Je lui jette des coups d’œil en coin depuis que j’ai posé ma question et je vois le changement brutal sur son visage. Sa tristesse. BON j’ai sans doute merdé en lui parlant de ça mais il allait bien falloir qu’on aborde le sujet un jour ou l’autre non. Je sais que nos p’tits vacances c’était bien chouette, en partie parce qu’on oublie un peu le monde… le reste. Mais son avenir me tient à cœur et j’espère toujours qu’elle se tirera de la rue parce qu’elle est franchement pas conne, la môme !

- Est-ce que tu resteras dans ma vie si je reprends les études ?
- Hein ?

J’la regarde, les yeux aussi ronds que des billes. Les lourds engrenages de ma cervelle se mettent en marche mais c’est looooong parce que j’ai du mal à voir le rapport entre les deux… du coup elle reprend de sa petite voix que je commence à bien connaitre. Celle qui me dit qu’elle a les émotions au bord des lèvres et des yeux mais qu’elle joue vaillamment les p’tites nanas fortes.

- Je suis inscrite au même endroit que l'année dernière. Mais si c'est pour ne plus être avec toi je préfère ne pas y aller. Tu es mon Daddours. J’la regarde avec une réelle émotion au fond de la gorge moi aussi. Elle est vraiment aussi paumée et seule que moi ma poupette. C'est avec toi que je veux être. À part si tu veux plus de moi. Dans ce cas je préfère qu’on se sépare maintenant.

Le coup d’œil qu’elle me lance mais fait physiquement mal. Comme si j’allais de toute façon lui faire du mal et qu’elle y est préparée. Lentement, je passe un bras rassurant autour de ses épaules et active mes neurones pour une réponse adéquate.
- Y’a pas de « j’veux plus de toi » ! Que tu reprennes ou non l’école, j’suis là pour toi, ok ? Mais j’crois que c’est important que tu poursuives tes études si tu l’veux, que tu te choppes un job qui t’enjaille, peu importe c’que c’est et que t’aies plus jamais à craindre de pas bouffer ou de t’inquiéter qu’on te vole tes affaires. Ça c’est ce que j’aimerais pour toi. Je lui souris largement. En tant qu’unique et officiel Daddours. Est-ce que je trouve cette appellation trop trognogne ? Carrément ! On peut… essayer de trouver un arrangement, un endroit ou tu puisses crécher. J’veux dire, un truc plus grand qu’un habitacle de bagnole…Genre… un studio pas trop cher ? J’t’aiderai à payer le loyer et le reste. Et j’veux bien bénéficier d’un coin de canap et d’une douche de temps en temps… Mais j’ai pas envie non plus qu’on raconte des saloperies sur toi à l’école ou que t’aies des ennuis. Et moi… bah j’viendrais te voir autant que possible. Parfois j’serai obligé de me carapater pour les chasses mais j’reviendrais ! Promis ! Deal ?

J’en ai plein les pattes ! Grave hâte de rentrer. Ouais parce que maintenant j'ai un lieu où je sais qu’on m’attend. Ça m’avait tellement manqué ! Des choses simples : quelqu’un qui me sourit et me dise bonjour quand je passe la porte, quelqu’un à qui raconter les emmerdes que j’ai croisé en chemin… bref retrouver un train de vie presque normal. J’sais bien que c’est dangereux, qu’mon ours est instable et incontrôlable – les mots du paternel – mais j’ai l’impression que j’maitrise encore les choses. Et j’évite de le titiller pendant les chasses. J’suis devenu un pro du contournement des humeurs d’ma bestiole.
Ouais, ça va aller ! J’ai envie d’être optimiste.

"Slt j'espr ke t'a f1 g com pizza pr ce soir xp"

Le sms me fait sourire. Déjà pour les fautes au kilomètre carré – Daphné a toujours été super à cheval sur l’orthographe… son côté français et puis simplement parce que j’suis bêtement heureux de retrouver la poupette après deux semaines d’absence. Son parcours scolaire me rend aussi fier qu’un foutu paon. Elle est douée la gosse !

Je lui renvoie aussitôt un message.
« Tant qu’on évite les ananas dessus ça me va grave. J’ai une faim d’ours. »

J’arrive au abord de la ville quand j’en reçois un second.
"SOS vamp a ms trousses. Cachée ds l'entrepôt quai 13."
Ca me laisse à la fois perplexe et angoissé. Perplexe parce que je trouve le message étrange. Quelque chose cloche mais j’sauras pas dire quoi… Qu’est-ce qu’elle ira foutre dans les entrepôts alors qu’on a barder son appart de protection physique aussi bien que magique… Non y’a foncièrement un truc que me chiffonne.
Mais j’suis tellement inquiet que j’réfléchis pas plus et je fonce à l’adresse indiquée, pied au plancher. Christine en décolle presque de l’asphalte. Heureusement que j’croise aucun flic sur le chemin.
Je me gare en trombe et fonce dans le tas.

