- Je suis là. Elle est moi et je suis elle depuis un moment déjà.
- Une sorte de fusion de vos esprits sans que ça t'aie affectée ou changée… la meilleure des options possibles si j'ai bien compris ce qu'Ebène m'a expliquée. Comment...comment tu as réussi ?
- Mais ouais, ça picote à l'arrière de la nuque, c'est super bizarre ! Donc toi et ... Sekhmet c'est ça ? Vous êtes coloc' depuis longtemps ?
- Ca va bientôt faire deux ans que je l'ai "libérée". Elle était enfermée dans un vieux temple que mon équipe et moi avons découvert en Égypte. Mais je parlerai plus de harcèlement que de gentille colocation. Enfin ça c'était avant le rituel...maintenant la communication est plus...facile. J'ai tellement de questions...plus tard peut-être quand tu auras du temps à me consacrer ? Je vais vous laisser en famille...
- Bah non, te barre pas à cause de nous! C'est nous qui nous sommes incrustés comme des malpropres.
- C'est-à-dire que…

Elle aimerait bien lui dire qu'elle ne se sent pas vraiment à sa place mais n'en a pas le temps.

- Je ne te le fais pas dire.
- Heeey ! tu m'as filé tes clés j'te signale! Et on a apporté du gratin chorizo-poisson ! Recette maison ! Depuis la dernière fois qu'on s'est vus, j'avais peur qu'il se nourrisse pas cet idiot !

Theo sourit. Elle perçoit toute l'affection que Marisol porte...à son père - il va bien falloir qu'elle s'y fasse - dans cette dernière phrase.

- C'était plus ou moins le cas avant que j'arrive hier soir, précise-t-elle avec un air plus malicieux à l'intention d'Ebène.
Marisol montre soudain la gorge de la jeune femme et ajoute.
- Mais, je vois qu'il mange quand même…

Theo s'étrangle presque de gêne et pince les lèvres en portant une main gantée à son cou pour camoufler bien inutilement les marques.

- Marisol...
- Pas de commentaires... ouiiiiiii! Mais c'était trop tentant avoue !

Devant le regard insistant de sa compagne, Colgan refait le geste de sceller ses lèvres, les coins légèrement retroussés mais vient finalement vers elle et dépose un baiser sur sa tempe.  

- Sois gentille tu veux ? Ordonne-t-il avec plus de tendresse que d'autorité. Tu voudrais pas embarasser ta nouvelle belle-maman ?...

Cette fois Theo se fige, les yeux écarquillés. Voilà une perspective qui n'avait même pas encore effleuré son esprit.
La complicité entre Colgan et Marisol est si flagrante que Theo en oublie un instant sa gêne. Elle ne peut s'empêcher de les observer avec envie. Puis elle se souvient quel genre d'épreuves ils ont dû traverser et elle se sent soudain horrible.

- Désolée, Theo c'est pas contre toi et Sek', mais je savoure la situation, c'est la première fois qu'il nous ramène une petite copine !
- Petite copine ? Oh non je ne suis…Quoi d'ailleurs ? Qu'est-elle exactement ? Elle se tourne vers le docteur et finit avec un petit sourire. Qu'un travail c'est ça ?
Son accent, pourtant à peine perceptible d'habitude ressort avec l'embarras qu'elle éprouve.
- Arrête de parler de moi comme si j'étais un chien errant ou ton gamin !
- Techniquement c'est moi l'animal errant...
- Fais pas ça c'est, dégueulasse papa !
-... Hum…  Vous mangez avec nous ? Quand je dis nous, c'est avec Theodora et moi. Je précise.

Tout ceci est si étrange !
Elle note combien Ébène semble s'animer un peu plus au contact de la jeune femme, des petits riens qui font toute la différence. L'entendre l'appeler clairement "papa" déclenche un sentiment très ambivalent chez Theodora et elle se sent soudain un peu trop...submergée… et perdue. Elle triture machinalement les bords de ses gants.

Colgan hausse des épaules fatalistes.
- Je vous dirai bien qu'on va vous laisser tranquille mais je suppose que Marisol a un autre avis sur la question….

Il va d'autorité allumer le four. Et ouvre machinalement le frigo.
- T'as encore des bières là…?
Il s'arrête soudain en le voyant presque plein à ras bord.
- T'as fais des courses, Doc ?
- Euh...non c'est moi.

Le grand rouquin hausse un sourcil amusé et sort quatre bières qu'il décapsule avant d'en tendre une à Marisol puis à Ébène.

- Tu m'en diras tant...une bière Theo ?
- Non merci...je ne peux plus en boire...Sekhmet a un rapport un peu particulier avec l'alcool. Son père l'en gavait pour la calmer. Et il faut croire que ça me rend aussi malade qu'elle maintenant...un vrai bonheur !

Pourtant Dieu sait qu'elle apprécierait quelques gouttes pour se détendre un peu. Theo ne sait plus vraiment quoi faire et contemple le docteur, indécise. A-t-il vraiment envie qu'elle reste ? Qu'elle s'immisce dans cette scénette familiale ? Elle cherche le moindre signe qu'il est d'accord mais n'en trouve évidemment aucun...même s'il ne semble pas non plus la chasser.

- Je vous dirai bien qu'on va vous laisser tranquille mais je suppose que Marisol a un autre avis sur la question….
- Allez... ça va être sympa de faire connaissance autour d'un  bon petit repas !

Ebène pousse un soupir et s'approche de Theodora. Il lui frotte maladroitement le dos.

- Désolé. fait-il à mi-voix. Ma fille est une tornade. Il vaut mieux suivre le sens du vent. Demande à Colgan... Il la pratique depuis plus longtemps que moi.
- Je t'enteeeeends....
- Oh... vraiment, fait-il avec une légère once d'ironie.
- T'as encore des bières là…?

Son beau-père hausse les épaules en toute ignorance.

- T'as fais des courses, Doc ?
- Euh...non c'est moi.
- C'est elle, confirme Ebène et, soudain, étonnant les trois autres personne dans la pièce, il embrasse la tempe de Theo en lui tenant délicatement la nuque.
- Tu m'en diras tant...une bière Theo ?
- Non merci...je ne peux plus en boire...Sekhmet a un rapport un peu particulier avec l'alcool.
- Oh merde ! Pourquoi ?
- Son père l'en gavait pour la calmer. Et il faut croire que ça me rend aussi malade qu'elle maintenant...un vrai bonheur !
- Son père c'est le Soleil, c'est ça ? Marisol secoue la tête avec une grimace dégoutée. Quelque soit le panthéon, faut que ce soit un connard manipulateur qui abuse des femmes autour de lui.

La jeune femme cherche instinctivement le contact avec Colgan. Ch'aska et désormais elle, son héritière, ont souffert des malversations toxiques du soleil. Sa malédiction les poursuit encore.
Maintenon ouvre le frigo.

- Je te sers quoi alors ? Je vois que tu as acheté des jus de fruits et de la limonade. Tu veux un cocktail sans alcool ?
- Doc', tu sais faire un cocktail ?
- Dois-je te rappeler que j'ai vécu pendant la prohibition et ses speakeasies ?

Marisol glousse. Ebène prépare tranquillement un mélange fruité avec une pointe de limonade et de grenadine.

- Hahaha, je t'imagine tellement pas dans un bar clandestin moite de la Nouvel-Orléans avec des chanteuses de jazz sexy.
- Détrompe-toi. A cette époque j'étais ami avec le fils d'un des baron de la pègre locale. Celui là même qui a permis  de préserver la ville d'Al Capone. Je fréquentais, de fait, quelques lieux prisés et illégaux de la ville.

Marisol ouvre la bouche frappée de stupeur. Elle cherche un appui auprès de Colgan ou de Theo qu'elle prend à témoins.

- Sérieusement! J'ai beau être une déesse j'm'y fais jamais quand y m'balance une anecdote de ce style ! Elle laisse une oeillade complice à Theo. Toi qui est archéologue, tu dois t'en donner à cœur joie avec mon paternel! Il a traversé tout le vingtième siècle avec le même flegme que la Panthère Rose !

- T'as fais des courses, Doc ?
- Euh...non c'est moi.
- C'est elle.
Cette simple affirmation déclenche un petit sourire involontaire mais le baiser qui suit lui fait écarquiller les yeux et précipite les élans de son cœur. Elle pivote la tête vers lui puis regarde les expressions ébahies de Colgan et Marisol. Il semble donc qu’elle n’ait pas rêver.  

- Tu m'en diras tant...une bière Theo ?
- Non merci...je ne peux plus en boire...Sekhmet a un rapport un peu particulier avec l'alcool.
- Oh merde ! Pourquoi ?
- Son père l'en gavait pour la calmer. Et il faut croire que ça me rend aussi malade qu'elle maintenant...un vrai bonheur !
- Son père c'est le Soleil, c'est ça ?  
- C’est ça, le dieu Rê… créateur de l’univers. Elle incarne son œil. Moui c’est un peu glauque… la mythologie égyptienne est…très compliquée !
- Quelque soit le panthéon, faut que ce soit un connard manipulateur qui abuse des femmes autour de lui.

