- « Y’a vraiment un truc qui cloche. »

Que je lui balance tandis que je colle limite mon visage contre la surface réfléchissante. Ce truc qui pend à ce qui nous sert de mur et est censé représenter un miroir. Celui-là même qui me reflète un visage blême et pas assez joufflu d’un point de vue parental. Ce dont je n’ai rien à cirer vu que ma mère et moi on est en froid prestement. Ce n’est pas non plus comme si on avait eu l’occasion d’enterrer la hache de guerre depuis tout ce qui nous est tombés dessus ces dernières semaines. À moins que c’était des mois ? Je ne sais plus moi, ici le temps a ses raisons que la raison ignore. Et pas que la raison m’est avis. Mais passons.
Je fixe donc le joli blanc de mes yeux (qui est parsemé de pointillés rouge ci et là, ça manque d’alcool et de sommeil ça) tandis que je balance des mots à mon enflure de coloc qui squatte dans l’autre pièce. Celle où se trouve le lit. Ou du moins le truc qui fait office de. De ce côté-ci du brouillard il y a d’ailleurs beaucoup de choses qui font office de. Ça ne me dérange pas outre mesure. Je n’ai jamais été une grande adepte de la mercantile facile. Ou des trucs qui coûtent un os. Il aurait fallu bien gagner sa vie pour ça. Et si ça avait été le cas, je n’aurais pas eu besoin de me taper une petite frappe, roi du commerce et des bonnes affaires. Pas qu’un autre métier m’aurait empêché de le taper. De là à me LE taper, c’est une autre histoire.

- « Ça va faire des semaines et toujours rien. Strictement et absolument que-dalle. »

Je tire sur une de mes paupières. Je colle mon visage encore plus proche de la glace. J’ouvre la bouche et tire la langue. Ça ne sert à rien, on est d’accord, mais je préfère vérifier quand même. Peut-être qu’en jouant le guignol ça La ferait réagir un minimum. Même si ce n’est pas la première fois que j’essaie. Et que ça donne systématiquement le même résultat.

- « Ce n’est pas normal. »

Non, bien sûr que ça ne l’est pas ! On ne passe pas un pacte avec un être démonique sans en payer les frais. Et c’est bel et bien ce que j’ai fait. J’ai mis mon âme en pâture sur un coup de tête (enfin pas vraiment, mais c’est la sensation que j’en retiens vu le fiasco qui s’en est suivi) et désormais la Grande Faucheuse me fout un de ces vents. Ou un lapin. Ou un lapin venteux. As you wish. Fait est de constater que le résultat reste sensiblement pareil : le pacte ne veut pas se consommer. Pourtant l’offre semblait alléchante. Pourtant il m’a bien semblé qu’Elle a accepté le deal. Alors qu’est-ce qu’Elle attend ? Pourquoi Elle ne se manifeste pas ? Pourquoi je suis toujours là ? Pourquoi je suis toujours consciente ? Pourquoi mon conard de marchand de sable est lui aussi toujours là ? Et en parlant du loup (ou plutôt de la brebis noire égarée), pourquoi il ne me répond pas celui-là ?

Je lâche mon reflet et me dirige d’un pas sec en direction de la pièce voisine. Là où mon cher et tendre est affalé sur le lit, les bras repliés sous la nuque, les yeux fermés, un sourire àlakon sur sa face de macaque.
Ni une ni deux j’attrape la cruche d’eau posée sur la petite table (cette boisson du diable qu’on ne touche ni l’un ni l’autre, mais qui sert à hydrater notre bébé cochon – celui-là même qui lui a bien pris en compte ma présence, et surtout mon humeur, et qui a tôt fait de détaler du matelas, brave bête) et en balance le contenu en direction du visage de Tad.

- « Tu m’écoutes oui ou merde ?!! »

J’ai failli lui balancer le récipient avec, mais je me suis retenue. Ce n’est pas pour autant que je viens déposer la demoiselle (c’est joliment dit, vous ne trouvez pas ?) avec délicatesse sur son emplacement de base. Je suis furax. Contre lui. Contre moi. Contre tout le monde et plus si affinités. Sauf contre BBQ. Qui s’est caché sous un tas de vêtements éparpillés un peu partout dans la pièce. Il faut dire qu’on ne change pas une équipe qui gagne.

En quelques pas je me retrouve devant la fenêtre qui donne sur l’extérieur. Je pose mon front contre le verre tandis que les paumes de mes deux mains retrouvent la verdure omniprésente qui les entoure.

- « C’est quand qu’on se casse d’ici ? »

Ce n’est pas que la grande ville avec toute sa pollution me manque, mais c’est tout comme.