Le pouvoirs des rumeurs n’est plus a démontrer.
Octavia en avait déjà saisi toute la puissance et l’implacabilité de sa vie humaine, maintenant qu’elle est morte et devenue démone au service de Belzébuth, la chose est encore plus vraie.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce côté du brouillard fourmille de murmures plus ou moins intéressants. Ils serpentent, se répandent et pour qui sait être attentif, sont source d’informations formidables, bien que pas toujours fiables.
C’est pourquoi, lorsqu’elle a entendu celle de la présence de Baphomet, elle a attendu avant d’y prêter foi.
Personnage complexe. Ses petits dossiers démoniaques ne comportent que peu d’informations sur lui.

Vieux. C’est un fait. Mais cela n’a plus vraiment de sens passé un certain nombre de siècles.
Versatile ? Cela reste à voir.
Illégalement sur Terre ? Oh que oui.

Rien que pour cela, une petite visite s’impose. Et puis, elle est là pour enquêter. Enquêter, elle se doit donc sur la présence de ce représentant illustre du Pandémonium.
Mais savoir qu’il est là quelque part est une chose, le trouver en est une autre. S’il ne veut pas être repéré, un démon peut rester dans l’ombre un long moment. Heureusement pour elle, Octavia a fini par obtenir une localisation.
Vague, c’est un fait.
Elle se téléporte donc directement sur la plage et ses talons aiguilles s’enfoncent dans le sable. Elle a une grimace agacée mais finit par retirer ses chaussures. Entre avoir l’air petite ou ridicule en marchant, elle a vite choisi.
Le tailleur pantalon impeccable, sa chemise de soie claire sans un pli, ses escarpins crochées à ses doigts, elle commence les recherches non sans un certain plaisir.
L’iode, la plage et le soleil font remonter des souvenirs lointains et un sourire mélancolique s’esquisse bientôt sur ses lèvres. En fermant les yeux, elle pourrait presque remonter le temps, entendre la caracolades des chevaux sur les pavés, l’activité bruyante qui ne s’arrêtait jamais à Pompéi, les babillages de Livia qui savait toujours tout sur tous le monde, les hurlements de terreur…
Elle s’extirpe de ses réminiscences du passé avec un soupir. Cela lui arrive de plus en plus fréquemment depuis son arrivée sur Terre. Elle trouve ses phénomènes aussi perturbants qu’irritants. Ça n’est ni le lieu, ni le moment pour se laisser aller à une sensiblerie malvenue.

Fort heureusement, elle aperçoit enfin une silhouette assise au loin et préférant faire une entrée remarquée qu’une avancée pénible dans le sable épais, elle se téléporte jusqu’à elle.
Oui. Il s’agit bien de lui, elle en mettrait sa main à couper quand bien même ils ne se sont jamais croisés.
Bras croisés, elle le dévisage avec un petit sourire satisfait au coin des lèvres.
- Eh bien, eh bien… que voilà une surprise. Encore un démon qui s’est manifestement perdu sur Terre. Une manie par ici… Et pas n’importe quel démon. Malgré nos longues existences, je crois bien que c’est la première fois que nous nous croisons, n’est-ce pas… Baphomet ?

Elle a cet avantage. Elle sait qui il est alors qu’il n’en a aucune idée. C’est cela aussi de trop trainer sur Terre. On en oubli « la famille ».

J’suis là, je boude tranquillement sur mon bout de plage, je ne demande strictement rien à personne, moi. Je m’interroge sur le sens de la vie (probablement par là, vu que c’est là où je vais) et sur la meilleure manière de regagner en masse musculaire que j’ai perdue depuis que je ne travaille plus… quand elle débarque. Elle ? C’est Octavia, la chi… le bras droit de Belzébuth (en même temps, je ne sais pas ce que Belzébuth fait avec son bras droit… mais je pense que ça ne doit être bien différent de moi). Non pas que cette jeune personne m’indiffère, mais elle va tourner autour du pot par quatre chemins avant de me dire ce qu’elle veut… 100 contre 1 !

Allez !

"C’est pas une surprise vu que tu me cherchais…"

LA CONNASSE ! Elle m’a oublié ! Ma faute ? Non, pourtant…

"Non, c’est la troisième fois, Octavia. La première fois, tu m’avais demandé un dossier spécifique. La seconde fois, c’était quand je cherchais une compagne pour la nuit, je t’ai vue et t’ai envisagée."

Bon, suis dans l’illégalité, visiblement. Asmodée, actuellement, je te déteste tellement ! Si tu pouvais te pointer, toi aussi, sur cette plage, que je te prouve à quel point je ne peux pas te blairer, ce serait assez cool. Mais non, tout le monde se pointe pour me faire chier, mais pas toi, n’est-ce pas ? Putain, tu parles d’un maître…

"Bref, trêve d’introspections inutiles…"

Je me tourne entièrement vers Octavia, lui souriant de toutes mes dents, un sourire faux, comme ceux que je réserve uniquement à mes pairs. Je la domine de toute ma hauteur. Elle est efficace, très efficace, même. Dommage qu’elle ait choisi Bébou comme maître…

"…Que puis-je pour toi ? J’imagine que t’es pas venue jusqu’ici pour faire semblant de tomber sur moi par hasard, n’est-ce pas ? Si tu pouvais me mettre au jus de ce qui se passe en dessous dans la foulée, sans que j’ai à récupérer les informations moi-même, ce serait super sympa."

Dire que je pensais qu’ils m’avaient tous, plus ou moins volontairement, oubliés.

"Tant que t’es là, tu veux marcher un peu ? J’imagine que t’es pas si pressée que ça de rentrer, si ?"

Il y fait noir en enfer, sombre, trop froid, trop chaud, trop gris, ou trop rouge. Je trouve cet endroit parfait, pour ma part. Sincèrement, ça me ferait bien chier de partir, mais bon, si j’ai pas l’choix…

- Non, c’est la troisième fois, Octavia. La première fois, tu m’avais demandé un dossier spécifique. La seconde fois, c’était quand je cherchais une compagne pour la nuit, je t’ai vue et t’ai envisagée.

Elle le dévisage avec une réelle surprise. Elle n’en a aucun souvenir. Pourtant, elle n’oublierait sans doute pas trois rencontres avec lui. Elle fronce les sourcils.
- As-tu joué avec ma mémoire ? Ça n’est pas très respectueux, très cher. Tu en as trop dit ou pas assez ! Ai-je le droit de savoir si je fais face à un ancien amant ? Etait-ce si mauvais que tu as dû te résoudre à m'effacer la mémoire? L'idée l'amuse énormément. Et que s’est il passé la troisième fois ?