Subtilité ? Stratégie ? Clairement pas le moment, j’ai les sens aux aguets et une peur douloureuse dans le ventre. J’me sens déjà affreusement coupable. J’me fais pas d’illusion, je…on s’est fait un paquet d’ennemis sur le chemin d’nos chasses.
J’aurais tellement pas dû l’entrainer là-dedans ! Qu’est-ce qui m’a pris bordel de merde ! Jamais j’réfléchis, c’est dingue !

Je déboule comme un diable de sa boite dans l’espace qui servait de stockage avant. En voyant l’état de la poupette j’ai un blanc, aussi blanc que le voile qui me bouche la vue et je laisse ma nature faire bouillir mes veines. Toute mon attention se focalise sur le vampire et c’est avec un vilain rictus que je le charge comme une bête en colère et écumante. J’arrive à le choper par le col mais vif, il se dégage de ma prise et se faufile vers Nòtt pour la menacer d’un couteau sous la gorge. Ca me met dans une telle rage que je sens l’ours gratter à la surface. Je me débats pour par le laisser sortir. Si j’le fais… c’est foutu.

- Fais pas ça…  
- J’vais m’gêner connard ! Comme ça tu sauras c’que c’est de tout perdre !
Je hurle tellement ma bataille intérieure se fait rude. Je tombe à genou devant l’air éberlué du vampire et échange un dernier regard avec ma brave poupette.
- Cours…
C’est à elle que j’m’adresse. L’autre il s’en occupera…Pardon poupette...
La transformation s’amorce, douloureuse. Mes mains deviennent ses pattes, ma peau se couvre de ses poils et mon dernier hurlement finit en grondement animal.

En quelques minutes la chose est faite.
L'Ours se tient là, les babines retroussées il se dresse de toute sa taille et fixe son regard fou et meurtrier sur le vampire.
Une première proie.
Une seconde, attachée, livrée à ses appétits.
Mais d’abord l’autre.
L’ours a envie de décharger sa haine sur quelque chose et ça sera sur cette créature. L’animal se laisse tomber à quatre pattes faisant trembler les amoncellements de palettes en bois et se met à courir vers le vampire.

L’Ours frappe le vampire de son énorme patte et a réussi à lui arracher le bras qu’il ne cherche même pas à manger. L’animal n’aime pas la chair morte. C’est là qu’il les sent. TOUS LES AUTRES !
Il exulte de rage.
Cet envahissement de territoire est parfaitement inacceptable ! Plus il en tombe du ciel, plus il se déchaine. Il ne connait aucun repos, il est la rage incarnée. Il fait payer au monde entier la vie qu’on lui a arraché, qu’on lui a obligé à partager dans cette peau d’homme qu’il exècre.
Sa fourrure est rougit de sang, ses babines en dégouline mais, un à un les ennemis tombent, démembrés, éviscérés, décapités. Tout est rouge, si rouge. L’odeur est insoutenable mais elle plait à l’animal.
Parfum de mort.
Satisfaction de se tenir debout dans ce charnier.
Mais petit à petit, les proies viennent à manquer. Et il a beau jouer avec des têtes ou des membres, plus rien ne bouge.
Ou presque.
L’ursidés toure soudain la tête vers une dernière proie. Il l’avait presque oubliée. Pourtant celle-ci, il pourrait la manger, il le sent.
Il fait un pas vers elle, prêt à s’élancer, ses deux billes noires, privées de toute humanité, fixées sur elle. La famille. Son odeur lui est familière. L’Humain la connait.
Mieux. Elle fait partie de sa famille.
Alors il n’a qu’à lui prendre, comme l’Humain a pris sa vie. Juste retour des choses. Ainsi est fait la Nature.

« JE T’INTERDIS SAC A POIL ! T’ENTENDS ! »
L’Ours s’arrête soudain, piétine, trépigne. Il déteste quand l’Humain essaie de le retenir, tire sur une laisse imaginaire. Il est temps de lui rappeler à nouveau qui est le plus fort.

