvements en décomposant au maximum ses gestes, corrige la position de ses poignets ou l’inclinaison de ses mains de pressions légères de ses doigts.
~- Répète plus vite.
Elle exécute les signes et le sourire de Marcus s’agrandit.
~- Tu viens de dire : « J’ai toute confiance en toi, Marcus. Tu reviendras. » Merci pour ce bel optimisme.
Il rit à nouveau tout bas. Qu’est-ce que tu voudrais apprendre d’autre ?  

~- Sauf que tu l’as dit toi-même : je suis pas l’un de tes soldats Salomée. Tu n’as aucune responsabilité envers moi.

C'est vrai.
Elle ne trouve rien à dire à cela.
Pourtant, la perspective que Marcus disparaisse ne la laisse aucunement de marbre. Elle affectionne sa compagnie, leurs échanges maladroits mais sincères, sa franchise candide. Elle s'agace qu'il ne le comprenne pas.

~-Et si je décide d’y aller, j’irai. Elle soupire, toujours dépourvue d'argument, mais avec un sentiment d'angoisse irrationnelle à l'idée que, comme Edgard, on lui arrache de la tête. Il faut bien qu’on fasse quelque chose non ?
- Certes. Pour tromper une inquiétude sans fondement, elle dérive sur un autre sujet. Et puis si tu t'en vas, qui m'apprendra à signer ?
~- Tu veux apprendre ?
- Effectivement.
~- Pourquoi ? Ca ne te servira pas à grand-chose.
- Pour te soulager. Tu te forces toujours à parler, à moi de m'adapter un peu.
~- Suis mes mains.

Salomée s'exécute avec une concentration. Elle révèle la bonne élève, attentive et appliquée qu'elle a toujours été. Elle observe avec acuité et apprend vite, aussi Marcus n'a pas à la reprendre beaucoup quand elle reproduit sa gestuelle.

~- Répète plus vite.

Elle recommence avec fluidité tout en fronçant les sourcils.

- Je signe quoi, là, exactement ?
~- Tu viens de dire : « J’ai toute confiance en toi, Marcus. Tu reviendras. » Merci pour ce bel optimisme.

Elle lève les yeux au ciel et secoue la tête avec une moue enfantine de dépit.

- Ah.Ah. Très drôle. Je suis sérieuse, Marcus.

Elle ne parvient pas à lui en vouloir bien longtemps. Sa mine réjouie la déride à son tour.

~-Qu’est-ce que tu voudrais apprendre d’autre ?
- Absolument tout. fait-elle en posant son regard perçant sur lui. L'alphabet, les syllabes, le mots importants, Les phrases de base... comment on signe ton prénom....

Comment te dire que je t'apprécie...

La voir signer amène une mine à la fois réjouie et éblouie sur son visage. Qu’elle veuille le faire pour le soulager lui, pour lui faciliter la vie est une marque de considération dont il n’a pas l’habitude mais qu’il apprécie à sa juste valeur, comme un cadeau.

~- Tu viens de dire : « J’ai toute confiance en toi, Marcus. Tu reviendras. » Merci pour ce bel optimisme.

Voir sa réaction en est un autre. Les traits de Salomée perdent en dureté et deviennent très expressifs. Radoucie, elle fait beaucoup plus jeune. Il se rend soudain compte qu’il ne connait pas son âge, ni grand-chose d’elle d’ailleurs. Mais il a l’essentiel. Ça lui suffit.

- Ah.Ah. Très drôle.
~- J’essaie. Mais à vrai dire je pense pas en être capable. Le plus drôle de la bande c’est Corbeau.
Et celui-ci acquiesce avec un croassement sonore et presque ironique.  
- Je suis sérieuse, Marcus.
~- Moi aussi, précise-t-il avec un large sourire qui semble finalement déclencher le sien. Bon puisque tu es si sérieuse que ça, qu’est-ce que tu voudrais apprendre d’autre ?
- Absolument tout.
Il arque un sourcil, légèrement mal à l’aise sous son regard.
~- Ca risque de prendre un peu de temps, t’en es consciente ?
- L'alphabet, les syllabes, les mots importants, Les phrases de base...
~- Eh ben…tu plaisantes pas toi. T’es pas obligée de faire ça tu sais…j’ai l’habitude maintenant. Au même moment sa voix s’enroue un peu et il se gratte la gorge, un peu gêné. Et puis ça me permet d’exercer ma voix. Hésite pas à me dire d’ailleurs, si je suis trop dans les aigues, ou les graves ou…t’as saisi l’idée.
- Comment on signe ton prénom ?

Il sourit et lui montre les lettres qui le composent. A nouveau il corrige le placement de ses doigts avec beaucoup de délicatesse. Il lui fait ensuite répéter, lentement d’abord puis plus vite.
~- C’est moi qui aie choisi mon prénom. L’ICV m’a donné qu’un numéro, avoue-t-il sans trop savoir pourquoi. C’était le héros du livre que je lisais et je le trouvais…chouette.

Puis il la montre elle et signe Salomée avant d’ajouter une brève présentation.

~- Ca veut dire : je suis Salomée. Pour le reste… j’ai lu quelque part qu’il fallait commencer par les jurons quand on apprenait une nouvelle langue. Ça permet aussi d’insulter les autres sans qu’ils le sachent. Plutôt pratique pour évacuer la frustration discrètement. Tiens, devine ce que c’est !
Il montre un cercle avec ses doigts puis y rentre un doigt.
~- Plutôt imagé, non ?
Il retrouve un peu de sérieux et la regarde droit dans les yeux.
~- Merci. De faire l’effort. Il n’arrive pas tellement à lui dire que ça le touche alors il contourne un peu plus maladroitement. C’est… vraiment gentil. Mais ça implique un apprentissage assez long et euh…ses mains s’arrêtent de bouger pendant son silence avant de reprendre, ça veut aussi dire le pratiquer…souvent.
Et donc qu’ils se voient régulièrement. Lui n’est absolument pas contre mais…
~- T’auras peut-être pas envie ou le temps… madame la générale, ajoute-t-il avec un soupçon de malice. Sinon on pourrait commencer quand je reviendrai de ma petite enquête si tu veux.

~- C’est moi qui aie choisi mon prénom. L’ICV m’a donné qu’un numéro. C’était le héros du livre que je lisais et je le trouvais…chouette.

