Les jours ont passé jusqu’à former des semaines. Deux pour être précises. Non pas que Theodora les compte…mais presque. Plus le temps passe et plus elle a l’impression d’avoir inventé tout ce qui aurait pu être pris pour des signes d’intérêt de la part du docteur Maintenon.
Pourtant, son esprit se met souvent à rêvasser en pleine journée et l’empêche parfois de se concentrer sur une tâche nettement plus importante que de se souvenir de la sensation de sa bouche sur la sienne… image qui lui revient bien trop souvent à son goût. Alors que lui était clairement sous transe. Lui ne s’en souvient certainement pas ou à peine.

Elle a l’imagination trop fertile, la solitude trop présente ; cocktail qui lui fait voir et interpréter ce qui n’a pas lieu d’être.

Cette réalisation fait qu’elle n’a pas encore trouvé ni le courage, ni la bonne excuse pour le revoir.
Jusqu’à aujourd’hui.
Elle est déjà à court d’halopéridol, raison tout à fait valable pour le contacter !
Elle s’inquiète un peu de la vitesse à laquelle elle en consomme. Ça n’est pas un produit anodin.
Depuis le rituel elle ressent de plus en plus souvent de violentes bouffées de colère incontrôlable. Par deux fois, elle s’est mise à briller comme un petit soleil et à ressentir l’envie très claire de détruire tout ce qui se trouvait autour d’elle…pire que ça…de tuer. Heuresement, elle était seule dans son appartement et dans son bureau quand le phénomène est survenu. Sekhmet se trouve être une aide autant qu’un boulet, l’encouragement à lutter pour finir par lui susurrer les horreurs qu’elles allaient commettre quand la fureur aveugle Theo.

Elle se trouve donc un peu à cran, s'attendant à tout instant à voir revenir ses "crises". En résultent des insomnies difficiles à gérer et de violentes crampes musculaires provoquées par la consommation du calmant. Son manque de sommeil se lit sur son visage. L’épuisement de ses violents excès de rage et son travail acharné qui ne donne rien pour le moment n’arrange pas les choses.

Quoi qu’il en soit, elle a fini par envoyer un sms au docteur pour lui demander de nouvelles doses et a proposé de passer les chercher chez lui. Avant de s’y rendre, elle est prise d’une impulsion soudaine et a embarqué quelques épices qu’elle était certaine de ne pas trouver chez lui. Elle s’est un peu emballée sur les courses et a fini par acheter tout un tas de choses aussi bien sucrées que salées pour le sortir du son régime "pomme et conserves" d'Ebène. Si bien que lorsqu’elle se présente chez lui en début de soirée, elle a les mains littéralement pleines de sacs. Lorsqu’il ouvre la porte, une joie irrépressible de le revoir la submerge et elle sourit largement.

- Bonsoir Ebène ! Désolée j’ai un peu de retard mais…elle rit un peu un soulevant de quelques millimètres ses fardeaux, je suis passée faire « quelques courses ». Ca vous ennuie de vous pousser ? Ça commence à être lourd.

Elle finit par être invitée à entrer et va immédiatement vers le coin cuisine pour déposer ses sacs et commencer à les déballer.

- J’avoue que votre cuisine m’a fait tellement pitié la dernière fois que je n’ai pas pu résister. Et puis il faut que je m’assure que vous mangez bien non ?
Elle ouvre quelques placards et son frigo.
- Je vois que votre régime alimentaire ne semble pas s’être améliorer, s’amuse-t-elle. Elle s’arrête soudain, une boite de pois chiche dans les mains. Je…hum…je me suis dis que si vous n’aviez rien de prévu ce soir…on pourrait…dîner ensemble ? Cette fois, je vous fais la cuisine ! Promis, je me débrouille pas si mal que ça…enfin vous ne risquez pas d’être empoisonné… Si ça vous ennuie, ça n’est pas un soucis ! C’était simplement une suggestion ! Je peux tout aussi bien ranger tout ça et vous laisser tranquille…

- Tu as l'air en forme.
- Je ne peux pas en dire autant de toi, Doc'. T'as une de ces mines chiffonnées !

Elle avait rit un peu, creusant les fossettes qu'il lui avait légué en héritage, puis l'avais serré contre elle. Voilà comment s'était ouvert les retrouvailles entre Ebène et sa fille. Marisol avait perdu en rondeur ce qu'elle avait gagné du muscle, témoignant d'une activité sportive régulière et intense. Hormis ce détail, un cynisme irrévérencieux qui n'était pas sans lui déplaire et des cheveux plus longs, elle était toujours aussi vive, lumineuse et belle. Une tornade. Sa tornade.

Elle lui avait rendu la boite avec un rictus d'excuses.

- Garde-les. Tu es le gardien de la petite fille que j'étais. Mais pour ce que j'accomplis en ce moment, je dois faire table rase de mon passé.
- Et qu'est-ce que tu accomplis, au juste ?
Il avait posé la question en connaissant la réponse. L'entendre l'affecta plus qu'il ne l'aurait cru.
- Je suis tes pas, Papa : J'accomplis ma vengeance. Je le fais par amour.

Et il n'avait rien trouvé à redire.
La boite était de retour dans sa chambre avec l'ourson de Charly dessus et une promesse que lorsqu'elle viendrait à l'ouvrir de nouveau, ce serait parce qu'elle en aurait fini avec le chapitre de cette vie.

Lui, savait que toute vengeance se conclut par la mort de celui qui l'accomplit. Mais qu'y pouvait-il ?

***

Deux semaines, un anniversaire funéraire et plusieurs nuits d'insomnies plus tard, il campe devant sa cafetière, l'esprit ailleurs. Il a tenté de retrouver la quiétude éprouvée lors de son endormissement auprès de Theodora. Il a appliqué ses conseils savants, concentré son esprit sur sa respiration et tenter de penser à des choses apaisantes.
Il en est venu à penser à elle.
Fatalement.
De fil en aiguille, ses neurones se sont connectés d'une telle manière qu'il a complétement dévié sa saine absence d'imagination de ses rails pour générer des images d'une rare lubricité. Il avait ouvert les yeux, en sueur, exsangue, et perturbé par un rêve humide comme il n'en avait plus fait depuis son adolescence.

Après cela, dormir n'était plus envisageable.

Le café est prêt depuis une bonne vingtaine de minute, mais il reste immobile devant, sa tasse à la main. Vide, comme lui. On frappe à sa porte. Il n'attend jamais personne. Il espère que ce ne sont pas encore les voisins qui ont égaré leur cochon. Il en soupe sévère. A l'oeil de bœuf, il découvre le visage de Theodora et son pouls, d'ordinaire si lent, commet une petit embardée.
Il lui ouvre, complétement interdit.
Il devait se voir ?

- Bonsoir Ebène ! Désolée j’ai un peu de retard mais… je suis passée faire « quelques courses ».
- Du retard ?
- Ca vous ennuie de vous pousser ? Ça commence à être lourd.
- Euh.. oui. Bien entendu.

Qu'est-ce qu'il se passe ? Il rêve éveillé ? Il a oublié une chose aussi importante ? En même temps, il ne sait pas ce qu'il fait avec cette tasse à la main.

- J’avoue que votre cuisine m’a fait tellement pitié la dernière fois que je n’ai pas pu résister. Et puis il faut que je m’assure que vous mangez bien non ?
-.... Oui. Il essaie de de chasser désespérément des images inconvenantes qui lui parasite la cervelle.
- Je vois que votre régime alimentaire ne semble pas s’être améliorer. Je…hum…je me suis dis que si vous n’aviez rien de prévu ce soir…on pourrait…dîner ensemble ? Cette fois, je vous fais la cuisine ! Promis, je me débrouille pas si mal que ça…enfin vous ne risquez pas d’être empoisonné… Si ça vous ennuie, ça n’est pas un soucis ! C’était simplement une suggestion ! Je peux tout aussi bien ranger tout ça et vous laisser tranquille…
- Non... je... Theo, parlez moins vite. J'ai du mal à vous suivre.... Vous n'arrêter pas de... boug....