- Bref, trêve d’introspections inutiles…
Il a l’air terriblement tendu. Voire en colère. Soit il ne l’apprécie nullement, ce qui ne serait pas une surprise en soi, soit elle est dirigée contre quelqu’un d’autre…
- Les tiennes le sont ? Inutiles j’entends.

Elle se sent ridiculeusement désavantagée à lever le cou ainsi pour le regarder dans les yeux. Dire qu’elle était considérée comme grande à son époque… c’était avant que l’Humanité ne se mette à pondre des géants.
Le sourire qu’il lui sert est si faux qu’elle en grimace. Elle s’autorise à abaisser les deux coins de bouche de Baphomet de ses index.
- Pas à moi, je te prie. Je ne suis pas une débutante et nous ne sommes à aucune cour que je sache. Un peu d’honnêteté nous changera.  
- …Que puis-je pour toi ? J’imagine que t’es pas venue jusqu’ici pour faire semblant de tomber sur moi par hasard, n’est-ce pas ?
- Evidemment que non. J’ai été irrésistiblement attirée par ton aura, se moque-t-elle gentiment.
- Si tu pouvais me mettre au jus de ce qui se passe en dessous dans la foulée, sans que j’ai à récupérer les informations moi-même, ce serait super sympa.

Elle plisse son regard marron retirant de son visage des mèches tout aussi brunes qui dansent dans le vent.
- Je n’apprécie que moyennement le ton que tu emploies, Baphomet. Lourd soupir. Tu peux te détendre. Je ne suis pas là en ennemie contrairement à ce que tu as l’air de croire. Il est vrai que je pourrais te causer quelques désagréments mais franchement je crois que nous avons tous autre chose à faire. Du moins ceux qui ne restent pas vautré sur leur trône infernal. L’heure n’est plus aux manigances de boudoir.

- Tant que t’es là, tu veux marcher un peu ?
Elle arque un sourcil mais acquiesce.
- Allons-y pour une promenade.
- J’imagine que t’es pas si pressée que ça de rentrer, si ?
- Effectivement. J’ai des choses à faire. A comprendre. Elle laisse filer un silence alors qu’ils avancent, laissant leurs empreintes dans le sable. Je te propose du donnant donnant. Tu me livres des informations et je ferais de même. Pour prouver ma bonne foi, je vais commencer. N’y allons pas par quatre chemins : le Pandémonium, tel qu’il est aujourd’hui est en train de s’écrouler. Elle lui glisse un coup d’œil pour constater l’effet de cette annonce sans détour. Cela ne date pas d'hier mais les évènements actuels ne font que précipiter sa chute. Les âmes sont retenues par Unseelie ici-bas, et au Pandémonium nous ne savons plus qu’en faire. Quant aux  tortures, elles sont barbares en plus d’être contre productives…  Le système s’effondre et nos chers dirigeants font mine de ne pas le voir, s’accrochant à leurs privilèges avec autant de force que des aristocrates français pendant la révolution. L’image qu’elle a choisie n’a rien d’anodine. Pour elle, la révolution se fera et renversera l’ordre établi et désuet. Ce fera-t-elle avec ou sans leurs royautés démoniques ? Cela reste à voir. Du moins en apparence. Le fait est qu’il n’y a pas que sur Terre qu’un changement doit s’opérer. Ce changement, je veux en être. Je voulais m’enquérir de ton avis sur la question mon cher, car ce projet aura besoin d’alliés puissants en cas de résistance.
Elle pense notamment au plus belliqueux et impulsif des Princes démons, Bélial et du plus veule Astaroth.

"Mais putain, ça va la parano, cinq minutes ?"

On se calme Baphomet, elle ne l’a probablement pas fait exprès… Mais sérieusement, entre l’autre qui me traite de violeur, le môme à qui je fais peur, l’autre qui me traite de débile. Monde entier, on va se mettre d’accord sur UN truc : si je suis si pourrit que ça dans tous les domaines, alors fou moi la paix une bonne fois pour toute. Je ne demande rien à personne, moi ! Et maintenant elle qui me traite de mauvais amant. Cocotte, si tu étais passée entre mes bras, je te jure que tu t’en souviendrais…

…Et puis la colère passe, agréablement remplacée par du renoncement.

"La troisième… C’est maintenant. Tu sais, t’as pas à t’en faire. T’as le droit de ne pas te souvenir de moi sans que j’y sois pour quoi que ce soit. J’imagine que tu te souviens d’avantage de mon frère."

Je ne dis rien quand elle me traite de débile en sous-texte. Après tout, elle a parfaitement raison. Mes pensées sont inutiles, et je le suis aussi. Elle m’efface mon sourire qui tombe aussi facilement qu’une mouche. Être honnête ? Elle ? C’est vraiment ce qu’elle recherche ? Y a pas une once de franchise dans ce putain de monde, pas plus ici qu’en bas. Elle me parle de mon aura, celle qui vire les inhibitions. Je lève les yeux au ciel. Je vois qu’elle ne sera pas plus honnête que d’habitude pendant cette conversation.

"Ouais…’scuse moi."

On se met à marcher et la voilà qui me propose une échange d’informations. Voilà qui ne me change pas de d’habitude. M’enfin bon, elle est fair play, elle commence pour m’apprendre des trucs que je sais déjà depuis un bail. Elle me regarde et je réagis avec un temps volontairement tardif.

"KEEEWAAAA ? Tu veux dire que nos dirigeants choisis pour leur capacité à être belliqueux, ou des traitres naturels seraient assis sur une véritable poudrière ? MAIS C’EST TELLEMENT INATTENDU ! QUEL RETOURNEMENT DE SITUATION !"

Non, pour le coup, elle ne m’a pas appris grand-chose.

"A ton avis, pourquoi je suis ici ? Parce que j’en ai eu marre de jouer à c’est qui qui a la plus grosse. Sincèrement."

Cependant, ouais, elle m’a harponnée avec son envie de faire partie du changement. Là, elle est en train de remonter sa prise tandis que nous marchons côte à côte pieds nus dans le sable.

"Et ton cher boss, il en dit quoi, lui ?"

…j’ai pas dit que j’étais pas un poisson qui n’arrivait pas à se débattre !

"Tu dois vraiment être en rade de potes si t’es venue me voir. Mais bon, d’accord. Mon boss à moi fait un peu n’imp. Il joue les mystérieux quand il veut juste tout foutre en l’air. La poudrière, c’est sans doute lui qui l’a mis en place. Tu veux commencer par quoi ? Réunir tous les puissants d’en bas ? Leur tendre un piège ? Essayer de récupérer un maximum d’infos ?"

