Marcus conduit avec prudence sa voiture de location tout près d’une clairière qu’il connait bien.
Il déteste foncièrement conduire et ne le fait que pour le travail. Seul Chien est ravi, la gueule par la fenêtre, la langue au vent.

« Vent, vent, vent !!! »
« Mais oui Chien…je sais que t’adore ça. » Il jette un coup d’œil dans le rétroviseur. « Rat laisse l’Humain tranquille. »
« Faim… »
« Plus tard… »

Il se gare, sort du véhicule et ouvre le coffre ou le corps d’un homme repose, enveloppé dans une couverture. Malone l’a appelé il y a déjà deux heures, mais nettoyer une scène de crime requiert une certaine patience et beaucoup de minutie. Cela dit l’appartement qu’il a laissé derrière lui sentait bon le propre sans qu’une odeur suspecte ne soit détectable. Pourtant Dieu sait qu’un organisme pue une fois que sa machinerie s’arrête.  

En grognant sous l’effort, il laisse tomber le cadavre au sol sans que cela n’affecte Rat qui s’accroche aux fibres de laine comme si sa vie en dépendait. Marcus referme le coffre et noue une solide et épaisse corde autour des pieds de l’inconnu dont on l’a chargé de se débarrasser.

Certain pourrait considérer cela comme une sale besogne, mais Marcus sait que ce boulot ingrat est le prix de sa liberté et de son indépendance. Et puis rendre un corps à la Nature, il ne voit pas tellement le soucis que cela pose. Evidemment la loi aurait autre chose à dire sur ce sujet…

Lentement, commence une marche étrange sous la lueur encore faiblarde de l’aube : un Husky sibérien et un corbeau guide un jeune homme qui traine derrière lui corps surmonté d’un Rat, très fier sur son traineau de chair. Le défunt pèse le poids d’un âne mort. Littéralement.

Enfin Marcus s’arrête et commence à rassembler de quoi faire un feu. Il ouvre la couverture et fait glisser sans douceur le cadavre dans le tapis de feuille, haussant un sourcil en voyant l’expression de surprise sur le visage du mort. Curieux, Corbeau vient se percher sur son épaule.

« Humain sale tête. »
« Bien d’accord. Et apparemment, il a embêté Compagnon Loup. »
Chien vient renifler la viande morte mais s’en désintéresse complètement. Pas assez appétissante pour lui.
« Manger ? » fait Rat.
« Commence, le temps que j’appelle les autres. »

Rat pousse un couinement ravi que Marcus n’entend que dans sa tête et se met à déchiqueter le chair à grands coups de dents pointues. Le sorcier tâtonne du bout du pied la terre sous les feuilles mortes, sains, gorgée de vie. Parfaite.
Il se concentre et ses pupilles se resserrent pour n’être qu’un filet de couleur bleu, sa conscience touche des centaines de milliers de petites existences à qui il ordonne d’une poussée mentale impérieuse.

« Remontez dévorer la chair morte. Manger ! ».

Le sol se met alors à grouiller et en jaillit des centaines et des centaines d’insectes qui se ruent sur le cadavre pour le grignoter petit à petit. L’odeur du mort se mêle à celle de la terre mouillée et de pourriture sans qu’aucun muscle sur le visage de guingois de Marcus ne frémisse.
Il ne relâche pas de suite son emprise sur la vermine, préférant s’assurer qu’ils resteront jusqu’à finir le travail. Corbeau déploie soudain ses ailes et croasse alors que Chien dresse les oreilles et que son corps massif se hérisse.

« Quelque chose approche. »
« Comment ça quelque chose ? Humain ou Animal ? »
« Aucun des deux. »
« Merde ! »
Il dévie son pouvoir, appelle d’autres petits être, des milliers de rongeurs qui se précipitent vers lui.
« Venez protéger »

Marcus se tient bien droit, le cadavre à moitié grignoté vite oublié alors que des centaines de pair d’yeux se tournent vers le Sud. Là d’où vient « cet être ».
La menace.

- Ow...

Marcus et Chien se tendent dans un bel ensemble au moment même où l’être franchit une barrière de buisson et se dévoile à eux.