Il a une sorte de vertige et s'écroule sur lui même sans prévenir.

Il a une mine de papier mâché qu’elle n’a pas osé relever par politesse mais qui renforce son idée de lui faire au moins à manger ce soir. Elle fronce légèrement les sourcils, inquiète de la voir aussi…diminué.
- Si ça vous ennuie, ça n’est pas un soucis ! C’était simplement une suggestion ! Je peux tout aussi bien ranger tout ça et vous laisser tranquille…
- Non... je... Theo, parlez moins vite. J'ai du mal à vous suivre.... Vous n'arrêter pas de... boug...
Il s’effondre si vite et soudainement que Theo ne peut que suivre sa chute du regard, la bouche ouverte.
- Oh mon Dieu ! Ebène !

Elle s’active pourtant très vite et se précipite à son chevet. Retirant rapidement ses gants, elle mesure son pouls et le trouve anormalement lent. Il semble à peine conscient et elle pose une main contre sa joue, sans se préoccuper qu'elle ne soit pas ganté, et tourne doucement sa tête vers la sienne. Il ne semble pas s’être blessé en tombant, c’est déjà ça…

- Regardez-moi ! Elle secoue légèrement la tête, affligée. Vous êtes dans un état… depuis combien de temps vous n’avez pas mangé ni dormi ? Vous êtes si blanc…sa voix exprime une réelle inquiétude et son pouce caresse lentement sa joue légèrement creusée. Une colère rougeoyante de le trouver aussi mal la saisit et elle sert les dents.
- Pas maintenant…pitié Sekhmet pas maintenant… Au prix d’un effort considérable, elle refoule la rage pour se concentrer sur lui. Il a besoin d’aide. Elle s’accroche à cette pensée pour ne pas retomber dans une fureur noire contre la déesse responsable de tout ceci. Erzulie Dantor…
- Je vais vous faire à manger, d’accord ? Un bon repas que vous allez me faire le plaisir de dévorer et ensuite vous aller dormir. Mais d’abord on va essayer de vous remettre d’aplomb. Elle retire sa veste légère et en fait un cousin qu’elle passe avec une grande délicatesse derrière sa tête. Ne bougez pas, je reviens…

Elle se redresse, sort du sucre dont au moins il ne manque pas et le dilue dans un grand verre d’eau. Elle ne lésine pas et y met bien une sept morceaux entiers. Une fois fondus, elle revient vers le docteur qu’elle appelle à nouveau doucement.
- Ebène ? Vous êtes encore avec moi ? Je vais vous redresser un peu…
Elle passe un bras derrière sa nuque et le relève doucement jusqu’à pouvoir le faire boire.
- C’est de l’eau sucrée…il faut tout boire, ajoute-t-elle avec une certaine autorité. Elle insistera de toute façon pour qu’il ingurgite l’intégralité du verre. Une fois la tâche accomplie, elle le repose doucement et reste à ses côtés.
- Pourquoi vous ne prenez pas mieux soin de vous, docteur ?
Ses doigts frôlent ses épaisses boucles noires et elle pose son autre main contre sa poitrine comme pour l’empêcher de se relever tout de suite.
- Restez allongé quelques minutes…rien ne presse. Vous n’avez pas réussi à mettre en pratique mes conseils pour dormir ?  

S'est-il assoupi ? Il est certain d'une chose : il est en position horizontale sur son propre parquet. Dormir est une lamentable idée, il va encore rêver d'elle.

- Regardez-moi !

Ça n'a guère tardé. Elle obsède son subconscient, selon toute vraisemblance.

- Vous êtes dans un état… depuis combien de temps vous n’avez pas mangé ni dormi ?
- Je vous attendais... Murmure-t-il.
- Vous êtes si blanc…

Théodora baragouine quelque chose qui lui semble inintelligible. Sa bouche se meut et forme des syllabes pulpeuses et fascinantes. Ébène tend maladroitement les doigts vers ces lèvres charnues et appétissantes.

- Quelle couleur incroyablement fruitée...

Son rêve éveillé est une admirable reconstruction sensorielle. Voilà qu'elle se déshabille. C'est comme ça que tout à dégénéré la première fois, parce que son esprit avait décidé de la dépouiller de la moindre couche de vêtements.

- Ne fait pas ça...
- Ne bougez pas, je reviens…

La perspective d'un scénario différent de sa dernière phase de sommeil le rassènere un peu.

- Ebène ? Vous êtes encore avec moi ?
- Je ne sais pas... Vous êtes réelle ? Il eprouve le besoin de la toucher pour vérifier. Je... J'ai tendance à confondre un peu.... Et à voir des choses qui devraient pas être là ....
- Je vais vous redresser un peu…
- OK.

Il biberon ne son eau sucrée sans faire d'histoire et reprend sa respiration en se laissant tomber, le front contre son giron.

- Pourquoi vous ne prenez pas mieux soin de vous, docteur ?
- Je... Je ne m'en rend pas compte.
- Restez allongé quelques minutes…rien ne presse. Vous n’avez pas réussi à mettre en pratique mes conseils pour dormir ?  
- Oui... Ça marche au début et après toute ma tête s'emplit de votre présence. Je vous vois tout le temps, toute nue, balance-t-il sans le moindre filtre. Fallait que j'arrête de dormir pour enrayer le problème.

- Ebène ? Vous êtes encore avec moi ?
- Je ne sais pas... Vous êtes réelle ?
Elle attrape cette main vagabonde qui se tend vers elle et la serre dans la sienne.
- Je suis là, confirme-t-elle avec douceur.
- Je... J'ai tendance à confondre un peu.... Et à voir des choses qui devraient pas être là ....
- Vous avez des hallucinations ? s’alarme la jeune femme qui comprend qu’il est dans un pire état qu’elle ne l’a craint au départ. Les visions expliquent toutefois les propos incohérents qu’il a tenu quelques instants plus tôt. Ca n’est sans doute pas elle qu’il a vu avant…une ancienne compagne ? Peut-être cette personne qu’il a perdue et qui la poussée à vendre son âme…Elle sent encore ses doigts sur ses lèvres et en frissonne… Elle se gifle mentalement.

« Focus Theo ! Tes rêveries libidineuses ne vont certainement pas l’aider… »
- Je vais vous redresser un peu…
- OK.

Il ne fait heureusement pas tant d’histoires que cela pour boire l’eau sucrée et se laisser tomber contre elle. Ne pouvant faire autrement au risque de le faire dégringoler sur le sol, elle le serre contre elle et remonte les genoux pour s’en servir d’appui pour le maintenir. Elle soupire bruyamment, attendant patiemment qu’il aille un peu mieux.

- Pourquoi vous ne prenez pas mieux soin de vous, docteur ?
- Je... Je ne m'en rends pas compte.
- Trois repas par jour et au moins sept heures de sommeil… ne me dites pas que ça ne vous dit rien, le gourmande-t-elle gentiment. Restez allongé quelques minutes…rien ne presse. Vous n’avez pas réussi à mettre en pratique mes conseils pour dormir ?  
- Oui... Ça marche au début et après toute ma tête s'emplit de votre présence. Je vous vois tout le temps, toute nue. Fallait que j'arrête de dormir pour enrayer le problème.
Complément abasourdie, elle se fige et vrille des yeux écarquillés dans les siens.  
- Quoi…qu’est-ce que…quoi ?? répète-t-elle.

Reprendre les bases. Inspirer, expirer. Voilà qui est mieux. Il ne peut pas vraiment avoir dis ce qu’il vient de dire ! C’est tout bonnement impossible…Ebène Maintenon…fantasmerait-il sur elle ? Ridicule ! Elle n’est pas…et lui est sensé être incapable de ressentir quoi que ce soit ! Elle pose sa paume contre sa joue et se penche un peu.

- Ebène, vous divaguez. Détendez-vous, tout va bien. Je vais m’occuper de vous, d’accord ?

Se rendant compte qu’elle le touche inconséquemment peau à peau, elle retire sa main et se redresse un peu. Mais ses doigts retrouvent d’eux-mêmes le chemin vers ses boucles. Au moins, elles ne peuvent sentir le contact désagréable de ses cicatrices.