Salomée, appliquée minutieusement à le mimer, répond tranquillement :

- C'est un très beau prénom. Ca a un côté Rome antique. Je trouve qu'il a quelque chose de digne. Quel était le titre de ton livre ? .... J'ai signé quoi ce coup-ci ?
~- Ca veut dire : je suis Salomée.
- Hum.... Elle contemple ses mains avec une expression étrange, perplexe peut-être. Je ne suis pas certaine que Salomée soit mon prénom. C'est celui que l'on m'a donné quand on m'a offert à Edgard. Haussement d'épaules. Je m'y suis faite.

Un silence s'ensuit, vite comblé par le Charmeur de Bête.

~-Pour le reste… j’ai lu quelque part qu’il fallait commencer par les jurons quand on apprenait une nouvelle langue. Ça permet aussi d’insulter les autres sans qu’ils le sachent. Plutôt pratique pour évacuer la frustration discrètement. Tiens, devine ce que c’est !

La sorcière éclate de rire en découvrant le geste grossier.

- Alors celui-là il est assez universel ! Les entendants l'utilisent aussi, comme celui-là... Elle fait un doigt d'honneur en "V" à l'anglosaxonne... ou encore celui-ci. Cette fois c'est un doigt d'honneur à la romaine, classique, avec le majeur.
~- Plutôt imagé, non ?
- Tu m'étonnes!

La dragonne repart de plus belle, la poitrine secouée d'hilarité. Elle a l'impression d'être une gamine à se gondoler de cette manière pour quelques mimiques idiotes. C'est la deuxième fois qu'elle entend le son joyeux et addictif de son propre rire.
Les deux adolescent attardés finissent par se rappeler qu'ils sont également des adultes. Le silence s'invite à nouveau, effilochant l'ivresse momentanée.

~- Merci. De faire l’effort. C’est… vraiment gentil.
- Je ne me force pas, j'aime apprendre.
~- Mais ça implique un apprentissage assez long et euh… Elle se penche et tend le cou inconsciemment vers lui, pendue à ses lèvres, tendant l'oreille... ça veut aussi dire le pratiquer…souvent.
- Et ?
Elle fronce les sourcils, ne comprenant pas où il veut en venir.
~- T’auras peut-être pas envie ou le temps… madame la générale.
- Je trouverais, déclare-t-elle avec son économie de mot usuel.

Le principe d'être au commande c'est de savoir habilement déléguer.

~- Sinon on pourrait commencer quand je reviendrai de ma petite enquête si tu veux.

Elle fait la moue et s'apprête à répliquer quand on l'apostrophe soudain au loin.

- Salomée! Vous voilà donc...

La chevelure brune et soyeuse d'Ohanzee Figtree vole au vent alors qu'il s'avance vers eux avec un sourire lumineux.

- Merde... murmure la jeune femme, comme une gosse attrapée en pleine classe buissonnière.
- .. Et vous avez retrouvé le propriétaire du chien... et du corbeau, fait celui qu'on surnomme désormais le Prophète.
- Il faut croire. Sourire crispé.
- Je tenais à vous prévenir que vos hommes ont cessé l'entrainement pour assister à une séance de lecture. Beitris officie comme conteuse. Je lui ai cependant fait savoir qu'il fallait peut-être vous demander la permission. Vous savez comment elle est ...

Horripilante ?
Envahissante ?
Délirante ?
Inconséquente ?

- ... C'est une artiste.

Ohanzee pose son regard pénétrant -que Salomée trouve particulièrement dérangeant- sur Marcus, comme pour le sonder.

- Je suis heureux de te retrouver, lance-t-il avec un sourire paisible. Tu as bien grandi.

Un sentiment de malaise s'empare de la sorcière qui se sent soudain exclue de ces retrouvailles entre cobayes de l'ICV.

La voir rire de cette façon si libérée lui procure un sentiment de fierté assez étrange et il joint volontiers son hilarité à la sienne sous les yeux réjouis de Chien et ceux plus perplexe de Corbeau.

« Humain qui parle bizarre avec Humaine »
« Compagnon heureux, alors Chien heureux. »

Marcus a la sensation unique de se sentir presque…normal, ou « comme les autres » lorsqu’il est avec Salomée.

~- T’auras peut-être pas envie ou le temps… madame la générale.
- Je trouverais.
Il sourit, comprenant que derrière la formulation brève se cache le fait qu’elle ait envie de le revoir. Même s’il ne sait que faire de cette information, au moins il l’a saisi. Ce qui n’est déjà pas si mal.
~- Sinon on pourrait commencer quand je reviendrai de ma petite enquête si tu veux.
La bouche de la jeune femme se plie, signe qu’elle va sans doute protester – il ne remarque pas qu’il est capable de la lire de mieux en mieux – lorsque Chien et Corbeau indique au même moment.
« Intru ! »
Aussitôt sur ses gardes, Marcus recule de deux pas, la main près de son couteau, les jambes prêtes à détaller.

- Salomée! Vous voilà donc...
- Merde...
Malgré l’air tout à fait inoffensif, voir candide de l’intru, Marcus reste tendu et se crispe même encore plus. Son visage est redevenu un masque inexpressif, loin de la bonne humeur ressenti auparavant. Impossible de ne pas reconnaitre le sorcier prodigue, Ohanzee. Celui qui est arrivé à Tir Na Nog quelques temps seulement avant que l’on décide d’annuler son expérience, avant que l’on décide de le mettre dans un placard avec les indociles et les rebuts. Tout le monde à l’ICV ne parlait que de l’homme centenaire à l’allure si juvénile, angélique ont même murmuré certains. Un vrai miracle.
Lui restait un raté.
- .. Et vous avez retrouvé le propriétaire du chien... et du corbeau.
- Il faut croire.
Chien d’ordinaire de nature aussi méfiante que le jeune homme se précipite joyeusement vers le nouvel arrivant, sa queue battant l’air. Cette vision insupporte soudain Marcus et déclenche quelque chose de noir et de désagréable en lui.