OK, j’suis remonté et ferré…

"Et tu dis que tu veux en être, tu veux atteindre quel but au juste ?"

Un sourire léger et amusé étire les lèvres d’Octavia alors qu’il s’applique dans une grande scène théâtrale.
- Très réussi ! Digne des grands acteurs de mon temps. Ne te manque que le masque de la consternation la plus totale et l’amphithéâtre en décors. Un peu de gestuel également si je puis me permettre, de grandiloquence corporelle. Elle reprend son sérieux rapidement toutefois. Tu m’as demandé des nouvelles d’en bas. Les voici, simplement. Navré qu’elles ne proposent aucune nouveauté à tes yeux. Pour le reste, tu sais comme moi combien les frontières entre les royaumes sont particulièrement hermétiques.
- A ton avis, pourquoi je suis ici ?
- Pour bouder sur une plage si j’en crois ce que j’ai vu ?
- Parce que j’en ai eu marre de jouer à c’est qui qui a la plus grosse. Sincèrement.
- Je peux le comprendre aisément et je suis du même avis. Sans doute sommes-nous trop vieux pour toutes ces manigances.
- Et ton cher boss, il en dit quoi, lui ?

Voilà qui est délicat… elle ne souhaite nullement mettre à mal sa loyauté envers Belzébuth. Quoi qu’il arrive, leur amitié reste précieuse à ses yeux. Elle choisit toutefois d’être aussi honnête que possible. Une nouvelle alliance ne peut se forger sur d’autres mensonges et d’autres trahisons.

- Je suis là en son nom pour l’instant. Officiellement, je collecte des informations sur la situation, elle ne sait donc pas ce qui se passe ici. Pour toi, Unseelie n’a rien de neuf. Pour le Pandémonium, c’est une donnée encore inconnue mais qui explique bien des choses. Tout ce qui se joue ici pourrait être l’occasion de mutation de notre monde. Bien conseillée, je veux croire que ma souveraine comprendra que mieux vaut se laisser porter par le vent du changement plutôt que d’y résister envers et contre tout. Si ça n’est pas le cas… et bien, je ne pourrais malheureusement rien pour elle.

Elle le jauge du regard, tente de savoir si ce dont elle parle tombe dans l’oreille d’un sourd ou d’un démon avisé. Baphomet a de l’expérience et Octavia est bien loin de le sous-estimé.

- Tu dois vraiment être en rade de potes si t’es venue me voir.
- Je cherche avant tout des alliés potentiels, nullement des amis. Quoique l’un n’empêche pas l’autre.
- Mais bon, d’accord. Mon boss à moi fait un peu n’imp. Il joue les mystérieux quand il veut juste tout foutre en l’air. La poudrière, c’est sans doute lui qui l’a mis en place.
- Ce ne sont pas des informations de toutes fraicheurs, le réprimande-t-elle. Et puis, elle devine soudain et le dévisage longuement. Je vois… tu ne fais pas de rétention d’information, tu ne sais vraiment pas ce qu’il trame… Elle soupire, agacée par ces têtes couronnées et inutiles pour la plupart. C’est typiquement ce pourquoi cette situation n’est plus possible.

- Tu veux commencer par quoi ? Réunir tous les puissants d’en bas ? Leur tendre un piège ? Essayer de récupérer un maximum d’infos ? Et tu dis que tu veux en être, tu veux atteindre quel but au juste ?

Octavia écarquille les yeux puis éclate de rire. Voilà qu’elle n’a plus à se poser la question. Elle sait à présent qu’il est au moins intéressé. Elle penche la tête sur le côté, les yeux pétillants.

- Que d’empressement soudain ! En en clignement de cils, elle se poste devant lui. Dois-je en conclure que tu es… intrigué ? Laisser végéter ton potentiel est indigne d’un stratège comme ton cher Prince, Baphomet. Il n’y a aucune volonté de le flatter. C’est un fait, et Octavia est une femme pragmatique avant tout. Mais avant de nous occuper du Pandémonium, je crois qu’il serait bon de participer à la bataille à venir pour la préservation de la Terre. Sans elle, les Enfers n’ont de toute façon plus de raison d’être et nous non plus. Quant à mon but…

Elle tourne la tête vers la mer, et sa paisible surface. Une tranquillité qui ne l’est qu’en apparence.

- Je ne suis pas là depuis très longtemps. Tout est encore très… neuf, dirons-nous. Ce qui est certain c’est que je commence à comprendre pourquoi tant d’entre nous apprécient séjourner sur Terre. On a presque l’impression d’être… vivant ici. Elle tourne à nouveau la tête vers le démon. Mais cela fait presque 2000 ans que j’effectue le même travail, collectant les âmes, les archivant, comme des feuilles dans un herbier sans rien en faire. Des piles et des piles. Sait-on même pourquoi nous faisons cela ? Je souhaite un Pandémonium sans Fosses, qui ressemble à autre chose qu’un ensemble de royaumes qui passent plus de temps à se tirer entre les pattes qu’à travailler ensemble, autre chose que des dirigeants capricieux au mieux, despotiques au pire, je veux un autre traitement des âmes et un autre sens à notre existence, Baphomet. Elle plante son regard dans le sien. Je paierai cher pour connaître tes pensées à cet instant mon cher ! … Elle pointe son doigt sur le torse de Baphomet. La question que moi je me pose est… que veux-tu toi ? Continuer à observer la mer jusqu’à ce qu’elle finisse par t’engloutir ?

Ouais, on ne s’apprend rien ni l’un ni l’autre au final. Encore qu’une donnée m’étonne un peu. Tiens, ça, c’est tout nouveau. Alors comme ça le Pandémonium ne sait pas ce qui se passe ici ? Ce ne sont pas les informateurs qui manquent j’imagine, mais le sérieux avec lequel ces informations sont traitées. Voilà pourquoi on m’a laissé tranquille aussi longtemps. Peut-être aussi que, moi en moins dans l’équation, les démons ne sont plus aussi subversifs qu’auparavant, et c’est quand ils sont enfin persuadés que tout tiendra parfaitement que tout va s’effondrer. Cette idée est réellement plaisante pour moi

"J’espère autant pour toi que pour elle, effectivement…"

Laisser végéter mon potentiel ? Voilà une phrase qui me caresse dans le sens du poil. Je sais que ça n’a rien de spécialement flatteur, mais que je suis un pion de poids dans sa potentielle balance. Je ne sais pas quel genre de meneuse elle est, je ne sais même pas si elle est une meneuse. D’ailleurs, si c’est réellement la première fois qu’elle pense que nous nous sommes rencontrés, comment peut-elle savoir de ce genre de trucs sur moi ? Des recherches ? Qu’a-t-elle trouvé à part le fait que je foute la merde ?...Oh… oui…

"Ce que je pense ?"