- On va attendre que vous soyez plus vaillant puis on ira sur le canapé. Ça sera sans doute un peu plus confortable que sur le sol. Ensuite je vais faire un bon petit plat et vous allez vous allonger dans votre lit. Et puis vous aller dormir, on trouvera…je vous lirai à nouveau quelque chose si vous voulez…j’attendrais que vous soyez endormi et je m’en irai. Ça vous va ?

- Ebène, vous divaguez.
- Je le sais bien. Il n'est pas dans mes habitudes d'avoir autant d'imagination : je ne rêve jamais. absolument jamais...
- Détendez-vous, tout va bien. Je vais m’occuper de vous, d’accord ?
- .... Encore moins ce genre d'élucubrations érotiques.
- On va attendre que vous soyez plus vaillant puis on ira sur le canapé.
- C'est vous... Il y a quelque chose chez vous....

Il la contemple de ses yeux noir et fiévreux.

- Ça sera sans doute un peu plus confortable que sur le sol.
- "Confortable" , Il répète le mot comme s'il était parfaitement incongru. Oui.. Oui... Vous êtes confortable.
- Ensuite je vais faire un bon petit plat et vous allez vous allonger dans votre lit.
- Manger dans mon lit... Mais.. je vais salir les draps.
Il ne comprend absolument rien aux mots qui sortent de sa bouche. Terrible et magnifique bouche en coeur, à l'arc de Cupidon parfait, et gonflé, et...
- Et puis vous aller dormir.
- Non ! Il s'est raidi et tente de se redresser mais ses gestes sont mous et peu véloces.... Non pas dormir. Je ne dois pas dormir. Je ne veux pas attenter à votre vertu.
- On trouvera…je vous lirai à nouveau quelque chose si vous voulez…j’attendrais que vous soyez endormi et je m’en irai. Ça vous va ?
- Non. Je ne veux ni dormir, ni vous voir partir. Je.. j'ai l'esprit embrouillé. Vous.. vous êtes réelle n'est-ce pas ? Je ne suis pas encore en train de vous voir.. de.. de vous imaginer... ? Cette conversation, n'a ni queue, ni tête....

Il attrape sa main brulée, colle sa peau contre sa joue, en respire le creux.

- C'est si... si réel, pourtant....

Il commence vraiment à lui être difficile de faire abstraction de ce qu’il dit. Vraiment difficile… Elle s’accroche à la pertinence de ses propositions à elle, à la logique qui s’impose vu l’état du docteur.
- On va attendre que vous soyez plus vaillant puis on ira sur le canapé.
- C'est vous... Il y a quelque chose chez vous...
Il a le regard un peu fou, comme brillant de fièvre et l’intensité de son regard la met quelque peu mal à l’aise. Elle a un petit sourire d’incompréhension et de gêne.
- Quoi donc… ? Moi je crois que vous êtes harassé de fatigue et que vous avez besoin de manger.

Elle lui expose donc la suite de son programme d’une voix douce, essaie de le guider vers la raison, « Non vous ne mangerez pas dans vos draps, promis. »

- Et puis vous aller dormir.
- Non !
Il s’agite soudain et surprise Theo ne peut que resserrer son étreinte.

- Calmez-vous Ebène, ordonne-t-elle sur un ton ferme mais toujours pétri d’une certaine douceur.

Main de fer dans un gant de velours. Mais il manque tellement de force si bien qu’il n’arrive pas à grand-chose et se calme bien vite.

- Non pas dormir. Je ne dois pas dormir.
- Chuuuuut tout va bien, Ebène. Il le faut. Elle caresse doucement ses boucles indisciplinées. Vous savez bien que votre cerveau ne tiendra pas le coup si vous le priver indéfiniment de sommeil.
- Je ne veux pas attenter à votre vertu.

Theo le regarde avec des yeux ronds, interdite. Ses propos lui paraissent tellement incohérents…Elle émet un faible rire.  

- Je ne vois pas bien le lien de cause à effet. Je vous assure qu’il n’arrivera rien si vous dormez, ni à moi, ni à ma « vertu ». Et si ça peut vous rassurer elle s’est envolée il y a longtemps. Elle ne risque plus rien… Si vous endormir vous semble si compliqué…On trouvera…je vous lirai à nouveau quelque chose si vous voulez…j’attendrais que vous soyez endormi et je m’en irai. Ça vous va ?
- Non. Je ne veux ni dormir, ni vous voir partir. Je... j'ai l'esprit embrouillé.
- Je vous le confirme. Elle a le regard aussi inquiet qu’attendri.
- Vous.. vous êtes réelle n'est-ce pas ? Je ne suis pas encore en train de vous voir… de… de vous imaginer... ? Cette conversation, n'a ni queue, ni tête...
- Sans aucun doute. Mais je suis …

Il attrape soudain sa main et vient y blottir sa joue pour en respirer la peau. Le geste est terriblement…intime d’autant plus que depuis ses blessures, elle ne se permet presque plus de toucher le derme d’autrui. Son pouce vient flatter sa pommette dans de lents mouvements répétitifs.  

- C'est si... si réel, pourtant...
- Parce que je suis vraiment là ! Qu’est-ce que je peux faire pour vous le prouver ?

Elle le scrute dans les yeux, et se sent dans une sorte d’étrange impasse. Elle se penche un peu, hésite et s’arrête avant de finir son mouvement. Ses lèvres se posent sur son autre joue et y dépose un baiser appuyé.

- Voilà ! Convaincu ? Je suis réelle, je suis là avec vous et je vais vous aider. D’accord ? On va tenter de vous installer sur le canapé. Elle le redresse un peu plus jusqu’à ce qu’il soit assis. Ca va ? Comment vous vous sentez ? Ok, on va continuer.

Etape par étape et avec beaucoup de volonté, elle finit par le remettre debout. Un bras autour de sa taille elle passe l’un des siens sur ses épaules et le guide jusqu’au canapé où ils s’écroulent plus qu’autre chose, toujours emmêlés mais au moins assis.  

- On…on a réussi ! D’une main, elle tourne délicatement son visage vers le sien. Ca va toujours ? Bon, vous ne bougez pas de là, je vais préparer quelque chose à vous mettre dans le ventre.

Elle se redresse un peu et s’accoude au dossier du canapé, retirant lentement son bras du dos du docteur. Sa main s’est à nouveau invitée sur sa joue, sans songer à ses cicatrices cette fois. Elle contemple ses cernes, la blancheur inquiétante de son teint et ses yeux toujours un peu ailleurs, avec une expression profondément peinée. Un fond de colère s’invite à nouveau dans le regard de la jeune femme où se devine à nouveau des lueurs plus fauves.  

- Ebène…vous ne pouvez pas continuer comme ça… je ne peux pas vous laisser continuer comme ça…ça me rend…véritablement furieuse.
Elle pose doucement son front contre le sien et murmure.
- On trouvera le moyen de vous libérer de cette malédiction et de vous redonner votre âme.
Un faible halo entoure le corps de Theo et sa voix mélodieuse se mêle subtilement à une autre, plus grondante et qui parle une langue du fond des âges. Ensemble, elle forme une sorte de promesse. La jeune femme recule doucement et sourit.
- Je ne serai pas loin. Reposez-vous.

Ebène est confus. Il a l'impression d'avoir complétement perdu le lien tenu qu'il maintient entre l'interface de son corps et le goudron opaque qui bloblote au fond de son puits sans âme. Les signaux sont contradictoires et indistincts. Il n'a plus la capacité de les analyser. Ne percevant pas sa propre fatigue, son cerveau s’est épuisé, brouillant les frontières entre fantasme et réalité. Le vecteur de ces rêveries éveillées demeurent encore et toujours cette femme.

Theodora Henning.

Elle est là.
Elle le tient.
Elle le touche.
Elle lui parle.
Doit-il laisser ses bas instincts en roue libre, aller au bout du fantasme pour le chasser ?
Doit-il se garder de commettre possiblement l'irréparable ?
Elle est là.
Elle sent bon.
Elle le caresse.
Elle lui embrasse la joue.