« Dévorer ? Grignoter ? Manger…manger… » murmure les rats dans son esprit.
« Pas encore. » ordonne-t-il. Les rats sont des animaux très dociles mais qui demande une certaine concentration pour les maintenir en son pouvoir lorsqu’une promesse de nourriture entre en jeu. Des ventres sur pattes.

- Je vous interrompt peut-être ?

Marcus fronce les sourcils tout en restant muet. La bonhommie de l’intru ne lui inspire aucune confiance. Qu’est-ce qu’il croit cet énergumène ? Evidemment qu’il déboule au mauvais moment, au mauvais endroit. Il ne s’embête pas à déplacer le corps en pleine nature pour le faire disparaitre, tout ça pour se faire surprendre par un promeneur indélicat.
« Menace » insuffle-t-il dans leurs minuscules cerveaux.  
Les rats se dressent tous sur leurs petites pattes comme un seul animal et entame un concerto de couinement sans doute difficilement supportable pour des oreilles entendantes.

- Hey toi !
Drôle de façon d’aborder quelqu’un à son avis…
- Ce sont tes potes ? La semi-pénombre de l’aube lui permet à peine de lire sur ses lèvres. Il fait donc un pas vers lui. Tu veux pas leur dire de partir ? Marcus hoche lentement la tête de gauche à droite.
- Ou de me laisser partir au pire, on va dire que j'ai rien vu et je vous laisse à votre repas.

Le sorcier réfléchit un instant. Le laisser partir est forcément mauvais pour lui. Même s’il n’a aucune existence légale, un témoin gênant reste un témoin gênant. Il note son regard en direction du cadavre à moitié grignoté et qui continue à l’être par les insectes, mais surtout sa grande inspiration, comme s’il reniflait de loin. Certes le mort pue mais pas à ce point, il ne date que de quelques heures après tout.

- Bon j'avoue, il est pas très frais, mais je t'assure que je suis du genre indigeste alors... Tu me laisses partir et j'oublie d'avoir vu quoi que ce soit d'autre que des arbres, marché conclu ?

Pourquoi les gens se croient-il obligés de déblatérer autant pour ne rien dire ? Marcus n'a jamais compris ce besoin étrange. Combler un vide, un silence ? Il ne connait que ça. Faire passer son anxiété ? Oui, c'est une possibilité.
La réflexion de Chien lui revient en mémoire.
« Tu es certain qu’il n’est pas humain ? »
« Oui. Pas humain. »
« Loup-garou ? »
« Non, chien. Chien bizarre. »

Pris d’une certaine curiosité devant cette « créature » qu’il n’identifie pas encore mais qui semble un peu animale, Marcus étend son pouvoir pour maintenir les rats en place tout en tentant de prendre contact avec l’esprit de l’inconnu. Ses pupilles se rétrécissent jusqu’à ne plus être qu’une mince fente comme les yeux d’un serpent ou d’un félin. Son pouvoir fonctionne comme une radio à l’ancienne qui émet des ondes, d’abord parasites, jusqu’à ce qu’il se branche sur la bonne fréquence. Et effectivement, il finit par trouver la bonne et lui parle directement dans la tête avec un faible écho.  

« Je sais que tu peux m’entendre… qu’est-ce que tu es ? »  

La réaction de l’inconnu lui signifie très clairement qu’il l’a parfaitement entendu.
Marcus ne pense jamais vraiment à l’effet que sa voix intérieure produit sur les autres. Elle n’est pas nocive tant qu’il n’appuie pas son pouvoir, c’est tout ce qu’il a besoin de savoir.
Il le laisse se remettre de ce petit effet, les rats immobiles et attentifs, les insectes grignotant toujours le corps.