Ouais, j’ai soudain l’air sérieux. Ouais, ça fait tout chelou, n’est-ce pas ?

"Si tu as fais correctement tes devoirs, tu sais que ça fait un bail que je déplore le traitement des âmes. Je dirais bien que cela vient de l’arrivée de mon neveu parmi nous, mais c’est antérieur, très antérieur. J’ai passé une bonne partie de mon existence à mettre la pagaille dans les dossiers. Les autres pensent que j’en ai rien à battre, que je suis un tire au flan ou un délire du genre. Il semble que tu sois une des rares à avoir vu clair dans mon jeu."

Est-ce que les démons qui œuvrent pour le bien des âmes seraient devenus à la mode ? Aurais-je lancé une nouvelle tendance malgré moi ? J’aurais dû déposer le brevet.

"Sois la bienvenue de l’autre côté très chère. Je crains que nous ne soyons pas nombreux. Mais cela fait plaisir de voir un visage amic .. de voir un visage."

Je ne suis pas stupide non plus, je ne lui fais pas entièrement confiance. Après tout, elle est toute neuve dans le côté subversif de la force et il y a pas mal d’autre qui se sont heurtés à la difficulté d’une telle entreprise et qui ont préféré renoncer… Non sans balancer tout le monde au passage.

"J’ai l’impression que mon projet de voir tout cela péter de loin semble compromit."

De toute façon, j’suis dans la merde, j’ai absolument pas le choix.

"Tu le sais, n’est-ce pas, que l’influence de ton supérieur sera compliquée à démêler ? J’ai déjà commencé, pour ma part, mais c’est long, très long, et ça n’a rien d’agréable."

- Ce que je pense ?
- C’est cela. Dis-moi tout, Baphomet.
Octavia constate avec plaisir qu’il prend l’affaire avec le sérieux qu’elle mérite. Comme elle l’a plus ou moins deviner, le trublion est une façade bien pratique pour dissimuler un être plus fin qu’il n’y parait.

- Si tu as fait correctement tes devoirs, tu sais que ça fait un bail que je déplore le traitement des âmes.
- Je fais toujours mes devoirs avec sérieux. D’où ma présence ici à tes côtés.
- Je dirais bien que cela vient de l’arrivée de mon neveu parmi nous, mais c’est antérieur, très antérieur. J’ai passé une bonne partie de mon existence à mettre la pagaille dans les dossiers. Octavia grimace, pleine de compassion pour celui ou celle qui était chargé desdits dossiers. Les autres pensent que j’en ai rien à battre, que je suis un tire au flan ou un délire du genre. Il semble que tu sois une des rares à avoir vu clair dans mon jeu.
Elle lui sourit tranquillement.
- Parce que ta lassitude est la mienne, avoue-t-elle en toute sincérité. Elle garde un instant le silence avant de reprendre. Je suis ton « parcours » depuis quelques temps, je ne m’en cache pas. Et sans me vanter, je crois effectivement savoir faire la différence entre un être stupide et irrécupérable et … Son regard glisse rapidement du haut vers le bas sur la silhouette du démon, un allié potentiel.  

- Sois la bienvenue de l’autre côté très chère.
Elle laisse éclater un petit rire.
- Merci beaucoup. J’aurais apprécié un petit buffet pour m’accueillir, avec un bon vin. Je me contenterai de tes paroles. Mais pour être franche, je fais partie de ce côté depuis quelques temps, moi aussi. Je viens simplement de trouver l’opportunité d’agir et l’occasion, peut-être, qui nous permettra d’évoluer à notre tour.
- Je crains que nous ne soyons pas nombreux.
- Mais pas parfaitement seuls non plus. Et je veux croire que nous faisons plutôt parti du haut du panier.
- Mais cela fait plaisir de voir un visage amic... de voir un visage.
Elle sourit de son début de lapsus.
- Amical ? Est-ce cela que tu avais sur le bout de la langue ? Prématuré sans doute, mais parlons au moins d’alliés.

C’est donc bien la Terre qui rend les démons moins méfiants. S’en est presque adorable. Ou alors elle est pour l’instant tombée sur des êtres naturellement confiants ou en recherche d’associés loyaux.  

- J’ai l’impression que mon projet de voir tout cela péter de loin semble compromit.
- Tu ne vas tout de même pas râler alors que je viens de t’offrir une place de choix dans ce spectacle grand guignolesque ! Et puis comme tu l’as dit, j’ai fait mes devoirs… je sais que tu n’aimes pas être mis de côté lorsqu’il y a de l’action.

- Tu le sais, n’est-ce pas, que l’influence de ton supérieur sera compliquée à démêler ? J’ai déjà commencé, pour ma part, mais c’est long, très long, et ça n’a rien d’agréable.
Octavia hoche la tête.
- Notre vieillesse ne joue pas en notre faveur, c’est un fait. Je ne sais pas quel genre de relation tu entretiens avec Asmodée mais… ce qu’il y a entre Belzébuth et moi relève plus de l’amitié indéfectible, d’un sentiment presque… fraternel, que du servage. Elle m’a faite… confesse-t-elle. A force de côtoyer des gens honnêtes, voilà qu’elle le devient à son tour. C’est à elle que j’ai échangé mon âme. Elle est mon amie et ma souveraine. Mais tout cela ne change en rien mes convictions. Je ne passerais pas mon éternité dans une mission vide de sens pour lui plaire. J’imagine que nous allons devoir nous entraider !

Soudain, cela lui revient, comme un flash. La démone pose sa main sur le bras de Baphomet, le teint rouge écrevisse, ce qui ne fait que ressortir ses taches de rousseur.

- Par Isis ! Je viens de me souvenir… la fameuse seconde fois… j’avais bu n’est-ce pas ? Beaucoup… j’ai fait quelque chose d’inconvenant ? demande-t-elle avec une grimace. Puis elle pince les lèvres pour ne pas rire. Finalement, j’ai été si mauvaise au lit que pour m’épargner toute humiliation tu m’as effacée la mémoire ? Ou l’alcool s’en est chargé…

Bon, c'est parti pour déblatérer de ce que je crois ou non. Elle ne me pose pas réellement de questions sur mes actions. Soit, elle sait déjà à quel point je suis impliqué dans des délires louches, soit elle l'ignore et cela ne l'intéresse pas...