Une détresse terrible s'empare d’Ébène, si puissante, si vive, qu'elle remonte du puits, filtre en surface et se peint sur son visage. Son dilemme semble déchirer le peu de conscience encore vivace du zombie. Et si il se transformait comme dans ces films ridicules, en être décérébré et avide de chair : sa chair ?
Inexplicablement, il se retrouve sur le canapé, la carcasse chevillée à Theodora.

Toujours là.
Toujours exquise.
Toujours brune.
Toujours à babiller de sa voix mélodieuse.

- Je ne serai pas loin. Reposez-vous.

Ces mots là, frappent sa compréhension avec violence. Réflexe reptilien. Il la retient à lui -contre lui- avec force. Ses phalanges longues et élégantes pénètrent dans sa tignasse épaisse et sombre. La paume contre sa joue veloutée, il joue avec sa lippe charnue de la pulpe du pouce. Instants suspendu. Il vient la goûter, avide de cette saveur à peine perçu cette fois volée et qui enivre sa langue et son palais sans prévenir.

Que ce soit vrai ou pas, il n'en a plus rien à foutre.

Il le vit.

Une poigne ferme la retient et elle tourne automatiquement la tête vers lui, prête à lui demander si quelque chose ne va pas. Mais elle ne peut qu’ouvrir la bouche sans réussir à sortir aucun son. Les yeux du docteur ont changé, son expression toute entière est différente sans qu’elle n’arrive vraiment à mettre le doigt dessus. Sa main s’invite sur sa joue, ses doigts de pianiste dans ses cheveux. Son pouce caresse sa lèvre et elle retient son souffle, incapable de bouger. A quoi joue-t-il ? Non…la vraie question est qui voit-il donc dans son monde manifestement peuplé de visions ?

Il ploie vers elle, s’approche dangereusement près. La suite, elle ne la voit pas, les yeux déjà clos et pousse un soupir de plaisir quand leurs bouches se rencontrent enfin. La première surprise passée, elle s’approche à son tour et lui rend cette fois son baiser sans hésiter ni tergiverser.

Il n’est plus lui-même …

Sans doute, mais être raisonnable est passablement ennuyeux. Et le flot de sensations qui l’envahit est bien trop bon pour être stopper maintenant. Elle veut tout ça et plus encore…

Conquiert alors !

C’est bien ce qu’elle fait, l’embrassant avec une avidité incontrôlée. Ses propres doigts plongent avec délice dans ses boucles sans plus de délicatesse et elle grimpe avec une agilité féline sur ses genoux. Penchée sur son visage, ses cheveux agissants comme de sombres rideaux qui les coupent du monde, elle fait montre d’une férocité guerrière empruntée à Sekhmet qui ronronne dans un coin de sa tête. Débarrassé de l'alcool rituel, elle le goute enfin lui et s'en trouve finalement bien plus enivrée.

Cet homme est manifestement assez affaibli pour avoir des hallucinations et tu ne trouves rien de mieux que de lui sauter dessus ?

Même si elle est agaçante, sa conscience marque un point. D’autant qu’elle ne sait toujours pas si c’est bien elle qu’il embrasse ou l’une de ses fantasmagories qui aurait pris la forme d’une femme de son passé. Pourquoi son esprit ne peut-il se mettre en veille dans un moment pareil et se montre-t-il aussi implacablement logique ?
Elle ne veut pas arrêter...elle ne veut pas être raisonnable...elle ne veut pas qu'il retrouve ses esprits non plus...
Pourtant, résignée, elle finit par s’arracher à sa bouche et recule. Echevelée, les lèvres gonflées et la respiration précipitée, elle offre inconsciemment un spectacle charmant.

- Ebène…murmure-t-elle, une paume caressante sur sa joue…tu…tu n’es pas vraiment toi-même…tu ne sais pas ce que tu fais…ni sans doute à qui tu le fais…Tu as besoin de manger et de repos…

Ébène découvre avec un certaine surprise que ce genre de mécanismes corporels  ne s'oublient pas. Le sexe, c'est comme le vélo. Il retrouve les marque posées par Lucinda en son temps. La première manifestation de désir de sa vie et, pensait-il alors, l'unique. Il se trompait lourdement.

Théodora est savoureuse. Il se délecte de son onctuosité sensuelle, de la suavité de ses papilles sur sa langue, du goût magique de son abandon. Met rare et raffiné. Ses mains font des choses dont il n'a pas complètement conscience. Il prodigue des caresses malhabiles et enfievrées, de la chair humaine et pulpeuse plein les doigts.

Théodora rompt leur baiser et il se tend vers elle, dans l'optique de remédier à ce problème. Elle renvoie une impression tellement réaliste : son chemisier froissé, baillant sur sa poitrine ; sa bouche rouge et humide d'avoir été sucée ; sa chevelure en bataille dont quelques mèches tombent erotiquement à la commissure de ses lèvres...

- Ebène…?
- Oui....?
- Tu…tu n’es pas vraiment toi-même…tu ne sais pas ce que tu fais…ni sans doute à qui tu le fais…
- Tu... Tu n'es pas Theo ? Fait-il troublé et en proie de nouveau à la confusion.
- Tu as besoin de manger et de repos…
- D'accord... Fait-il docilement, son cerveau ensuqué de fatigue favorable à la suggestivité. Un instant d'angoisse sourde. Tu restes avec moi n'est-ce pas ?

- Tu…tu n’es pas vraiment toi-même…tu ne sais pas ce que tu fais…ni sans doute à qui tu le fais…
- Tu... Tu n'es pas Theo ?

Elle le scrute, soudain troublée. Visiblement, il sait maintenant qui se trouve sur ses genoux. Ce qui ne change en rien le fait qu’il soit terriblement confus. Ses lèvres se retroussent dans un sourire tendre alors que son pouce caresse toujours sa joue.

- Si…si c’est bien moi. Tu as besoin de manger et de repos…
- D'accord... Cette fois l’idée de dormir ne provoque aucune crise. Tant mieux. Tu restes avec moi n'est-ce pas ?
- Jusqu’à ce que tu n’aies plus besoin de moi. Ça te va ?

Elle le repousse avec délicatesse contre le dossier du canapé et accompagne son mouvement pour venir déposer un baiser chaste et spontané sur ses lèvres.

- Je vais juste dans la cuisine. Je ne m’en vais pas…

Elle se redresse et retourne à ses courses et ses sacs, les pensées embrumées et le corps échauffé. Theo prend cinq secondes pour retrouver ses esprits. Elle passe inconsciemment la langue sur ses lèvres comme pour retrouver le goût des siennes mais se secoue bien vite. Ebène a besoin de nourriture. Elle finit de ranger les courses et commence à assembler ce qu’elle avait déjà pré-cuit chez elle. Elle n’a plus qu’à préparer la sauce pour son Kochari. Ce qu’elle s’attèle à faire sans tarder. Emincer et cuir les oignons et l’ail, rajouter la sauce tomate, le piment, le cumin et quelques autres épices. L’appartement du docteur commence à sentir les bonnes odeurs de cuisine égyptienne. Elle n’a plus qu’à faire griller les macaronis, réchauffer le riz, les pois chiches et les lentilles ensemble. Deux assiettes dressées, elle revient vers Ebène qui par miracle ne s’est pas encore endormi.

- Voilà ! lance-t-elle en lui tendant assiette et couverts. C’est un plat typique d’Egypte. La femme qui nous hébergeait nous faisait souvent ça le matin avant les fouilles. Crois-moi ça tient au corps ! Prise d’une impulsion, elle prend une belle portion sur sa fourchette et l’approche de la bouche du docteur. Mange, l’encourage-t-elle doucement. Est-ce que ta fille est au courant que tu te traites si mal ?

Maintenant qu'il a cédé à son envie de l'embrasser, dormir ne lui apparaît plus aussi dangereux. Theodora, qu'elle soit tissée de rêve ou de concret, ne semble pas être écœuré par sa conduite et sa personne. Pour son esprit ensuqué de fatigue, c'est la seule donnée qui importe, surnageant bien loin au dessus de ses principes.