"Et ben si je m'attendais... Je te prenais pour un humain mais j'ai dû me tromper. »
« Je suis humain » affirme-t-il tranquillement.
« Moi je suis juste un promeneur qu'a rien demandé à personne, si ce n'est de reprendre sa balade sans avoir d'ennuis. »
Marcus penche la tête. Il n’a jamais vraiment douté que cette rencontre était totalement fortuite. La vraie question est : que va-t-il faire si Marcus le laisse partir maintenant ? Evidemment qu’il affirme tout oublier de leur rencontre. Mais tout le monde ment, il le sait. C’est pourquoi il maintient son contrôle sur les rongeurs.  
« Et toi qu'est-ce que tu es ?"
« Je viens de le dire : un Humain. »

Si Monsieur l’Intru manie les ronds de jambe, Marcus est tout à fait capable de jouer le même petit jeu. Il ne lâchera certainement pas d’informations à un gars croisé dans les bois alors qu’il finit un boulot de nettoyage. Ou alors c’est qu’il ne tient plus tellement ni à la vie, ni à sa liberté.
L'ICV a peut-être arrêté de le chercher mais il n’est pour autant pas décidé à s’offrir à eux sur un beau plateau d’argent.
L’inconnu observe la situation et ses airs débonnaires fondent comme neige au soleil sans qu’il ne comprenne pourquoi. Mais il n’est pas tellement doué pour décrypter les autres.  

"C'est ton chien ? J'espère que tu le traites bien."
Marcus fronce les sourcils, carrément vexé qu’on puisse penser le contraire. Bien qu’il ne puisse se targuer de « posséder » l’animal.
Le promeneur qui n’a rien demandé à personne se met soudain accroupi et tend la main vers Chien, les yeux braqués sur l’animal. Instinctivement Marcus se rapproche de son compagnon à quatre pattes comme pour le protéger par sa simple proximité.

- Hey, salut toi.
Chien lui jette un regard un peu perplexe puis tourne sa tête poilue vers Marcus qui hausse les épaules, notant que le visage de l’homme a repris une expression plus affable mais aussi plus vraie que son cabotinage.
« Inconnu sent chien. Ami ? »
« Pas certain encore. Méfiance. »  

- C'est ton maître ou ton ami, ce type qui parle dans ma tête ? Est-ce qu'il est gentil avec toi ?

Corbeau croasse un rire.
« Être amusant…Toi...maître....! »
Marcus a, à son tour, un sourire un peu tordu par manque de pratique. Le concept de « maître » ne l’a jamais vraiment concerné et il ne le conçoit même pas. Autre chose titille sa curiosité.  

Etrange…

L’homme semble avoir oublier les rats pour concentrer toute son attention sur Chien. Quel genre de créature peut-il être ? C’est cette unique question qui le préoccupe. Il sait en tout cas que des « comme lui », il n’en a encore jamais croisé. Il semble ressentir en tout cas une sorte de commisération pour Chien, une réelle inquiétude…Les rouages de la mémoire de Marcus s’activent en toile de fond. Lorsqu’il a quitté l’ICV, il a commencé par essayer d’en apprendre le plus possible sur le monde du surnaturel, certain de n’en avoir vu qu’un prisme.
« Je ne suis pas leur maître » déclare-t-il tranquillement dans la tête de l’inconnu. « Rien ne les retient à moi si ce n’est leur propre envie de rester à mes côtés. »

Chien remue la queue quand Marcus pose sa main sur sa grosse tête. Il estime que l’intru n’est au moins pas dangereux pour Chien.  
« Tu peux aller lui dire bonjour si tu en as envie. Reste sur tes gardes. »
« Entendu Compagnon ! »
Chien s’approche de l’intru, renifle la main tendue puis lui donne un coup de langue avant de s’assoir devant lui, prêt à se faire câliner comme il se doit. Marcus reste attentif, prêt à agir s’il esquisse le moindre geste suspect envers l’animal.
« Chien n’a eu qu’un seul maître et il l’a abandonné dans la rue lorsqu’il a commencé à avoir sa taille adulte. Encore un humain stupide qui voulait juste une peluche mignonne, j’imagine » explique-t-il pour le compte de l’inconnu. Il se concentre sur lui, vrille ses yeux bleus sur lui comme s’il pouvait percer ses secrets.
« Tu te fiches des autres animaux, c’est Chien qui t’intéresse …tu n’es pas un Loup… aux dernières nouvelles les Barghest sont excessivement rares… reste donc… » Ses yeux pétillent soudain à la simple possibilité qu’il est raison... « ce que l’ICV appelait des chiens de l’Enfer ? C’est ça ? C’est ce que tu es ? »

Ca expliquerait ce statut de mi-animal, mi-humain qui lui permet de communiquer avec lui comme avec ses Compagnons et son intérêt particulier pour Chien.