Incapable de rester sans rien faire, Theo prépare quelques en-cas pour cet apéritif improvisé, se comportant, sans le remarquer, comme si elle était chez elle. Quelques tomates cerises sont mises dans un bol ainsi que des chips.  
Colgan pose sa main sur l’épaule de Marisol et la serre doucement.

- Dans la plupart des croyances le soleil est une force masculine écrasante et dominatrice. Mais sans lui les Ténèbres règneraient sur le monde. C’est sans doute pour cette raison que peu importe la mythologie, monsieur a pris la grosse tête et se croit tout permis ou presque…

Il reste notre père.

- Bref tout ça pour dire que l’alcool… ça n’est plus pour moi ! Je m’étonne déjà d’avoir gardé celui du rituel…
La façon dont il lui a été administré y est sans doute pour beaucoup…
- Je te sers quoi alors ? Je vois que tu as acheté des jus de fruits et de la limonade. Tu veux un cocktail sans alcool ?
- Si c’est toi qui me le fais, avec plaisir.
- Doc', tu sais faire un cocktail ?
- Dois-je te rappeler que j'ai vécu pendant la prohibition et ses speakeasies ?
Theo vient se hisser sur le plan de travail et l’observe préparer sa boisson. Elle aime ce nouvel Ebène, plus loquace et taquin. Même si elle se sent toujours un peu dépassée lorsqu’il évoque sa longue vie.  
- Un jour il va falloir que tu me racontes l’entièreté de ton existence…en détails.
- Hahaha, je t'imagine tellement pas dans un bar clandestin moite de la Nouvelle-Orléans avec des chanteuses de jazz sexy.
- Détrompe-toi. A cette époque j'étais ami avec le fils d'un des barons de la pègre locale. Celui-là même qui a permis de préserver la ville d'Al Capone. Je fréquentais, de fait, quelques lieux prisés et illégaux de la ville.

L’expression de Theo doit plus ou moins être proche de celle de Marisol.
- Al Capone ? répète-t-elle d’une voix blanche.
- Quel âge tu as au juste Doc ? s’interroge Colgan.  
- Sérieusement! J'ai beau être une déesse j'm'y fais jamais quand y m'balance une anecdote de ce style !
- J’avoue avoir…un peu de mal aussi.
L’euphémisme du siècle sans doute.
- Toi qui est archéologue, tu dois t'en donner à cœur joie avec mon paternel !
- Egyptologue à vrai dire, corrige gentiment la jeune femme. Mais nous, les Henning, avons toujours été attiré par les vieilles reliques. Elle dédie un sourire amusé à Ebène.  Mais je n’ai pas encore entamé les fouilles. C’est encore un peu…ahurissant de se dire que tu as l’âge de mon arrière-grand-père…
- Il a traversé tout le vingtième siècle avec le même flegme que la Panthère Rose !
Theo éclate de rire.
- Je compte bien le cuisiner sur le sujet un jour ou l’autre. Tu as gardé tes vêtements de l’époque quelque part ? Demande-t-elle soudain avec avidité en scrutant chaque recoin de l’appartement comme si elle espérait qu’ils allaient sortir de leur cachette d’eux même. Le voir dans un beau costume du début du siècle dernier lui fait soudain furieusement envie… lui retirer aussi d’ailleurs… Un peu perdue dans ses pensées, elle trésaille lorsque Colgan propose un toast.

- Au sans-gêne royal de notre tornade au doux prénom de Marisol qui a provoqué ce dîner !
Il entoure les épaules de ladite Marisol de son bras et lui baise le crâne. Theo attrape son verre et boit comme les autres. Un sourire gourmand fleurit sur ses lèvres.
- Il est excellent ! Merci.  
Elle se retient au dernier moment d’embrasser Ebène, signe qu’elle commence à se sentir plus à son aise. Trop à son aise… Après presque deux ans de solitude forcée à cause de son nouvel « état », passer une soirée en bonne compagnie est étrangement grisant.
- Alors Marisol, dis moi… comment tu as réussi à … rester toi… malgré Ch’aska ? Désolée d’être un peu abrupte mais savoir que je vais peut-être disparaitre au profit de Sekhmet … elle baisse soudain les yeux vers son cocktail et pousse un petit soupir… eh bien ça ne faisait pas vraiment parti de mes plans… J’aimerais pouvoir l’éviter,   conclut-elle avec un sourire un peu crispé.

- Je compte bien le cuisiner sur le sujet un jour ou l’autre. Tu as gardé tes vêtements de l’époque quelque part ?

Ebène jette un regard circulaire sur le foutoire romanesque du cabinet de curiosité qui lui tient lieu d'appartement.

- Hum... C'est possible.... reste à savoir où....

Il se gratte la masse capillaire en sondant son affreux petit bordel.
Colgan le coupe en portant un toast.

- Au sans-gêne royal de notre tornade au doux prénom de Marisol qui a provoqué ce dîner !
- Aux repas de famille impromptus et aux nouveaux venus autour de la table ! répond-elle gaiement en gratouillant le bouc de sa moitié et en lui collant un tendre bécot dans son poil roux.

Ebène lève sa bière mollement mais avec une ébauche de sourire qui témoigne d'un plaisir réel de vivre ce moment. Certes, le confort douillet des bras de Theo lui manque et il le regrette, mais il apprécie voir sa fille sourire tout autant. Colgan et elle ont retrouve une grande partie de cette complicité que la tragédie a pu écharper. Il s'en réjouit. (très intérieurement, la surface étant toujours aussi opaque à déchiffrer.)

- Il est excellent ! Merci, fait Theodora à son adresse.
- De rien. Et il lui chuchote à l'oreille. Si tu viens vivre avec moi, je t'en ferais d'autres. Il la toise avec grand sérieux avant de demander à Colgan de l'aider à mettre le couvert.
- Alors Marisol, dis moi… comment tu as réussi à … rester toi… malgré Ch’aska ? Désolée d’être un peu abrupte mais savoir que je vais peut-être disparaitre au profit de Sekhmet …  eh bien ça ne faisait pas vraiment parti de mes plans… J’aimerais pouvoir l’éviter.
- Hé bien.... J'ai d'abord bénéficié d'un rituel permettant de protéger mon esprit, ce qui a ralentit le processus d'avatarisation et qui a donné ce moment un peu bizarre de colocation dans un même corps. Elle touche le médaillon en forme d'étoile autour de son cou, inutile à présent. Papa t'a fait le même, je suppose ? Ch'aska et moi, on a vécu des épreuves communes, ça nous a permis de mieux nous comprendre. Mais surtout... Elle couve Colgan qui échange avec Ebène en installant les assiettes d'un regard profondément aimant. On s'est retrouvées à aimer le même homme et cet homme nous a aimées toutes les deux sans faire de différence. Le jour où nous l'avons réalisée, nous n'étions plus qu'une seule et même personne. Je suis moi, Marisol, tout en étant plus que n'était Marisol.... Je sais me battre, parler certaines langues, mobiliser certaines connaissances alors que je n'ai jamais appris... J'ai des souvenirs d'événements que je n'ai pas vécus et dans lesquels je suis quand même émotionnellement impliquée. C'est étrange et familier à la fois... C'est une partie de moi indissociable à présent.

Un silence file.

- Bon... Et toi et mon père ? ça c'est fait comment ? Je veux dire, j'adore Doc', mais c'est quand même pas le gars le plus évident à côtoyer du monde. Ma mère savait l'interpréter et il y parvenait même du fond de son lit d'hôpital. Moi, j'avoue que parfois, je suis paumée. Je trouve en tous les cas qu'il a l'air plus vivant depuis qu'il te connait. Et je sais que tu as poussé pour qu'on se revoit, alors... Elle lui bourrade l'épaule. Merci du fond du coeur!

- Il est excellent ! Merci.
- De rien. Il ajoute rien que pour elle. Si tu viens vivre avec moi, je t'en ferais d'autres.
Theo pivote la tête vers lui et laisse filtrer un petit rire.
- Oh oui, si j’accepte ça sera uniquement pour tes succulents cocktails et pas du tout pour le…reste.
Il la scrute avec tellement de gravité qu’elle presse gentiment le bout de son nez aquilin de son index ganté.
- Il va falloir monter les enchères, chuchote-t-elle à son tour avec un soupçon de sensualité avant qu’il ne s’échappe. Elle se tourne ensuite vers…sa fille (à force elle va bien finir par s’y faire). Alors Marisol, dis moi… comment tu as réussi à … rester toi… malgré Ch’aska ? Désolée d’être un peu abrupte mais savoir que je vais peut-être disparaitre au profit de Sekhmet …  eh bien ça ne faisait pas vraiment parti de mes plans… J’aimerais pouvoir l’éviter.
- Hé bien.... J'ai d'abord bénéficié d'un rituel permettant de protéger mon esprit, ce qui a ralentit le processus d'avatarisation et qui a donné ce moment un peu bizarre de colocation dans un même corps.
- Ces formidables moments où tu as l’impression d’avoir constamment quelqu’un derrière ton épaule ? Je vois tout à fait !
- Papa t'a fait le même, je suppose ?
- J’imagine oui. Sekhmet était très…intrusive et incontrôlable.
- Ch'aska et moi, on a vécu des épreuves communes, ça nous a permis de mieux nous comprendre. Mais surtout...