- C'est fini Daddours. Tu peux t'apaiser. C'est moi...
« Je sais… je sais ma poupette. Mais je peux rien faire. Vas-t’en !!! »
- Je sais que tu es là, quelque part. Je sais que tu es plus fort.
L’Humain est furieux, il lutte si fort ! C’est risible. Il n’est rien face à la Colère qu’Il représente. Il est Ours. Il est la Fureur !
Mais comme la lutte ne tourne pas en sa faveur, l’Humain tente une autre approche, déconcertant l’animal qui continue ses vas et vient en observant la proie s’abaisser.
« Pitié… pitié ne lui fais pas mal. Je ferai…tout ce que tu veux… ne lui fais pas de mal.
- Tu n'es plus seul. Si tu reviens on pourra manger de la pizza et... et regarder les aurores boréales sur le toit de Christine... Magni... Daddours s'il te plaît... Je veux pas te faire de mal... Ne m'oblige pas... S'il te plaît, ne m'oblige pas.
« Si tu savais comme j’aimerais. »
Cette sensiblerie parfaitement étrangère à l’ursidé l’agace.
Il est temps.

« NON… NON ! Je t’en prie !!!!! »

A-t-il montré la moindre pitié lorsqu’il lui a ôté la vie ? Aucune.
Il ne fera pas preuve lui non plus. Elle ne fait pas partie de sa nature. L’Humain a créé un monstre, il est temps qu’il en paie le prix.
L’Ours pousse un rugissement caverneux à en faire trembler les murs et l’acier. Un cri plein de haine contre le monde, de rage contre sa propre existence !

Il est la colère.
Alors il charge, il s’élance vers sa dernière victime, prêt à goûter sa chair alors que l’Humain crie à s’en arracher les poumons, hurle de s’échapper, de ne pas le laisser lui faire du mal.
Trop tard.

Quelle idiote cette Humaine, à venir se jeter entre ses crocs !
Cela lui retire presque tout plaisir… mais il ne décélère pour autant pas l’allure. Au contraire. Il arrive à la mettre à terre à se hisser au-dessus d’elle, prêt à la mise à mort. Mais l’Humaine enserre sa large tête entre ses mains qui s’enfoncent dans sa fourrure empoissée de sang.
Et par un phénomène qu’il ne s’explique pas mais qui ne fait que décupler sa rage incommensurable, il n’arrive pas à l’atteindre ! Ses crocs et ses griffes claquent sur une protection invisible. Il a beau essayer encore et encore, il n’arrive à rien et il sent l’Humain tenter de le retenir à nouveau de l’intérieur, le soulagement lui ayant donné un regain d’énergie.

L’Humaine parle alors avec une drôle de voix et l’Ours pousse un grondement féroce en retour. La peur lui est inconnue. Pour avoir peur, il faudrait avoir quelque chose à perdre. Or l’Ours n’a plus rien.
Il se fiche bien de savoir qui est la Petite à l’odeur alléchante. Elle est une Proie.

Mais quelque chose se passe. Tout son instinct animal se tend comme le monde autour d’eux et soudain… le NOIR.
Surpris un instant, l’Ours cesse d’attaquer tandis que l’Humaine tente encore de sauver sa vie.

De l’autre côté de la surface miroitante de l’onde à l’obscurité impénétrable, c’est une autre lutte qui se joue, entre deux personnes bien différentes.
Magni contemple l’aura de la déesse, difficilement soutenable à l’œil nu, trop surpris pour bouger.

*****

Alors c’est elle qu’elle planquait comme un petit secret… je sais pas qui est cette elle, mais cet être dégage un pouvoir aussi familier que menaçant.

- C'est donc tout ce que tu peux faire pour la sauver Berserker ?
J’me rends soudain compte que c’est à moi qu’elle parle.
- Je… j’essaie… l’Ours il est…
Je balbutie des excuses mais je suis même pas certain qu’elle m’entend.
- Tu vas la laisser dans cet état ?
Je jette un coup d’œil vers Poupette le visage en larmes, blessée et ça me fend tellement le cœur que j’en chiale aussi.
- Non… non j’veux pas mais…
- Daddours...
J’ai si mal de la voir dans cet état A CAUSE DE MOI PUTAIN !
- Si tu ne prends pas le dessus je vous briserai les os un à un.
Franchement si j’en viens à faire du mal à Poupette, j’accueillerais volontiers la mort. Même lente et douloureuse. Ça serait que justice. Je me fais brutalement tirer par les cheveux.
- Tu l'as vaincu une fois, alors bats-toi Berserker.

Je me retrouve soudain seul non loin de Grizzila de l’autre côté de cette sorte de miroir. L’animal est toujours aussi furax, toujours en train d’essayer de bouffer Poupette. Je sers les poings. « Tu peux l’faire Magni ! ». Mon aura de Berserker s’allume comme une torche, attisée par la puissance de l’être qu’abrite Poupette. « T’entends ? Même si c’est le dernier truc que tu feras sur cette putain de Terre, tu vas la sortir de là ! »
Alors j’me mets soudain en branle avec un hurlement à faire stopper le festin au Valhalla. Je fonce comme un taureau lancé à pleine vitesse, percute l’Ours avec un telle force qu’il roule sur le côté. Moi il me fait mal, lacère mon esprit à coup de griffes et de crocs, mais je m’en fous, j’le tiens.
- C’est mon corps putain ! Tu vas m’le rendre sale bête !

