- Tu penses vraiment qu’on va réussir à trouver quelque chose ? C’est un musée après tout, pas une encyclopédie sur l’origine des Siphons…

Une heure qu’on déambule parmi les tableaux et les sculptures à la recherche du moindre indice. J’ai laissé Will sortir aujourd’hui, parce que je me voyais mal faire tout ça toute seule, et j’ai l’air moins folle à parler à un homme qu’à une gourde attachée à ma ceinture. Je ne sais plus quel est le Bélier qui a muni le récipient d’une cordelette de cuir, mais je le remercie pour ça. Dommage que la fiole soit trop grosse pour être portée autour de mon cou, ça aurait été un peu plus discret, et j’aurais pu la cacher sous un pull.

Bien sûr, à présent je sais tout de mes prédécesseurs. Leur nom, leur physique, leurs manies, leurs habitudes, leurs défauts surtout, mais ce que je ne sais pas, c’est le pourquoi. Pourquoi moi ? Pourquoi les Siphons ne sont apparus qu’en 1939 ? Pourquoi n’existent-ils pas depuis plus longtemps ? Aucune idée. Et pour ça, il me faut remonter à la source. Le Premier Bélier. Je reste devant une des œuvres un peu plus longtemps, rien que parce qu’il y a des moutons en arrière-plan de la peinture. C’est fou comme je suis obsédée par les bêtes à cornes depuis que j’ai appris qui j’étais vraiment.

Je détache enfin les yeux de la peinture, pour voir que Will m’a faussé compagnie. Et merde, où est-ce qu’il est encore parti celui-là ? Je regarde autour de moi, me penche pour mieux voir à côté des statues et des gens, mais il a beau être grand, je n’arrive pas à le repérer dans cette semi-foule. Je presse le pas, appelle son nom en criant mon murmure ce qui me vaut des regards intrigués, et quand je m’apprête à crier pour de bon, je le repère dans la salle d’à côté. Je me précipite vers lui, et attrape sa manche comme un enfant soulagé de retrouver son parent, à la différence que ma relation avec Will est bien plus complexe que ça, et je fronce les sourcils vers lui.

- Will ! T’es parti sans prévenir…

Je regarde ce qui l’a attiré ici, et je réalise que c’est une femme. Elle est plutôt belle, avec ses longs cheveux bruns qui se déposent sur ses épaules, mais est-ce que c’est réellement le moment d’aller draguer ? Ça ne me plaît pas beaucoup. Et en même temps, je ne devrais pas être saisie de cette pointe de colère à cette idée. Non, ça n’a rien à voir, ce n’est juste pas le moment !

- Qui c’est ?

Le professeur Theodora Henning en a enfin fini avec les visites de la journée. Bien qu’elle apprécie transmettre son savoir et sa passion sur sa collection venue tout droit d’Egypte, elle a un travail bien plus important qui l’attend à l’arrière.
Creuser, chercher, déchiffrer la moindre parcelle de pierre retrouvée dans le temple de Sekhmet pour récupérer la fameuse recette de la potion mise au point par Râ lui-même pour apaiser les envies de carnage de sa propre fille pendant un an.  
Plus de bouffée de colère, plus de perte de contrôle…Theodora en rêve. Même les choses vont bien mieux depuis le rituel d’Ebène, elle n’est toujours pas à l’abri de la colère divine et séculaire de la déesse lionne.

A cette heure, le musée va progressivement commencer à se vider. Pour le moment, il bruisse encore de monde et de groupes scolaires que des adultes encadrent comme des chiens de berger essayant de contenir leurs troupeaux. Theodora se faufile avec agilité et habitude entre les visiteurs et aborde enfin un couloir plus calme. Alors qu’elle demande avec politesse à une groupe de jeune fille de ne pas utiliser leur flash elle se fait arrêter par un homme à la taille haute et plutôt séduisant.

- Bonsoir.
Mécaniquement, elle vérifie que les gants qui cachent ses mains sont toujours bien en place.
- Bonsoir.
Réponse polie mais elle se demande pourquoi cet homme s'est posté sur son chemin. Alors qu’elle ouvre la bouche pour le lui demander, il reprend.
- Est-ce que je peux vous aider ?
Theodora le regarde avec étonnement, sourcils froncés et dans les tréfonds de son esprit, la lionne se réveille, s'étire et déploie ses griffes acérées. Sans le savoir, les yeux de la jeune femme se modifie en l’espace de quelques secondes et ses pupilles se rétrécissent comme celle d’une lionne.

Attention humaine…cet être n’est pas humain…il est né du feu comme nous.

Ne sachant absolument pas comment interpréter cette mise en garde, Theo décide simplement de se méfier. D’ailleurs si le sourire est large, il lui semble un peu trop…malin.
- Eh bien à vrai dire j’allais vous poser la même question. Je travaille ici, précise-t-elle pour appuyer l’évidence.

Une jolie jeune femme rejoint l’homme étrange et Theodora leur offre un sourire poli.
- Qui c’est ?
- Une probable future cliente...
Un sourcil arqué, Theodora qui a entendu l'échange et trouve ça assez déplaisant qu'on parle d'elle à la troisième personne alors qu'elle est à côté, s’autorise corriger les propos dépourvus de sens de l’homme.
- Professeur Henning. Je m’occupe de l’exposition temporaire sur mes découvertes en Egypte. Si vous avez une question n’hésitez pas sinon…et bien je vais devoir vous souhaiter une bonne soirée et une bonne fin de visite.

Elle se désintéresse du couple et les contourne pour poursuivre son chemin.