Le regard qu’elle jette alors au grand roux est sans équivoque. Elle aime cet homme comme une folle, assez fort pour que Theo ait la sensation que son amour déborde. Colgan redresse la tête à ce moment précis, comme connecté à elle et lui adresse un petit sourire, presque timide en comparaison de ceux de Marisol.

- On s'est retrouvées à aimer le même homme et cet homme nous a aimées toutes les deux sans faire de différence. Le jour où nous l'avons réalisée, nous n'étions plus qu'une seule et même personne. Je suis moi, Marisol, tout en étant plus que n'était Marisol.... Je sais me battre, parler certaines langues, mobiliser certaines connaissances alors que je n'ai jamais appris... J'ai des souvenir d'événements que je n'ai pas vécus et dans lesquels je suis quand même émotionnellement impliquée. C'est étrange et familier à la fois... C'est une partie de moi indissociable à présent.
- Je vois… souffle Theo en faisant tourner son cocktail dans son verre. En vérité, elle ne voit pas vraiment. Ça…ça risque d’être plus compliqué pour moi alors. Son regard file vers Ebène. Jamais elle n’a été aimée comme Marisol le décrit et elle doute que cela permettra à Sekhmet de ne pas l’écraser avec le temps.

Je ne cherche plus l’amour des hommes, lui confirme la déesse. Je n’ai pas été faite pour être aimée mais pour être crainte. Mon époux lui-même n'a jamais rien éprouvé pour moi...
J’en suis désolée…
Ne le sois pas. Les choses sont ainsi. Je suis telle qu’on m’a faite.

- Je vais me contenter d’apaiser sa colère en trouvant la recette de ce breuvage… pour le reste… je n’ai jamais eu beaucoup de chance mais je vais devoir m’en remettre au hasard. Ou plus probablement à la force de ma volonté.  

Theo finit son verre, regrettant soudain de ne pas avoir une goutte d’alcool dedans.
- Bon... Et toi et mon père ? Ca c'est fait comment ?
La jeune femme se tourne vers Marisol avec un sourire.
- Aucune idée ! J’avoue ne pas vraiment avoir compris moi-même.  
- Je veux dire, j'adore Doc', mais c'est quand même pas le gars le plus évident à côtoyer du monde. Ma mère savait l'interpréter et y parvenait même du fond de son lit d'hôpital. Moi, j'avoue que parfois, je suis paumée.
- Oh j'ai toujours eu l'oeil pour les détails infimes... Depuis que je suis l’hôte de Sekhmet, je vie dans la crainte permanente qu’elle prenne le contrôle et qu’elle tue…encore… Theo se mord la lèvre, peu certaine de la réaction de la jeune femme. Ebène m’a permis de souffler pour la première fois depuis presque deux ans. Il veut m’aider… et moi aussi. Sekhmet est la protectrice des médecins, lâche-t-elle comme si cela expliquait tout avant de le regarder à nouveau avec attention. Il proclame qu’il n’a plus d’âme mais c’est faux. Je l’ai vu sourire, vous avez les mêmes fossettes d’ailleurs, je l’ai entendu rire… Je crois que le pacte qu’il a passé avec Erzulie n’a plus lieu d’être. Il t'a toi...il a à nouveau de bonnes raisons d'être heureux. Mieux encore... je crois qu'il a envie d'être heureux. On va trouver le moyen de lui rendre ce qu’il a perdu. Je ne sais pas encore comment mais on trouvera… affirme-t-elle avec une confiance tranquille qu’elle est pourtant loin d’éprouver.
- Je trouve en tous les cas qu'il a l'air plus vivant depuis qu'il te connait.
- Vraiment ? s’interroge la jeune femme avec un petit sourire en coin alors que la proposition du docteur raisonne à nouveau à ses oreilles.  
- Et je sais que tu as poussé pour qu'on se revoit, alors... Merci du fond du cœur !
La bourrade la surprend et Sekhmet grogne dans sa tête. Elle lâche un petit rire amusé.
- De rien ! La famille c’est important… c’est tout ce qui nous reste à la fin… elle contemple un instant ses mains gantées et son sourire s’efface. Elle se reprend toutefois et l’oblige à revenir. Et puis ça n’était pas bien compliqué de voir qu’il en mourrait d’envie de toute façon. C’est plus le… messager qui lui posait…problème.
Elle remet le pied au sol et enfourne le plat quand elle entend la sonnerie du four retentir.
- Je suis très heureuse pour vos deux en tout cas. Vous trois même. Elle indique Ebène et Colgan du menton. C’est bien moins tendu que la dernière fois.

- Il veut m’aider… et moi aussi. Sekhmet est la protectrice des médecins. Il proclame qu’il n’a plus d’âme mais c’est faux. Je l’ai vu sourire, vous avez les mêmes fossettes d’ailleurs,
- On me le dit souvent... Marisol observe l'égyptologue avec attention. Elle semble vouloir la jauger.
- Je l’ai entendu rire…
- Sérieux ? Tu dois vraiment être très spéciale alors. Il n'a jamais ri avec nous. Peut-être avec les enfants... ajoute-t-elle un ton plus bas comme si elle ne voulait pas être entendue des deux hommes.
- Je crois que le pacte qu’il a passé avec Erzulie n’a plus lieu d’être.
- Comment peux-tu en être aussi sûre ?
- Il t'a toi...
- Et toi ! ajoute sa fille malicieusement.
- Il a à nouveau de bonnes raisons d'être heureux. Mieux encore... je crois qu'il a envie d'être heureux. On va trouver le moyen de lui rendre ce qu’il a perdu. Je ne sais pas encore comment mais on trouvera…
- Hum...j'arrive pas à statuer des intentions d'Erzulie. Cette loa est.... très ambivalente. Si c'est une leçon qu'elle voulait lui enseigner je la trouve chère payée. En même temps, j'ai la sensation qu'elle le protège comme une mère poule un peu trop possessive. Techniquement, il la prie depuis qu'il est enfant. Lui même était un enfant en détresse : son père le maltraitait sauvagement... Enfin bref, je trouve en tous les cas qu'il a l'air plus vivant depuis qu'il te connait.
- Vraiment ?
- Carrément ! Et je sais que tu as poussé pour qu'on se revoit, alors... Merci du fond du cœur !
- De rien ! La famille c’est important… c’est tout ce qui nous reste à la fin…
- Question de point de vue. Ma famille de sang je l'ai quasi pas connue. Mais celle de coeur... Colgan, les enfants, la meute, Bertus... C'est du solide.
- Et puis ça n’était pas bien compliqué de voir qu’il en mourrait d’envie de toute façon. C’est plus le… messager qui lui posait…problème. Je suis très heureuse pour vos deux en tout cas. Vous trois même. C’est bien moins tendu que la dernière fois.
- Faut pas croire, ils s'adorent en vrai. Mais notre famille a subit des épreuves qui ont distendu nos liens. On a dealé avec le chagrin de manière différente. La jeune femme a un sourire mélancolique. Moi je suis du genre frontale, tu vois.... Alors j'ai pris le tout à bras le corps et dans la gueule. ça m'a valu un séjour en hôpital psychiatrique. Mon père l'a très mal vécu. Il a lui même subi les sévices de son père psychiatre. Il en a voulu à Colgan de pas être là à cette période...Et puis les hommes et les sentiments tu sais... Là c'est un peu le remake de "rencontre du 3ème type entre une huitre et une palourde."

Marisol a cette façon familière et bon enfant de traiter avec Theo comme si elle avait toujours fait partie de la famille. Il est évident qu'elle est entière, lumineuse et débordante d'affection comme le sont souvent les grands écorchés par la vie.

- J'espère que tu kiffe les épices ! C'est la recette de ma mère ! Elle suçait des piments au p'tit déj !Elle éclate de rire.

- Hum...j'arrive pas à statuer des intentions d'Erzulie. Cette loa est.... très ambivalente. Si c'est une leçon qu'elle voulait lui enseigner je la trouve chère payée. En même temps, j'ai la sensation qu'elle le protège comme une mère poule un peu trop possessive.

Theo se rappelle alors la gestuelle de la Loa lorsqu’elle lui est apparue la première fois.

- Oui c’est un peu l’impression qu’elle m’a donnée quand je l’ai vu. Elle avait un bras autour de ses épaules et elle était penchée sur son corps comme une sorte de bouclier. Mais le protéger de quoi ?
- Techniquement, il la prie depuis qu'il est enfant. Lui-même était un enfant en détresse : son père le maltraitait sauvagement...
- Mon Dieu… c’est absolument affreux…
La conversation dévie ensuite sur la famille et la relation entre les deux hommes.
- Faut pas croire, ils s'adorent en vrai. Mais notre famille a subi des épreuves qui ont distendu nos liens.
- J’ai cru comprendre, murmure la jeune femme. J’en suis vraiment désolée pour vous. Ca doit être une épreuve terrible de perdre ses enfants.