Un allié potentiel ?

Ma cocotte, il va m'en falloir un peu plus que juste une promesse de moi à toi sans retour.

"Navré pour le buffet, ce sera pour une autre fois."

C'est sûr qu'on est pas en terrain conquis, ici. Loiiiiin de là !

"Et quelle est cette occasion ?"

...Que j'ai manquée, visiblement. Bordel, je suis si las que j'arrive même plus à m'en offusquer. Depuis quand ne me suis-je pas mis en colère ? Genre réellement en colère ? Ce type d'émotion que tout être instinctif doté d'un tant soit peu de jugeote fait se carapater/téléporter/commencer à prier. L'enfer m'a rendu mou, ma captivité m'a ôté toute envie de subversivité, et la terre a été une source de déceptions inépuisable.

"Ouais... Alliés."

Heureusement qu'elle m'a dit qu'il y aurait de l'action et que je suis convié.

"Ce que j'veux dire est qu'il va falloir qu'on se salisse les p'tites papattes avant."

Re-levage de yeux au ciel... Et mon maître est mieux que le tien... blablabla... Et j'suis trop addict à mon maître pour le laisser... blablabla... J'lui fais une confiance aveugle... blablabla...

"Ouais ouais, moi aussi, j'ai eu tout ça. Moi aussi j'ai cru qu'il me faisait confiance. Moi aussi, j'étais persuadé qu'il ne se servait pas de moi et ne me prenait pas du tout pour un débile."

Le plus drôle dans l'histoire est que c'est le cas. Je lui faisais vraiment confiance. Moi aussi, j'étais comme Octavia, j'étais persuadé que j'avais le choix, mon libre arbitre. Et encore, je ne disais absolument pas d'Asmodée qu'il était mon frère ou ce genre de connerie. Je disais juste que pour un maître, j'aurais pu tomber sur pire. Cependant, je sais aussi que j'ai une aura qui pourrait aider Octavia à remettre un peu en perspective sa connexion avec Bebuth.

"Ouais, t'avais bu et..."

Mais qu'est-ce qui fait croire aux gens que je couche avec tout ce qui bouge ? En particulier une personne ivre ! On peut pas faire le contraire ? Genre les gens sont persuadés que je suis pur et... je peux coucher avec qui je veux sans être accusé de tous les torts encore et encore ? Je pousse un gros soupire grommelant.

"Nan, t'as rien fait d'inconvenant, rien avec moi en tout cas. Disons qu'à l'époque, tu me prenais pour un démon mineur et tu ne faisais sans doute pas aussi bien tes devoirs qu'aujourd'hui."

Hé puis merde, j'efface pas la mémoire de mes amants, pas systématiquement en tout cas !

"T'as juste rendu tes chocapics du p'tit dej, et je t'ai tenu les cheveux, et tu puais. Après t'as dit un truc comme quoi les enfants devraient avoir plus peur de leurs parents que de toi... et tu m'as remercié de ne pas t'avoir mené dans les chiottes... on était dehors."

Ouaip, tout me revient à la perfection.

"Du coup, pas quoi on commence ? On refait le monde en papotant de ce qu'on souhaite pour les enfers ? Ensuite on trouvera par quoi commencer. Allez, tu commences ! Est-ce que tu vois une hiérarchie, un dirigeant unique, un genre de conseil, ou juste que chacun ait sa spécialité et la gère ?"

- Ouais ouais, moi aussi, j'ai eu tout ça. Moi aussi j'ai cru qu'il me faisait confiance. Moi aussi, j'étais persuadé qu'il ne se servait pas de moi et ne me prenait pas du tout pour un débile.

Octavia le scrute quelques instants, sentant qu’elle a touché un point sensible. Son ton, l’emploi de mot précis dénote d’une aigreur certaine. Est-ce d’avoir faire mention d’Asmodée ? Est-ce que cela voudrait dire que leur relation n’est pas au beau fixe ? Pour le moment, elle ne sait que faire de cette information mais la garde pour elle.

- Je me suis mal faite comprendre. Je sais parfaitement que Belzébuth m’utilise. Evidemment qu’elle le fait ! Je m’occupe de son travail pendant qu’elle prend du bon temps sans aucune contrepartie que le plaisir de la servir. Il serait idiot de ma part de penser que je suis « différente ». A ses yeux, je suis autant un outil qu’une confidente. Ce que j’essaie de te dire, c’est que les racines de ma… loyauté envers elle sont profondes. Très profondes, j’en suis consciente.

Malgré tout, elle ne reculera pas devant ce qu’elle considère être une obligation. Les âmes méritent un autre traitement. Des flashs de leur deuxième rencontre la surprennent soudain et elle lui en fait part en toute décontraction.

- Ouais, t'avais bu et...
- Dieux que ce suspense est terrible…
- Nan, t'as rien fait d'inconvenant, rien avec moi en tout cas.
- Tant mieux, l’alcool me rend parfois très… imprévisible.
- Disons qu'à l'époque, tu me prenais pour un démon mineur et tu ne faisais sans doute pas aussi bien tes devoirs qu'aujourd'hui.
Claquement de langue réprobateur.
- J’en doute. J’ai toujours bien fait mes devoirs.
- T'as juste rendu tes chocapics du p'tit dej, et je t'ai tenu les cheveux, et tu puais.
- Merveilleux ! Tu dois donc avoir une opinion de moi tout à fait remarquable.

Elle n’a aucune idée de ce que sont des chocapics mais comprend bien l'image.
Tout cela l’amuse plus qu’autre chose à vrai dire. Même si l’anecdote est totalement à ses dépens.

- Après t'as dit un truc comme quoi les enfants devraient avoir plus peur de leurs parents que de toi...
- Pas totalement faux mais pas totalement vrai non plus. J’avais envie de philosopher sans doute.
- Et tu m'as remercié de ne pas t'avoir mené dans les chiottes... on était dehors.

Cette fois, elle éclate de rire. Vraiment, on ne pouvait pas faire plus terrible. Enfin si, elle imagine qu’elle aurait pu lui vomir dessus…
- Laisse-moi donc te remercier à nouveau pour avoir tout tenter afin de garder intacte le peu de dignité qu’il me restait ce jour-là.
- Du coup, pas quoi on commence ?
- En général par le début, réplique-t-elle avec un petit sourire malin.
- On refait le monde en papotant de ce qu'on souhaite pour les enfers ? Ensuite on trouvera par quoi commencer. Allez, tu commences ! Est-ce que tu vois une hiérarchie, un dirigeant unique, un genre de conseil, ou juste que chacun ait sa spécialité et la gère ?