Combien de temps attend il affalé sur ce canapé ? Il l'ignore. Le temps et l'espace sont aussi distordu que le tissu de la réalité. Lorsque l'on pose sous son nez une assiette pleine d'une nourriture indistinct (un conglomérat de féculents aux épices apparemment) son corps attrape derechef un fourchette pour y plonger et enfourner dans sa bouche le salvateur substrat. Sa carcasse affamée, reconnaissante d'être enfin sustanter pilote en automatique et dévore sans la moindre délicatesse. Une fois l'assiette vidée, il la tend vers la cuisinière avec la même brusquerie dépourvue de manière qu'un enfant.

- Encore !

Sa cervelle réalise son manque total de politesse et de considération. Elle tente de tempérer.

- C'est nourrissant. Ce qui dans sa bouche est un compliment. Pourrais-je en avoir encore ?

Alors seulement se sent-il en mesure de répondre à sa question.

- Marisol a des priorités plus pressantes que de veiller sur ma santé. Elle recolle les morceaux d'un homme brisé, protège ses intérêts et veille au bien être de la plupart des travailleuses du quartier. Mais elle me gave comme une oie, chaque fois qu'elle me voit. Silence. Nos retrouvailles ont été heureuses si telle était la question.

Theo le regarde dévorer avec un bel appétit son assiette. Au moins son corps semble se rappeler qu’il a besoin d’énergie pour continuer à fonctionner. Elle ne lui demande s’il trouve ça bon, elle n’est même pas certaine qu’il prenne le temps d’apprécier le goût de son plat. Peu importe après tout, l’essentiel est qu’il mange ! La combination des lentilles et des féculents est extrêmement nutritif.

- Encore !

Elle regarde son assiette parfaitement vidée qu’il lui tend et éclate de rire.
- C'est nourrissant.
- Je sais…c’est fait pour. Je me doutais que tu en aurais besoin.
- Pourrais-je en avoir encore ?
- Evidemment. Avec plaisir !

Elle se lève pour le resservir généreusement et rapporte également un verre d’eau qu’elle lui présente d’abord avant de lui donner sa deuxième part. Pour sa part, elle cale déjà sur sa propre portion.  

- Marisol a des priorités plus pressantes que de veiller sur ma santé. Elle recolle les morceaux d'un homme brisé, protège ses intérêts et veille au bien-être de la plupart des travailleuses du quartier.
Accoudée au dossier du canapé, elle le regarde manger et le couve d’un regard attendri.
- Effectivement, elle me semble bien occupée… Mais ne t’en fais pas, moi aussi je prends mon « travail » très au sérieux. Je veillerai sur toi, guérisseur et magicien des temps modernes. C’est ce que nous faisons.
- Mais elle me gave comme une oie, chaque fois qu'elle me voit. Nos retrouvailles ont été heureuses si telle était la question.
Theodora sourit largement.
- J’en suis heureuse. J’étais certaine que les choses se passeraient bien. Il y a des liens qui ne se brisent jamais.
Elle le laisse finir sa deuxième assiette, la débarrasse puis l’aide à se remettre debout. Sans un mot, elle le guide vers sa chambre et constate qu’il n’oppose aucune résistance. La chambre n’a pas bougé depuis la dernière fois qu’elle est venue si ce n’est que le lit semble moins froissé. Logique puisqu’il semble ne pas y passer assez de temps. Theo vient se poster devant lui, un léger sourire aux lèvres.
- Maintenant, au lit…

Elle commence lentement à défaire les boutons de sa chemise, les yeux fixés sur ses doigts en essayant de voir la situation sans arrière-pensée. Effort démenti par la légère rougeur de ses joues. Ses mains à nouveau gantées font glisser sa chemise de ses épaules en essayant de ne pas trop toucher sa peau, quand bien même elle en meurt d’envie, puis s’attaque au bouton de son pantalon. Cette fois elle scrute droit devant elle, sur son torse nu donc et laisse le pantalon tomber au sol dans un chuintement de tissu.
Tant pis pour le pyjama, il restera en caleçon. Elle l’oblige à reculer doucement jusqu’à ce qu’il s’écroule sur le matelas. Lorsqu’elle remonte le drap vers le haut, elle n’arrive pas cette fois à contrôler totalement ses yeux qui glissent sur son corps, presque entièrement nu. Assise sur le bord du lit, ses doigts jouent à nouveau dans ses boucles sombres.
- Je vais rester jusqu’à ce que tu t’endormes, d’accord ? Ferme les yeux, souffle-t-elle. Demain, tu verras les choses plus clairement.

Demain, il retrouvera son détachement habituel... demain, elle redeviendra "son travail"...
Comme elle aimerait que le temps s'étire pour que demain n'arrive pas...

Le corps rassasié, une langueur digestive s'abat sur la cervelle d'Ebène. Il se laisse guider par la main comme un enfant, l'esprit toujours flottant.

- Maintenant, au lit…

Théodora s'emploie à le déshabiller. Rena avait fait la même chose en son temps. Ils avaient bu, se rappelle-t-il, et sa conscience baignait dans le même genre de vapeurs doucereuses. Il la contemple défaire les boutons un à un de ses vêtements, de ses prunelles fixes, ténébreuses, prêtes à vous gober.
Théodora possède des cils sombres d'une longueur improbable, fournis et noirs. Ses joues pleines ont la texture du velours et la teinte de pivoines délicatement écloses. Il est presque tenté de planter ses dents dedans.
Toute cette parade fait étrangement écho à la nuit où il engendra sa fille. De fait, par réflexe pavlovien sans doute, son corps s'est tendu jusque dans les parties les plus intimes de son anatomie. Un état de fait que trahit le tissus de son boxer.
Théodora fait mine de ne rien voir, l'allonge puis le borde

- Je vais rester jusqu’à ce que tu t’endormes, d’accord ? Ferme les yeux. Demain, tu verras les choses plus clairement.

Il retient la main qui explore ses boucles et fait glisser insidieusement le satin jusqu'au poignet. Ses doigts caressent la peau martyrisée.

- Allonge-toi avec moi.....

A nouveau il la retient, à nouveau, elle ne résiste pas.
Le satin de ses gants se retrousse jusqu’à la naissance de ses cicatrices et les doigts d’Ebène s’y faufilent, explorent la peau abimée. Son corps se hérisse de chair de poule, reconnaissant un geste intime et délicat. Jamais personne, jamais aucun homme n’a touché ses mains comme il le fait. D’ordinaire, compagnons ou amants de passage préféraient qu’elle les garde, trouvant ça plus « sexy ». Theo n’a jamais été dupe, ses gants n’ont jamais été érotiques et ce qu’ils cachent a tout du tue l’amour.
Est-ce différent avec Ebène parce qu’il est médecin ? Peut-être…

- Allonge-toi avec moi…

Elle le scrute dans les yeux, mord sa lèvre, hésitante, tente de trouver une logique à cette demande puisqu’il lui a bien fait comprendre que ses sentiments ne peuvent s’exprimer. Son corps le fait pour lui cela dit, si elle en juge ce qu’elle a constaté au niveau de son boxer. Réflexe corporel. Elle ne voulait pas y croire pour le sourire, mais pour « ça », ça lui parait l’explication la plus logique
Il y a donc une autre réflexion derrière. Sans doute en a-t-il assez d’être seul… Zombie ou pas, l’Homme est un animal social qui a besoin de la compagnie des autres.
Sauf qu’elle n’est pas comme lui, elle a une âme et un cœur et doit les préserver un minimum. Elle aurait de très bonnes raisons de refuser, d’excellentes raisons. Et pourtant…

- D’accord…quelques minutes…

Elle fait le tour du lit et éteint la lumière au passage, baignant la chambre de néon comme la première nuit qu’elle a passé ici. Ses chaussures soigneusement alignées au pied du matelas, elle y grimpe à ses côtés. Elle rapproche son oreiller du sien et se tourne vers lui. Lentement sa main, où le gant est déjà à moitié relevé, retrouve son chemin sur son torse et recouvre son cœur. Un coude sous la tête, elle le contemple avec un petit sourire.

- Satisfait ? Dors maintenant.