Je me rends pas compte qu’on vient de rejoindre la réalité à nouveau et que mon combat interne ne se voit plus. Tout ce qui est visible, c’est l’Ours qui se roule par terre, loin de Poupette, et tente de se griffer la tête en poussant hurlements et gémissements.
Petit à petit, mon esprit regagne sa place dans mon corps que j’enfile à nouveau avec soulagement. Les  grondements bestiaux se transforment en cris plus humain alors que la fourrure se retire pour me redonner forme humaine.

Je suis couvert de sang, à poil, recroquevillé sur le sol et tremblant comme une feuille dans l’vent. J’ai mal… si mal putain que je dois serrer les dents pour bouger. Tous mes os craquent comme du bois trop sec, tous mes muscles crient à l’agonie après cette violente transformation.

- Nott… ? Poupette ?... J’appelle d’une voix brisée en sanglotant à moitié.
Pitié… par tous les dieux d’Asgard et du Vanaheim, faites qu’elle aille bien.

Nótt O. Rökkrdóttir a écrit:

Rencontre sur les docks
sauvetage in extremis

ft.  @Magni Oxärsson

Dans cette réalité, j’ai l’impression d'être en apesanteur. Un haut le coeur me prend lorsque je vois Daddours se faire mal mener par Nott.

Ne lui fais pas de mal… Ne lui fais pas de mal je t’en prie….

Elle disparait et je soupire de soulagement en ferment les yeux. Lorsque je les rouvres, j’ai à peine le temps de voir Magni pulvériser l’ours avant un retour brutal à la réalité.

*****

La douleur est aussi intense que si j'étais tombée du toit. Je soupire lourdement en fronçant les sourcils. Je roule sur le côté et tousse jusqu'à vomir du sang. La prise de pouvoir de mon hôte divine m’a clairement plus ébranlée que ce à quoi je m’attendais.

Je rouvre les yeux sur l’ours qui se débat contre lui-même. Je grimace quand je vois la violence avec laquelle il se fait du mal, avec laquelle il fait du mal à Magni. J’aimerais l’en empêcher mais je suis bien incapable de bouger pour le moment. Je suis même incapable d’articuler un seul mot.

Magni reprend forme humaine et je suis attentive à chaque mouvement de son corps. Il respire. Merci, par tous les dieux, merci.

Je fonds en larmes lorsque sa voix retentie, brisée. Je fais un effort surhumain pour me hisser à sa hauteur.

Magni…. Je suis là Daddours. Je suis là. Je suis tellement désolée. Je te demande pardon. Je suis désolée.

Je m’en veux. Tout ça ne serait jamais arrivé sans moi. C’est ma faute. Tout est de ma faute. S’il ne m’avait jamais rencontré il ne serait pas ici dans cet état aujourd’hui. Je détruit tout ce que je touche.

Je pose sa tête sur mes cuisses et caresse, tremblante, ses cheveux. J’observe son corps meurtrit et passe ma main sur lui sans réellement le toucher.

Ne bouges pas. Je vais te soigner. Je… Ne bouge pas. Je suis là…

J’essaye de le soigner avec mes pouvoirs mais le processus et de plus en plus douloureux. Si je continue je risque de lui faire du mal bien plus que je ne lui en ai déjà fais. Alors je caresse simplement sa tempe et ses cheveux.

Je refuse de lui refaire mal comme aujourd’hui mais je doute qu’il me laisse disparaître de sa vie comme ça. Je n’ai pas le choix. C’est maintenant que je dois partir.

Je fond en larme et embrasse sa tempe avec tout l’amour que j’ai pour lui.

Je suis désolée Daddours… J’espère que tu saura me pardonner. Je t’aime. Tu as changer ma vie et tu m’a montré qu’il n’y avait pas que des cons. Je refuse que tu souffre à nouveau par ma faute…. Je suis désolée….

Je me retire doucement et l’embrasse une dernière fois avant de me lever et de titubée en direction de la sortie.

Je disparaît dans les rues glacées. Notre appartement est vide. Mon lycée n’a plus de nouvelle de moi tout comme la bibliothèque. J’ai fais en sorte de disparaitre et la nuit sait à quel point je suis douée pour ça.

Je suis désolée… Adieu Daddours.

FRIMELDA