Eclats de larmosphère, catégorie « pierres magiques », autel numéro 6 de la salle des gemmes.
Poudre fine d'héléotrope, catégorie « plantes et amylacées », rayon B de la chambre Apothicaire.
Crin de Licorne d'Outre-Rive, catégorie « animaux mystiques », tiroir α de la pièce à vivre des reliques de créatures.

… Ou bien serait-ce le tirroir μ, près des narines fossilisées des juments de Néron ?
Oui, cela a bien plus de logique !

Le vampire est aux anges, au centre de son univers. Les coins naturellement tombant de ses lèvres s'ourlent d'un élan de satisfaction. L'Archive subit son tri hebdomadaire avec toute l'application de son propriétaire. Le temps n'a pas d'emprise, la Nuit sera donc longue et productive. Véritable chef d'orchestre de ses rangements ordonnés, l'immensité infinie demeure pour lui un véritable bonheur à arpenter, à chaque occasion que sa très longue vie lui permet.

Quelques congénères plus âgés se plaignent parfois de leur lassitude prononcée. Mais Paul Desmond n'a jamais connu l'ennui. Pas une seule seconde depuis sa résurrection.

La tonne d'inventaires divers et variés, soigneusement compilés et tenus à jour dans le bureau principal de l'Archive, défile entre les doigts de l'ancien mage. La moindre date, référence et dénomination est scrupuleusement notée. Un travail de longue haleine pour celui qui s'est occupé de chasser, aux quatre coins du monde, chacune de ces trouvailles fantasmagoriques.

Le dernier dossier se referme, rangé à sa place sur l'étagère. Il en a terminé pour ce soir, ravi et épanoui. C'est l'humeur au beau fixe que Paul quitte son cocon personnel, passant la porte dorée pour se retrouver entre les murs sombres de la petite boutique. On le croirait revenu de la remise, mais il n'en est rien. Il jette un coup d'oeil circulaire au magasin, l'esprit perdu dans ses pensées. Il ne paye pas de mine, à côté de cet autre Endroit où il se sent davantage à sa place. Mais Paul ne peut pas nier qu'elle possède un certain charme, cette échoppe à antiquités. La chaleur du bois de chêne rouge du parquet, peut-être.

Toujours est-il que son retour à la réalité correspond à l'instant précis où une ombre toque à la porte cochère. Le vampire en fronce les sourcils, jetant un coup d'oeil à sa montre, ayant repris le cour de son propre temps elle aussi. Une heure du matin. Il n'attends pourtant personne, et bien peu savent que l'antiquaire est un noctambule notoire. C'est donc dans la pénombre et avec une certaine méfiance que Paul ouvre, tombant nez à nez avec un familier. Un visage, familier.

« Tiens donc. J'ai le droit à la tenue de gala... ça ne peut signifier qu'une seule chose ! »

L’opulence goguenarde de Velbegurt est une rareté mensuelle. Cyclique avec la pleine lune, qui l'ourle de lumière dans la rue vide. Son regard rieur n'a rien perdu de sa lueur, en dépit des siècles. Ce chat-garou peut se targuer d'être l'un des rares que le vampire ne repousse pas lors de débarquements impromptus. Allez savoir pourquoi, d'ailleurs. Car il n'y a pas plus opposé que ces deux-là...

« Que me vaut l'honneur de ta visite, Velbegurt ? Tu n'as pourtant pas l'air d'avoir besoin d'un rafraîchissement. », déclare-t-il malicieusement, s'écartant de la porte pour le laisser entrer.

Le visage fermé de son allié ne peut que l'interroger. Il connaît la nature bonne vivante, ronde de jovialité du félin garou, en dépit de cette malédiction lui verrouillant l'esprit d'un profond poids. Et celle-ci semblait s'afficher sur ses traits tendus, comme un rappel macabre que quelque venait de se passer. Quelque chose de suffisamment grave pour venir lui en parler.

Et le couperet tombe sans attendre, d'un glas froid de la bouche pendante du chat.

Aleera.

Son reflet mythique, aux creux déformés. Femme aimée prisonnière d'un miroir désormais brisé. Toute leur histoire est à pleurer.

Et pour cette ville, et surtout pour son ami, elle est un terrible danger.

« … Je vois. Je suis... navré, vraiment. »

L'expression de l'érudit se calque à celle de Velbegurt, conscient de tout ce qu'implique cette terrible nouvelle. Son front se creuse d'une ride de soucis, tandis que ses sourcils se froncent. Si cette folle est parvenue à se libérer, alors c'est que le monde va bien plus mal que ce qu'il l'avait anticipé. Et que cette ville recèle bien plus de secrets qu'elle ne semble l'afficher.
Tout comme cette vile, descellée.

« Le pire est donc arrivé bien plus vite que nous ne l'escomptions... »

Ses bras se croisent. Un soupire fend sa carcasse réanimée. Il n'est plus l'heure de se lamenter, mais celle d'agir pour parvenir à contrecarrer le moindre de ses coups d'échecs. Le vampire n'a que peu de proches. Si bien que ses doigts sont bien trop nombreux pour les estimer. Mais Velbegurt en fait indéniablement parti. Et bien qu'il ne reste que peu de principes altruistes dans le comportement du Saigneur, sa loyauté à ces quelques poignées de justes demeure sans faille.

Il ne laissera pas cette abomination prendre le pas sur l'ancien chasseur.

Devant son expression peinée, son regard perle cherche le sien penaud, désirant lui transmettre sa volonté brûlante sous son visage de cire. Sa main glacée vient à la rencontre de son épaule affaissée, dans un geste trop rare d'affection.

« Viens, montons. Nous serons plus à l'aise pour discuter de tout cela. »

Sa tête s'incline vers le bureau à l'étage, sorte de mezzanine boisée, pourvu d'étagères et d'un large meuble au bout d'un petit escalier. Les marches craquent sous ses pieds, mais en atteignant les lieux, Velbegurt peut y constater la présence d'un fauteuil spacieux, moelleux, nouveau depuis sa dernière visite. Une sorte de pensée à l'égard de l'autre immortel, pour son dos devenu douloureux avec le temps. Paul parlait peu, mais retenait tout.

Ce soir cependant, les deux hommes n'ont pas le temps au badinage.

« Quand s'est-elle échappée ? Et comment ce malheur a-t-il pu se produire ? »

Il s'adosse à son bureau, rempli de livres de comptes, de notes de recherches, de classeurs en fouillis. Il n'y passe, au final, que bien peu d'heures de sa longue vie.

« Je sais que tout ceci est sans doute très difficile pour toi, mais il va falloir me raconter tout ce que tu sais. »

Il n'y a qu'ainsi qu'il pourra pleinement l'aider.
Le protéger, de cette folle à lier.