« Chien, au pied ! »

Ses iris se sont fendus, marque de son pouvoir qu’il vient d’utiliser pour la première de cette façon aussi abrupte sur Chien. Celui-ci lui obéit aussitôt et revient se coller à ses pieds, levant son regard clair et plein d’incompréhension vers lui. Aussitôt une profonde culpabilité l’envahit et il se met à genoux pour câliner l’animal, enfouissant son visage dans sa fourrure pendant quelques secondes.
« Pardonne-moi »
« Compagnon triste… »
« Je ne sais pas. »
Marcus se relève et Chien décide de rester à ses côtés pour son plus grand soulagement. Il lève les yeux vers le métisse et le fusille du regard. L’échange entre lui et Salomée est sec et il sent une certaine tension émanée de la jeune femme. Le charme d’Ohanzee ne semble pas fonctionner sur elle.

Le mien si.

Cette pensée sortie de nulle part le déstabilise complètement et c’est ce moment précis que choisit Ohanzee pour se tourner vers lui. Il croise le regard noir et sans fond du sorcier et le soutient, menton levé.
- Je suis heureux de te retrouver.
Il garde le silence, son allié à lui.
- Tu as bien grandi.
- J’ai changé. Il ne signe pas, comme si c’était montrer sa faiblesse, son imperfection. Toi aussi. Le gentil sorcier prodigue a fini par quitter les jupons du professeur Fleming alors ? Sans même s’en rendre compte, sa voix a pris des accents plus cassants et durs. Etonnant.

Il se pivote ensuite la tête vers Salomée.
- On a pas encore fait le tour mais si tu dois y aller, je comprendrais. Son timbre a retrouvé ses tonalités habituelles.
Au fond de lui, il en vaut terriblement à Ohanzee de lui arracher à nouveau l’attention des autres. Non, plus précisément de la seule autre avec qui il se sent bien, aussi bien que possible.

Il avait oublié cette rude leçon.
Certains sont fait pour briller, lui n’est là que pour les faire étinceler plus fort en comparaison.  

Salomée ressent immédiatement la crispation de Marcus et son usage de la magie. Elle tourne le regarde subrepticement vers lui pour entrevoir la déformation fugace de ses iris. Il a "ordonné" à Chien de revenir auprès de lui.
Pas comme un ami.
Comme un maitre.

Elle frissonne.

Ohanzee produit une réaction épidermique chez les autres : un phénomène d'adoration ou de rejet. Il n'y a pas d'entre deux. Pas pour Salomée. Marcus est encore plus fermé que lors de leur première rencontre. Ohanzee et lui se sont connus dans un autre cadre, à l'ICV, là où on les a forcés à parfaire leurs facultés tout en les endoctrinant.

Exactement comme Emeraude.
Exactement comme moi.

- Tu as bien grandi.
- J’ai changé. Toi aussi. Le gentil sorcier prodigue a fini par quitter les jupons du professeur Fleming alors ? Etonnant.

Le ton est acerbe, venimeux presque. Salomée observe les deux hommes tour à tour : le Prophète à l'aura paisible, le Charmeur de bête tout en tensions et en non-dits. Qu'y a-t-il eu entre ces deux là ?

- Nous évoluons chacun à nos rythmes tout en restant les mêmes. Tout enfant est amené à quitter un jour le giron maternel. Certain plus tôt que d'autres. Un sourire tranquille avec un note d'amusement toutefois. Il n'en demeure pas moins que, de près ou de loin, chaque enfant espère également briller un jour aux yeux de sa mère.

La dragonne décrypte le discours de Figtree et découvre une épine dissimulée dans la ouate de ses belles paroles. Une subtile manière de gifler Marcus tout en douceur. La jeune femme fronce les sourcils, prise pas une bouffée inopinée de colère qu'elle ne s'explique pas.

- On a pas encore fait le tour mais si tu dois y aller, je comprendrais.
- Nous n'avons pas fini, en effet. Figtree...
- Ohanzee, corrige-t-il, mais la sorcière balaie la correction d'un coup de menton.
- Dites à votre "amie artiste" que mes hommes ne sont pas des enfants de maternelle à qui elle fait la classe. Ils ont des ordres, des missions et des échéances à tenir. Ils profiteront de votre prosélytisme sur leur temps libre.
- Vous êtes en colère, Salomée, fait remarquer Ohanzee avec douceur. Il s'accroupit et caresse le Husky. Vous aurais-je froissée ?

La jeune femme réprime l'envie de déverser son ressentiment : ses craintes de se voir déposséder d'un pouvoir qui pourtant lui répugne, détrônée par des hurluberlus fantasques qu'elle peine à comprendre. Ce grade de commandant est la seule armure qui préserve les apparences, qui empêche le monde de découvrir à quel point elle est démunie, perdue et triste. C'est le dernier rempart d'une identité en charpie.
Ohanzee lui donne l'impression de voir au travers elle.
Elle déteste cela.

Être à nu.

- Non. Mon temps est juste précieux et peu élastique. J'aimerais pouvoir terminer cette ronde d'observation en compagnie de Marcus sans être de nouveau interrompue.
- En ce cas, je ne vous dérange pas plus longtemps.

Le jeune ancêtre se redresse et pose sa paume sur le bras de Marcus.

- A bientôt, petit frère.

Ohanzee s'en va comme il est venu, dans un souffle de brise tendre. Salomée relâche une expiration longue et agacée. Elle se tourne vers le charmeur de bête.

- C'est quoi le passif entre vous ? Elle regarde son compagnon fixement.

- Vous êtes en colère, Salomée. Vous aurais-je froissée ?

Evidemment qu’elle est en colère ! Il la sent nettement dans son maintien, la tension de son corps et étrangement cela le réjouit. D’une part parce qu’il se sent moins coupable de détester cet homme qu’il ne connait même pas vraiment et d’autre part parce qu’il a enfin la preuve vivante qu’Ohanzee n’est pas capable de charmer tout le monde en un claquement de doigt.
Comme avec Chien qui accepte ses caresses sans broncher, crispant de plus en plus Marcus qui sert convulsivement ses poings. Corbeau, qui n’a que faire de ce genre de bisbilles vient toutefois lui donner quelques coups de bec affectueux sur la joue.
« Calme, ami. »

- Non.
Mensonge. Marcus fronce les sourcils.
- Mon temps est juste précieux et peu élastique.
Voilà donc ce qu’elle doit faire constamment avec les autres humains. Mentir, louvoyer, aplanir son discours. Ca doit être épuisant, éreintant. Vivre parmi d’autres humains lui parait de plus en plus compliqué et infaisable.
- J'aimerais pouvoir terminer cette ronde d'observation en compagnie de Marcus sans être de nouveau interrompue.
Ses paroles déclenchent un mince sourire. Salomée a choisi de passer son temps avec lui. C’est sans doute peu de chose mais pour lui cela signifie beaucoup.
- En ce cas, je ne vous dérange pas plus longtemps.