Quand Marcus confit l’histoire de Chien, il perçoit un changement net dans l’attitude de l’inconnu. Il trouve fascinant cette capacité de passer de la jovialité forcé et envahissante à cette expression dure et menaçante. Qu’est-ce qu’il lui a fait changer d’humeur aussi vite ? Quelque chose que le sorcier à dite ? Quelque chose qu’il aurait entendu ?
Non Corbeau ou Chien l’auraient prévenu.

- Peu de gens sont dignes de confiance hein mon vieux ?
« Personne à mon humble avis. »
- J'imagine que tu as du te sentir très seul et très triste... Au moins ton ami a l'air de bien t'aimer vu comme il te protège, c'est déjà ça.

« Il est ma famille, statut Marcus avec une sincérité et une évidence sans filtre. Tu te fiches des autres animaux, c’est Chien qui t’intéresse …tu n’es pas un Loup… aux dernières nouvelles les Barghest sont excessivement rares… reste donc… Ce que l’ICV appelait des chiens de l’Enfer ? C’est ça ? C’est ce que tu es ? »

Encore un changement d’attitude. Ça doit être épuisant de passer d’une émotion à une autre aussi rapidement. Marcus n’en sait toujours pas la cause. Vient-il de l’insulter ? Ce sont clairement des considérations qui le dépassent complètement…
Non il a l’air énervé…apeuré. La peur a une odeur particulière. Ce constat rend le sorcier plus perplexe encore.

- C'est quoi l'ICV ?
« L'Institut de Cryptozoologie du Vatican. Une organisation qui tient la ville dans sa main. »
- Et qu'est-ce qui te dit que ça existe, les chiens de l'Enfer ?
« Eux. Ils ont passé un certain nombre d’années à étudier les êtres surnaturels. A en créer aussi… »

Comme lui.
Bébé éprouvette, sans famille, ni racine. Qui n’a jamais connu la matrice aimante d’une mère mais le froid liquide amiotique dans une cuve.
Marcus penche la tête alors que Chien revient à ses pieds dans une attitude défensive.
« Être menaçant ! Protégez compagnon. »
Incompréhensible. Marcus rassure Chien d’une caresse.

- Qu'est-ce que tu feras si c'est le cas ?

Tout chez l’inconnu - le Hellhound, il en est maintenant persuadé – clame l’effroi et la défiance. Il n’entend pas les grondements mais voit ses lèvres retroussées sur ses dents comme celles d’un animal traqués ou acculé. Son côté bestial ressort tellement que le sorcier oublie qu’il a affaire à sa forme humaine.
De façon tout à fait déconcertante sans doute, il sourit, un sourire plus assuré et adressé cette fois à cette pauvre bête apeurée. Le ton de sa voix interne prend des accents plus doux, plus apaisants.  
« Rien. Je ne te ferais aucun mal si c’est ce que tu crains. Je n’ai jamais rencontré d’Hellhound avant toi ! »
Il semble presque excité à cette idée et s’assoit sur une souche pour montrer qu’il n’a rien de menaçant et l’observe.
« Dispersez-vous rats tout va bien. »

Aussitôt, les rongeurs s’éloignent et leurs petites pattes galopent en tous sens pour s’éloigner, seuls certains, comme Rat, se sont frayé un chemin sur le cadavre pour y festoyer. Chien reste à l’affut toutefois.

« Tu fais partie du règne animal, Hellhound, de ce fait je suis sans doute la dernière personne que tu aies à craindre. Il jette un coup d’œil à Corbeau, Chien et Rat qui vient de retrouver sa place dans la poche de sa veste pour une sieste digestive sans doute. Comme tu le vois, je ne suis pas votre ennemi. Jamais je ne te dénoncerai à l’ICV, ni à qui que ce soit. Je ne m’y suis pas échappé pour y envoyer les pauvres créatures que je croise. Plutôt mourir. Disons que je suis juste…curieux. Je suppose que tu as une forme animale ? A quoi ressembles-tu ? Est-ce qu’il est vrai que tu es « attaché » à un démon ? L’idée semble contre-nature…  

Sa plus longue tirade depuis bien longtemps. Il se rend soudain compte qu’il s’est animé bien plus que d’habitude et a débité un certain nombre de questions.