D’elle-même, elle se met à lui parler, lui rapporte ses travaux des derniers jours…et ses échecs donc, la colère qu’elle ressent de plus en plus forte et systématique. Patiente, elle attend, caressant du pouce ce palpitant qu’elle sent battre contre sa paume.

Théodora réfléchit et il profite de cette latence pour retirer complètement son gant. Le contact des dénivelés irréguliers de son derme sous ses doigts le fascine. Son corps, plus honnête, s'en excite.

- D’accord…quelques minutes…

Elle s'installe et appose sa paume au centre de ses pectoraux. Ébène pousse un soupire de soulagement inconscient, comme si l'ordre naturel des choses était rétabli. Il tourne le regard vers elle.

- Satisfait ?
- Je crois.
- Dors maintenant.
- Parle-moi.

Son timbre égal s'est creusé de quelques octave. Theo bavarde, il ne s'échine pas à faire la conversation, il écoute simplement. La mélodie de sa voix est d'une rare harmonie. Ses tympans accaparés, il occupe ses doigts. Il retire son autre gant, puis s'intéresse à la blancheur de son cou qu'il effleure délicatement. Sans la quitter des yeux, il déboutonne son chemisier et met à jour un corsage en dentelles du plus bel effet.

- Continue de parler...

Ordre soufflé pendant qu'il continue de la déshabiller en l'epinglant de son regard.

Theo essaie de rester la plus sereine possible, de lui transmettre une sorte de calme apaisé pour le faire glisser dans le sommeil. Sa main sur sa peau nue est pourtant difficile à ignorer. Un reflexe épidermique lui gratte l’esprit : la retirer avant qu’il ne démontre son dégoût. Mais il ne fait rien de tel et la fixe un moment, apparemment rétif à s’endormir malgré son état d’épuisement total.

Il commence par retirer son deuxième gant, faisant émerger sa chair amochée du satin. Il ne s’arrête pourtant pas là et ses doigts courent sur la peau de son cou. Elle inspire bruyamment, lève imperceptiblement la tête comme pour l’inviter à poursuivre son exploration. Sa voix a quelques trémolos, quelques dérapages et se fait plus soufflée. Impossible qu’il loupe à quel point son pouls s’est emballé, frappant comme un fou furieux contre sa veine. Mais sa main descend, s’attèle à ouvrir son chemisier.
Cette fois elle se tait, elle avait réussi à conserver la parole jusque-là, et le regarde faire, comme hypnotisée. Ca n’est que lorsque son corsage devient visible que son cerveau se remet à fonctionner normalement. Elle attrape sa main et se redresse sur un coude, ne faisant que révéler un peu plus ce que dissimile sa chemise.

- Ebène… ? Qu’est-ce que…qu’est-ce que tu fais ? chuchote-t-elle assez inutilement. Elle sait bien ce qu’il fait. La vraie question est pourquoi le fait-il ?
- Continue de parler...

Ses lèvres s’entrouvrent mais happée par son regard sombre, elle en perd momentanément la faculté de parler.

- Je… je ne sais plus quoi dire…continue-t-elle finalement sur le même ton. La main qu’elle a conservé sur son torse remonte, effleure les poils clairsemés de sa courte barbe, l’angle marquée de sa mâchoire, ses lèvres…Elle redécouvre la texture et la douceur de la peau d'autrui avant de la retirer doucement et de fermer le poing qu'elle cale entre ses seins comme s'empêcher de continuer.

- Tu…tu es sensé dormir ?! ...elle ne sait pas vraiment si cela sonne comme une question ou un ordre. Ses capacités à réfléchir correctement ont été court-circuitées à partir du moment où il l’a touchée.

Ébène suspend son effeuillage lorsque Theo le caresse de ses doigts esquintés. Une sorte de frisson lui fait clore les paupières à demi. Son corps réclame, au même titre que la nourriture, d'être touché davantage.
N'écoutant aucune de ses suppliques, il s'empare de ce poing dont il épluche les doigts un à un. Lorsqu'il trouve enfin le cœur de cette fleur de chair, il y plonge le tarin pour en respirer le parfum, y enfouir son visage dans cette paume étrange et rugueuse. Il embrasse chaque aspérité curieuse, chaque bombé trop lisse. Son toucher électrise et anime sa carcasse. Il n'a plus un seul neurone valide pour  parasiter ses instinct primaires.

- Je m'y emploie.

Il applique le conseil de Colgan : il va coucher avec elle pour la sortir définitivement de sa tête. Après, seulement, il s'abandonnera au repos. Il investit l'espace vital de Théodora un peu plus et s'emploie à défaire sa boucle de ceinture et deboutonner son pantalon.

- Tu t'es couchée toute habillée. Explique-t-il tout en faisant glisser d'autorité son pantalon sur ses hanches et sous ses fesses galbées

Malgré son ton monocorde dépourvu du moindre affecté, quelques indices trahissent son excitation : l'intensité fiévreuse de son regard, la tessiture plus rauque de sa voix,.... La formidable érections qui pulse contre le ventre de Theo, au travers la dentelle raffinée de son body-bustier.

-.... Tes mains.... Mets tes mains sur moi.... exige-t-il soudain.

Theo le regarde faire avec une crainte mêlée de fascination. Quand va-t-il se détourner de sa chair meurtrie et immonde ? Ça n’est forcément qu’une question de temps ! Elle émet une sorte de hoquet, à la fois choquée et exaltée, lorsqu’il pose ses lèvres sur sa main puis la parsème de baisers. Sa respiration s’accélère et devient plus lourde, comme prisonnière de son bustier qui la serre soudain beaucoup trop.  

- Je m'y emploie.
- Non…pas vraiment…

Il finit par relâcher sa main et s’attaque à présent à son pantalon.
- Ebène ? … Son couinement est presque désespéré.
- Tu t'es couchée toute habillée.
Pourquoi l’aide-t-elle donc à faire rouler son pantalon le long de ses jambes ? Elle devrait plutôt arrêter tout ça. Elle ne comprend pas ce qu’il lui prend, ce qui a changé… Son ton laisse suggérer que ce qu’ils font ne lui fait ni chaud ni froid. Mais que dire alors de ce qu’elle sent tout contre elle ?
Réflexe physiologique… ?
Et ses regards ? La fièvre qu’elle y lit est-elle un signe de fatigue ou…d’autre chose.
Tout s’embrouille dans sa tête… et le fait qu’il ne cesse pas de toucher ses mains n’arrange pas les choses. Elle n’ose pratiquement pas bouger et ne veut pas le toucher de ses mains nues.

Tu réfléchis trop petite humaine…profite ou je le ferais pour toi…
Certainement pas !
La colère flamboie dans le regard de Theo pendant un bref instant, rendant ses iris plus fauve, avant que la voix d'Ebène ne l'éloigne d'un coup.

-... Tes mains... Mets tes mains sur moi...

Theo déglutit mais obéit à nouveau sans broncher. Elle se redresse un peu et se débarrasse de sa chemise déboutonnée, le corps uniquement couvert de dentelle délicate. Sans quitter son regard sombre, elle approche ses mains de ses épaules et les pose timidement d’abord, comme dans l’attente d’un rejet, avant d’y aller plus franchement. Elle les pétrit doucement puis descend sur son torse, traçant les muscles du bout des doigts et s’invite sur son ventre. Elle passe ensuite sur les côtés puis le dos qu’elle explore avec un peu plus de fermeté. Pour la première fois depuis une éternité ses doigts retrouvent le contact d’un corps masculin et enhardis par l’expérience, ils n’hésitent plus, prennent pleinement possession et savent se faire caresses subtiles pour faire frissonner le derme.

Theo se hisse à nouveau sur les cuisses d'Ebène et encadre soudain son visage à pleine main pour l’embrasser. Ses lèvres se montrent d’abord délicates et douces, avant d’investir sa bouche avec plus d’avidité. Ses paumes retrouvent ses larges épaules et elle se sert contre lui, ondulant instinctivement du bassin.
- Touche-moi…supplie-t-elle à son tour en guidant ses longues mains sur son propre corps. Embrasse-moi… fais-moi l’amour…   

Ébène sent son corps émettre des réactions qu'il ne comprend pas : la peau grêlée de plaisir, la respiration saccadée, les grognements sourds, l'extrême sensibilité de son penis rigide et suintant... Ses mains sur sa carcasse couturée déchaîne des tempête dans sa coquille vide. Il a la tête qui tourne de ce soudain plein dans son vide.