Marcus le suit des yeux alors que devin se redresse et retire aussitôt le bras qu’il touche, comme s’il venait de le brûler.

- A bientôt, petit frère.

Ses paroles enflamment sa colère d’un seul coup et font briller un éclat glacial dans son regard d’ordinaire placide. La violence et la profondeur de ce sentiment le laisse un instant étourdi aussi bien qu’effrayé. Cet homme, foncièrement crispant, fait ressortir chez lui des penchants bien trop humains qui l’insupporte. Il se force à inspirer profondément.

C’est du passé…tout ça ne le touche plus…c’est du passé.

- Je n’ai pas de frère, Ohanzee Figtree. Il a réussi le tour de force de conserver un ton calme et neutre, complètement détaché. Ni de « mère ». Mes géniteurs n’étaient que des cellules assemblées comme des puzzles. Ma famille, c’est eux. Il pose une main sur Chien et l’autre sur Corbeau. Il manque Rat dans ce tableau. L’ICV n’était qu’une prison.

Enfin le petit miracle de Fleming tourne les talons et le corps de Marcus se détend d’un coup. Il en baisse la tête et les épaules.  
« Fais bêtise ? » s’inquiète Chien.
Le sorcier lui gratouille la tête.
« Non. C’est moi. »
Les pieds de Salomée entre soudain dans son champ de vision et il relève le menton jusqu’à croiser son regard.
- C'est quoi le passif entre vous ?
Il passe une main lasse sur son visage comme pour se laver de cette colère et ce…ce sentiment d’envie ou quelque soit le nom qu’il porte. Cette fois il se remet à signer en observant encore à demi l’endroit où Ohanzee a disparu.
~- Il est arrivé quelques mois avant ma fuite. Son pouvoir surpassait largement les attentes de l’ICV et il avait un comportement exemplaire. Moi en comparaison je me montrais trop rebelle. Il laisse filer un silence, plonger dans des souvenirs qu'il s'est efforcé à mettre de côté. Il avait le droit à une chambre à l’étage, des sorties…l’attention de tous. Il faisait des miracles pendant que j’exécutais des petits numéros de cirque… Quatre mois après sa venue, ils ont décidé d’arrêter mon expérience. Mon dossier allait être classé comme un échec, mon pouvoir inutile. On allait m’enfermer dans une autre partie du complexe. J’y aurais dépéri jusqu’à mourir sans jamais revoir le ciel, ni pouvoir communiquer avec les animaux. Je l’ai appris en lisant sur les lèvres de laborantins. Petit sourire triste. On pense souvent que parce que je n’entends pas, je suis stupide.

Repenser à tout ça lui fait remonter une bile acide dans la gorge.

~- Ca m’a mis dans une rage folle… j’étais perdu. Alors je me suis enfui…

Il se sent presque honteux maintenant qu’il a avoué tout cela mais il observe Salomée avec une attention douloureuse. Va-t-elle, elle aussi, finalement voir le raté qui se cache derrière ses yeux ?

~- C’est ça le passif entre nous. Je croyais avoir mis tout ça de côté. Haussement d’épaules. Faut croire que je suis plus humain et rancunier que je le voudrais. C’est… irrationnel. Il ne m’a jamais rien fait. Mais je le déteste.

S’entendre le dire à voix haute le choque au plus haut point et il pince les lèvres.

~- Je devrais pas. C’est le passé tout ça.

- Je n’ai pas de frère, Ohanzee Figtree. Ni de « mère ». Mes géniteurs n’étaient que des cellules assemblées comme des puzzles. Ma famille, c’est eux. L’ICV n’était qu’une prison.

Ohanzee lui offre un sourire pétrie d'une sincère affection. Est-il hermétique au ressentiment ou simplement inconscient ? se demande Salomée. Elle ne comprend pas la faculté du Prophète à pardonner. Peut-être est-ce cela qui l'irrite : il serait plus humain qu'il la déteste pour les tortures qu'il a subies. Pourtant, il se montre avec elle et les autres dragons d'une bienveillance sincère. Insupportable.

- Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit de notre histoire. Tout homme a besoin de savoir d'où il vient, pour savoir où il va.

Enfin, Figtree les soulage de sa présence. Salomée respire à nouveau. Une question lui brule pourtant les lèvres.

- C'est quoi le passif entre vous ?

Le récit de Marcus est amère. Il explique bien des choses. Il fait écho à bien des choses.

~- C’est ça le passif entre nous. Je croyais avoir mis tout ça de côté. Faut croire que je suis plus humain et rancunier que je le voudrais. C’est… irrationnel. Il ne m’a jamais rien fait. Mais je le déteste.
- Il ne m'a rien fait non plus mais je le déteste tout autant.

Elle a pourtant été témoin de l'étendue faramineuse de ses pouvoirs. Il peut tuer comme rendre la vie. Il est dangereux de s'en faire un ennemi. Une chance qu'il ne soit ni belliqueux ni mégalomane. Il est au dessus de la mêlée les reléguant au rebus malgré tous leurs efforts.


~- Je devrais pas. C’est le passé tout ça.

Sans réfléchir, le corps de la sorcière réagit de lui même à la détresse de Marcus. Elle l'enlace avec une tendresse maladroite, comme pour le rassurer. Puis, elle prend brusquement conscience de ce qu'elle fait et recule, envahie par la gêne.

Je déraille complétement.

- Je.. hum.. Désolée. Tu n'aime pas ça. C'est vrai...Fait-elle en tapotant son torse gauchement avant de prendre la fuite. Donc, continuons cette inspection.

~- C’est… irrationnel. Il ne m’a jamais rien fait. Mais je le déteste.
- Il ne m'a rien fait non plus mais je le déteste tout autant.

Marcus lui livre un pauvre sourire de connivence.