« Si tu penses que je suis une menace, je ne t’en voudrais pas de fuir… »
C’est, après tout, une attitude qu’il a souvent eue.
Fuir pour survivre.

- C'est vrai que t'es curieux, mais je ne vois pas de raison de ne pas te répondre vu que tu n'as pas l'air aussi vindicatif que ce que je croyais.

Lui est curieux ? Etrange jugement venant d’un Hellhound. Il décide de ne pas en tenir compte même s’il a conscience de ne pas être un humain «normal». Il ne l’a jamais été et ne le serait sans doute jamais.
Le Hellhound sort un drôle de paquet de sa poche – cigarettes, il croit que c’est comme ça que ça s’appelle – qui l’intrigue beaucoup moins que la petite flamme qu’il provoque par la suite.
Donc, les Hellhounds sont capables de manipuler le feu ? Logique cela dit pour une créature infernale.

- Pour la forme, une partie de la réponse se trouve dans notre nom. Il faut imaginer un chien qui serait plus grand que la norme pour l'espèce terrestre, avec des flammes et de la fumée. Nous pouvons prendre forme humaine, certains parlent parfaitement bien comme moi, d'autres à peine voir pas du tout.

La description, pourtant précise, qu’il lui fait n’arrive pas à provoquer d’image concrète dans l’esprit de Marcus. Son imagination n’a jamais été stimulée avant qu’il ne s’échappe. A quoi bon offrir des distractions à un sujet d’étude. Il s’y emploie donc depuis qu’il est libre mais elle fonctionne encore bien mal.
Il aimerait voir cette créature de ses propres yeux. Il n’en fera jamais la demande évidemment.

- Pour le démon, c'est pas obligatoire, ça dépend des Hellhounds mais, oui, moi je suis lié à l'un d'entre eux, un chic type si je peux dire même s'il est bizarre comparé aux autres. Il ressemble plus à un mortel amélioré qu'à un démon.
~- Un maitre reste un maitre…L'Humain n'est pas plus fiable que le Démon de mon point de vue., déclare-t-il sombrement, approuvé par Corbeau qui croasse un « Bien envoyé ! » qui fait sourire Marcus intérieurement.

- Déjà, il me traite bien, alors que certains démons ne valent pas mieux que les pires maîtres qu'on peut avoir sur cette Terre. Je suis désolé pour Chien, et désolé que t'ai été enfermé toi aussi par cet institut-là.
Marcus se contente d’hausser les épaules. Ca appartient maintenant au passé. Il n’a aucune envie d’en vivre, en plus, prisonnier.
- T'es resté longtemps prisonnier ?
~- Quinze ans.
- Comment t'as fait pour t'échapper ? Je demande, c'est au cas où j'aurais des ennuis avec eux.
~- Les animaux. La vermine. Ils ont grignoté leurs câbles, les ont rendus aussi aveugle que je suis malentendant et m’ont montré le chemin vers les égouts.  

Sans qu’il n’en ait conscience, un sourire fleurit sur le faciès bancal de Marcus. Il n’en a pas encore clairement conscience mais il apprécie cette rencontre.
Jusqu’à ce que soudain, un homme étrange apparaisse comme par « Magie ! ». Marcus recule, la main proche de son couteau. Chien gronde et se colle à lui. Même Rat revient se hisser sur son épaule et pousse des petits couinements menaçants.

- LILOUUU !
Le nouvel arrivant se montre particulièrement tactile avec le Hellhound.  
- Oups, pardon... Tiens-moi ça.
Lui aussi a une « cigarette » et semble très « fumant »
« Sent pas l’humain. Œufs pourris. Méfiance. Méfiance…» le prévient Chien.
Plus de doute possible. Il s’agit bien du « Maitre » du Hellhound. Un démon…
Imprévisible, indomptable, dangereux.
Marcus recule encore et lance un coup d’œil un peu blessé à l’animal démoniaque.
« Est-ce que tu l’as appelé ? Pourquoi ? » lance-t-il d’esprit à esprit.  