Theo ne peut s’empêcher de jeter un regard plein de compassion à Marisol avant de détourner son regard vers Colgan. Il semble effectivement qu’il porte encore son chagrin comme une chape de plomb sur ses épaules. La jeune femme la reconnait pour l’avoir vu un très grand nombre d’années lorsqu’elle se contemplait dans le miroir.

- On a dealé avec le chagrin de manière différente.
- Je comprends bien…Après…après la mort de mes parents et de ma petite sœur dans un incendie, je suis restée mutique pendant près de deux ans… Je m’étais créé une bulle, une confortable bulle d’illusions ou je ne ressentais rien ou presque. Quand la douleur est trop forte, elle nous fait faire des choses terribles.
Ebène lui a ressenti le besoin de l’annihiler complètement, comme tout forme de sentiments.  
- Moi je suis du genre frontale, tu vois.... Alors j'ai pris le tout à bras le corps et dans la gueule. Ca m'a valu un séjour en hôpital psychiatrique. Mon père l'a très mal vécu. Il a lui-même subi les sévices de son père psychiatre. Il en a voulu à Colgan de pas être là à cette période...
Que de drames dans cette petite famille… et pourtant, ils ont décidé de survivre malgré tout. Theo trouve ça admirable…
- Mais vous êtes là… tous ensemble…et il faudrait être aveugle pour ne pas voir que vous tenez énormément l'un à l'autre...
- Et puis les hommes et les sentiments tu sais... Là c'est un peu le remake de "rencontre du 3ème type entre une huitre et une palourde."
Theo fronce le nez et suit le rire communicatif de la jeune femme.
- Qui joue le rôle de qui exactement ? Avec un bon couteau et de la patience on arrive à tout…
- J'espère que tu kiffe les épices ! C'est la recette de ma mère ! Elle suçait des piments au p'tit déj !
Sa mère…cette fameuse femme qui a réussi à ouvrir la carapace d’Ebène. Elle se demande bien à quoi elle ressemblait et qui elle était… sûrement quelqu’un de très lumineux et solaire, comme Marisol. Très loin de ce qu’elle est finalement… et pourtant c’est elle qui se retrouve avec une déesse solaire. La vie a une ironie qui lui échappe parfois…
- J’ai le palet exercé, mais on verra bien !

Ils finissent par se mettre à table et Theo prend place à côté d’Ebène. La scène lui parait étrangement surréaliste et pendant que Colgan sert tout le monde, elle se demande à nouveau ce qu’elle fait là exactement. Ca fait si longtemps qu’elle ne s’est pas sentie « en famille ». Celle qui l’a recueillie après le drame passait le plus clair de son temps à lui signifier clairement ou non qu’elle n’était qu’une intruse et qu’elle n’a jamais été la bienvenue. Cette idée s’est ancrée profondément dans son esprit. Penser à cette femme amène trop de colère en elle.
Respirer…elle doit respirer…

- Tout va bien lui ? lui demande soudain Colgan en lui tendant son assiette.
- Oui…oui…pourquoi ?
- Vos yeux…
- Oh ! Non pardon…nouvelle inspiration, tout va bien…il faut simplement que j’arrête de penser à des choses désagréables. Sekhmet a…tendance à s’emballer un peu. Elle…nous avons quelques petits soucis de gestion de la colère.
- Ca doit pas être évident.
- Ca ne l’est pas…Il faut simplement que je sois prudente. Ne vous inquiétez pas, si je dérape, j'ai encore un pare-feu avant de faire un massacre... le rassure-t-elle avec un brin d'ironie.

Elle porte prudemment une bouchée du gratin à ses lèvres. Les saveurs exotiques flattent ses papilles. Indéniablement, elle trouve ça très bon jusqu’à ce que le piment s’invite sur sa langue et enflamme l’intérieur de sa bouche. Elle sent la nourriture lui brûler la gorge et les larmes monter à ses yeux. Elle repose sa fourchette tranquillement et tousse aussi discrètement que possible.

- C’est…effectivement…pimenté… excellent mais pimenté…

Tout le monde prend place à table. Marisol remplit une carafe d'eau en échangeant des banalités avec son père. Colgan fait le service. Une atmosphère délicieusement familiale s'installe quand soudain tous les regards converge vers Théodora dont les prunelles ont viré à l'or fin et les pupille se sont fendues. Ebène glisse subtilement une main vers elle pour établir un contact apaisant.

- Tout va bien ? risque Colgan.
- Oui…oui…pourquoi ?
- Vos yeux…
- On dirait ceux d'un félin !
- Oh ! Non pardon…tout va bien…il faut simplement que j’arrête de penser à des choses désagréables.Sekhmet a…tendance à s’emballer un peu. Elle…nous avons quelques petits soucis de gestion de la colère.
- Ca doit pas être évident.
- Ca ne l’est pas…Il faut simplement que je sois prudente.  Ne vous inquiétez pas, si je dérape, j'ai encore un pare-feu avant de faire un massacre...
- C'est nous qui te mettons mal à l'aise? s'enquiert Marisol avec une inquiétude sincère. Je ne veux pas que ça vous foute mal toi et Sek. On est un peu bizarres, mais on te veut que du bien. Ok ? Elle marque une pause. Et puis tu serais pas la première à avoir des incendies à son actif dans cette pièce... La fille d'Ebène fait une grimace. J'ai eu quelques vilains déboires au début.... Exploser la moitié d'un étage d'immeuble, sa colocataire, un maquereau insistant et ses hommes de mains libidineux. Et je ne suis toujours pas à l'abri d'une perte de contrôle à cause d'une émotion trop intense. Faut rester prudents, comme tu dis.

Théodora change brusquement de couleur et s'étouffe avec la nourriture. Marisol éclate spontanément de rire.

- C’est…effectivement…pimenté… excellent mais pimenté…
- Je t'avais prévenue !

Ebène vide sa miche de pain de sa mie, la pétrie en boule et la tend vers Theo, pour qu'elle ouvre la bouche, et lui glisse dedans.

- Avale ça sans trop le mâcher. Le pain absorbe le surplus d'épice. Cela t'évitera les aigreurs d'estomac.
- Le secret pour que ce soit abordable pour des palais plus sensibles c'est de citronner un yahourt ou de la crème et délayer le gratin avec. Alors ouais... esthétiquement, on dirait une infâme bouillie, mais en vrai c'est super bon. Tu veux que je te prépare ça ? demande Marisol avec une expression franchement navrée et compatissante.

Theo s’accroche à la main d’Ebène et la caresse du pouce en lui adresse un petit sourire en guise de remerciement.
- Ca doit pas être évident.
- Ca ne l’est pas…Il faut simplement que je sois prudente.  Ne vous inquiétez pas, si je dérape, j'ai encore un pare-feu avant de faire un massacre...
- C'est nous qui te mettons mal à l'aise ? Je ne veux pas que ça vous foute mal toi et Sek. On est un peu bizarres, mais on te veut que du bien. Ok ?
- Oh non…ne croyez pas ça ! Ca n’a rien à voir avec vous… Elle se sent terriblement gênée soudain. C’est entièrement de ma faute ! J’ai juste eu…de mauvais souvenirs. Les derniers repas « en famille » que j’ai passé n’avait rien d’aussi…agréable et détendu. J’ai…comme une sorte de jauge de colère qui se remplit petit à petit et la moindre contrariété est largement amplifiée… par…le tempérament de Sekhmet. Pour le moment je n’ai pas des masses d’option. Soit je la laisse exploser, ce qui n’est absolument pas envisageable…soit je passe pas la case calmant avec dose de cheval.

- Et puis tu serais pas la première à avoir des incendies à son actif dans cette pièce... J'ai eu quelques vilains déboires au début...
Theo boit une gorgée d’eau.
- Vilains oui...c'est le moins qu'on puisse dire …Lorsqu’elle a investi mon corps, Sekhmet était si enragée…Les médias s’en sont donné à cœur joie. Ils tenaient enfin une nouvelle malédiction égyptienne à se mettre sous la dent après celle de Toutankhamon. "Le Professeur Henning : maudite ou dangereuse psychopathe ?" "Macabre découverte dans un temple ancestral d'une déesse égyptienne" et j'en passe...
- Et je ne suis toujours pas à l'abri d'une perte de contrôle à cause d'une émotion trop intense. Faut rester prudents, comme tu dis.
Theo lève légèrement son verre dans la direction de la jeune femme.
- On devrait ouvrir un club de déesses anonymes. On y parlerait pétage de plomb et de tous ces charmants dieux toxiques.

La première bouchée trace une langue de feu tout le long de sa trachée.
- C’est…effectivement…pimenté… excellent mais pimenté…
- Je t'avais prévenue !