~- Tu crois que ça veut dire qu’on est mauvais ? De détester quelqu’un qui est juste… lui ? Même si c’est de façon agaçante ? Je devrais pas. C’est le passé tout ça.

Se passe alors quelque chose de spontané et complètement imprévisible. Salomée fait un pas vers lui, ses bras encerclent sa taille alors qu’elle se rapproche jusqu’à ce qu’elle soit presque contre lui. Marcus la regarde faire, bras ballants, bouche bée.

Alors c’est ça…un câlin ?

Il en a observé de loin ou lu les descriptions, jamais expérimenté. Et alors que son corps aurait dû avoir une réaction épidermique au contact d’un autre, il se trouve si pétrifié qu’il ne pense même pas à reculer.
Et puis c’est doux, alien, chaud, déroutant, étrangement agréable et réconfortant. Ce qui n’a pas de sens.
Il sent ses joues cuire soudain, son palpitant avoir des embardées. Il baisse les yeux sur la couronne de cheveux de Salomée, seule chose d’elle qu’il voit à présent.
Lentement, très lentement, ses propres bras se lèvent pour l’enlacer à son tour, alors même qu’il ne sait absolument pas ce qu’il fait mais elle s’écarte au même moment et recule d’un pas.
Il reste donc bêtement les bras en l’air avant de les baisser vivement.

- Je.. hum.. Désolée. Tu n'aime pas ça. C'est vrai...
~- Non c’est…en fait je…elle le touche encore. Grosse inspiration pour restructurer pensées et paroles. C’était…la première fois que quelqu’un me prenait…dans ses bras. Et… c’était pas… désagréable. Je comprends mieux pourquoi certain le font tout le temps.

Il a un petit sourire timide alors que Corbeau s’envole.
« Humains si étranges. »
- Donc, continuons cette inspection.

Sans trop réfléchir il attrape son poignet pour l’arrêter et la faire se tourner à nouveau vers lui et vrille ses yeux inquisiteurs et curieux dans les siens.
~- Pourquoi… tu l’as fait ?

~- Non c’est…en fait je…C’était…la première fois que quelqu’un me prenait…dans ses bras.
- Oh...

Je suis sa première fois
Pensée saugrenue.

~- Et… c’était pas… désagréable. Je comprends mieux pourquoi certain le font tout le temps.

Salomée a un sourire involontaire tout en regardant ailleurs.

- Je ne suis pas une spécialiste du sujet.

Elle même n'a que rarement été enlacée, et uniquement par Edgard. En général ça n'était pour son propre bénéfice mais surtout pour le rassurer lui dans ses moments de doutes et d'angoisses. Edgard avait toujours été anxieux, le revers de son excès de confiance affichée et de sa morgue sans limite. Salomée était une confidente dont il pouvait s'assurer le silence d'un simple battement de cils : un cyclone pour sa cervelle.

- Donc, continuons cette inspection.

Marcus la retient par le poignet et la dragonne n'esquisse pas le moindre geste pour se dégager. Elle soutient son regard inquisiteur avec une drôle d'étincelle dans ses prunelles claires.

~- Pourquoi… tu l’as fait ?
- Je ne sais pas trop... Avoue-t-elle en toute honnêteté... Juste, tu avais l'air d'en avoir besoin. Ou peut-être que moi j'en avais besoin. Haussement d'épaules. L'un dans l'autre ça revient un peu au même, je crois.

Elle le scrute, une poignée de silences jetés en pâture au temps qui passe. Salomée arbore un imperceptible sourire malgré son air sérieux. Elle lui jette une oeillade par en dessous

- Tu veux ...recommencer ?

~- Pourquoi… tu l’as fait ?
- Je ne sais pas trop... Juste, tu avais l'air d'en avoir besoin. Ou peut-être que moi j'en avais besoin. L'un dans l'autre ça revient un peu au même, je crois.

Peut-il avoir besoin de quelque chose qu’il n’a jamais eu ? Voilà une bonne question. Logiquement il devrait pouvoir affirmer que non. Ou peut-être qu’il n’avait tout simplement pas conscience de ce besoin. Mais maintenant qu’il sait, maintenant qu’il y goûté à cette sensation, est-ce qu’il en aura envie plus tard ? Est-ce que le contact d’un autre finira tôt ou tard par lui manquer ?

Il peut encore brièvement sentir sa chaleur contre la sienne, infuser quelque chose de doux en lui.
Salomée ne le lâche pas du regard et le sien navigue très rapidement de ses yeux à sa bouche comme s’il attendait qu’elle dise quelque chose. Ce qu’elle finit par faire avec un sourire si léger qu’il aurait pu passer inaperçu pour n’importe qui d’autre.

- Tu veux ...recommencer ?

Elle vient de mettre le doigt sur la question qui tourne dans un coin de son esprit sans qu’il ne veuille l’admettre. Chien observe la scène avec curiosité, ravie que son Compagnon ait lui aussi droit à des câlins.

Marcus hésite, signe « non » sans que le mot ne franchise ses lèvres et puis il s’avance doucement.

Un pas vers elle. La tentation est humaine elle aussi.
Un deuxième. Ils sont proches.

Avec beaucoup d’hésitation et de maladresse, il passe un bras autour de la taille de Salomée et le deuxième autour de ses épaules. Tout doucement, il l’attire contre lui sans oser la coller à son torse comme elle l’a brièvement fait il y a quelques instants.

- Je peux…te serrer plus fort ? lui demande-t-il sur un ton plus bas près de son oreille, un peu perdu et fébrile.

Salomée observe le débat intérieur de Marcus avec un grand intérêt. A vrai dire, elle a l'impression d'être face à son propre reflet. Son seul avantage est celui de l'initiative. C'est elle qui a commencé, elle qui a proposé. Elle donne une vague illusion de maitrise de la situation.

Je ne sais absolument pas ce que je fais.
Je fais n'importe quoi Edgard,
C'est risible non ?

Marcus fait un premier pas hésitant.
Salomée déglutit.
Il ose avancer de deux pas supplémentaires.
Elle est hypnotisée par ses pieds foulant l'herbe humide.
Il positionne ses mains contre son corps, gauchement.
Elle le laisse opérer, tendue.
Tout doucement, avec pudeur et timidité, il l'enlace.
Délicatement, elle lui rend ses gestes malhabiles.