Elle s’arrête un instant pour contempler la quiétude de la mer. Les réminiscences de sa vie d’humaine refont surface, elle voit un petit garçon jouer dans le sable en criant après les vagues. Le manque de son fils est soudain si fort qu’il lui fait physiquement mal. Fichue sensiblerie terrestre.

- Tu es un spécialiste de la mémoire, n’est-ce pas ? Comment expliques-tu le fait qu’elle s’échine à me rappeler ma vie d’humaine depuis que j’ai quitté le Pandémonium ? Pardon je digresse.

Sa main balaie ses cheveux pour pouvoir regarder son interlocuteur autrement qu’à travers un rideau de mèches brunes.

- Je crois que nous prenons le problème à l’envers. Le Pandémonium n’a jamais été créer pour nous. Nous ne devrions pas songer à nous mais aux âmes. Ce sont elles notre priorité. Je sais que c’est sans doute une question difficile pour nous qui sommes mort sans l’être. Mais qu’aimerais-tu trouver dans l’Après-Vie ? Moi… eh bien je souhaiterais le respect, la paix et pourquoi pas une seconde chance ?
Notre système actuel est vicié au possible. Les âmes sont traitées comme une sorte de monnaie ou d’archives par des souverains décadents et incompétents. Ce que je souhaite… elle plante fermement son regard dans le sien. Pas de faux-semblants ou de jeux politiques, simplement la vérité, c’est de destituer nos princes et princesses. Tous. Sans exception. Si le Pandémonium est devenu une grosse entreprise capitaliste, soit. Alors nous avons effectivement besoin d’un conseil d’administration ou quelque chose d’approchant. Un conseil qui communique, qui cherche des solutions, notamment sur le recyclage d’âme, qui se renouvelle et surtout, qui n’accepte que des gens compétents à sa table. Nouveau sourire. Autant te dire qu’il ne restera plus grand-chose de nos chères têtes couronnées et que certains ne vont pas être foncièrement d’accord avec la perte de leurs privilèges.

Elle marque une pause et penche légèrement la tête, curieuse.

- Et toi, Baphomet ? Qu’Imagines-tu concrètement ?

Bon ! Au moins elle est parfaitement consciente de ce que nous sommes ! Entre Asmodée et moi, on ne va pas se le cacher, ça a toujours été compliqué, un peu comme un môme qui recherche l'approbation de son père et qui ne l'a jamais. Aujourd'hui, il n'a jamais été aussi absent et me détacher de lui est à la fois fastidieux et inévitable.

"C'est toujours ça de pris. Je te montrerai comment faire. Je pense que j'ai les capacités pour détacher n'importe qui de n'importe quel lien."

…sauf les miens…

À moins qu'on ne trouve un second Baphomet.

L'horreur !

BREF

Je lui raconte ce qui s'est passé et sa réaction me fait avoir un rire amusé, mais absolument pas moqueur.

"Laisse moi juste apprendre un truc sur moi. Les conventions sociales, j'en ai rien à foutre. Je respecte infiniment plus quelqu'un qui va me vomir dessus mais qui est honnête dans ses intentions qu'un mec, ou une nana bien propre sur elle qui aiguise la lame qu'elle va me planter dans le dos."

Après, si elle veut que je me conduise mal pour qu'on soit quittes, il n'y a aucun problème !

"Écoutes, je t'en prie… j'dis pas que l'idée d'abuser de la situation ne m'a pas traversé l'esprit. Remercie-moi plutôt pour ne pas avoir cédé à mes plus bas instincts."

Et ça peut aller vite, très vite, trop vite.

La miss s'enfonce dans une introspection et je la rattrape du regard. Elle est pas habituée à la surface, ça se voit.

"Parce que la mémoire est porteuse de messages importants que tu te refuses d'écouter. Parfois, c'est une punition, parfois une demande. Ce n'est pas un reproche de quoi que ce soit, ça arrive à tout le monde… graisse !"

Moi aussi j'digresse !

Oh bordel. Elle me pose des questions auquel je n'ai jamais songé. Enfin, pour les autres, j'ai déjà ma petite idée, mais pour moi-même…

"Ce que j'aimerais, ce serait que les personnes choisissent. Paradis, réincarnation, rêve infini qui se délite peu à peu dans le néant, fantôme… l'un puis l'autre ? J'avais essayé de mettre ça en place, en secret, mais nos pairs estimaient que c'était une perte de temps. J'estime que c'était notre travail, en tout cas un travail plus gratifiant que la torture."

Une révolution. Des tentatives de rebellion, il y en a eu plein, et elles ont toutes échouées pour la plupart. Le résultat n'est d'ailleurs jamais à la hauteur des espérances. Je suis content que mon acolyte voit les choses de la même manière que moi : se décider d'un but, et en déduire le déroulement logique.

"Le pandémonium a une connotation très négative. Je ne pense pas qu'il faille garder le système en place non plus, et ce sera sans doute violent… mais bon… ce sera nécessaire. Je pense qu'une fois qu'on se sera mis d'accord sur ce qu'on fait des âmes, les démons élus, ou les plus doués dans leur domaine, se chargeront de leur propre monde d'âme. Il y aura un dirigeant de l'enfer ou des enfers pour les âmes qui pensent devoir souffrir dans l'au-delà. Il y aura sans doute plusieurs mondes paradisiaques. Un service de traitement de la réincarnation…"

Tu sens que j'ai réfléchi à l'idée ? Non ? Et oui, en tant que démon de la mémoire ET du libre arbitre, je pars avec un très net avantage.

"ça a l'air d'être un travail de dingue… mais pas tant que ça, si on réfléchit bien. Imagine toutes les structures dont on dispose déjà. Adieu les fausses, adieu l'administration, si on se débrouille bien, une âme nouvellement arrivée peut etre traitée dans la demi-journée."

Voilà, mon rêve à moi. M'occuper de la mémoire des défunts, peut-être être aux commandes des apparitions fantomatiques ? J'en sais rien... pour moi, je sais pas.