Theo ouvre obligeamment la bouche, les larmes aux yeux.
- Avale ça sans trop le mâcher. Le pain absorbe le surplus d'épice. Cela t'évitera les aigreurs d'estomac.
- Oui docteur, s’amuse la jeune femme, malgré la situation, en suivant ses instructions.  
- On s’y fait avec le temps, t’inquiète pas…mais je dois dire que tu as eu la main lourde.
- Le secret pour que ce soit abordable pour des palais plus sensibles c'est de citronner un yahourt ou de la crème et délayer le gratin avec. Alors ouais... esthétiquement, on dirait une infâme bouillie, mais en vrai c'est super bon. Tu veux que je te prépare ça ?
Theo lève des yeux encore tout humides vers la jeune femme, un sourire penaud aux lèvres.
- Ca ne t’ennuie pas ? J’avoue que je ne dis pas non. La nourriture allemande n’a rien de très audacieuse en termes d’épices et celles qu’utilisent les Égyptiens sont bien plus douces. Mais je compte bien m’y habituer !
Elle souffle doucement par la bouche et lâche un rire plein d’auto-dérision.
- Ca reste très bon cela dit…j’espère juste retrouver mes papilles pour profiter pleinement du plat. Elle a soudain une épiphanie. Ebène ! Ta brûlure ! On a complètement oublié de la soigner ! En se souvenant de la raison de cet oubli, ses joues prennent une jolie teinte rose. Oui hum…il a caressé Sekhmet dans le mauvais sens du poil et elle a failli le transpercer d’une flèche enflammée…
Colgan pince les lèvres pour ne pas éclater de rire et regarde le Doc d'un air amusé.
- Eh ben, c’est plutôt mouvementé vos disputes. Rappelle-moi de jamais t’agacer Theo…Cela dit Ch'aska a aussi essayé de me tuer au début...sauf que moi j'avais rien fait pour provoquer sa colère...

La jeune femme éclate de rire et spontanément, elle passe ses doigts sur la nuque d’Ebène, là où se forment ses premières boucles sombres et vient déposer un baiser sur sa joue.

- Ne t’en fais pas, tu as réussi à te faire pardonner. Elle ne t’en veut plus…pour le moment !
Ce n’est que lorsqu’elle se remet sagement devant son assiette qu’elle se rend compte de son geste et espère qu’il n’était pas aussi malvenu qu’elle le pense. Elle lui coule une petite oeillade d'excuse.

- Ca ne t’ennuie pas ?
- Naaaan... et de toute façon, je sens que je vais devoir en faire pour tout le monde.

Marisol pichenette le nez de Colgan et lui tire la langue.

- Moi ça va, fait son père. Je ne sens pas grand chose de toute façon. Sa progéniture lui lance un regard acéré. Mais, surtout parce que j'adore la cuisine au lance-flamme de ma fille. Yahou. fait-il avec un air pince-sans-rire qu'il pratique au quotidien.
- J’avoue que je ne dis pas non. La nourriture allemande n’a rien de très audacieuse en termes d’épices et celles qu’utilisent les Égyptiens sont bien plus douces. Mais je compte bien m’y habituer !
- Promis c'était pas du bizutage !  fait Marisol en sortant un saladier d'un placard. Ah ! Merde ! jure-t-elle en se faisant attaquer par un éboulis de paquets de café moulu embusqué. Mais pourquoi y'a autant de café dans c'te cuisine! grogne-t-elle pour elle-même.
- Ca reste très bon cela dit…j’espère juste retrouver mes papilles pour profiter pleinement du plat.
- Cela me semble compliqué. Tu vas avoir la bouche anesthésiée pour un mo...
- Ebène ! Ta brûlure !
-... ment.
- On a complètement oublié de la soigner ! Ebène hausse les épaules. Oui hum…il a caressé Sekhmet dans le mauvais sens du poil et elle a failli le transpercer d’une flèche enflammée…

Ebène a tout à fait conscience que Colgan se fout de sa gueule. Il lui lance un regard noir avec un sourcil qui lève la queue.

- Eh ben, c’est plutôt mouvementé vos disputes. Rappelle-moi de jamais t’agacer Theo…
- Sache pour ta gouverne, que j'ai retrouvé le bon sens du poil par la suite, et que chaque caresse a été appréciée. claque-t-il avec un air pincé.
- Papaaaa!
- Ne t’en fais pas, tu as réussi à te faire pardonner. Elle ne t’en veut plus…pour le moment !

Theodora s'autorise un geste spontané et intime qu'Ebène accueille avec un naturel allant de soi. Alors qu'elle le regarde en proie à de visible regret de s'être laissée allée, Ebène rattrape sa main et embrasse le satin de ses phalanges. Pour ceux qui ont su surprendre ce geste, il s'accompagnait d'un léger sourire. Une comète rare pour sa fille et Murtagh.

- Cela dit Ch'aska a aussi essayé de me tuer au début...sauf que moi j'avais rien fait pour provoquer sa colère...
- Ch'aska a un passif compliqué avec la gente masculine. Mais rassure-toi... Toi aussi tu as su trouver les "bons arguments" pour l'apprivoiser... roucoule Marisol d'un ton équivoque.
- C'est à ce moment que je dois prendre un ton offusqué en faisant "Marisoleiiil", c'est bien ça ?

Sa fille lui répond par un éclat de rire et revient avec une mixture blanche qui hume bon le citron et la ciboulette fraiche.

- Servez-vous les douillets du palais ! Elle regarde Colgan en biais avec un sourire malicieux. Même toi, espèce de traitre....

Colgan suit le geste du docteur avec une expression ahurie que Theo commence à bien saisir et qui  la fait sourire.
- Cela dit Ch'aska a aussi essayé de me tuer au début...sauf que moi j'avais rien fait pour provoquer sa colère...
- Ch'aska a un passif compliqué avec la gente masculine. Mais rassure-toi... Toi aussi tu as su trouver les "bons arguments" pour l'apprivoiser...
- C'est à ce moment que je dois prendre un ton offusqué en faisant "Marisoleiiil", c'est bien ça ?
- Vraiment ça m’avait manqué les repas en famille, déclare Colgan sur un ton résolument ironique.
Theo les regarde avec une impression persistante d’observer une sorte de spectacle étrange…et attendrissant.
- Servez-vous les douillets du palais ! Même toi, espèce de traitre...
- Tout de suite les grands mots… Avoue simplement que tu t’es merdée dans les proportions.

Il part aussitôt tout possibilité de bourrade dans l’épaule qu’il sent venir à des kilomètres. Theo se sert de la mixture sous le regard complice de Colgan qui lui fait discrètement signe d’en rajouter une cuillère, ce qu’elle s’empresse de faire en masquant son rire par une petite toux. Une fois le tout mélanger c’est un régal. Theo les laisse faire la conversation, peu habituée aux discussions anodines. Elle essaie plutôt d’en déduire des informations sans aller les chercher elle-même. Elle arrive par exemple à deviner que Marisol exerce dans le social, sans toutefois saisir le domaine spécifique et que Colgan restaure (ou restaurait, elle n’a pas vraiment réussi à comprendre) des meubles en bois.

- Oh tu travailles le bois, s’exclame-t-elle soudain. C’est presque trop beau pour être vrai ! Je cherche désespérément un professionnel compétent. J’aurais quelques pièces à te montrer si tu veux bien ! Certains objets trouvés récemment auraient dû être analysés puis envoyés aux restaurateurs mais…avec la quarantaine, ils se sont retrouvés coincés ici…et moi avec. J’ai peur qu’ils finissent par se dégrader même si on fait le maximum pour les préserver. Tu seras payé bien entendu !

Le grand roux se fige soudain et son visage se ferme d’un coup. Il repose ses couverts et boit sa bière cul sec. Sentant qu’elle vient de jeter un froid dans trop savoir comment et pourquoi, Theo s’empresse de revenir sur son initiative.

- C’était…c’était simplement une proposition en l’air, évidemment…
Elle jette un petit coup d’œil à Marisol et Ebène, désespérée d’être celle qui a rendu l’atmosphère chaleureuse et détendue du dîner beaucoup plus pesante.
- Ca va, lâche-t-il d’une voix qui se veut normale mais où bouillonne une émotion qu’elle n’arrive pas à qualifier vraiment. Sans doute le chagrin.

Il est plein de colère.

- Je reviens.
Il se lève soudain, esquivant toute tentative pour le retenir s’il devait en y avoir une et s’enferme dans la salle de bain.  

- Pardon…je ne voulais pas…

Elle se tait, ayant l’impression d’avoir été extrêmement maladroite sans savoir exactement pourquoi.

- Tout de suite les grands mots… Avoue simplement que tu t’es merdée dans les proportions.
- Mais ...!!!!! Espèce de saligaud !!!! Elle lui balance des coups de poings qu'il dévie avec l'opiniâtreté de l'habitude. Plus de petits plats maisons pour toi ! Vilain garou !
- Je pense qu'il survivra. Après tout, c'est lui qui cuisine le plus souvent.
- Theo ! Aide-moi ! C'est une véritable mutinerie!

Cependant, Theodora ne semble pas suffisamment à l'aise pour s'impliquer dans les conversations. Quand elle attrape pour la première fois la balle au bon, sa tentative créer un blanc retentissant dans le bruissement chaleureux des échanges.

- C’était…c’était simplement une proposition en l’air, évidemment…

Marisol couve Colgan du regard, comme si elle le sentait prêt à exploser.