- Je peux…te serrer plus fort ?

Un battement de cils.
Son lobe frissonne encore de la question.
Elle reflue doucement la nuque pour mieux croiser son regard.
Elle se perd quelques secondes dans la contemplation des tâches de rousseur sur son visage.

Elle hoche la tête pour dire oui.

Marcus ne sait pas trop d’où lui vient cette question, ni cette envie de la sentir « plus près ». Mais sa bouche est partie plus vite que son cerveau.
Elle recule la tête, le regarde en silence et il l’observe en retour, le cœur affolé par leur proximité. Il déglutit avec difficulté faisant jouer les muscles de sa mâchoire. Elle a vraiment les traits rudes. Où plutôt endurcis par les épreuves et la vie. Marcus les trouve plutôt intriguants, surtout lorsqu’ils s’animent soudain pour sourire ou rire. Ses changements, parfois subtiles, sont fascinants à observer. C’est comme voir une jolie poupée prendre vie.
Enfin elle donne son assentiment et un fantôme de sourire court sur les lèvres du sorcier.
Délicatement, il ressert son étreinte jusqu’à ce que leurs corps soient l’un contre l’autre.
Marcus a comme un long soupir. Il est à la fois crispé et détendu, satisfait et méfiant.

C’est la première fois qu’il sert vraiment quelqu’un dans ses bras.
C’est la première fois qu’il sert quelqu’un du sexe opposé dans ses bras.

Salomée est…douce, pleine d’une chaleur très différente de celle qu’il a expérimenté avec les animaux. Et elle lui rend son étreinte.

Lentement, il s’autorise à poser la joue contre sa tête, à respirer le parfum de ses cheveux qui lui monte aux narines. Sans s’en rendre compte, il frotte doucement sa joue contre sa tête, dans une attitude bien plus animale.

Il est bien là.
Il aimerait bien que ça dure un peu, cette sensation d’être soudain ailleurs. Hors du temps et de l’espace. Juste ancré à ce monde par le biais du corps de Salomée. Pendant quelques secondes, il s’oublie et il découvre le pouvoir terrifiant de l’affection et des étreintes.

Non seulement il ne réfléchit plus, mais il n’a aucune envie d’arrêter.

- Je sais pas si je fais bien…s’inquiète-t-il. Ni combien de temps on peut rester comme ça.

Marcus est chaud. Il hume bon l'humus boisé, le petrichor, les effluves animales. La pomme. Elle se prend à sourire bêtement. Le jeune homme mange toujours ce fruit, elle s'interroge sur sa provenance.

Salomée perçoit le poids de la tête de son compagnon sur le sommet de son crâne. Un sentiment puissant, puisé dans un inconscient lointain ramène des souvenirs diffus de son enfance, antérieure à Edgard.
Une sœur.
Une grande sœur.
Elle en avait une avant qu'on l'arrache à son foyer. Peut-être une mère et un père aussi. Elle prend conscience qu'elle n'a peut être jamais été orpheline.

Son cœur se sert.

L'émotion l'étreint aussi fort que les bras de Marcus.
Elle pleure en silence, sans saisir pleinement l'origine de ces larmes.

- Je sais pas si je fais bien…s’inquiète-t-il. Ni combien de temps on peut rester comme ça.
- On s'en fout. Répond-elle en enfouissant sa tête dans les couches de laines couvrant son torse. Continue, juste....

Salomée se pelotonne contre lui, étouffant des sanglots muets. Tristesse de fillette sans passé.

- Je sais pas si je fais bien… Ni combien de temps on peut rester comme ça.
Est-ce qu’il y a même des règles à suivre quand il s’agit d’enlacer quelqu’un ? Pourquoi y’en aurait-il après tout.
- On s'en fout.

Il la sent parler mais évidemment, il ne peut pas la comprendre. A nouveau il lui relève délicatement le menton…
- Je peux pas te comprendre si je te vois pas.
…et constate les larmes sur ses joues. La mine soucieuse et plein d’incompréhension, il essuie sa joue du pouce.
- Pourquoi tu pleurs Salomée ? Je t’ai fait mal ?

Il ne voit pas tellement comment il aurait pu mais il n’est clairement pas un spécialiste de la question. Il abaisse toutefois aussitôt ses bras, la libérant de son étreinte, de peur d’aggraver la situation.
Mais à la place de se dégager, elle se colle plus près encore, tout contre lui, colle son visage contre son sweet-shirt.  

- Continue, juste...
Profondément perplexe, il réfléchit tout en s’exécutant. Si elle ne pleure pas parce qu’il lui fait mal alors…
- Tu es triste, devine-t-il. Il la sert fort, perçoit le tressautement de ses épaules. Il repose sa joue contre sa tête et l’enrobe étroitement.
- Pleurs pas Salomée…je voulais pas te faire pleurer…murmure-t-il sans savoir si sa voix sera perceptible.

Ils restent ainsi un long moment. Un autre que lui lui aurait sans doute caressé les cheveux, aurait su comment la réconforter mieux que ça. Marcus se contente d’être là, incapable de savoir quel autre geste de tendresse lui prodiguer. Comment pourrait-il, puisqu’il n’en a jamais reçu ?
Il fait donc ce qu’il peut et restera là jusqu’à ce qu’elle n’est plus besoin de lui, jusqu’à ce qu’ils s’enracinent ici s’il le faut.

- C’est pas censé réconforter, les câlins ? Si…si tu veux en parler… tu peux. T’es pas obligée… Enfin pour ça…faudrait que je puisse voir tes lèvres…  

- Tu es triste.

Elle l'est.
Perdue, surtout.
Triste d'être perdue.
Triste de ne pas de souvenir du visage de cette sœur ainée.
Perdue de penser encore à Edgard et de le pleurer.
Tourmentée par son affection inexplicable pour un salaud.
Déboussolée de l'étalage de ses émotions.
Confuse d'éprouver l'attachement pour quelqu'un qu'elle connait à peine.
Heureuse d'en être tout simplement encore capable.

- Pleurs pas Salomée…je voulais pas te faire pleurer…

Elle s'extirpe délicatement des mailles de son pull pour qu'il puisse lire ses lèvres. Distinctement.

- C'est pas toi. Toi, t'es parfait.