- Bonjouuuuur ! Pourquoi vous embêtez mon Lilou ?
Cette fois il plante son regard dans celui du démon. Il a peur, comme un animal plus chétif sait qu’il ne fait pas le poids face à un adversaire plus coriace. Et comme un animal, il sait quelle décision prendre pour sa survie. Fuir.
Dernier regard vers le Hellhound.
« Dommage, j’aurais aimé apprendre à te connaitre. »
Lentement il signe.
~- Qui embête qui ? … Mon travail est terminé. Je vais m’en aller…
Il recule encore jusqu’à être à niveau du squelette nettoyé de toute chair et donne un puissant coup de talon dans la mâchoire des restes pour éviter toute identification dentaire.
Marcus est soigneux dans son travail.
« Corbeau surveille mes arrières. »
Croassement d’approbation. Marcus tourne les talons.

Spoiler:

« Attention Humain ! »
« Compagnon danger ! Compagnon danger ! »

Marcus a à peine le temps de sortir son couteau papillon et de le déployer d’une torsion du poignet qu’une masse compacte s’écrase dans son dos. Il chute brutalement sur le matelas de feuilles et tente de se dégager mais la force de son assaillant est bien plus grande que la sienne.

- Reste là, j'en ai pas fini avec toi !
« Bouge de là ! » lui hurle-t-il dans son esprit, libérant une onde de son pouvoir sans même en avoir conscience.

Corbeau essaie de lui picorer la tête en poussant des croassements vengeurs alors que Chien gronde et fait mine de s’élancer sur le Hellhound mais s’arrête en le voyant aussi menaçant que lui.
Des bruits de cavalcades petits et grands se font entendre autour d’eux et c’est bientôt une réunion d’animaux variés et forestiers qui toisent la scène en attendant l’ordre du Charmeur de Bête.

- J'ai des tas de questions et j'ai besoin de Baphomet à mes côtés pour s'assurer que je ne dise rien de... dérangeant. C'est comme ça et faudra que tu fasses avec.
« Des questions sur quoi ? Lâche-moi ! » ordonne Marcus qui commence à vraiment paniquer d’être entravé de cette façon. Ca lui rappelle l’ICV, les piqures de tranquillisants, le monde qui devenait alors flou… Il bouge encore mollement, respirant plus vite.

Il se fait redresser sans ménagement et constate enfin ce que son pouvoir, sous l’effet de l’angoisse a déclenché. Un nuage d’aigles et autres rapaces tournoient, menaçant, au-dessus de leur tête en plus des autres habitants des bois venus à sa rescousse et toisant le démon et son Hellhound de centaines d’yeux.
- Il…il faut que je les calme. Or je pourrais le faire que si moi je le suis.

« Drôle de chien prend feu de l’intérieur. »
« Tu ne m’aides pas Corbeau ! »
- Si tu veux vraiment apprendre à me connaître, je vais te lâcher lentement et il ne faudra pas t'enfuir, ça me donne envie de te chasser de te voir courir.
Logique.
- Ok…ok… c’est bon.

Marcus est soudain libre et s’éloigne de quelques pas du Hellhound, les yeux dilatés par la panique encore. Corbeau se perche à nouveau sur lui et Chien se poste devant lui, bien moins amical.
Se calmer… il doit se calmer…
Il ferme les yeux et prend une profonde inspiration, laissant l’odeur de l’humus et de l’écorce des arbres lui emplir les poumons.

Je suis sorti de l’ICV.
Je suis libre.
Personne ne me fera de mal.
J'y veillerai.

Lentement il réactive son pouvoir et envoie des ondes plus lénifiantes dans les cervelles animales qui l’entourent.

« Tout va bien. Tout va bien… Pas de danger… pas de menace… je vous libère. »

Lentement, la clairière retrouve son quiétude et sa tranquillité. Mais avoir utilisé son pouvoir sur autant d’animaux sur un temps aussi court, le laisse un instant groggy et Marcus s’appuie contre un tronc pour ne pas s’écrouler.

Mais sa fatigue est vide remplacée par un ébahissement certain lorsque l’humain laisse la place au Hellhound. Trapu, gigantesque, auréolée des flammes : magnifique. Une créature comme il n’en a encore jamais vu.

- Voilà ce que je suis.
Alors que Chien vient se réfugier derrière les jambes du sorcier, celui-ci s’avance vers le Hellhound, fasciné.