- Parce que la mémoire est porteuse de messages importants que tu te refuses d'écouter. Parfois, c'est une punition, parfois une demande.
Si elle ne conteste pas le refus, elle se demande à quel point l’influence du Pandémonium a joué sur sa volonté de mettre sa vie d’avant de côté.
- Je vois… c’est une approche intéressante. Une punition ou une demande…
Elle se demande laquelle est la bonne dans son cas.
- Ce n'est pas un reproche de quoi que ce soit, ça arrive à tout le monde… graisse !
Après avoir souri à sa facétie enfantine, Octavia réfléchit à ce qu’il vient de lui dire.
- Ayant déjà eu le droit à une Apocalypse léthale j’imagine que cela facilite les réminiscences. Quand bien même le contexte était radicalement différent. Merci de m’avoir partagé ton point de vue.

Elle n’avait alors eu le droit qu’à un minuscule sursis qui a eu tout l’air d’une longue torture digne des Fosses.  
Après lui avoir exposé son point de vue sur les changements à apporter au Pandémonium, elle lui demande son avis et l’écoute avec attention. Toute idée intéressante est bonne à prendre.

- Ce que j'aimerais, ce serait que les personnes choisissent. Paradis, réincarnation, rêve infini qui se délite peu à peu dans le néant, fantôme… l'un puis l'autre ?
- Le fameux « libre-arbitre » jusque dans la mort ? C’est une idée sans doute réconfortante. Donc tu remplacerais les royaumes par des lieux plus… mystiques ou chacun irait selon ses croyances ? Cela revient à créer ce à quoi moi et ma civilisation croyions.
- J'avais essayé de mettre ça en place, en secret, mais nos pairs estimaient que c'était une perte de temps.
Octavia claque de la langue, agacée
- Cela ne m’étonne qu’à moitié. Barbons imbéciles...
- J'estime que c'était notre travail, en tout cas un travail plus gratifiant que la torture.
Elle hoche la tête, partageant son point de vue. Au fur et à mesure qu’il lui expose sa vision de l’enfer, son sourire s’agrandit, excessivement satisfaite d’avoir eu raison sur son vis-à-vis. Non seulement il a déjà réfléchi à la question mais ses idées lui semblent pertinentes.
- Ca a l'air d'être un travail de dingue… mais pas tant que ça, si on réfléchit bien.
- Je réfléchis…plutôt bien de manière générale, réplique-t-elle, et je suis d’accord. Cela demande de l’organisation, de la communication et une nouvelle gestion. Mon domaine de prédilection en quelque sorte. Mais tout est faisable.
- Imagine toutes les structures dont on dispose déjà. Adieu les Fosses, adieu l'administration, si on se débrouille bien, une âme nouvellement arrivée peut être traitée dans la demi-journée.
Elle lui glisse en regard en coin, un rien complice et allumé d’une détermination brûlante.
- Je ne me suis donc pas trompée sur ton compte… Il est plaisant de voir un confrère partager une vision plus saine de notre fonction et de notre lieu de travail.

Elle se plante devant lui et fixe son regard dans le sien, tenant ses mèches agitées par le vent d’une main ferme sur sa tête.

- Ses tests que tu as effectué dans ton coin nous serons utiles pour éviter les écueils. Et puis cette fois tu ne seras pas seul dans cette vaste entreprise de révolution. Imagine un instant que nous lancions tous ses changements. Seras-tu prêt à défendre tout cela ? A prendre fait et cause pour la mener à bien ? Quitte à t’engager dans une guerre ouverte avec quelques démons plus… rétrogrades ?
Aucune révolution ou presque ne s’est faite en douceur.
- Je ne suis pas encore allée voir Asmodée, j’attendais de voir de quel bois était fait son … acolyte particulier. Crois-tu qu’il sera prêt à renoncer volontairement à son trône et à suivre le vent du changement ? Plus important encore... si tu penses que ça n'est pas le cas, te sens-tu capable de le faire changer d'avis ?

Le libre arbitre jusque dans la mort... Rien que cette phrase, prononcée à voix haute, me donne des frissons. Ce serait un si beau rêve qu'à présent il me semble que je peux toucher du doigt. En fait, il suffirait que je sois moins idiot, et plus sérieux pour que ça n'arrive. Si je ne suis pas quelqu'un de spécialement stupide, il m'arrive volontiers de cacher mon intelligence derrière un rempart de mauvaise foi... et pour ce qui est du fait d'être sérieux, hé bien, c'est pas demain la veille.

"Ton domaine de prédilection, c'est les trucs en "-tion" ? C'est cool !"

Qu'est-ce que je disais ?

"Disons que je n'ai jamais bien compris cette propension -tiens, un truc à toi !- à vouloir jouer les "agrougrou, méchant !" sous prétexte qu'on l'avait subi soi-même. Mais bon, cela demande surtout des gens qui partagent une même idée : arrêter de faire chier."

Quand elle me dit qu'elle ne s'est pas trompée à mon propos, je lui lance un regard digne d'un enfant pris sur le fait d'avoir fait une grosse connerie.

"Plus saine ? Plus logique et plus gratifiante, surtout."

Elle me regarde, de toute sa petite taille. Je lui souris, assez impressionné par sa prestance. Puis, elle me vend du rêve. Une révolution, une rébellion, c'est bien ce dont elle me parle ? Cocotte, tu t'adresses à un démon qui l'a commencé depuis bien longtemps et qui n'a strictement plus RIEN à perdre.

"Tu me demandes vraiment des preuves de mon implication ? Hé bien oui. Je suis prêt à faire cela. Je n'ai jamais été un grand combattant, mais je laisse volontiers les muscles aux autres." Mon visage se fait plus sombre, d'un coup. "Cependant, si mon frère doit disparaître, je veux le faire moi-même. C'est ma seule et unique condition." Immédiatement après, je retrouve le sourire. C'est ma seule ombre au tableau, le seul qui m'ait poussé à vivre une vie recluse, solitaire, et morne. Celui qui fait que j'ai tant de ressenti aujourd'hui. Ouais, il faut bien un bouc émissaire, et c'est tombé sur lui. Je touche ma cicatrice en traçant le sillon avec l'ongle de mon pouce un peu pensivement.

Octavia reprend avec un être plus raisonnable.

"J'avoue... j'en sais rien..." J'aimerais dire mon propre ressenti vis-à-vis de mon maître, mais ça n'avancerait à rien. Je pense simplement que je n'ai jamais réellement compris Asmodée. Je pense qu'il ne s'est même que très rarement compris lui-même. "Ouais, je peux le convaincre." Bordel, elle va le revoir avant moi. J'y crois pas...

Je ne vais pas redemander par quoi on commence, parce qu'elle va me répondre "par le commencement". Du coup, il faut que je comble les lacunes de mon savoir.