La jeune femme à un rire mouillée, plus un hoquet. Elle s'essuie les yeux d'un revers de manche. Le geste la rend plus juvénile encore.

- Juste.. Je suis ... émotive ? J'ai pas l'habitude.
- C’est pas censé réconforter, les câlins ?
- Si. Ca peut émouvoir aussi.
- Si…si tu veux en parler… tu peux. T’es pas obligée… Enfin pour ça…faudrait que je puisse voir tes lèvres…
- Elle sont là mes lèvres... rétorque la sorcière en hissant le cou, tendant sa bouche vers lui sans la moindre arrière pensée.

Un silence.

- J'ai juste eu... un souvenir. Quelque chose d'ancien. Un truc d'avant qu'on m'offre à Edgard. J'avais une grande soeur. Nouvelle éclat de joie humide et salée. Mais je l'ai perdue. J'ai perdue Edgard aussi. J'ai perdue tout ce que je savais être moi. Sa lèvre tremble, son menton se plisse. Je ne suis personne. Je ne comprend pas ce que j'éprouve. Haussement d'épaules. Et je ne sais pas pourquoi c'est quand je suis avec toi que ça remonte comme ça...

- C'est pas toi. Toi, t'es parfait.

Parfait.
Les mots raisonnent un instant dans sa tête sans s’accrocher nulle part. On l’a qualifié de beaucoup de choses. Jamais avec cet adjectif.
Jamais.
Il laisse retomber à nouveau ses bras le long de son corps.
Non il ne l’est pas. On lui a fait comprendre dès l’instant où il a été assez âgé pour comprendre ce concept.
Il baisse le menton, scrute son regard en se demandant s’il peut vraiment y croire.

Peu importe non ? L’avis des autres ne compte pas.
Le sien si.
Pourquoi ?
Aucune idée. Il compte, c’est tout.

Mais là n’est pas le sujet. C’est elle.
- Juste.. Je suis ... émotive ? J'ai pas l'habitude.
~- C’est pas censé réconforter, les câlins ?
- Si. Ca peut émouvoir aussi.
Il l'a...émue ? Il ne sait pas tellement comment interpréter ça...
~- Si…si tu veux en parler… tu peux. T’es pas obligée… Enfin pour ça…faudrait que je puisse voir tes lèvres…
- Elle sont là mes lèvres...
Il ne peut que les voir, tendues vers lui comme elles le sont, plus proches de lui qu’elles ne l’ont jamais été. Marcus les fixe avec insistance.

- J'ai juste eu... un souvenir. Quelque chose d'ancien. Un truc d'avant qu'on m'offre à Edgard.
~- C’est plutôt…bon signe non ?
- J'avais une grande soeur. Mais je l'ai perdue.
La tête inclinée, il fonce les sourcils.
~- Qu’est-ce que tu en sais ? Elle est peut-être quelque part et qu’elle t’attend. Abandonne pas si vite…
- J'ai perdue Edgard aussi. J'ai perdue tout ce que je savais être moi.

Elle a à nouveau les émotions à fleur de peau, prête à se déverser de ses yeux bleus et perdus. Ces questionnements, il les connait bien, il les a eu. Lui les a affronté seul. Et il se dit soudain que leur rencontre n’était pas si fortuite que ça et qu’il peut l’aider.  

~- Je comprends. Je sais ce que c’est. Mais pour découvrir qui tu es, qui tu es vraiment, il faut que tu laisses derrière toi celle que tu as été. C’est elle le fantôme, l’image qu’on a construite de toi. Et je sais que ça fait peur de la détruire. Elle est rassurante cette image. Mais c’est pas toi.
- Je ne suis personne.
Marcus pousse un soupir et lui sourire tristement.
~- C’est faux. Faut juste que tu te retrouves, que tu te souviennes qui tu es là, il désigne sa tête, et là, puis son cœur. Ca se fera pas en quelques jours, il va falloir que tu sois patiente avec toi-même et…bienveillante. Mais tu y arriveras, j’en suis persuadé.
- Je ne comprends pas ce que j'éprouve.
Il a un petit rire.
~- Pas sur que je sois le plus indiqué pour d’aider là-dessus… les sentiments humains restent très…mystérieux pour moi.
- Et je ne sais pas pourquoi c'est quand je suis avec toi que ça remonte comme ça...
Il reste un instant silencieux, le visage grave et prend le temps de réfléchir à cette question. Il la regarde avec une tendresse dont il n’a pas conscience.
~- Peut-être parce que toi et moi…on a quelques points en commun et que je pense comprendre ce que tu vis. On a tous les deux été enchainés, de façon différentes mais pendant si longtemps que la liberté est un cadeau au goût parfois amer. Peut-être parce que je sais rien de cette image qu’on a forgé de toi, aucun à priori, alors t’as pas à jouer de rôle avec moi comme tu l’as fait avec Ohanzee… il hausse les épaules, à court d’idée. Je sais pas trop. C’est si important que ça, tu crois ?  

Accrochée aux mailles du gros pull de Marcus, Salomée se laisse bercer par les paroles du charmeur de bête. A cet instant précis il est plus rassurant que n'importe quelle entité au monde. Il est seul qui semble voir quelque chose de son identité alors qu'elle même même ne distingue encore rien. Dans ses prunelles, il y a cet éclat chaleureux et doux, cette lumière qui donne envie à l'insecte qu'elle est de s'y réchauffer.

De s'y brûler.

~- Peut-être parce que toi et moi…on a quelques points en commun et que je pense comprendre ce que tu vis.
- C'est vrai ...
~- On a tous les deux été enchainés, de façon différentes mais pendant si longtemps que la liberté est un cadeau au goût parfois amer. La sorcière hoche la tête lentement. Approbation douloureuse. Peut-être parce que je sais rien de cette image qu’on a forgé de toi, aucun à priori, alors t’as pas à jouer de rôle avec moi comme tu l’as fait avec Ohanzee…
- Tu as probablement raison.
~- Je sais pas trop. C’est si important que ça, tu crois ?
- De pouvoir expliquer ? L'incertitude m'angoisse. J'ai si peu de contrôle sur ma propre vie que je m'accroche à ce que je crois être fiable.

Elle a une oeillade inconsciente vers le haras, vers la colline derrière laquelle Ohanzee a disparu.