- Encore ! Réclame-t-il.

Théodora se libère brusquement de ses inhibitions. Elle le chevauche avec une sauvagerie qui exige sa rédition immédiate. Elle lui dévore la bouche et lui commande de la posséder sur le champ. Soumis déjà à une Déesse, il se plie à la volonté de celle-ci en lui empoignant les cuisses, puis les hanches qu'il pétrit sans réelle douceur mais avec une réelle envie. Il aggripe le haut de son bustier et tire brutalement dessus. Ses seins se libèrent comme deux fruits dodus et juteux. Il vient y planter ses dents, en modeler le charnu avec sa langue, en pétrir le volume gourmand. Ses gestes sont malhabiles, pas assez tendre, parfois trop. Il fait montre d'une étonnante énergie pour un demi-mort.
Ébène bascule Theo sous lui et lui écarte les cuisses. Il prend quelques secondes pour la contempler en silence. Sa chevelure noire éparpillée sur l'oreiller, sa bouche pulpeuses et humides de ses baisers, ses mains exceptionnelles, ses mamelons luisants : il imprime sa sensualité débordante sur sa rétine.

Son membre tendu déforme son boxer et en tâche le tissu. Il frotte l'aine de la jeune femme. Le zombie semble soudain désemparé par la marche à suivre.

- Encore !

Theo prend un plaisir extrême à explorer le dos d’Ebène. Cicatrices contre cicatrices, elle comprend soudain comment les siennes lui paraissent à ce point fascinantes. C’est comme lire le passé de l’autre dans le parchemin de sa peau. Elle n’en perd aucune marque et ne s’arrête finalement que lorsque le haut de son bustier chute. Elle enlace amoureusement sa tête alors qu’il couvre sa poitrine de caresses et de baisers qui lui font tourner la tête. Sa tête ploie vers l’arrière alors que des gémissements ininterrompus s’échappent de ses lèvres entrouvertes.

Impossible de croire que cet homme est plus proche du zombie que de l’humain. Son appétit charnel est tout ce qu’il y a de plus vivant, tout comme le regard qui l’enrobe totalement alors qu’il l’a basculée sur le matelas.
Le sentant alors moins sûr et comme à l’arrêt, elle glisse ses mains entre ses propres cuisses pour défaire les agrafes de son body. Puis lentement, elle place ses paumes sur les hanches d’Ebène et glisse ses doigts sous le tissu de son boxer pour le faire dévaler ses longues jambes, libérant son membre de sa prison de tissu. D’une main derrière sa tête, elle l’attire plus près, jusqu’à pouvoir happer sa lèvre entre ses dents, joueuse, ses yeux gris tempête plongé dans les siens. Au même moment, elle referme doucement ses doigts sur son sexe tendu et imprime un délicat mouvement de va et vient.

La chevelure rendue plus sauvage encore par le passage de ses phalanges, les yeux pétillants soudain, Theo le trouve plus séduisant que jamais. Elle fait durer cette douce torture quelques minutes, le regard à l’affut de la moindre expression qui viendrait troubler l'impassibilité de ses traits.

Mais son corps réclame plus.

- Viens…chuchote-t-elle en écartant à nouveau les cuisses. Elle le guide en elle sans quitter les ténèbres de ses prunelles et se mord la lèvre en ressentant un léger inconfort, preuve que la dernière fois qu’elle s’est laissée aller dans les bras d’un homme date. Elle agrippe les fesses fermes d’Ebène à pleines mains et pousse un long cri libérateur lorsqu’il s’invite pleinement en elle.

- Ebène, souffle-t-elle avec une sorte d’émerveillement avant de chercher ses lèvres.
Ses mains se gavent de sa chair en parcourant son grand corps imbriqué dans le sien. Lentement elle ondule à nouveau du bassin, libérant des plaintes sonores et imprimant un rythme langoureux qu’elle l’invite à suivre.

Ébène contracte la mâchoire, assailli par la brutalité exquise des mains de Théodora. Son corps se souvient, de tout. Sa respiration gronde tout contre les lèvres de la jeune femme. Il grogne, son front collé au sien, la marée noire de son regard innondant ses yeux bleus.
Ses changements d'expression sont de l'ordre de l'infime, elles reflètent bien mal son chaos intérieure. Son désir se traduit par un masque de rage contenue.
De la rage qui n'en est pas.

- Viens....

Il se glisse en elle, guidé par ses mains sublimes et martelées d'histoire. Son râle ressemble à celui d'une bête en colère et finit en plainte étouffée. Il écoute cette sonorité qui lui semble étrangère et qui pourtant jaillit bel et bien de sa gorge. C'est tellement plus puissant et délectable que ses songes insatisfaisants.

- Ébène...

Tout en Théodora célèbre la Vie dont il est dépourvu : ses cris de jouissances, la chaleur de sa matrice, la moiteur de ses lèvres, la fièvre de son souffle. Il s'en repêt. Il nourrit les abîmes de son âme absente de cette flamme généreuse. Ébène accentue ses coups de reins, sur le métronome de son cœur dont les pulsations sont de plus rapides.
Alors, seulement, une expression véritable trahit la puissance de ce qu'il eprouve. Un sourire euphorique et passionné le transfigure, juste avant que l'exaltation finale ne le fauche. Il s'oublie profondément en elle, dans cri qu'il jugule tant bien que mal en gémissement. Ébène s'écroule contre la gorge de sa compagne, la ferveur voluptueuse de Théodora scarifiée dans la peau au même titre que la marque d'Erzulie.

Theo se laisse porter pendant d’exquises minutes, se contentant d’accompagner ses mouvements, les jambes enserrant les hanches de son amant, les bras ancrés à son cou. Sa bouche alterne entre soupirs et gémissements et se colle souvent à la sienne. Les sons qui sortent de celle d’Ebène la font vibrer comme les cordes d’un violon.
A bien y regarder et écouter, il semble presque…en colère.

Non pas de la colère. Elle la reconnaitrait pour la côtoyer bien trop souvent depuis que Sekhmet s’est invité dans son esprit.
Elle aimerait l’aider à exprimer ce qu’il ressent, aimerait…
Toute pensée cohérente la quitte lorsqu’il accélère le rythme et elle se laisse emporter par une houle plus vigoureuse et bien plus délicieuse. Elle en mord le charnu de son bras pour étouffer une plainte grondante. Elle le supplie sans plus de pudeur d’aller plus vite, plus fort. Elle veut tout de qu’il peut lui donner, sans concession. Et à mesure que le plaisir grimpe elle se fait plus animale, plus guerrière, griffant son dos, les étourdissants de baisers sauvages.
Jamais elle n’a fait l’amour depuis son avatarisation et tout lui semble plus brut, plus … divin. Sa peau se pare d’un halo subtil, la couvrant d’or, qui ne fait que s’étendre alors qu’elle atteint bientôt le bord du gouffre.  

Theo scrute les traits d’Ebène, espérant percevoir une preuve quelconque qu’il n’y a pas que son corps qui exécute cette danse en mode automatique, qu’il ressent quelque chose.
Elle est alors témoin d’un sourire si beau, si vibrant qu’il métamorphose son visage, fait étinceler ses yeux le rendant bien plus expressif qu’il ne l’a jamais été alors qu’il tremble au-dessus d’elle. Elle dévore ce sourire des yeux avant de le happer entre ses lèvres avec une férocité conquérante.

Ce sourire est à elle, pour elle.

C’est ce qu’elle veut croire à cet instant et il ne lui en faut pas plus pour partir à son tour. Son corps se tend, luit d’une lueur presque aveuglante alors que son esprit explose en milliard d’étincelles dans un cri étranglé.  
Le souffle erratique, elle accueille le corps d’Ebène dans ses bras et l’enlace étroitement, emmêlant leurs jambes pour l’empêcher de bouger. Elle a un petit rire ébloui et glisse ses doigts dans la chevelure humide du docteur, embrassant doucement son front moite.  