- Ca va. Je reviens.

Ni sa compagne, ni Ebène ne cherche à le retenir.

- Pardon…je ne voulais pas…

Ebène lui reprend la main en la regardant avec beaucoup de sérénité.

- Tu n'as absolument rien fait de mal.
- Tu ne pouvais pas savoir, dit simplement Marisol avec un sourire d'une grande tristesse tout en triturant la nourriture dans son assiette. Colgan a un rapport compliqué avec son ancien métier. Il n'est plus capable de créer quoi que ce soit depuis que les enfants....

La jeune femme ne parvient pas à finir sa phrase. Elle se lève et avec une spontanéité déconcertante caresse la joue de Theodora.

- Ce n'est pas de ta faute et c'est une très belle proposition. C'est gentil de l'avoir faite..... Je vais aller lui parler.

Une fois éloignée de quelques pas, Ebène murmure de son ton égal et pourtant rassurant en pareille circonstance.

- Ne t'inquiète pas. Il ne t'en veux pas. C'est à son lui passé qu'il en veux.

Marisol frappe à la porte de la salle de bain.

- C'est moi, tu me laisses entrer ? demande-t-elle doucement, le front collé au battant de bois. S'il te plait...

Theodora noue ses doigts à ceux d'Ebène.
- Tu n'as absolument rien fait de mal.
- Ca n’est pas la sensation que j’ai…
- Tu ne pouvais pas savoir. Colgan a un rapport compliqué avec son ancien métier. Il n'est plus capable de créer quoi que ce soit depuis que les enfants....

Theo se rencogne contre le dossier de sa chaise, mortifiée d’avoir choisi le seul sujet qu’il ne fallait pas. Elle sait pourtant qu’il n’y avait effectivement aucun moyen pour elle d’avoir conscience d’ouvrir une telle plaie en parlant simplement d’objets archéologiques, malgré tout elle se sent terriblement fautive.  
Le geste de Marisol la prend totalement au dépourvu.

- Ce n'est pas de ta faute et c'est une très belle proposition. C'est gentil de l'avoir faite..... Je vais aller lui parler.

Theo vient toucher sa joue après le passage de ses doigts tout en la regardant s’éclipser à la suite de Colgan. Au moins est-elle assurée que la jeune femme ne lui en vaut pas.

- Ne t'inquiète pas. Il ne t'en veux pas. C'est à son lui passé qu'il en veux.
L’égyptologue pousse un soupir et vient chercher un peu de réconfort en appuyant sa tête contre l’épaule du docteur, se blottissant contre lui.  
- C’est ça ma vraie malédiction… l’art de mettre le pied dans le plat.

Elle se relève doucement et commence à débarrasser la table, occupant ses mains mieux que sa langue. Elle jette de fréquents coups d’œil vers la salle de bain où elle entend des bribes de conversations lointaines.
- Je sais…je sais que ça va sans doute être douloureux pour toi mais… quand tu te sentiras prêt, tu pourrais me dire ce qu’il s’est passé ? Ça n’est pas par curiosité malsaine, je voudrais juste…éviter de leur faire du mal à l’un ou à l’autre en sortant … ce genre de choses. Ne plus dire de bêtise…
Elle vient lentement frôler la joue d’Ebène de ses doigts, une expression indécise sur le visage.
- Si je les revois après ce soir…évidemment.

Du côté de la salle de bain, face au miroir, Colgan trésaille quand on frappe à la porte.
- C'est moi, tu me laisses entrer ?
Le Loup pousse un soupir et asperge son visage d’eau froide avant de s’essuyer.
- S'il te plait...
Il vient ouvrir, plus calme, plus fermé aussi.  
- J’ai plus le droit de pisser tranquillement ? tente-t-il dans une pathétique tentative d’humour. Il voit bien l’air inquiet et de la jeune femme. Ca va…
Il hésite une seconde puis passe un bras autour de son cou pour venir baiser son front.
- Je devrais pas réagir comme ça… à chaque fois. Ca devrait plus me toucher comme ça à chaque fois…
Il l’attire finalement à lui et la serre avec force. Il passe ses doigts dans les cheveux sombres de la jeune femme et pose ses lèvres contre les siennes
- Viens, faut que j’aille m’excuser auprès de Theo.
Ils reviennent vers le salon main dans la main et Colgan se gratte la gorge.
- Pardon pour ma réaction. Puis ajoute, à la grande surprise de tous. Je viendrais. Je peux au moins jeter un coup d’œil.
Theo lui dédit un large sourire.
- Merci Colgan. Viens me voir quand tu veux au musée, j’y suis presque jours et nuits de toute façon…      

- C’est ça ma vraie malédiction… l’art de mettre le pied dans le plat.

Ebène passe maladroitement un bras autour de ses épaules. Il ignore si ça lui fera du bien, il ne fait qu'appliquer ce qui se fait usuellement dans ces moments là. Il n'est pas très doué pour réconforter autrui.

- Je doute que tu saches faire pire que moi.

Comme à chaque fois qu'une situation lui échappe, Theodora s'agite inutilement et s'emploie à débarrasser la table. Le bon docteur la laisse gérer son stress à sa manière. S'occuper les mains aide à faire bien des choses. Lui ça lui permet de se concentrer ; Theo expurge, elle, son anxiété.

- Je sais…je sais que ça va sans doute être douloureux pour toi mais… quand tu te sentiras prêt, tu pourrais me dire ce qu’il s’est passé ? Ça n’est pas par curiosité malsaine, je voudrais juste…éviter de leur faire du mal à l’un ou à l’autre en sortant … ce genre de choses. Ne plus dire de bêtise…Si je les revois après ce soir…évidemment.
- Tu les reverras, dit-il de son ton égal. Puisque tu vas venir vivre avec moi. Il laisse filer un court silence. Quand ils seront repartis, je t'expliquerais.



Colgan ouvre enfin la porte. Il a le visage encore humide de récentes ablutions. Son expression est bien plus verrouillée que cette pauvre porte.

- J’ai plus le droit de pisser tranquillement ?
- Colgan...

Marisol hausse un sourcil en plant son regard dans le sien. Elle n'est pas dupe.

- Ca va… Un premier verrou saute lorsqu'il s'autorise un geste affectueux. Marisol câline son bras et pose une main sur son torse. Je devrais pas réagir comme ça… à chaque fois. Ca devrait plus me toucher comme ça à chaque fois…
- Peut-être... Peut-être que tu devrais t'autoriser à nouveau le droit de façonner le bois, tu aimais cela et... ça te faisait du bien.

L'homme ne lui offre aucune réponse, mais l'enlace et l'embrasse ce qui, dans son dialecte très particulier, n'est pas un non définitif.

- Viens, faut que j’aille m’excuser auprès de Theo.
- Ok.

Il lui tient la main de son propre chef, ce qui achève de tranquilliser Marisol. Elle aime tant quand il affiche son affection et sa confiance. Un gout de nostalgie.

- Pardon pour ma réaction, fait le loup. Je viendrais. Marisol et Ebène le fixent avec des yeux ronds (la fille plus que le père). Je peux au moins jeter un coup d’œil.
- Merci Colgan. Viens me voir quand tu veux au musée, j’y suis presque jours et nuits de toute façon…
- Et quand elle n'y sera pas, tu la trouveras ici, ajoute son beau-père avec un aplomb total. Il surprend l'oeillade de Theodora. Ne me regarde pas comme ça, je ne fais qu'anticiper.

Marisol éclate de rire et l'atmosphère se trouve à nouveau plus détendue. Il est pourtant temps de se quitter et le couple qui s'est invité à manger prend congé, non sans les embrassades pleine de chaleur de la l'Etoile de Vénus. Une fois seuls, Ebène prépare deux tisanes (il était parti pour remplir une cafetière, puis s'est rappelé de l'interdiction d'excitants pour Sekhmet). Il tend une tasse à Theo et investit le canapé.

- Que veux-tu savoir...?

- Tu les reverras. Puisque tu vas venir vivre avec moi.
Theo lui fait les gros yeux.
- Il ne me semble pas avoir dit oui…
- Quand ils seront repartis, je t'expliquerais.
La jeune femme acquiesce bien plus sérieusement au moment où le couple reparait, main dans la main.
- Pardon pour ma réaction. Je viendrais. Je peux au moins jeter un coup d’œil.

La réaction du père et de la fille lui fait comprendre que l’acte n’est pas anodin et finalement, elle se dit qu’elle a peut-être réussi à tirer quelque chose de positif de sa vilaine bourde.

- Merci Colgan. Viens me voir quand tu veux au musée, j’y suis presque jours et nuits de toute façon…
- Et quand elle n'y sera pas, tu la trouveras ici.
Nouvelle œillade courroucée de la jeune femme.
- Ne me regarde pas comme ça, je ne fais qu'anticiper.
Theo plisse les yeux, bras croisés avant de partir en quête d’une carte professionnelle liserée d’or alors que Marisol éclaire la pièce de son rire. Elle y rajoute son numéro personnel et son adresse puis la lui tend en jetant un coup d’œil à Ebène.
- Si je ne suis pas au musée ou ici, c’est que je suis chez moi. Bref, n’hésite pas. Sans vouloir en faire des tonnes c’est le travail de nombreux mois de fouille et des trésors de l’Humanité que tu sauverais… mais pas de pression hein ! conclue-t-elle avec un pétillement taquin dans les yeux.
- Non pas de pression...