« Tu es superbe ! »
Il a soudain l’enthousiasme d’un enfant qui vient de découvrir une licorne en pleine forêt. Un sourire dont il n’a pas conscience sur son faciès de lutin, il avance une main avant de se rétracter. Non pas par peur, mais par respect. A genou devant l’animal démoniaque – ses jambes sont encore flageolantes et ont du mal à le porter. Un peu de repos ne leur fera pas de mal, Marcus l’observe sous toutes les coutures.  

~- Comment marche votre lien ? Comment les Hellhounds sont-ils créés ? signe-t-il en faisant l’effort d’articuler des mots à l’attention du démon.
Puis à l’intention de l’esprit du chien des enfers.
« Tu peux te transformer quand tu le souhaites ? Ca fait mal comme pour les loups-garous ? Tu te nourris de quoi ? Comment tu produis tes flammes ? »
Il ne se rend même pas compte qu’il les mitraille de questions.

Marcus reste perplexe un instant devant les deux être qui lui font face. Il sent instinctivement leur peur et leur colère. Contre et de lui. Et pourtant le Hellhound l’a empêché de partir… pourquoi ? Ah oui l’ICV, c’est ça qui l’inquiète. Pourtant son … « Maitre » semble en savoir long sur cette organisation.
L’épuisement le fait tomber sur les fesses et Chien se poste contre lui, gardien attentif – qui ne manque pas de lui demander des caresses comme pour dire aux deux inconnus « Na moi aussi j’y ai le droit parce que je suis un bon compagnon. »
Marcus ne manque donc pas de lui en prodiguer, malgré sa fatigue évidente. Sur son épaule, Corbeau semble tout aussi dubitatif que le sorcier et fixe le démon de ses yeux plein d’intelligence. Même Rat sort de sa poche après sa petite sieste digestive.

Le quatuor atypique au complet face au duo non moins atypique.

« Je voulais pas te faire peur » déclare Marcus à l’intention du Hellhound.

« Drôles d’êtres. »
« Je te le fais pas dire. »
« Manger ? »
« Non pas encore Rat ! Et puis tu viens de manger !»
« Faim ! »

- T'as quoi que ce soit à voir avec l'ICV ?
Marcus fronce les sourcils en se concentrant sur les lèvres du démon mais la cigarette qu’il y est glissé au coin l’empêche de lire correctement. Long soupir.
~- Vous pouvez… ? Il fais le geste de retirer une cigarette imaginaire de sa bouche. Sinon je peux pas vous lire… je vous entends pas.

Marcus ouvre des yeux ronds, la surprise franche et laisse échapper un petit ricanement.
S’il a quelque chose à voir avec l’ICV ? Peut-il leur révéler la vérité ? Après tout, il l’a fait il y a quelques minutes et s’il le veut le Chien des Enfers n’aura qu’à reporter ses paroles à son Maître.

~- Oui et non, déclare-t-il avec une honnêteté tranquille. Ils m’ont fabriqué dans leur laboratoire, je suis l’une de leur expérience, un savant bidouillage d’ADN.

Il a longtemps cherché à savoir quel était le but de son existence. Il n’est pas l’union de deux êtres qui se sont aimés ou désirés au moins une fois, pas la volonté de créer la Vie, juste celle de jouer les savants fous.  

~- Ils voulaient créer une forme de sorcier parfaite, capable de contrôler n’importe quel esprit. A la place… ils m’ont eu moi.
Grimace ! Il ramasse son couteau et le replie habilement pour le ranger à sa place.
~- Je suis donc ce qu’ils appellent une expérience ratée et plutôt que de finir mes jours dans le noir, je me suis échappé. Je ne dois pas être une grande perte puisqu’ils me fichent la paix. Depuis j’essaie de faire profil bas. Il pointe le démon du menton. Si vous vous êtes de mèche avec eux…leur parlez pas de moi…s’il vous plait. Je veux pas être à nouveau enfermé. Haussement d’épaules fatigués. Vous n’avez rien à craindre de moi.

Il n’est rien.
Ni personne.
Une âme fabriquée et errante qui n’a de futur que le lendemain.
Comme un animal.