- Tu vas bien ? chuchote-t-elle.

Ébène embrasse la lumière au sens littéral. Theodora luit comme un astre et son éclat l'engloutit. Le souffle rauque, la cervelle baignée d'hormones, la peau ruisselante de sueur, le bon docteur se sent gagné par une torpeur bienheureuse. Le rire de la jeune femme tintinnabule délicieusement à ses oreilles. Il ronronne comme un gros chat lorsqu'elle flatte son crâne au travers de ses boucles.

- Tu vas bien ?
- Hum....

À elle d'interpréter ce grondement de la manière qui lui convient. Ébène plonge dans un sommeil profond, en respirant sa peau gorgée de soleil. Il s'endort comme une pierre tombant dans le limon douillet de son lac, indifférent au monde alentour. Son corps a mangé, bu, s’est rassasié de plaisir et aspire à présent à dormir.

Il ne devait se réveiller que dans l'après-midi du jour suivant.

Le pif dans les draps, il peine un moment à retrouver ses sens. Où est-il ? Quelle heure est-il ? Autant de questions vagues qui n'obtiennent pas de réponses immédiates. Il ne porte pas de pyjama et son odeur corporelle est plus musquée que d'ordinaire, signe d'une probable suée nocturne. Son cerveau peine à faire le point. Néanmoins, il se sent bien plus alerte que ces derniers jours. Il se redresse en s'étirant et se lève, indifférent à sa complète nudité lorsque les draps glissent sur lui pour le libérer.
Il ouvre la porte en se frottant les yeux.
Il a faim (à sa propre surprise), besoin d'un café (moins surprenant), possiblement d'une douche (optionnel). Toujours nu comme un ver, il se dirige au radar vers la cuisine pour trouver sa cafetière fumante (ah ?) et le frigo plein (tiens donc...). Sa mémoire se met alors en marche , extrayant des images aussi charmantes que parfaitement inconvenantes des événements de la veille.

Il se retourne lentement.
La vision de Theodora dans son canapé lui fait dire qu'il n'a pas rêvé.
Il a mangé, dormi et couché avec elle.
Il a apprécié, selon toute vraisemblance.
L'a-t-il toujours dans la tête à présent ?

C’est à vérifier.

- ...... Bonjour ?.. Bonsoir, peut-être. corrige-t-il après un silence.

Theo n’insiste pas.
Elle sent bien qu’il n’est plus en état de répondre à quoi que ce soit et plonge déjà dans une somnolence qui annonce un sommeil plus profond. Elle le regarde basculer dans les bras de Morphée, à l’abri dans les siens. Ses doigts continuent ses caresses tendres jusqu’à ce que son souffle se fasse lourd et légèrement ronflant. Elle tente d’extraire son corps de sous le sien mais y renonce rapidement. Elle n’est plus tellement vaillante non plus et ne veut pas briser cette langueur post-orgasmique. Alors elle ne bouge plus et finit par fermer les yeux à son tour.

Lorsqu’elle se réveille la matinée est presque déjà terminée. Ils sont tous deux inondés par le soleil et toujours emmêlés l’un à l’autre. Sauf qu’Ebène a basculé sur le dos et que Theo se sert de son torse comme oreiller. Les souvenirs de la veille lui reviennent petit à petit et elle sourit largement avant de relever la tête, admirant le faciès séduisant du docteur. Les cheveux emmêlés et plus sauvage que jamais, la bouche légèrement ouverture il est l’image même de l’abandon innocent et dort encore profondément. Elle se redresse un peu et dépose un baiser sur sa joue puis, après s’être étirée comme une chatte au soleil, se rhabille un peu, les joues rougies en se rappelant chacun des gestes d’Ebène, de ses baisers sur sa peau.

Elle commence par une bonne douche et sa peau retrouve le parfum de citron de la dernière fois. Son corps profite un long moment de l’eau chaude, les cheveux noués sur sa tête. Elle remet ensuite ses vêtements et range les reliquats du repas de la veille en se faisant couler un bon café, seule chose qu’elle savait trouver dans l’appartement. Elle attend un moment, un sourire stupidement satisfait aux lèvres, mais ne voyant pas Ebène émerger, elle se décide à griller quelques toasts pour petit-déjeuner seule.
Une montagne de pensées envahit son esprit alors qu’elle mâchonne sa tartine de beurre et de confiture. La première était : Comment réagir à ce qu’il s’est passé ? ou plutôt Comment réagira-t-il à ce qu’il s’est passé ?
Ebène Maintenon n’est clairement pas le genre d’homme à se mettre en couple, d’ailleurs les évènements d’hier soir ne sont sans doute que le résultat de la fatigue combinée à un pur besoin physiologique. Il n’y a eu aucun geste ou mot tendre d’échanger ou presque. Juste deux adultes consentants qui trouvent le plaisir avec l’autre. En somme elle était là au bon moment et lui a peut-être simplement éviter de payer une professionnelle…qu’en sait-elle après tout !

Sauf qu’elle n’est pas comme ça…Elle n’arrive pas à compartimenter les sentiments loin du désir. Pour des raisons qu’elle ne s’explique pas tout à fait, le docteur lui plait, même beaucoup… malgré son statut d’esclave-zombie. Mais ce même statut signifie clairement qu’elle ferait bien mieux de barricader son propre cœur à double tour.
Alors que fait-elle encore dans son apparemment ? A soupirer comme une adolescente après sa première nuit d’amour ? Qu’espère-t-elle au juste ?

- A quoi tu joues Theo ? se demande-t-elle à voix haute.
Tu réfléchis trop !

Non, elle ne réfléchit pas assez...
L’halopéridol.
Elle est là pour ça. Elle va attendre qu’il se réveille, lui demander le calmant et repartir sans plus remettre les pieds dans cette chambre ! Voilà… c’est exactement ce qu’elle va faire. Oublier hier soir, se concentrer sur sa tâche et puis l’aider à son tour.
Forte de cette résolution, elle brique la cuisine de fond en comble ne laissant des traces de son passage que dans la cafetière et les placards et frigo bien remplis. Ensuite seulement, elle s’autorise à s’écrouler sur le canapé. Elle enfile ses gants, son armure de satin en essayant de refouler les réminiscences des baisers qu’il a déposé sur ses mains. Lunette sur le nez, elle se plonge dans la suite du livre qu’elle a entamé la dernière fois sur le vaudou.
Lorsqu’il reparait dans la pièce principale, nu comme un ver, elle l’observe un instant par-dessus ses lunettes, les yeux écarquillés. Il lui offre une vue imprenable sur ses fesses et son dos couturé. Se souvient-il seulement de sa présence dans son apparemment ? Rien n’est moins sûr. Mais il se tourne finalement vers elle, impossible de savoir s’il est surpris de la trouver là.

- ...... Bonjour ?... Bonsoir, peut-être.

Elle a un petit sourire embarrassé…le moment tant redouté…

- Bonjour pour le moment…plus pour très longtemps je crois…

Incapable de supporter de rester assise, elle se redresse et vient le rejoindre dans le coin cuisine en posant le livre sur le bar qui sépare la cuisine du salon. Elle tente de faire abstraction de sa nudité et lui fait couler un café.

- Tu sembles reposé…juge-t-elle après lui avoir jeter une petite œillade de côté, en glissant une mèche de cheveux derrière son oreille.
Elle finit par lui tendre la tasse pleine en gardant bien ses yeux dans les siens.

- Si tu veux…tu peux prendre une douche…Pendant ce temps si tu as faim, je peux te faire quelque chose à manger ? Ne t’en fais pas, je ne compte pas m’incruster chez toi, déclare-t-elle avec un petit rire nerveux. Je…j’ai juste besoin de l’halopéridol et je te laisserais tranquille.
Comme il ne fait pas mine de bouger tout de suite, elle se sent l'obligation de préciser.
- Ebène ? Tu...tu sais que tu es nu, n'est-ce pas ?