Colgan lui dédie un vrai sourire, léger certes mais véritable et Theo les sait assez rare pour l’apprécier à sa juste valeur.
Le clan Murtagh les quitte finalement et tout redevient calme et silencieux dans l’appartement.
Pendant que Theo finit de ranger un peu la cuisine, Ebène fait chauffer de l’eau. La domesticité de la scène lui chatouille la poitrine et les coins de sa bouche se retroussent lentement.
Finalement, ils convergent tous les deux vers le canapé et Theo s’installe de biais, tournée vers lui, jambes repliées sous elle. Elle accepte volontiers la tasse qui sent bon la pomme.

- Merci.
- Que veux-tu savoir...?
La main occupée par la tisane, elle utilise ses dents pour retirer l’un de ses gants et vient prendre celle d’Ebène dans la sienne, soutien silencieux pour le difficile récit qu’il veut bien lui livrer.
- J’ai compris qu’ils ont perdus deux enfants…en même temps… enfin les enfants biologiques de Colgan…comment est-ce arrivé ? souffle-t-elle en le regardant dans les yeux.

Theo retire un gant et cherche un contact qu'Ebène lui offre sans chercher à se dérober. C'est main dans la main qu'il débute son récit.

- Avant toute chose, il faut que tu comprennes que le monde surnaturel est aussi divisé que celui des humains. Il existe des factions, des groupuscules, des nids.... Et il y a autant de créature qu'il existe de gens pour les chasser. Et Tir Nà Nog , pour le meilleur et pour le pire, abrite tous ces courants. Il ménage une pause et boit une gorgée de tisane. Ma fille et Colgan ignoraient tout cela quand ils se sont rencontrés. Marisol se prostituait pour payer le traitement de sa mère et Colgan surnageait au milieu de ses dettes en étant veuf en charge de deux enfants. Il y a d'étranges hasard dans la vie qui font que deux personnes sensées ne jamais se croiser finissent par se télescoper. Marisol et Colgan ne se sont plus jamais quitté depuis. Ils se sont relevés ensemble et sans se lâcher la main de toutes les crises qu'ils ont traversés ensuite. Marisol a été habitée par Ch'aska peut de temps après que Colgan et elle se soient mis en ménage. Il s'est confronté brutalement à l'existence du surnaturel, aux pieux mensonges de Rena, et à moi. Pourtant, il est resté. Grace à cela, Marisol a quitté la prostitution pour devenir travailleuse sociale et tendre la main aux filles qu'elle avait côtoyé dans la rue. Elle a apprivoisé sa cohabitation avec sa déesse et ses nouveaux pouvoirs. Lorsque Colgan a été à son tour attrapé par le surnaturel, en étant mordu par un loup-garou, Marisol est restée auprès de lui, le guidant pas à pas dans sa nouvelle nature. Ils sont sortis grandis de ces expériences et étaient très heureux.

Là, Ebène se drape dans un soudain silence. Il fixe le fond de sa tasse, ses prunelles sombres se noyant dans le liquide ambré à la forte odeur herbacée.

- Je ne peux pas évoquer ce qu'il s'est passé sans te parler des enfants. Sa voix est encore plus atone et désincarné que d'habitude. Eliott était un enfant très intelligent, très sensible également mais qui, à l'instar de son père, le camouflait derrière des attitudes de petit monsieur très sérieux. Il ressemblait beaucoup à Colgan ce qui rendait la communication difficile entre eux. Il voulait devenir médecin pour que d'autres enfants comme lui, sa soeur et Marisol ne perdent plus leurs mamans. Sa soeur Charlyne, de deux ans sa cadette, étaient exubérante, pleine d'énergie, de rêves, de joie de vivre. Une vraie petite fusée. Elle avait décidé qu'elle m'épouserait quand elle serait grande et n'en démordait pas. Le frère et la sœur étaient très proches et tous deux l'étaient encore plus de leur père.
Lorsque Marisol est arrivée dans leur vie, elle a su se ménager une place bien à elle, qui n'empiétait pas sur celle de leur mère, mais qui lui permettaient de tisser des liens puissant avec ses deux enfants. Elle a su trouver les bons mots et la bonne attitude pour désamorcer les réticences d'Eliott, elle a conquis le coeur de Charly dès la première rencontre. Tu auras pu constater qu'elle est.... très lumineuse.

Il y a un nouveau silence. La voix de docteur se fait souffle.

- J'étais très attaché à ces enfants. Avec eux, avec l'ensemble de cette famille, je me sentais presque vivant.

Les mots se tarissent un temps, si bien qu'on a l'impression qu'il ne terminera jamais son récit. Cependant, le voilà qu'il reprend avec une netteté clinique presque robotique.

-Un après-midi au début de l'été, alors qu'ils étaient dans leur jardin à prendre le gouter, Colgan a senti la présence d'une menace. Il a ordonné aux enfants de se cacher à l'intérieur de la maison avant d'être criblé d'une salve de balles en argent sous les yeux de Marisol affolée et impuissante. Trois hommes, des chasseurs, se sont emparés d'elle, lui retirant une partie de ses vêtements pour la jeter en plein soleil, là où la malédiction d'Inti a fait son œuvre, brulant plusieurs couches de sa peau, la vidant de toute énergie. Les deux parents ainsi cloués au sol et incapables de pouvoir se défendre ont assisté aux meurtre des deux enfants : on les a alignés devant eux et abattus d'une balle chacun dans la tête. Marisol a perdu pied, libérant une explosion qui a soufflé la maison et provoqué un terrible incendie. J'ai été appelé dans le service des urgences par ma collègue Josie et c'est là que j'ai découvert que je devais opérer Colgan, que ma fille était au service des grands brulés et que les enfants étaient morts. Je lui ai sauvé la vie. La Nuit s'est chargée de régénérer ma fille des blessures du soleil. Mais plus aucun des deux n'a été le même.
Marisol a décroché de la réalité. Chaque fois qu'elle y revenait, elle essayait de se meurtrir. Colgan m'en a voulu de ne pas l'avoir laissé mourir et, incapable de faire face à l'état de ma fille, a fuit en coupant les ponts.

Son visage s'anime brusquement.

- Je l'ai haï pour ça, de toute l'âme que je n'avais plus !

Il se détourne brusquement et lâche la main de Theo pour se la passer sur le visage. Il continue, mais en se cachant  toujours derrière ses doigts.

- Marisol a passé cinq mois dans le service psychiatrique. Comme j'étais, disons, réfractaire à la laisser là, on m'a mis à pied pendant cette période. Je n'avais rien d'autre à faire que de chercher Colgan. Quand elle est sortie, elle a passé un peu de temps ici, avec moi. Je lui ai dit où se trouvait Murtagh. Elle a pris le stricte nécessaire dans un sac à dos et m'a laissé une lettre disant qu'elle s'engageait sur une voie dans laquelle elle ne voulait pas m'entrainer, que je n'avais plus de fille et qu'elle rejoignait l'homme de sa vie.

Ebène expire longuement en se tournant à nouveau vers Theodora. Il n'a pas conscience que son regard exprime une tristesse profonde et toujours goulument irriguée.

- Voilà. Tu sais, maintenant.

Theo n’intervient à aucun moment. Elle se contente de l’écouter, attentive.
Elle a toujours été émotive, trop sans doute. Et le fait qu’elle connaisse à présent Colgan et Marisol n’arrange rien. L’émotion qu’elle ressent est vive, incontrôlable et ses yeux se brouillent rapidement. Elle tente de camoufler son état en buvant régulièrement sa tisane.

Lorsqu’il parle des enfants, elle sourit à travers ses yeux brouillés, s’imaginant parfaitement les deux petits Murtagh.

Ebène émaille son récit de longues pauses et Theo lui laisse toute la place pour se reprendre, vivre les émotions qu’elle perçoit sur son visage ou dans sa voix. Elle se contente de serrer sa main dans la sienne pour lui indiquer son soutien, son pouce caressant doucement sa peau sans plus de crainte ou de gêne. Vient le moment fatidique de la mort des enfants, sous les yeux de leurs parents. Cette fois, elle n’est plus capable de retenir ses larmes qui glissent sur ses joues.

S’il n’a pas été au cœur de cette tragédie, Ebène en a été le satellite impuissant, spectateur du sort qui s’acharnait sur sa famille. Elle est soudain surprise par la haine qu’il arbore en parlant de ce qu’il a ressenti pour Colgan au moment où il s’est éloigné de sa fille, la laissant gérer seule un deuil auquel elle n’arrivait pas à faire face.

Lorsqu’il lâche sa main, elle hésite un instant à aller la recherche mais n’ose finalement pas. La fin du récit approche et lorsque le point final arrive, elle se contente de dégager gentiment son visage.