- J'ai peur. J'ai peur de détruire les rares choses qui m'apparaissent encore comme des certitudes. Mon uniforme, mon grade, mes responsabilités. Je crois que j'y tiens encore...

Salomée se tourne à nouveau vers lui avec un faible sourire.

- Bizarrement, j'ai beau te connaitre depuis peu, tu m'apparais comme la personne la plus fiable et la plus sensée de mon entourage.

Elle le contemple comme si elle pouvait trouver des réponses dans le foisonnement de ses tâches de rousseur, dans l'oblique étrange de son visage d'elfe, dans la toison folle de ses boucles brunes.

- Comment as-tu fait.... ? Comment as-tu su qui tu étais ?

~- Je sais pas trop. C’est si important que ça, tu crois ?
- De pouvoir expliquer ?
~- Ouais…ça changera rien à la situation…
- L'incertitude m'angoisse. J'ai si peu de contrôle sur ma propre vie que je m'accroche à ce que je crois être fiable.
~- Je suis pas certain que quoique ce soit le soi vraiment, tu sais…
Marcus note la façon dont se regard se déporte vers la ferme de Gaffney.
- J'ai peur. J'ai peur de détruire les rares choses qui m'apparaissent encore comme des certitudes. Mon uniforme, mon grade, mes responsabilités. Je crois que j'y tiens encore...

C’est quelque chose qu’il peut comprendre même si lui s’est toujours accroché à des choses moins abstraites que Salomée. Mais c’est son choix, même si elles lui paraissent bien éphémères et bien peu fiables.

~- Je comprends…si c’est si important pour toi tout ça…alors bats-toi pour les conserver. Mais…essaie de te trouver quelque chose qui ne dépendent pas des autres et que personne ne peut te retirer d’une simple pichenette.
- Bizarrement, j'ai beau te connaitre depuis peu, tu m'apparais comme la personne la plus fiable et la plus sensée de mon entourage.

Marcus rougit un peu et évite de la regarder un instant avant de revenir à elle, comme s’il ne pouvait pas s’en empêcher.

~- Tu sais … je connais pas grand-chose au monde et je vis avec des animaux depuis dix ans alors… je suis pas certain d’être vraiment…sensé. Ou alors…ça montre le faible niveau des autres, ajoute-t-il avec un sourire.    
- Comment as-tu fait.... ? Comment as-tu su qui tu étais ?
Il abaisse un instant ses mains, baisse les yeux pour réfléchir à ces questions qui, il le sait, sont importantes pour elle.
~- Je suis pas certain…de le savoir vraiment. Je cherche encore. Peut-être que je chercherai toujours. Il laisse filer un silence. Il manque…beaucoup de pièces à mon puzzle, des pièces que j’aurais jamais. Mais c’est pas l’important. C’est d’apprendre à vivre avec qui est plus dur. Et après, de se concentrer sur l’essentiel. Sur moi. Sur toi. Tu es une sorcière, avec un pouvoir super puissant. C’est une certitude. Mais c’est qu’une partie de ce que tu es. Tu as le sens des responsabilités, et je crois deviner que tu es loyale. Le reste…tu vas devoir le chercher, déclare-t-il avec une moue amusée. C’est un voyage que tu peux que faire seule. Mais…si tu as des doutes ou que tu veux parler, je suis là.

Il sait bien qu’elle n’a sans doute pas l’habitude d’avoir peur, d’avoir même quoique ce soit d’ailleurs… Après beaucoup d’hésitation, il se risque à prendre le bout de ses doigts dans les siens.
- Il faut pas que tu aies peur, Salomée, assure-t-il avec sérénité. T’es pas…toute seule.
Affirmation bien audacieuse. Pense-t-il à lui ? Sans doute un peu oui mais c’est la première fois qu’il commence à comprendre le concept d’amitié avec un humain…une humaine.

Salomée constate le changement de couleur progressif de ses pommettes hautes et de guingois. Elle trouve le spectacle particulièrement charmant sans réellement savoir pourquoi.

~- Tu sais … je connais pas grand-chose au monde et je vis avec des animaux depuis dix ans alors… je suis pas certain d’être vraiment…sensé.
- Pour moi, oui.
~- Ou alors…ça montre le faible niveau des autres...

Petit rire bref, rauque. Une grimace.

- Ah ça... Elle l'ausculte à nouveau, de ses prunelles plus claires que la lame de scalpels. Comment as-tu fait.... ? Comment as-tu su qui tu étais ?
~- Je suis pas certain…de le savoir vraiment. Je cherche encore. Peut-être que je chercherai toujours.

La sorcière baisse les yeux, soudain gagnée par l'abattement. Le chemin sera donc encore long, pénible et obscure. Elle est déjà si fatiguée avant même d'avoir emprunté le sentier vers cette "identité" qui lui échappe.

~- Il manque…beaucoup de pièces à mon puzzle, des pièces que j’aurais jamais. Mais c’est pas l’important. C’est d’apprendre à vivre avec qui est plus dur. Et après, de se concentrer sur l’essentiel. Sur moi. Sur toi.
- Sur toi et moi ? reprend-elle avec un léger froncement de sourcil et une agréable sensation de chaleur dans le ventre.
~-Tu es une sorcière, avec un pouvoir super puissant. C’est une certitude. Mais c’est qu’une partie de ce que tu es. Tu as le sens des responsabilités, et je crois deviner que tu es loyale. Le reste…tu vas devoir le chercher. C’est un voyage que tu peux que faire seule.
- Je sais.
~-Mais…si tu as des doutes ou que tu veux parler, je suis là.
- Tu me tiendras la main, pour faire le voyage ? demande-t-elle d'une petite voix qu'il ne peux pas entendre mais que son expression fragile souligne.
~- Il faut pas que tu aies peur, Salomée. T’es pas…toute seule.
- Je le suis, dans ma tête. Je n'ai jamais été aussi seule et aussi démunie de l'être. Une part de moi se satisfaisait de sa laisse, Marcus, quand l'autre voulait la ronger. Laquelle des deux suis-je en réalité ? La fille qui pleure son geôlier ou celle qui veut s'en affranchir ? Sa lèvre tremble. Je n'ai pas ta force mentale. Je suis bien plus faible que tu ne te le figures.