"Dis, les deux mondes qui fusionnent, les âmes qui se paument, le brouillard, tout ça... T'en sais quoi ? Tu penses qu'on pourrait se servir du phénomène ou que c'est un nouveau truc à traiter en plus du reste ? J'me sens un peu largué depuis que je me suis retrouvé coincé ici."

- Tu me demandes vraiment des preuves de mon implication ? Hé bien oui. Je suis prêt à faire cela.
En vérité Octavia, n’en doute pas tellement mais mieux vaut avoir une confirmation franche. Une parole engagée est plus forte qu’une pensée envolée.
- Je n'ai jamais été un grand combattant, mais je laisse volontiers les muscles aux autres.
- Ca n’est pas franchement ma spécialité non plus ! Et comme tu le dis, certains sont bien mieux taillés pour la chose.
- Cependant, si mon frère doit disparaître, je veux le faire moi-même. C'est ma seule et unique condition.
Octavia fronce les sourcils.
- Nous n’en sommes pas encore à ce genre d’extrémité. Mais… il me semblait pourtant qu’il a été placé là par Asmodée non ? J’en conviens qu’il n’a que peu de finesse d’esprit mais ne se rangera-t-il pas à notre cause par simple loyauté ?... hum, il faut véritablement que l’on s’entretienne avec Asmodée. Si ses pions ne sont pas fiables, nous allons effectivement devoir agir. Disons que je peux te promettre que tu seras le premier au courant de ce qu’il adviendra de lui…

D’ailleurs à propos d’Asmodée, elle lui pose quelques questions qui lui paraissent essentielles avant de le rencontrer en chair et en os.
- J'avoue... j'en sais rien...Ouais, je peux le convaincre.
Il ne semble pas si sûr de lui soudain. Tant pis ! Elle fera comme elle le peut… et improvisera si nécessaire – chose qu’elle n’apprécie pas tellement. Mais certaines situations l’exigent, malheureusement.
- Dis, les deux mondes qui fusionnent, les âmes qui se paument, le brouillard, tout ça... T'en sais quoi ? Tu penses qu'on pourrait se servir du phénomène ou que c'est un nouveau truc à traiter en plus du reste ?

Octavia le fixe un moment avant de décider ce qu’elle compte lui révéler ou non. Mais un allié aveugle n’est guère utile, autant donc le mettre au courant de tout.
- Ne sachant exactement où tu en es, pardonne-moi si je répète des évidences. Tout cela est lié, tu t’en doutes. C’est l’œuvre d’une entité que les humains ont appelé Unseelie et qui serait une Infinie, Vie pour être précise, comme l’est Rêve, Destin et même notre grande patronne, Mort. Peu de choses sont certaines mais cette Vie viciée souhaite la mort de ce monde. Les changements que cela entraine sont colossaux et touchent presque toutes les créatures de cet univers. L’arrêter est une priorité absolue, tu l’imagines bien. Mais le bouleversement qu’elle a provoqué peut être une occasion inespérée de renverser l’ordre établi. En l’occurrence, Mort et ses préceptes abscons pour ce qui nous concerne. C’est donc à la fois un ennemi à abattre et une formidable impulsion.

Elle marque un temps, se demandant pourquoi ça n’est pas Asmodée qui éclaire son démon. Tient-il à l’éloigner de tout cela ? Pour quelle raison. Finalement Octavia poursuit en toute transparence et tant pis pour la volonté de Maitre de l’Orgueil. Il lui semble légitime que Baphomet soit mis au courant de tout.

- Il va y avoir une grande offensive pour reprendre la ville et détruire Unseelie. Une attaque qui, pour la première fois dans l’histoire, réunira humains, sorciers, démons, dieux et déesses ainsi que quelques créatures de Faerie. Si tout se passe selon nos plans, alors nous vaincrons. A notre charge d’améliorer les choses et de poursuivre cette formidable alliance. Si nous perdons… eh bien il est inutile de te faire un dessin je crois. Je suis une piètre combattante mais je me tiendrais au côté des habitants de ce monde. Et toi ? Sais-tu quelle place tu souhaites occuper ?  

Autant laisser les gens qui veulent se battre... se battre. Hein ? Ouais, on est tous bien d'accord ! Et... ouais, il se pourrait bien que mon débile de frère prête ses muscles pour la cause. Peut-être.

"Je te remercie. Mais je te rassure, c'était juste un 'si'. Moi j'en sais rien. On a pas une relation hyper fusionnelle, lui et moi."

Même un idiot l'aurait compris.

On parle d'Asmodée et je me rends compte seulement maintenant d'à quel point je ne connais pas cet être. Il prétend le contraire, naturellement, et ses belles paroles m'ont toujours un peu amusé. Mais la dernière fois que nous nous sommes vus, je devais tout faire pour que l'entièreté du monde démoniaque le déteste, et maintenant... je ne sais plus. Est-ce que c'est moi ou la bride m'a été laissée sur le cou dernièrement ? Et... ça n'est pas pour me plaire. Bref, il n'est pas là pour le moment, ce sera à moi et à moi seul d'en juger quand il aura un peu de temps à me consacrer.

"Je t'en prie, énoncé des évidences. Évite juste le classique 'j'ai envie de toi ici et tout de suite', ce serait un peu cliché."

Putain, ce qu'elle est sérieuse ! Je me demande si je ne pourrais pas la dévergonder un peu.

Shhh, Baph, écoute !

Ouiiiii...

Donc les infinis, OK ! Unseelie est la vie. D'accord. La vie souhaite la mort, et non pas la Mort. Chacun son délire.

"En gros, tu comptes sur un feu de forêt provoqué par des chasseurs pour espérer tuer lesdits chasseurs."

Ouais, simple, efficace, dangereux, mortel même, peut-être. L'idée de l'offensive commence à se répandre comme une trainée de poudre, et pour cela, j'en suis. Je ne rêve que d'une chose : reprendre ma vie d'avant, retrouver mes compagnons, voir si tout ce petit monde va bien.

"Je t'interdis de songer à m'évincer de ce projet. Tu peux compter sur moi pour faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour reprendre la ville, voir comment on s'occupe d'Unseelie, et rebâtir nos chers enfers."

Mon engagement est sur du long, voire du très long terme, comme toujours. Et comme toujours, il est absolu et ineffable. J'ai pas l'air, comme ça, je sais, ça fait un peu partit du personnage. Seuls les personnes qui arrivent à voir au-delà des apparences peuvent donc compter sur moi.

C'est ce qu'Octavia vient d'obtenir.

"Un monde peuplé de créatures... ça va être compliqué à gérer... On signe où ?"