- Voilà. Tu sais, maintenant.

Lentement, elle vient poser sa tasse vide sur le sol et après quelques hésitations, vient se serrer contre le docteur, les bras autour de son cou.
- Je suis tellement désolée de ce qui vous ait arrivé…murmure-t-elle en reniflant.

Il n'y a aucun mot qui puisse exprimer l'horreur du récit qu'il vient de lui faire. Une douce chaleur, dont elle n’a pas conscience, émane de son corps et se transmet à celui d’Ebène. Elle reste ainsi de longues minutes, frottant doucement le haut de son dos et sa nuque.
C’est si injuste, si terrible d’avoir eu a affronté tellement d’épreuves. Elle recule doucement et essuie d’un geste vif ses joues mouillées.

- Je suis d’autant plus heureuse que vous vous soyez tous retrouvés…que tu aies su pardonner à Colgan.  
Elle caresse tendrement sa joue puis vient déposer un chaste baiser encore un peu salé sur ses lèvres.  
- Merci de m’avoir raconté.
Après avoir jeté un coup d’œil sur sa montre, elle enfile son gant à regret et pousse un soupir.
- Il est tard… je vais devoir rentrer… je commence tôt demain et mon bébé va bouder si je ne vais pas le nourrir…

- Je suis tellement désolée de ce qui vous est arrivé…

Ebène hausse les épaules mais les larmes de Theodora le pétrifient. C'est une vision à la fois sublime et tragique. Il aimerait savoir pleurer, déchainer son chagrin comme elle le fait - un chagrin par ricochets, qui plus est - mais il en est incapable. Ses yeux son secs, ses glandes lacrymales arides et ses sanglots muets.

Sa détresse est intérieure.
Etouffée.

La chaleur de Theodora, de son étreinte pétrie d'empathie et de commisération, lui donne l'impression d'avoir un cœur qui saigne, lui aussi. Il respire ses cheveux, longuement. Elle sent bon. Son nez se noie dans leurs boucles exubérantes.
Charlyne aussi possédait le même genre de tignasse folle.
Lorsque la jeune femme reflue en s'essuyant pudiquement les yeux, elle remarque qu'une larme a tracé un sillon sur la joue d'Ebène. Une unique larme solitaire en plein désert. Il n'a rien senti.

- Je suis d’autant plus heureuse que vous vous soyez tous retrouvés…que tu aies su pardonner à Colgan.  
- Je ne lui ai pas pardonné, déclare-t-il un peu sèchement. Je compose simplement avec les choix de ma fille.
- Merci de m’avoir raconté.

Il ferme les yeux quand elle l'embrasse.
C'est chaud, doux, un peu salé.
Un gout de trop peu.

- Il est tard… je vais devoir rentrer…
- Reste !

Ebène attrape le tissus du gant qu'elle n'a pas encore mis, tirant dessus pour accompagner sa supplique.

- Reste... s'il te plait.
- Je commence tôt demain et mon bébé va bouder si je ne vais pas le nourrir…
- Et qui va me nourrir, moi, si j'oublie encore... ?

Court silence. Avec un geste autoritaire et pourtant délicat, il retire le gant qu'elle a enfilé.

- Viens vivre avec moi. Amène ton chat. Il fera fuir le cochon nain des voisins...

Theodora s’écarte, essuie ses joues avant de remarquer quelque chose sur celle d’Ebène. Quelque chose de terriblement précieux et fragile qu’elle contemple comme elle le ferait d’une relique rare et qui n’a pas de prix. Elle observe le sillon de cette unique larme qui glisse sur sa peau et la recueille avec beaucoup de délicatesse sur son pouce avant qu’elle en disparaisse à l’angle de sa mâchoire.

- Tu pleurs Ebène, chuchote-t-elle avec une fascination teintée de tristesse. A quel point sa peine doit être immense ? Comme tout ça a dû te faire souffrir et continue certainement de te faire du mal… Je suis d’autant plus heureuse que vous vous soyez tous retrouvés…que tu aies su pardonner à Colgan.
- Je ne lui ai pas pardonné. Je compose simplement avec les choix de ma fille.
Theo garde le silence quelque instant.
- Je comprends. Tu es manifestement capable de rancœur aussi. Merci de m’avoir raconté.

Elle vient déposer un baiser de réconfort et aussi d’au revoir sur sa bouche.

- Il est tard… je vais devoir rentrer…
- Reste !

Elle pivote la tête vers lui lorsqu’il tire sur son deuxième gant et lui sourit.
- Reste... s'il te plait.
- Je… j’aimerais mais je commence tôt demain et mon bébé va bouder si je ne vais pas le nourrir…
Malgré elle, elle sent déjà sa volonté vaciller.
- Et qui va me nourrir, moi, si j'oublie encore... ?
Elle rit et se tourne totalement vers lui à nouveau.
- Excellent argument, docteur. Mais es-tu en train de me demander de choisir entre ton estomac et celui de mon plus fidèle compagnon ? C’est très cruel ! Et puis… tu viens de manger je te rappelle. Tu es bon pour tenir quelques heures je pense.

Ses doigts glissent sur le satin, retroussent l’étoffe sur sa peau abîmée avant de lui retirer son gant. Les phalanges de Theo s’agrippent faiblement au tissu, jouent avec ceux d’Ebène pour tenter de lui subtiliser le gant.  

- Viens vivre avec moi. Amène ton chat. Il fera fuir le cochon nain des voisins...
- Il risque de le manger… tu n’as pas peur des problèmes de voisinage que ça causerait ? Theo se penche pour déposer une pluie de baisers aériens sur sa joue. Je te préviens…si je m’installe ici…j’ai des exigences…premier point, elle s’attaque cette fois à sa bouche tout en encadrant son visage de ses mains nues, j’ai besoin d’un espace pour travailler, sans trop de bazar. Deuxième point… nouveau long baiser avant qu’elle ne recule pour le regarder dans les yeux…si je viens, tu ne pourras pas me chasser au bout de quelques jours lorsque tu te rendras compte que ta solitude de vieux garçon te manque. Dernières exigences… mon chat dort avec moi…donc avec toi aussi. Tu t’engages dans un ménage à trois.
Elle sourit largement et fait glisser ses mains sur son cou puis ses épaules.
- Si tu penses pouvoir accepter ces conditions…dans ce cas, c’est d’accord. J’irai chercher quelques affaires demain.  
Elle est sans doute un peu folle mais elle trouve ça parfaitement délicieux.

- Tu pleures Ebène...

L'interpelé la regarde sans comprendre s'il s'agit d'une question ou d'une affirmation. Pleurer ? Impossible. Une poussière dans l'oeil, une irritation des muqueuses...Une réaction mécanique, rien de plus.

Lorsque viens le moment de partir, Ebène retient Theodora. Une spontanéité qu'il ne s'explique pas. Il n'a pas envie de l'analyser non plus.

- Viens vivre avec moi. Amène ton chat. Il fera fuir le cochon nain des voisins...
- Il risque de le manger… Un mince sourire étire ses lèvres d'ordinaire trop fatiguées pour bouger. Tu n’as pas peur des problèmes de voisinage que ça causerait ?
- Hum... Non. Ils se foutent de me causer des problèmes.

Le couple qui habite en face sont turbulents et indubitablement sonores. La femme s'invite de temps en temps chez lui sans prévenir, avec son fichu porcelet. Et puis, sa moitié, en générale couverte d'ecchymoses, vient frapper à sa porte pour venir la chercher. L'une est chaotique, l'autre masochiste. Ils passent leur temps à gueuler, se taper dessus et faire bruyamment l'amour.
Deux avatars dans des costumes de chair trop serrés.
Il refuse de s'en mêler.


Les lèvres pulpeuses et douces de Theo s'écrasent sur son derme mal rasé.
Agréable.
Très agréable.

- Je te préviens…si je m’installe ici…j’ai des exigences…
- Hum... gronde-t-il sommairement comme seule réponse, trop accaparé par cette bouche qui
cherche la sienne.
- Premier point, j’ai besoin d’un espace pour travailler, sans trop de bazar. Deuxième point… Leur langues valsent et une vapeur doucereuse l'enveloppe. Il remonte lentement son regard jusqu'à se plonger dans les siens...si je viens, tu ne pourras pas me chasser au bout de quelques jours lorsque tu te rendras compte que ta solitude de vieux garçon te manque. Dernières exigences… mon chat dort avec moi…donc avec toi aussi. Tu t’engages dans un ménage à trois.
- J'ai déjà du poil au menton, j'en aurais sur mes vêtements aussi... Josie sera ravie de pouvoir le moquer.
- Si tu penses pouvoir accepter ces conditions…dans ce cas, c’est d’accord. J’irai chercher quelques affaires demain.
- Adjugé.

Il accueille sa nouvelle colocataire avec un baiser dont il n'a pas conscience du sulfureux et vient nicher son bec d'aigle dans le tendre de son cou. Il mordille l'albâtre de cette peau qui rosit merveilleusement sous ses dents. Il ne se rend compte ni de sa sensualité, ni de sa possessivité.
Pas plus de ce coeur qui pompe plus vite.